Abdel Saïd est un passionné, un vrai. Toujours disponible et prêt à échanger, tant que le sujet a trait de près ou de loin aux chevaux, l'ancien représentant égyptien qui porte désormais les couleurs de la Belgique n'élude aucune question et leur trouve toujours des réponses argumentées et pertinentes. “Je crois fermement en ce que nous faisons, je sais combien nous aimons nos chevaux et je n’ai rien à cacher”, assure-t-il avec sérénité. Bien décidé à se donner les moyens de faire plus que de la figuration à très haut niveau, le trentenaire se reconstruit un piquet solide, pour lequel il nourrit déjà de grandes ambitions. À la tête d'une société de plus en plus reconnue dans le microcosme équestre, ce touche à tout à la sympathie non dissimulée a également décidé d'élargir son implication - déjà conséquente - dans l'élevage, en proposant un alléchant catalogue d'étalons. Entretien en trois épisodes.
Depuis début 2023, votre programme sportif a très peu désempli. Quel bilan tirez-vous de cette première moitié d’année ?
Pour rappel, mon écurie combine à la fois le sport et l’aspect commercial. Nous concourons, formons des chevaux, et devons parfois en vendre certains pour payer nos factures. Je me suis séparé progressivement de mes chevaux d’âge, et j’ai réinvesti dans un groupe très, très solide de jeunes chevaux, qui inclut notamment Bonne Amie (A Big Boy x Landfriese I), Obama van Ostaayen (Etoulon x Chacco-Blue) et Clown of Picobello (Cardento x Orlando). Je suis vraiment content de leurs progrès. Ils ont neuf et dix ans et j’ai la sensation que l’année a très bien démarré. Bien sûr, la route est encore longue, mais je suis ravi du comportement de Bonne Amie. Elle était sans-faute et septième des deux Grands Prix 5* de Miami et Mexico (et a même réitéré à Ramatuelle, avec un parcours à un point synonyme d’une nouvelle septième place, ndlr). Ce sera intéressant de voir ce que nous réserve la suite de l’année ! Je suis comblé avec ces chevaux, je me sens bien et suis impatient pour la suite de la saison.
Pouvez-vous nous parler de vos trois chevaux de tête ? Comment les avez-vous rencontrés et quelles sont leurs principales qualités ?
Je pense que ce sont trois des meilleurs chevaux que j’aie jamais eu dans ma vie. Vraiment. Lorsque j’étais plus jeune, mon ambition me poussait à toujours vouloir en faire plus. J’ai fini par réaliser que pour faire la différence, et ne pas simplement remplir une ligne sur une startlist, il faut d’excellents chevaux. Alors, il y a quelques années j’ai été confronté à une décision ; soit je restais un marchand et un entraîneur, soit j’investissais dans les meilleurs chevaux que je puisse dénicher pour voir jusqu’où je pouvais aller dans le sport. J’ai choisi la deuxième option et me suis fait une promesse à moi-même. Je crois en Bonne Amie, Obama et Clown du plus profond de mon cœur. Je les trouve exceptionnels.
Bonne Amie est extrêmement respectueuse pour un grand cheval. Elle dégage beaucoup de force, mais a parfois le défaut de sa qualité. Elle a tant de puissance qu’il peut devenir difficile de la contrôler. Elle veut tellement faire de son mieux qu’elle se complique parfois la tâche, mais je pense qu’avec l’expérience et le travail elle ne fera que progresser. Son potentiel est incroyable. Elle peut sauter dans une petite piste en sable comme celle de Miami, puis enchaîner sur un immense terrain en herbe comme celui de Mexico, avec la même qualité. C’est vraiment extraordinaire !
Obama, lui, est un peu à l’image d’un adolescent malicieux. Il est très confiant, a beaucoup de force et de qualité. Il a été super à Hambourg, où il était double sans-faute (et classé quatrième d’une épreuve à barrage à 1,55m, ndlr). J’ai simplement besoin de lui donner un peu plus d’expérience. L’année dernière, je n’en ai pas trop fait avec lui. En mai 2022, il était déjà sans-faute dans les épreuves comptant pour le classement mondial à Grimaud, à seulement huit ans. Je me suis dit “Abdel, laisse-le mûrir physiquement, ne va pas trop en concours”. Que pouvais-je faire de plus ? Il n’avait que huit ans. J’ai préféré le préserver pour plus tard. Je vais continuer à construire la suite avec lui, à l’écouter, et voir ce que je ressens pour ajuster la suite de sa saison. Je pense qu’il a beaucoup d’atouts et j’aimerais viser prochainement un Grand Prix 5* avec lui (l'alezan a signé sa première à ce niveau à Rotterdam, concédant une faute et démontrant tout son potentiel, ndlr).
Ensuite, Clown. C'est un vrai personnage. Je l’ai vu en concours lorsqu’il avait sept ans et je suis tombé amoureux de lui. Il sautait de façon spectaculaire. Je ne l’avais jamais vu avant et je ne savais pas s’il avait commis une faute au paddock ou si autre chose pouvait expliquer son comportement à ce moment-là, mais il a été incroyable pendant trois jours. Nous l’avons ensuite acheté et depuis, je poursuis sa formation. Si l’on regarde ses résultats, je pense qu’il a un taux de sans-faute qui avoisine les 90% (en quarante-cinq parcours disputés avec Abdel Saïd jusqu'en mai dernier, Clown a signé trente-deux sans-faute, soit un ratio de 71%, ndlr). C’est un cheval sensible et au caractère plutôt timide. Mais une fois en piste, il a un cœur immense. Il a un très grand potentiel. Il a pris part à son premier Grand Prix 5* à Windsor en mai (et a terminé deuxième de son premier Grand Prix 4* début juillet à Valkenswaard, ndlr). Certes, nous avons quitté la piste avec deux fautes, mais je pense que, plus il va être confronté à ce type de parcours, meilleur il sera. Pouvoir compter sur ce groupe est vraiment palpitant. Je n’ai pas besoin de mettre la pression sur un seul cheval et je peux tout mettre en œuvre pour leur donner le temps nécessaire à leur développement. Lorsque je réfléchissais à changer ma nationalité pour devenir belge, beaucoup de personnes m’ont dit que j’étais fou, que c’était très difficile, etc. Mais mon idée était claire, et je me fiche de ce que pouvaient penser les autres à ce moment-là. Je me suis simplement dit que je voulais faire partie des meilleurs, et que, pour cela, je devais emprunter ce chemin. Cela ne pouvait que me faire progresser. Mais je savais que j’avais besoin de très bons chevaux, sans quoi cela aurait été vraiment chaotique.
“Prendre son temps avec les chevaux et ne pas les faire trop sauter à quatre ans me semble être la meilleure solution”
Fin mai, à Opglabbeek, vous avez effectué vos premiers parcours avec la Selle Français Élue des Granits (Dollar dela Pierre x Calvaro). Comment avez-vous croisé sa route et quelles sont vos premières impressions sur elle ?
Je l’ai rencontrée à Grimaud, où je l’ai vue en piste avec Robin (Muhr, ndlr). Je lui ai demandé plus d’informations à son sujet et si elle était à vendre. Il m’a dit qu’il me tiendrait au courant, mais que si je voulais l’acheter, je ne pouvais pas l’essayer (rires), parce qu'elle est très spéciale et a énormément de sang. Il m’a demandé une somme assez conséquente. J’y ai réfléchi, mais, je ne sais pas pourquoi, quelque chose en moi me disait “Abdel, tu dois le faire”. J’avais vécu la même chose avec Bandit Savoie (Qlassic Bois Margot x Alcamera de Moyon) par le passé. Alors je l’ai fait ! Et j’en suis très heureux. Élue est une demoiselle spéciale, qui n’est pas faite pour tout le monde, mais le sentiment en selle, et notamment à l’obstacle, est très bon.
Selon les données du SIRE, Élue a eu un poulain, qu’elle a porté elle-même, à quatre ans. De fait, elle n’a débuté sa carrière sportive qu’à cinq ans. Pensez-vous que cela puisse être un avantage sur le long terme ?
C’est une question très intéressante. Honnêtement, mon sentiment est partagé. D’expérience, j’ai eu des résultats variables. Je pense qu’avoir un poulain rend les juments très faibles physiquement. Même avec Élue, on peut encore le remarquer. Il faut beaucoup de temps avant qu’elles ne retrouvent toute leur faculté physique, toute leur force. D’un côté, oui, cela implique qu'elles n’en font pas autant que d’autres chevaux au même âge, mais, à mon avis, cela prend vraiment longtemps avec que leur corps retrouve toutes ses capacités après la mise bas. Donc je pense que ce n’est pas vraiment un avantage. Le seul que je vois est qu’elles n’ont pas fait de sport pendant ce temps, mais on peut aussi tout simplement prendre son temps avec les chevaux et ne pas les faire trop sauter à quatre ans. Je pense que c’est la meilleure solution.
“Je pense que les Jeux olympiques à Paris vont être incroyables”
En changeant de nationalité à l’été 2021, vous avez accepté la règle qui prohibe toute sélection nationale pendant deux ans. Il ne vous reste plus longtemps à tenir avant de tenter votre chance au sein de l’équipe belge. Avez-vous hâte de porter la veste vermillon des Diables Rouges ?
Oui, très ! Comme je l’ai déjà dit, c’est un défi palpitant pour moi. Bien sûr, je connais mes compatriotes, puisque j’habite en Belgique de longue date. Ce n’est pas une vie totalement inédite pour moi, mais monter à leurs côtés et faire partie de la même équipe professionnelle serait tout nouveau. L’Egypte ne fonctionne pas du tout comme cela et les sélections se faisaient d’une manière totalement différente. Donc oui, je suis très impatient de faire partie de tout cela !
Le format des Coupes des nations vous a-t-il manqué ces derniers mois ?
Oui, bien sûr. J’adorais cela. Dans le passé, avec l’Egypte, nous ne participions pas à énormément de Coupes des nations. Dans les six, sept premières années, nous n’avions presque aucune invitation, à une ou deux exceptions près. Mais notre équipe devenait de plus en plus forte, et nous avions davantage d’opportunités. Sur la fin, il y avait Sameh (El Dahan, désormais Britannique, ndlr), Nayel (Nassar, ndlr) et moi, ainsi que quelques autres couples pour compléter l’équipe. Cela faisait quand même une base solide. Finalement, ne pas pouvoir être sélectionné pendant deux ans n’a pas été une immense différence pour moi, même si j’ai hâte de pouvoir regoûter à ce type d’épreuve. Les Coupes des nations sont une grande part de notre sport, pour progresser, s’améliorer, marquer des points pour le classement mondial et tout un tas d’autres choses. C’est un super volet du sport.
Dans à peine quatre cents jours, Paris accueillera les Jeux olympiques, le Graal pour beaucoup de sportifs. Après votre expérience nippone, pensez-vous à cette échéance ?
Evidemment ! Lorsqu’on est enfant, on rêve des Jeux olympiques. C’est le clou du spectacle, la plus grande chose que l’on puisse faire. De fait, lorsqu’on commence à pratiquer un sport et à toucher le haut niveau, cela devient un rêve, un objectif. D’une certaine façon, Tokyo a été une bonne expérience pour moi. Cela m’a fait prendre conscience de l’état d’esprit dans lequel j’ai besoin d’arriver, et de l’expérience nécessaire pour mon cheval. J’ai hâte pour Paris. Je pense que les Jeux à Paris vont être incroyables. Mais tout le monde donnera tout pour y prendre part. La Belgique est un pays très compétitif, et seuls quatre cavaliers peuvent prétendre à une sélection. La compétition sera rude, mais je suis très motivé par ce défi ! Tokyo m’a permis de comprendre beaucoup de choses ; l’an prochain, cet objectif sera entouré d’une atmosphère beaucoup plus professionnelle. Alors, si je parviens à obtenir mon ticket, je pense que je serai bien plus prêt que je ne l’étais pour l’équipe égyptienne. La barre est totalement différente.
Photo à la Une : Abdel Saïd et Bonne Amie à Stockholm. © Sportfot