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“Si King Edward était resté chez nous, il aurait été un cheval comme mille autres”, Wim Impens

King Edward et Wim Impens à Bordeaux.
Elevage vendredi 14 avril 2023 Mélina Massias

Wim Impens est un éleveur discret. Même si son meilleur représentant n’est autre que l’actuel meilleur cheval du monde, un certain King Edward Ress, le Belge est resté fidèle à sa philosophie et proche de ses protégés à quatre jambes, qu’il fait naître avant tout pour le plaisir. Cavalier de complet et vétérinaire, le chaleureux quinquagénaire est toujours partant pour raconter son histoire et celle de son crack, avec l’aide discrète mais précieuse de son épouse, parfaitement francophone. Un énième sacre du roi d’Henrik von Eckermann était l’occasion rêvée pour découvrir la vision de Wim Impens.

N'a-t-on jamais fini de conter l’histoire de King Edward Ress ? À treize ans, le petit alezan d’Henrik von Eckermann n’en finit plus d’amasser les titres et autres récompenses. La dernière en date ? Sa victoire dans la finale de la Coupe du monde Longines d’Omaha. Et s’il y a bien une personne qui savoure ces instants avec bonheur, c’est Wim Impens. Un jour d’avril 2010, le sympathique belge accueille dans ses prairies un nouveau descendant de Koningin de Lauzelle, qui deviendra, quelques années plus tard, le meilleur cheval de sa génération. À l’époque, impossible de prédire que le BWP aux origines loin d’être médiocres, sans toutefois être les plus à la mode, deviendra le crack du siècle. “King Edward était un petit poulain, avec des jambes un peu courtes. Et je me suis aperçu que c’était toujours le cas, lors du CSI 5*-W de Bordeaux, en février dernier (où le Belge a été récompensé à l’issue de l’épreuve phare du week-end, ndlr) !”, s’amuse le sympathique éleveur, installé à Ressegem, dans la région flamande de Herzele.

King Edward Ress à Bordeaux. © Scoopdyga

Le fils d’Edward est le douzième et avant-dernier descendant de sa mère, une fille de Feo de Lauzelle et petite-fille de Gribaldi II, débarquée chez Wim grâce à l’intermédiaire d’un ami de longue date : Peter De Meulder. “Peter est un cavalier de dressage, qui m’a donné des leçons de dressage à partir de 1979. Il vient à la maison depuis quarante-quatre ans et enseigne désormais sa discipline à mes enfants !”, débute le cavalier et éleveur passionné. “Koningin était une jument un peu difficile. Personne ne voulait vraiment d’elle. Peter nous l’a alors donnée. En échange, nous avions pour accord que les poulains mâles seraient pour lui s’il le souhaitait, et que nous pourrions conserver les femelles.” Contaminé par le virus cheval dès sa tendre enfance, par l’influence de ses deux grands-pères et son père, Wim suit le mouvement et fait, très tôt, ses premiers pas à poney. “À six ans, je me souviens que j’accompagnais déjà mon père aux expertises des étalons”, reprend-t-il. “Au début des années 80, j’ai également commencé à participer à des compétitions amateures.” Rapidement, le Belge, Président d’un groupe de “cavaliers ruraux”, tombe amoureux du concours complet, qu’il pratique encore aujourd’hui, à cinquante-sept ans.

Wim Impens, ici lors d'un test de dressage en 2019. © Patrik Clompen



Elever des chevaux complets

Rapidement, l’élevage prend de l’ampleur dans l’emploi du temps du jeune adolescent. “Mon père faisait aussi naître des chevaux. Nous échangions souvent au sujet des choix d’étalons et de ces choses-là. Dès mes dix-huit ans, j’ai plus ou moins pris la relève. Aujourd’hui, je fais la même chose avec mes enfants. Nous discutons beaucoup des chevaux que nous voyons. C’est une vraie passion”, développe Wim. Très pointu dans son analyse, le vétérinaire belge, désormais inspecteur pour l’agence des médicaments du Plat-Pays, ne laisse rien au hasard. Ses sources de lectures sont multiples, du hors-série de l’élevage de L’Eperon, qu’il achète chaque printemps depuis près de trente ans, en passant par les analyses d’Hippomundo ou les diverses prises de parole d’experts en la matière. “J’ai toujours été en faveur d’une méthode scientifique. J’ai été inséminateur pour bovins en Belgique. Seuls les vétérinaires peuvent pratiquer l’insémination artificielle. J’ai fait cela pendant dix ans et nous avons beaucoup de connaissances scientifiques dans ce domaine, que l’on met au service de l’élevage, avec notamment des index génétiques. Je pense qu’il en va de même avec les chevaux”, insiste-t-il. 

King Edward et Henrik von Eckermann lors des Jeux olympiques de Tokyo, en 2020, qu'ils ont conclu avec une médaille d'or par équipe autour du cou. © Scoopdyga

Pour autant, la vocation première de son activité, qu’il assure n’être qu’un “hobby”, est avant tout de produire de bons chevaux, pour son plaisir et celui de sa famille. “Nous élevons des chevaux pour nous, pour participer à quelques compétitions rurales. Mais je trouve qu’il est aussi important d’avoir un très bon cheval, même à un moindre niveau. Lorsqu’on a un cheval doté de beaucoup de qualités, l’équitation devient plus facile. Si le cavalier est un peu moins bon, le cheval fait le reste ! (rires) En concours complet, si notre monture est intrinsèquement capable de franchir 1,60m, on peut commettre une erreur sur un obstacle à 1m sans grand risque. C’est aussi pour cela que je souhaite produire des chevaux avec un bon galop, de belles allures, un bon coup de saut et qui se comportent bien. Des chevaux complets, en somme”, détaille Wim.

King Edward Ress, sept ans, sous la selle d'Inès De Vos. © Sportfot

Pour toutes ses raisons, l’éleveur décide d’utiliser Edward 28, issu de l’alliance entre Embassy I et une fille de Fabriano, pour inséminer sa chère Koningin de Lauzelle, en 2009. “Je trouvais cet étalon hanovrien très moderne, très chic. Il dispose de bons index génétiques pour le dressage et le jumping. Il a surtout été utilisé pour la première des deux disciplines, mais il est issu d’une lignée de sauteurs. Je me suis dit que ce croisement serait intéressant pour Peter, et, qu’au besoin, le produit serait aussi en mesure de sauter aussi”, narre le Belge. Finalement, le petit alezan ne séduit pas plus que ça l’ami de son naisseur qui décide de le céder. Stephan De Vos, ancien élève du père de Wim, tout comme Peter, se porte acquéreur, avant de vendre King Edward Ress à Inès De Vos, qui le forme quatre ans durant. La suite appartient à l’histoire. “Un ami à moi, également ancien disciple de mon père, m’a appris que King Edward était chez Inès. Rapidement après avoir appris cette nouvelle, il m’a annoncé qu’il avait rejoint Janika Sprunger. Cette année-là, je l’ai vu pour la première fois au concours de Malines. Je me suis rendu compte qu’il était un énorme sauteur, un cheval exceptionnel. Je n’ai pas souvent vu cela chez un cheval”, savoure le discret mais non moins chaleureux éleveur. “Je suis très content et fier de voir ce qu'accomplit King Edward aujourd’hui. Je pense que peu de personnes peuvent ressentir un tel sentiment. Jean-Maurice Bonneau, l’ancien entraîneur de l’équipe de France, m’a dit que c’était exceptionnel d’élever un tel cheval. Et je suis sûr qu’il restera le seul cheval avec cette qualité à naître chez moi. Il n’y en aura pas deux comme lui !” Avec le recul, le cavalier aurait-t-il aimé essayer sa pépite, et, pourquoi pas l’initier au complet ? “Non !”, répond-t-il dans un rire. “S’il était resté chez nous, King Edward aurait été un cheval comme mille autres ! À la limite, il aurait pu être le meilleur cheval parmi les montures des cavaliers ruraux, mais c’est tout. Je suis heureux qu’un professionnel puisse en profiter. Je ne suis pas jaloux (rires).”

Tout le talent de King Edward résumé en une photo, au Japon. © Sportfot



Une philosophie raisonnée 

Lorsqu’elle met au monde King Edward, Koningin a vingt-trois ans. La belle est donc un parfait contre-exemple à l’idée, étayée par plusieurs cas concrets, selon laquelle les meilleurs compétiteurs sont issus de jeunes juments. Au-delà de ce postulat, la BWP aux origines très allemandes a porté et élevé elle-même ces treize produits ! Le dernier, une propre sœur du stratosphérique partenaire de King Edward, est malheureusement décédée à la naissance. “Je n’ai jamais pratiqué le transfert d’embryons avec mes juments. Cela coûte beaucoup d’argent. En revanche, j’ai pratiqué cette technique, dont l’utilisation a beaucoup diminué avec le temps, chez les bovins. Je pense que cela est destiné à un marché de niche, tout comme l’ICSI. Dans tous les cas, il faut attendre au moins dix ans pour pouvoir affirmer qu’un cheval est très, très bon. En Belgique, je pense qu’un tiers des poulains du plus grand stud-book du pays sont issus de transfert d’embryons ou de l’ICSI. Je crois que cela va finir par poser un problème de consanguinité. Aussi, je pense que les étalons réputés se voient confier beaucoup de juments. De fait, s’ils ont cinq cents poulains, il est normal que dix d’entre eux soient performants à très haut niveau. Cela représente deux pourcents de la production. La courbe de Gauss est toujours une vérité. Un éleveur doit savoir cela”, abonde Wim. “À mon sens, les gens qui pratiquent le transfert d’embryons ou l’ICSI à grande échelle sont avant tout des investisseurs, et pas forcément des gens très proches des chevaux en tant que tels. Quand on pense à très court terme, on est un investisseur. L’éleveur, lui, doit penser en générations.”

King Edward à sept ans. © Sportfot

Sûr de son fonctionnement, le Docteur vétérinaire poursuit son bonhomme de chemin, avec, exceptionnellement, trois poulinières, dont deux de la souche de King Edward, qui a donné trois autres chevaux ayant évolué à au moins 1,40m : Hector Ress (For Edition I), Isidor Ress (For Edition I) et Prins de Jochri (Felini). “Beaucoup de personnes discutent avec nous de l’histoire de cette lignée, mais je n’ai aucune demande pour vendre des chevaux de cette lignée !”, s’étonne-t-il. “Mais ce n’est pas nécessaire, puisque je ne les vendrai pas. Aucun doute. Après tout, peut-être que les gens savent que je ne souhaite pas céder les produits de cette souche.”

Isidor Ress, sœur utérine du double champion du monde en titre, ici âgée de six ans. © Sportfot



Parmi les frères et sœurs du roi Edward, Wim cite également Donnatella Ress (Florestian I), cédée à une consœur vétérinaire. “C’était une jument de dressage, très bonne et très chic, mais nous avons rencontré quelques problèmes avec elle en compétition. Elle était très nerveuse. Elle a engendré deux ou trois poulains”, explique le Belge. “J’ai également vendu une fille de Sandro (Serafina Ress, ndlr) à un ami et voisin. Il m’a donné une de ses filles (Narnia Ress, ndlr), par Namulus R, que nous avons toujours. Elle n’a jamais concouru, mais est une bonne jument. Cette nièce de King Edward a une fille de Komme Casall, Ufania Ress, désormais âgée de trois ans. Je vais la faire inséminer cette année. Sa mère, quant à elle, est actuellement pleine de Casalou, un étalon de Paul Schockemöhle par Casallco qui réalise de belles performances, à l’image de sa neuvième place au Bundeschampionat. J’ai deux autres juments qui doivent pouliner dans les semaines à venir. Il y a d’abord une fille de Nabab de Rêve avec une mère par Carthago (Nena Ress, ndlr), qui est pleine de Tartufo de Muze, un Chacco Blue avec une mère par Heartbreaker. La troisième jument est une fille de Big Star Jr et petite-fille de Chellano (Beau Diamant Ress, ndlr), pour laquelle j’ai choisi l’étalon Riesling van’t Roosakker, issu du croisement entre Comme Il Faut et Echo van’t Spieveld”, détaille le scientifique. 

Le roi à Herning. © Scoopdyga

Malgré le succès de King Edward Ress, Wim ne s’enflamme pas et n’a pas l’intention de révolutionner son élevage familial, qu’il mène de mains de maître, avec une passion intacte. Toujours à l’écoute des conseils fondés, le Belge a déjà des idées pour la suite. “J’ai lu que Cor Loeffen, le Président du comité des étalons de saut d’obstacles des Pays-Bas, recommandait aux petits éleveurs comme moi d’utiliser des étalons de plus de dix ans et performants dans le sport. Je trouve cela un peu étonnant, mais j’avais déjà songé à faire inséminer ma fille de Komme Casall par Taloubet. Il a gagné le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle et a sauté jusqu’à dix-huit ans, ce qui est une preuve de longévité. Désormais, je cherche parmi les étalons un peu plus âgés”, souligne l’intéressé. “Il y a également un cheval en France que je suis depuis déjà cinq ans : Upsilon, l’étalon de Thomas Carlile. Dès la première fois où nous l’avons vu, mon fils et moi avons dit qu’il serait l’un des meilleurs du monde. Il fait d’ailleurs partie des futurs pères à succès selon Hippomundo. J’ai également noté que Best Of Iscla était le meilleur étalon dans les index, selon un classement établi par L’Eperon. Voilà un peu sur quels critères je base mes choix de croisements. Je regarde aussi ce qui s’est fait dans l’histoire. Il est très intéressant de voir des photos d’il y a cinquante ou cent ans. Il y avait déjà de très bons chevaux. Par exemple, les chevaux allemands étaient déjà modernes, comme on dit aujourd’hui.” Réfléchi, Wim Impens entend bien faire naître d’autres champions. Sans doute n’égaleront-ils pas le roi suprême en termes de grands titres, mais pour sûr, tous brilleront dans les yeux de leur naisseur. 

À n'en pas douter, la pépite de Wim Impens n'a pas fini d'écrire l'histoire. © Scoopdyga

Photo à la Une : King Edward Ress et Henrik von Eckermann se tiennent à la droite de Wim Impens, l’homme à l’origine de leur folle épopée. © Artistes Associés Photographes/Jumping International de Bordeaux/WBFSH