Marco Kutscher fait indéniablement partie des grands noms du saut d’obstacles. Grâce à son classicisme, ses multiples apparitions au sein de la Mannschaft, notamment à la fin des années 2000, mais aussi à son association avec le tumultueux Cornet Obolensky (né Windows van het Costersveld), l’Allemand est devenu une forme d’icône de sa discipline. Après un peu moins de trois ans d’absence, le champion d’Europe de 2005 a retrouvé avec réussite les CSI 5*, fin janvier, à Leipzig. Avec la complicité du tout bon Aventador S (né Ahouast), le quadragénaire s’est hissé au cinquième rang du Grand Prix de la Coupe du monde Longines. Une belle satisfaction, mais pas vraiment une fin en soi, Marco Kutscher ayant déjà en ligne de mire la saison extérieure, qu’il espère pavée de belles compétitions, et, pourquoi pas, d’une Coupe des nations. Dans un long entretien, divisé en trois épisodes, le sympathique cavalier s’est confié sur son come-back remarqué, sa rencontre avec sa nouvelle star, son système ou encore ses souvenirs les plus marquants. Troisième et ultime volet.
Les première et deuxième parties sont à (re)lire ici et ici.
Les sports équestres font face à de nombreux défis ces derniers temps, en attestent notamment les multiples dénonciations en provenance du mouvement animaliste. Que faire alors pour assurer l’avenir de l’équitation ?
C’est une bonne question. Je pense que la transparence est une notion très importante. Nous devons aussi défendre ce que nous faisons. Les athlètes humains ne deviennent pas champions du monde ou olympique s’ils ne travaillent pas dur. Il en va de même dans notre univers. Les chevaux ont, en quelque sorte, le rôle d’athlète, tandis que les cavaliers les pilotent. Bien sûr, nous devons aussi être en forme et avoir une bonne hygiène de vie, mais le cheval a besoin d’être bien dressé. Pour ce faire, il faut se fixer des objectifs afin d’accomplir quelque chose. Nous devons nous battre pour cela. Les performances n’arrivent pas en ne faisant rien au pré. Aussi, les chevaux sont au contact des humains depuis je ne sais combien de centaines d’années. Ils font partie de notre histoire, comme nous faisons partie de la leur. Je peux évidemment concevoir que les gens ne comprennent pas ce que nous faisons, mais d’un autre côté, à nous de montrer combien nos animaux ont une belle vie, combien nous prenons soin d’eux et que tout cela n’est pas que du business. Cela fait partie de notre métier, mais on ne réussit pas, ni dans le sport ni dans le commerce, en voyant les choses sous cet angle. Le cheval vient en premier, puis, dans un second temps, il y a tout ce qui va autour. Nous ne sommes pas dans une situation facile en ce moment. Selon les pays, les préoccupations sont plus ou moins grandes. Nous devons expliquer et montrer ce que nous faisons, en restant ouverts et transparents. Quoi qu’il arrive, il y aura toujours des personnes opposées à ce que nous faisons, comme pour tout dans la vie. On peut être ouvert, parler, échanger, on n’atteindra jamais tout le monde. Et cela ne devrait pas être notre but non plus. Nous devons sauver notre sport et il revient à chacun de se demander s’il fait les meilleures choses possibles pour cela.
“On ne peut pas dire que ceux qui montent sans martingale sont les gentils et que tous les autres sont les méchants”
En parallèle, de plus en plus de cavaliers changent leurs pratiques pour se rapprocher du cheval, et ce, même à haut niveau. Certains évoluent même sans artifice, ou bien offrent à leurs chevaux une vie au plus proche de la nature. N’est-ce pas encourageant de voir cela ?
Je pense qu’il ne faut pas se dire que le fait, par exemple, de ne pas utiliser de martingale est forcément mieux pour le cheval. Il ne faut pas tout mélanger. Bien sûr, les chevaux ont besoin d’aller au pré autant que possible et passer du temps dehors, dans la nature, où ils ont grandi et naissaient il y a des années. C’est forcément bénéfique pour eux. Si l’on a seulement besoin d’un mors simple en piste, tant mieux, mais je crois que le plus important est que le cheval se sente bien dans la connexion que lui propose son cavalier. Et cela peut aussi être le cas avec un mors parfois un peu plus fort, avec une martingale ou des guêtres postérieures. Il faut s’adapter à chaque individu. On ne peut pas dire que ceux qui montent sans martingale sont les gentils et que tous les autres sont les méchants. À mon sens, tant que le cheval se sent bien, il n’y a pas de problème. Parfois, des parcours effectués sans guêtre, sans martingale, sans éperon ou sans cravache ne sont pas si agréables que cela. On ne peut pas catégoriser les choses aussi facilement. Au-delà de cela, j’aime beaucoup regarder un cavalier comme Julien Epaillard, qui a une façon naturelle de monter absolument incroyable, avec des chevaux déferrés. Toutes ces choses ont changé ces dernières années. C’est positif. Et, si l’on croit en son système, on réussit.
Comment définiriez-vous le bien-être équin, une notion primordiale aujourd’hui ?
C’est un peu ce que je viens de dire. Il est essentiel que les chevaux puissent aller dehors autant que possible, profiter du paddock et avoir une vie proche de la normale. Il ne doivent pas rester au box vingt-trois heures sur vingt-quatre et n’en sortir qu’une heure par jour. Le mouvement est extrêmement important pour les chevaux, mais ce n’est pas nouveau. Depuis que l’Homme côtoie les chevaux, on sait qu’il est préférable qu’ils bougent plutôt qu’ils ne restent immobiles. Les chevaux aiment se déplacer, ils en ont besoin. La nourriture est également essentielle. Il y a plein de choses que nous pouvons faire, en tant que cavalier, tout comme nos équipes à la maison. L’hiver, on a tendance à tondre les chevaux très régulièrement. Est-ce une bonne chose ? Je ne trouve pas. Mais, si l’on se rend sur de grands événements, où les écuries et les pistes sont chauffées, cela n’est pas agréable pour un cheval non-tondu. Il faut trouver le juste équilibre. Est-ce nécessaire de les tondre toutes les deux semaines ou peut-on se limiter à une ou deux fois par hiver ? Il faut également prendre en compte les circonstances à la maison. Si on vit en Normandie, le climat n’est pas le même qu’au Sud de l’Allemagne, par exemple. En règle générale, je trouve que la meilleure solution est de laisser le cheval au naturel autant que possible. On peut parler de beaucoup de points, mais je retiendrais surtout que pour prendre soin de nos chevaux de la bonne manière la nourriture est très importante, tout comme les sorties et la façon dont on les entraîne.
“Il y a toujours une chance lorsqu’on est talentueux et un travailleur acharné”
Vous faites notamment partie des contacts privilégiés de la Young Riders Academy. Quelle importance accordez-vous à la transmission de vos connaissances à la nouvelle génération ?
Oui, j’accueille de temps à autre un de leurs élèves. Cela me garde jeune et en forme ! (rires) Je ne le fais que de façon occasionnelle. Je n’ai pas des gens en permanence aux écuries pour s’entraîner, car je ne trouve pas cela très simple à gérer, surtout lorsqu’on monte et concourt soi-même en parallèle. Nombre de mes collègues le font de façon extraordinaire, mais ce n’est pas le truc de tout le monde. J’essaye de trouver un équilibre et de prendre quelqu’un sous mon aile de temps en temps, pendant quelques semaines ou mois. Mais j’aime aussi avoir les écuries pour moi et les membres de mon équipe, sur laquelle je dois aussi garder un œil. Si un cavalier est présent aux écuries, je dois pouvoir être là pour lui. J’aime m’entraîner avec de jeunes cavaliers talentueux. Par exemple, Thibault Philippaerts a passé du temps chez moi. C’est chouette de voir leurs progrès dans le sport, cela me plait !
De plus en plus de jeunes cavaliers bénéficient du soutien de leurs familles, déjà bien connues de la sphère équestre, ou de soutiens financiers conséquents. Reste-t-il encore une chance à celles et ceux qui ne sont pas issus du milieu ?
Il y a toujours une chance lorsqu’on est talentueux et un travailleur acharné. Il faut aussi une part de chance, pour rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Dans mon cas, si je n’avais pas été à Riesenbeck lorsque Ludger cherchait un cavalier, ma carrière aurait peut-être été différente. Je n’ai pas de conseil précis à donner aux jeunes et je ne peux pas leur assurer qu’en faisant telle et telle chose ils réussiront, mais le talent est très important. Il faut aussi de l’ambition et de la détermination. Ensuite, je pense qu’il est possible de vivre de sa passion, même si le chemin n’est pas toujours le plus simple.
“Pendant quelques semaines, nous avons été champions olympiques. Ces souvenirs, ces sentiments, personne ne peut nous les prendre, même si nous n’avons plus la médaille d’or”
Votre carrière au plus haut niveau a été particulièrement riche. Si vous ne deviez retenir que trois moments, lesquels choisiriez-vous ?
C’est assez simple. Il y a d’abord les Jeux olympiques d’Athènes (disputés en 2004, avec le chic Montender 2, médaillé de bronze en individuel et par équipe, ndlr). Ce qui s’est passé autour de cette échéance est assez particulier (après un contrôle positif de Gold Fever, monture de Ludger Beerbaum, la Mannschaft a dû troquer sa médaille d’or contre celle de bronze, ndlr). Malgré tout, cela reste spécial. Pendant quelques semaines, nous avons été champions olympiques. Toutes les télévisions étaient là, nous avons été chaleureusement accueillis à notre retour ; c’était un super moment. Ces souvenirs, ces sentiments, personne ne peut nous les prendre, même si nous n’avons plus la médaille d’or. Ensuite, je citerai le titre de champion d’Europe individuel (acquis une nouvelle fois avec la complicité de Montender 2, à San Patrignano, un an plus tard, ndlr). J’étais le dernier cavalier à entrer et je savais qu’en étant sans-faute, l’or était pour moi. C’était spécial. Je n’ai pas eu besoin d’attendre sur le côté que quelqu’un commette une faute, j’avais mon destin entre mes mains. C’était un moment émouvant et j’ai toujours de bons souvenirs quand j’y repense. Et pour ne pas parler que de bons souvenirs, je citerai également les Jeux olympiques de Hong Kong avec Cornet, qui ont été un désastre (l’Allemand avait essuyé des parcours délicats, entre désobéissance et fautes inhabituelles, tandis que son équipe, arrivée en tant que favorite, avait aussi failli, ndlr).
Photo à la Une : Marco Kutscher. © Sportfot