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Philippe Le Jeune, 4 ans plus tard

Reportages mercredi 20 août 2014 Julien Counet

Philippe Le Jeune, 4 ans plus tard! Le fait de ne pas toujours avoir pu choisir les concours où vous pouviez aller en tant que champion du monde, c'est décevant, frustrant ?  P.L.J.  : « Le système est ce qu'il est. Je suis un vieux de la vieille. A mon époque, nous apprenions souvent à monter avec des instructeurs militaires qui voulaient une position parfaite, où on ne pouvait pas péter un mot au risque de se faire engueuler, insulter, … On m'a appris comme ça. Maintenant, on voit une tout autre génération et ce qui me dérange surtout c'est de voir le peu de respect qu'on a pour le cheval. Actuellement, on ne parle que de l'argent. Dans le monde du cheval, je pense que beaucoup de gens ont perdu le sens des valeurs normales. On vit dans quelque chose qui n'est pas juste. C'est bien pour le business, ça fait vivre plein de gens … mais le sport perd le respect du cheval. Vigo d'Arsouilles avec trois génération de Le Jeune : Philippe, son fils cadet Thibaut et son papa Pierre. Où est le respect des chevaux qui ont été travaillés par des cracks cavaliers, qui sont arrivés à gagner des Grand Prix et qu'on vend à des gens qui veulent juste satisfaire à leur soif personnelle. Parce qu'en jumping, on peut acheter tout ce qu'on veut : on achète les concours, on achète les meilleurs chevaux, on achète les meilleurs entraineurs ! … Puis même s'ils ne sont pas capables de monter, ils vont quand même sur des 4 ou 5 étoiles où ils n'ont pas leur place. On m'explique que pour les concours, c'est important car il faut trouver de l'argent pour organiser. Je suis tout à fait d'accord, c'est peut-être un bien quelque part mais c'est aussi un mal car ce système n'existe qu'en saut d'obstacle. En dressage, vous ne voyez pas d'amateurs qui paient des tables. Pourquoi ? Parce que le dressage est trop difficile !! Il faut monter tous les jours, il faut s'entrainer comme des bêtes, il faut transpirer : recommencer et recommencer. Je ne suis pas dresseur mais j'ai du respect pour tous ces gens et ce qu'ils arrivent à faire avec ces chevaux. Quand on fait des kurs en musique : il faut du talent et du travail ! Les gens qui ne sentent pas le cheval, qui ne sentent pas quand il faut reprendre, quand il faut allonger, lorsqu'ils sont aux limites et qui passent au galop lorsqu'ils font quelque chose de travers pour recommencer et recommencer … les amateurs ne veulent pas faire ça ! En complet, il n'y a pas d'amateur car déjà les professionnels se cassent le cou : c'est comme ça. En jumping, ça va : le matériel a évolué, il est plus léger et quand on se casse la figure, il y a les taquets de sécurité ! Il y a beaucoup moins d'accident… Puis ce n'est pas très grave car c'est le cheval qui paie les pots cassés ! Quand on voit dans le Global, les gens qui sortent tous les week-ends avec 32 points, la FEI pourrait peut-être dire : « Maintenant, stop ! Argent ou pas argent , payé ou pas payé ! Vous retournez à la case départ, à faire des 1m20 ou des 1m30 car ce n'est pas très beau pour notre sport de voir ces chevaux qui s'écrasent ou qui se plantent. Ça, ça me désole beaucoup … d'autant plus que ces gens prennent la place de tops cavaliers qui n'ont qu'un cheval, qui ne savent pas rentrer dans le top 30 de la ranking. Ce qui fait d'ailleurs qu'à mes yeux, cette ranking est ridicule ! Ce n'est pas parce qu'on est dans le top 30 qu'on monte mieux que les autres, je ne pense pas avoir été mieux classé que la 35 ou 32 ème place mondiale et ça ne m'a pas empêché d'être champion du monde et de signer un paquet de double sans-faute en coupe des nations. Lorsqu'on n' a, à chaque fois, qu'un seul cheval de tête dans une carrière, on ne peut pas intégrer ce ranking et on est à chaque fois pénalisé en ne pouvant pas participer à de nombreux très beaux concours. Maintenant, ce qui a été difficile à avaler pour moi, c'est lorsque, avec mon cheval champion du monde, j'ai demandé à avoir une invitation pour aller à un concours du Global, on me l'a refusé et c'est assez frustrant. Je ne trouve pas ça juste et je ne pense pas qu'on trouve cela dans un autre sport. C'est comme si j'étais riche et que je me payais un volant en formule un, vous verriez Vettel passer un virage puis moi … ce serait ridicule et en plus, ce serait dangereux car je risque de me tuer ou de faire des tête-à-queue et d'embêter les autres. J'ai appris à accepter ça … mais j'ai eu difficile. Pas personnellement mais bien pour le sport. Les cavaliers qui évoluent entre la 40 ème et la 200 ème place sont tous des cracks cavaliers : tous des gens qui montent très, très bien, qui travaillent et qui font leurs chevaux eux-mêmes et ils sont bloqués parce qu'ils n'ont qu'un cheval ! Ceux qui sont dans les 30 premiers avec 3-4 chevaux, ils ont mieux parlé, mieux travaillé … ils savent mieux faire avec les propriétaires … Puis il y a aussi ceux qui vont ,dans le dos des autres cavaliers, trouver les propriétaires pour voler les chevaux des autres… il ne faut pas non plus faire croire que tout est tout rose dans notre métier ! Je suis content de mon choix et de la manière dont je le fais. Mais je trouve juste que c'est dommage qu'un cavalier qui a débuté un 5 ou un 6 ans, qui l'a amené jusqu'au haut niveau, qui n'en a qu'un… , qu'est-ce que vous voulez qu'il aille faire avec des autres chevaux pour faire un peu les épreuves de vitesse ? On rentre dans un cercle vicieux de nouveau car si ce cheval appartient à un propriétaire, à un moment, ce propriétaire dit : « Mais attendez ! Mon cheval n'a jamais accès qu'à des deux et trois étoiles puis au compte-goutte à un quatre étoiles ! ». S' il a la chance de tomber sur un chef d'équipe qui l'aime bien, il va pouvoir aller de temps en temps en coupe des nations … Mais à un moment, ce cheval doit quand même pouvoir avoir du repos … Alors que, pendant ce temps, ceux qui ont trois/quatre chevaux enchainent les concours pour prendre des points. C'est dommage car je trouve que ce système n'est pas bon et pousse à casser pas mal de chevaux. Les chevaux sont trop au concours et trop à leur plus haut niveau. On pousse à essayer de gagner chaque épreuve comptant pour le ranking ... etc. Je suis par contre très fier des jeunes cavaliers belges. J'étais à Rome cette année lorsque les cavaliers belges ont gagné et quand on voit tous ces jeunes qui ont gagnés ce sont avec des chevaux qu'ils ont quasiment faits eux-mêmes et des chevaux qui n'ont pas coûté des millions. Gregory Wathelet en est le plus bel exemple. Quand on voit le nombre de chevaux qu'il a amenés au plus haut niveau que ce soit en coupe du monde ou à faire des double sans-faute en coupe des nations et qu'il a monté à 6, 7 ou même 8 ans mais qui n'étaient jamais des chevaux connus … Malheureusement pour son talent, d'autant que lui est encore jeune ! Moi, j'ai la carrière que j'ai. Lui, il est encore en plein dedans et il veut réussir … Mais en Belgique, c'est difficile car on n'a pas ces propriétaires qui veulent investir avec des objectifs à long terme, c'est assez ingrat. Néanmoins, nous sommes un des rares pays où nous avons autant de jeunes talents qui font leurs chevaux eux-mêmes : Jos Verlooy a fait son cheval. Les gamins Philippaerts, ce sont des chevaux qu'ils ont fabriqués à 6 ans, 7 ans, pas des chevaux à millions. Niels Bruynseels, Jérôme Guery, ce sont tous des gars qui arrivent à amener des chevaux au haut niveau… puis qui sont vendus. Il faut vivre avec, c'est comme ça. Parfois, on se fait critiquer dans la presse car on n'a pas assez de chevaux … mais le Belge vend son cheval, c'est comme ça ! Il ne faut pas toujours chercher à remettre la faute sur les cavaliers, on fait ce qu'on peut. Je pense qu'on fait plus que beaucoup d'autres pays et on doit être d'autant plus fier de nous. Là, aujourd'hui, c'est difficile de faire un choix pour les championnats du monde. On doit courir pour rester en Super League parce que c'est important. On a trois/quatre cavaliers qui font le Global Tour … sans avoir suffisamment de chevaux que pour faire ça. Aujourd'hui, cela va être difficile pour Gregory Wathelet qui ne peut compter que sur Conrad et gère Rieseling magnifiquement bien. C'est dommage que Forlap soit vendu mais il est aussi normal qu'à partir de certains montants, on vende ! Néanmoins, en Allemagne, en Suisse ou en Grande Bretagne : on ne les vend pas. Alors c'est quand même dommage. Gregory est arrivé 10 ème mondial … mais, sauf miracle, il va redescendre car maintenant, il va faire attention à conserver Conrad un peu frais pour les championnats. Et après les championnats, il va falloir lui accorder un peu de repos, surtout en espérant qu'il aille le plus loin possible. Ensuite, il y a Calgary puis la coupe du monde qui commence … C'est un peu dommage. Néanmoins, je dois vraiment dire que lors de leur victoire à Rome, j'étais vraiment fier et très émotionné. Cela ne m'est pas arrivé souvent mais quand on voit ces gamins et la manière dont ils montent, cela fait vraiment plaisir. Le lendemain, j'avais une interview sur Equidia et j'ai expliqué la même chose. Ensuite, ils ont remporté Aix-la-Chapelle : les deux plus prestigieux CSIO, je trouve qu'on doit vraiment être plus fier. On met toujours en avant des Beerbaum et des Ehning, c'est vrai que ce sont des cracks mais Ludger Beerbaum, je le connais bien. Lorsqu'il a quitté chez Schockemoehle, il a toujours évolué avec des chevaux achetés avec de gros moyens par sa propriétaire! Ce n'est pas une critique, il a une propriétaire fantastique mais c'est un autre sport ! C'est un crack, il n'y a aucune discussion là-dessus … mais les gamins Philippaerts, ils manquent encore d'expérience mais ils sont aussi des cracks. Gregory, il l'est peut-être encore plus… Il sait tout mieux monter. Gregory a un sens d'adaptation qui est énorme … D'ailleurs, si Gregory termine dans les quatre lors de la finale tournante, je ne vois pas qui va le battre. C'est mon avis personnel mais je pense qu'il y a encore des gens comme ça en Belgique car on a plus dur. On n'est pas servi sur un plateau et on est dans un pays où il n'y a pas cet argent-là. On fait avec ce qu'on a et pour ça, chapeau ! » La suite, c'est demain !