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Philippe Le Jeune, 4 ans plus tard

Reportages samedi 23 août 2014 Julien Counet

Philippe Le Jeune, 4 ans plus tard! Il a été aussi question de vous au poste de sélectionneur pour la Belgique. Dans le futur, est-ce que c'est un rôle qui vous tente ? P.L.J.  : « Je crois, oui. Je ne ferme pas la porte dans le futur. J'aimerais d'abord entrainer un équipe de jeunes : juniors ou jeunes cavaliers, pour faire mon expérience car je me rends compte que gérer les cavaliers, ce n'est pas si facile. Il y a beaucoup de critiques car tout le monde croit qu'il est bon et qu'il a fait d'assez bons résultats. Pour moi, le sport passe avant tout et je suis vraiment un cavalier d'équipe comme il n'y en a pas eu beaucoup en Belgique, à part Dirk Demeersman et Ludo Philippaerts. J'ai quand même vu beaucoup de choses dans ma vie, entendu beaucoup de choses, vu des cavaliers monter leurs deuxièmes chevaux dans les coupes pour garder leur cheval de tête pour le Grand Prix. J'ai déjà eu beaucoup de discussions à ce niveau car je n'étais pas d'accord de monter Nabab ou Vigo quand d'autres montaient leur deuxième cheval et je pense que je serai assez intransigeant à ce niveau-là. On ne pourra pas me raconter des histoires car je suis quasiment né là-dedans et je connais toutes les ficelles.  Je vois encore des cavaliers expliquer qu'ils vont aller là avec tel cheval, là avec cet autre là … avec moi, ça ne passerait pas ! Il y aurait des choix à faire et on se tient aux choix. Si on n'est pas d'accord, on attend ou on vole dehors, comme en football. C'est compliqué d'autant que beaucoup de cavaliers ont la pression de leurs propriétaires parce qu'ils veulent ci ou ça. D'autant plus que beaucoup de propriétaires ne connaissent rien du tout et pensent que parce que leur cheval est arrivé au haut niveau, il n'y a qu'à aller là, là et là … et à la fin, y a plus de cheval ! Fin de l'année passée, j'ai entendu des gens dire qu'ils allaient faire le Global, les concours là et là … et qu'ils ambitionnaient d'aller aux championnats du monde. Alors, je leur ai dit qu'avec un tel programme, ils allaient arriver aux jeux avec une bicyclette car c'était impossible ou que je ne comprenais plus rien à un cheval … Aujourd'hui, je pense que j'avais raison. La gestion est très difficile et je comprends que lorsqu'on achète des chevaux d'une certaine valeur pour des cavaliers et qu'un propriétaire met 250.000 euros sur la table pour participer au Global, c'est bien … mais après, ils veulent aussi faire de la Super League car les qualifications se font sur le circuit de super league. Là, même avec deux chevaux, c'est délicat ! et on arrive avec un cheval en fin de saison qui est rôti. Un championnat du monde, il faut quand même bien se dire que c'est l'épreuve la plus difficile. Ça n'a rien avoir avec les Jeux Olympiques où il faut se qualifier pour la finale où tout retombe à zéro. Le parcours de chasse des championnats du monde me paraissait plus gros que la première qualificative des Jeux Olympiques. Lors de la finale individuelle, ce sont vraiment des meubles qu'il faut sauter puis il y a encore le lendemain la finale à quatre. Alors chef d'équipe, oui mais je veux encore me faire plaisir un peu. Je suis à 90% sûr que Filou est le cheval qui va me remettre au haut niveau. D'ailleurs, quand je monte Filou, tout est simple. Je ne me pose pas de questions, je saute juste les obstacles. Le triple à Gijon, il a fait ça comme s'il faisait une gymnastique, tout naturellement. Je me vois donc encore deux ans au minimum avec lui. Nous verrons ensuite comment va évoluer ce sport car je pense que d'ici un an, certains cavaliers vont commencer à ne pas être contents et vont commencer à se plaindre en disant qu'ils travaillent tous les jours sans avoir la chance d'accéder au plus haut niveau, à cause d'un système qui ne fonctionne pas et qu'on leur enlève les chevaux pour les donner à d'autres qui eux peuvent continuer. S'ils sont un peu intelligents, ils ne peuvent pas laisser faire ça sinon notre sport va droit dans le mur. Il faut garder l'église au milieu du village, il faut de l'argent, je suis 100% d'accord mais il faut aussi que les gens qui bossent puissent vivre. Le sport et le cheval doivent passer devant cela, ce n'est pas normal. » Quand on veut se faire plaisir, est-ce que cela veut dire qu'avec Filou vous allez donner la priorité à de beaux Grand Prix comme Aix-la-Chapelle, Calgary et autres plutôt qu'à un championnat ? P.L.J.  : « Je pense que je reste toujours un cavalier d'équipe. Pour moi, la plus belle épreuve en saut d'obstacle, c'est la coupe des nations. C'est passionnant. C'est un sport ingrat où en une minute trente, tout est fini. Avec une faute, on est déjà dehors. On n'a aucun droit à l'erreur… alors que dans d'autres sports, tout reste possible. Un tennisman qui rate quelques matchs peut se rattraper. En football, c'est pareil ; en formule un, on peut se rattraper, en natation, ça devient déjà moyen … Alors que dans une coupe des nations, si vous faites un mauvais parcours, vous pouvez encore vous fier sur vos trois coéquipiers. Puis il y a la seconde manche pour vous rattraper et faire quand même un bon résultat. J'ai regardé la victoire des Belges à Aix-la-Chapelle, cette année et vu que je faisais partie de l'équipe belge à avoir remporté cette coupe pour la première fois, c'était beaucoup d'émotions. J'ai remporté trois fois la coupe des nations de La Baule avec trois chevaux différents. C'était toujours des moments extraordinaires. L'année des Jeux, nous avons gagné la coupe de Gijon où Vigo était double sans-faute, c'était un moment extraordinaire. Je trouve que ce sont des moments rarissimes. En plus, nous les belges, après de tels moments, nous savons faire la fête et savourer pleinement ce que nous avons réalisé car nous sommes tous des cavaliers qui avons eu dur, qui avons construit nos chevaux. Alors c'est une grande satisfaction. Et lorsque nous sommes ensemble, nous sommes unis comme les cinq doigts d'une main. Je vis pour des moments comme ça. Les deux fois où nous étions sur le podium au championnat du monde, c'est vraiment extraordinaire. Surtout que nous sommes revenus de loin à chaque fois, avec des double sans-faute dans la coupe car nous n'avions pas de chevaux pour être très vite dans la chasse. C'est des moments inimaginables que je ne peux pas décrire car ça vient du fin fond de nos tripes. Aujourd'hui, la fédération belge s'est beaucoup améliorée et les deux ligues, que ce soit l'aile francophone ou l'aile néerlandophone, ont investi dans plein de choses pour nous, avec leurs moyens. Nous avons aujourd'hui de vrais staffs. Et l'ambiance qu'il y avait au Kentucky, avec tout le clan belge, les supporters qui avaient fait le déplacement, cela reste inoubliable et cela fait la beauté de notre sport … même si de temps en temps, cela part pour l'argent. Cette Super League doit rester car c'est la compétition qui va remettre l'église au milieu du village. C'est pour ça que je resterai toujours à disposition de l'équipe si j'ai un crack cheval pour faire ça. Je ne les ferai pas toutes, je choisirai mes concours mais j'irai ! La Baule, Rome, Saint Gall, Hickstead, Aix la Chapelle : ce sont des concours mythiques ! Ça aussi : le Global c'est bien beau mais Monaco, s'il n'y a pas la dotation du Global, qui voudrait aller y monter ? Si vous mettez la même piste avec 50.000 euros de dotation en Europe et vous faites venir Beerbaum ou un autre, il va dire « concours de merde » ! A Paris, heureusement qu'il y avait la tour Eiffel sinon c'est la même chose. Gregory Wathelet n'a pas hésité à dire qu'au niveau du concours, les installations de Mons étaient bien meilleures. » Est-ce que parfois le problème ne vient pas aussi des cavaliers qui, en conférence de presse, ne cessent de toujours dire que tout est magnifique et d'être chaque semaine dans « le plus beau concours qu'ils aient vu » ? P.L.J.  : « C'est vrai … mais ils ont peur de ne plus être invités ! Je fais partie du Jumping Riders Club et il faut bien dire que ceux qui font partie de ce comité font en général partie des 30 meilleurs mondiaux et sont dans le fauteuil VIP donc  ils n'ont pas d'intérêt à faire changer les choses. Entre nous, les cavaliers se lamentent … mais ils ont peur de critiquer officiellement, de peur d'être mis de côté. C'est un système assez hypocrite : tout le monde est bien beau et gentil … mais ce n'est pas toujours comme ça. Maintenant, c'est comme ça dans la vie, pas uniquement dans les chevaux. Pour en revenir à Filou, je me refais un peu mon piquet avec quelques nouveaux chevaux et j'espère faire quelques concours indoor Mais mon rêve reste toujours de retourner à Calgary, car j'y ai été une fois avec des chevaux qui ne correspondaient pas à ce concours. C'est un concours extraordinaire avec une ambiance particulière, plus d'il y a 20 ans, moins sophistiqué, plus terre à terre, avec des gens de chevaux ! Ensuite, comme tout cavalier, le rêve est de remporter le Grand Prix d'Aix la Chapelle, c'est le concours mythique qu'il faut. Je pense que j'ai, de nouveau, le cheval pour. Avec Vigo, nous sommes arrivés assez près avec une 4 ème place … J'ai eu la chance de vivre des moments, avec les chevaux, les organisateurs et le public, extraordinaires. Lorsque nous avons gagné la coupe des nations d'Aix-la-Chapelle, c'était le jour de mon anniversaire. Je ne l'avais dit à personne et quand on doit rentrer à la remise des prix devant 40.000 personnes ( car là, tout le monde reste), tout le monde était debout. Je dis à une personne « Je me suis fait un beau cadeau d'anniversaire : gagner la coupe d'Aix la Chapelle ». Le speaker descend dans la piste (car là, on présente les célébrités, les sponsors et tout … ) puis nous étions rentré dans le stade avec une standing ovation qui vous glace déjà … Et je ne comprends pas bien l'allemand mais je comprends que le type commence à parler sur moi et vient sur moi avec son micro. Je me dis « Aie, qu'est-ce qui va se passer ici ? » Mais en fait, la personne annonce qu'il y a un cavalier pour qui c'est un peu spécial aujourd'hui car c'est son anniversaire … Et les 40.000 personnes se sont mises à chanter « happy birthday ». J'ai galopé au milieu de la piste, j'étais tout petit, j'ai fait un tour d'honneur tout seul, avec une émotion incroyable. Ça ne s'achète pas des moments comme ça. Il n'y a pas assez de millions pour ça. Heureusement qu'il y a ces émotions et ça fait partie du beau de ce sport et ça doit rester. » FIN.