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“Echanger avec les grooms nous a permis de mieux appréhender nos enjeux respectifs”, Irene Verheul (2/3)

illustration groom
Sport samedi 6 mai 2023 Mélina Massias

L’hiver est fini, et les courtes nuits des grooms aussi. Cette saison, l’inquiétude a grandi chez les bonnes fées des chevaux, qui ont élevé la voix pour dénoncer des conditions difficiles, voire intenables. Arpentant l’Europe d’un bout à l’autre, accumulant la fatigue faute de temps de sommeil suffisant, les soigneurs tentent de défendre leur cause tant bien que mal. Bonne nouvelle, les organisateurs de concours semblent sensibles à leurs requêtes et prêts à faire leur possible pour tendre vers un avenir plus viable. Deuxième épisode.

La première partie de cet article est à (re)lire ici.

Pour les organisateurs de compétitions, la question de la programmation des diverses épreuves n’est pas une mince affaire. Chaque événement a évidemment ses propres contraintes, en fonction des disciplines proposées, de son modèle économique et des goûts du public local. En coulisses, les chefs d’orchestres de certaines des plus belles compétitions de l’hiver s’activent aussi jusque tard dans la nuit. “Chaque concours a ses raisons pour la planification d’épreuves tardives”, explique Irène Verheul, à la tête du Jumping d’Amsterdam et très ouverte à la discussion. “Dans notre cas, nous accueillons à la fois une étape de la Coupe du monde de dressage et de saut d’obstacles, et nous tenons à offrir une plateforme pour les jeunes. Notre vision des choses est la suivante : le dressage se déroule en journée et le jumping le soir. De fait, notre programme est très rempli. Les grooms expriment leur inquiétude quant aux longues journées de travail. Sur ce point-là, je ne suis pas certaine que les organisateurs de concours soient les seuls responsables. Par exemple, dans mon équipe, nous organisons des rotations. J’imagine qu’être un groom, qui doit se rendre sur divers événements tous les week-ends, impliquant de longs trajets, n’est peut-être pas le travail d’un seul homme. Mais peut-être que les cavaliers n’aiment pas trop cette opinion ! (rires)” 

Organisé au millimètre par une équipe dévouée, le Jumping d'Amsterdam est un immanquable de la saison intérieure. © FEI/DigiShots

S’il s’agit là d’une piste sérieuse pour remédier à l’un des problèmes majeurs liés à la saison indoor, rares sont encore les cavaliers à mobiliser deux grooms un même week-end, ou même à alterner entre deux personnes selon les semaines, faute de moyens humains ou financiers. Hanna Carlsson, qui travaille aux côtés du Danois Andreas Schou, récent cinquième de la finale de la Coupe du monde Longines d’Omaha, depuis près de sept ans, tant en qualité de cavalière que de soigneuse, a plutôt bien vécu ces derniers mois. “Bien sûr, je partage totalement l’avis de mes collègues quant au fait que les journées commencent très tôt et terminent tout aussi tard. Mais avec Andreas, il y a toujours suffisamment de personnes pour assurer la charge de travail. Lorsque les programmes sont denses, nous sommes quasiment toujours deux pour nous occuper de deux ou trois chevaux. Nous sommes aussi installés au Danemark, donc assez loin des différents concours. De fait, cela allonge le temps de route. Être deux devient pratiquement obligatoire. D’autres cavaliers optent pour le même fonctionnement, mais ils ne sont pas nombreux. Ces temps-ci, il est difficile d’avoir assez de personnel, à la fois en compétition et à la maison. Tout le monde ne peut donc pas s’appuyer sur le même système. En tout cas, j’ai vécu une chouette saison indoor, ce qui n’est peut-être le cas de tout le monde”, sourit la jeune femme, toutefois sur la même longueur d’onde que ses pairs sur de nombreux points. 

Hanna Carlsson, cavalière et groom pour Andreas Schou, assure avoir passé une agréable saison hivernale. © Mélina Massias



Pour tenter de trouver un compromis et de résoudre autant de soucis que possible, sans mettre en péril l’équilibre fragile des événements, la discussion semble être un premier élément primordial. Si les grooms ont la possibilité, via des questionnaires, de faire remonter certaines observations, ou bien de dialoguer directement avec les stewards et autres officiels, cela reste parfois insuffisant. Barrière de la langue, manque de temps lié à l’épuisement, sentiment d’illégitimité, désespoir et crainte des retombées sont autant de raisons qui peuvent conduire au silence. Pour autant, faire entendre sa voix sur ce genre de problématique semble essentiel. “Lorsqu’il s’agit de quelque chose qui me tient à cœur, cela ne me dérange pas d’exprimer mon opinion. Je ne vise personne en particulier, mais certaines choses doivent changer. Je ne pense pas que ce sera le cas, mais cela vaut la peine d’essayer. Lorsque je veux me plaindre, j’agis en conséquence. J’ai échangé avec plusieurs organisateurs, et ces discussions ont été positives. Je comprends que tout le monde n’ait pas forcément envie de faire remonter les problèmes, mais si on se tait, rien ne bougera”, relève Sean. Et, lorsqu’ils sont constructifs, ces échanges peuvent aboutir sur des actions concrètes. 

Sean Lynch est toujours prêt à défendre son métier, qu'il adore de toute son âme malgré les moments difficiles. © Mélina Massias

“Chaque année, je me rends au Forum des sports de la Fédération équestre internationale (FEI), et j’assiste à quelques grands concours, comme la finale des Coupes des nations, une ou deux étapes de la Coupe du monde, et parfois certaines du Global. À ces occasions, je discute avec chaque partie prenante du sport, dont font partie les grooms. Il faut être conscients de leur besoin et se demander ce que l’on peut faire pour améliorer leurs conditions de travail et leur permettre d’exercer leur métier du mieux possible”, développe Irène. Après l’édition 2023 du Jumping d’Amsterdam, j’ai échangé avec un groom, qui avait des interrogations sur certains de mes choix. Nous avons parlé pratiquement deux heures ensemble, ce qui nous a permis de mieux appréhender nos enjeux respectifs. C’est bien que les grooms expriment leurs besoins et je crois que cela relève de la responsabilité des organisateurs, de la FEI ou des cavaliers d’en être conscient. Ce qui est rigolo là-dedans, c’est que ces échanges mettent parfois en lumière des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé. Par exemple, il m’a été souligné que la pression de l’eau des douches des écuries était trop faible. Or, cela augmente considérablement le temps nécessaire pour doucher les chevaux ! Je n’y avait pas du tout pensé, cela ne m’était pas venu à l’esprit. Parfois, il y a des petites choses qui peuvent leur faciliter la vie et nous devrions tous être ouverts à cela. Je ne suis pas certaine que tous mes collègues aient conscience de ce qu’implique le fait d’être groom. Après avoir eu cette discussion, j’étais mieux informée. Je ne réalisais pas qu’ils avaient à continuer de travailler autant après la dernière épreuve, bien que mes équipes en face de même. Tout comme eux ne sont pas au fait de toutes nos responsabilités, je n’étais pas au fait de l’étendue totale des leurs. Comme on dit, la communication est la clef. Et c’est vraiment le cas ici.”

La communication semble être l'une des clefs pour permettre d'améliorer les conditions de travail des grooms. © Mélina Massias



“Je crois qu’il est facile de tenir pour acquis la personne derrière le métier de groom”, embraye Tomas Torgersen, le Directeur du CSI 5*-W de Göteborg, tout aussi sympathique que sa collègue néerlandaise. “Dans ma carrière, j’ai travaillé auprès de la Fédération suédoise. Parmi les nombreuses choses que j’ai faites, j’ai été chef de mission lors des Jeux olympiques de 2008 et des Jeux équestres mondiaux de 2006. Lors de ces deux échéances, j’ai appris la nécessité et l’importance des grooms. J’ai pu le constater depuis l’autre côté. Si l’on regarde les éléments abordés lors du forum de la FEI en avril 2022 concernant les grooms, je crois que nous avons réussi à résoudre une partie des problèmes, en plus des choses que nous mettions en place depuis des années et que nous continuons d’améliorer. Mais, bien sûr, pour continuer à progresser à ce niveau, le processus est continu.” Si tout ne peut évidemment pas être révolutionné en une nuit, la plupart des organisateurs semblent enclins à consentir autant d’efforts que possible, en réponse aux préoccupations des grooms. “Mon équipe était malade de devoir débuter le Grand Prix Longines si tard”, concède Irène. “C’est quelque chose que l’on ne souhaite ni pour les cavaliers, ni pour les grooms, ni pour la qualité de notre événement en général. Pour le programme de l’édition 2024 de notre concours, nous prendront évidemment cela en compte. Cependant, nous n’avons que quatre jours d’épreuves et il faut que nous puissions être rentables. Pour un concours avec un budget de 2,3 millions d’euros, il y a peu de profit. Le puzzle est difficile à assembler, et je ne sais pas si tout le monde s’en rend compte. Il est important d’essayer de trouver des solutions chaque année pour répondre aux préoccupations de tous, mais il y a aussi des raisons et des justifications à notre fonctionnement actuel. Ce n’est vraiment pas évident de tout combiner.” Et Tomas de poursuivre : “Sur la ligue d’Europe occidentale de la Coupe du monde, chaque concours est unique. Dans notre cas, à Göteborg, nous sommes conscients que les journées sont parfois très longues. Mais 70 % de nos recettes proviennent des spectateurs. Cela signifie que nous devons avoir deux sessions par jour pour que notre modèle économique fonctionne. Nous essayons de ne jamais finir après 23 heures, et idéalement à 22 heures. Nous parvenons à respecter ces horaires la plupart du temps, mais il arrive que nous soyons en retard d’un quart d’heure. Dans un monde parfait, il serait préférable d’arrêter à 20 ou 21 heures, mais pour notre budget, nous devons avoir des journées un peu plus longues.” Les règles de la FEI stipulent, comme le souligne Peter Bollen, qu’aucune épreuve ne peut démarrer passées 23 heures. Dans l’organisation de leur programme sportif, les équipes des divers événements doivent ainsi respecter plusieurs “règles très strictes”. 

Les organisateurs de concours, et notamment lorsqu'ils ont lui en intérieur, doivent jongler avec d'innombrables enjeux. © Mélina Massias




La nourriture, l’autre point noir

Outre la question des journées à rallonge, celle de la nourriture demeure un sujet sensible pour les grooms. Courant de la piste aux écuries, puis des écuries à la piste, les femmes et hommes de l’ombre n’ont souvent pas le temps de s'asseoir à midi pile, dans un restaurant éphémère dressé dans l’enceinte du concours, pour profiter d’un repas chaud. En plus de fournir un hôtel à quelques centaines de mètres du site du concours aux grooms et d’aider au déchargement des camions, Tomas et ses équipes ont mis en place un système novateur et intéressant pour la restauration dans leur antre scandinave. “Désormais, il est possible pour les grooms de commander leurs repas grâce à un QR code. Parfois, il est très difficile pour eux de manger au moment où les plats sont traditionnellement servis. De fait, ils peuvent se procurer leur déjeuner quand ils le souhaitent, le récupérer et le réchauffer au micro-onde. Cette initiative a été très appréciée”, se félicite le Suédois. “De la même façon, et puisqu’ils quittent souvent l'hôtel très tôt, les soigneurs ont la possibilité de réserver un petit-déjeuner à emporter le matin, même s’ils partent à 5h30, voire plus tôt. Ils peuvent manger en chemin ou une fois arrivés aux écuries, à eux de voir. En tant que directeur du concours, j’ai le même problème, puisque les petits-déjeuners sont servis assez tard à l’hôtel, surtout le week-end. Je pense que nous pouvons encore progresser, notamment parce qu’il fait souvent froid en Suède au mois de février. Nous avons essayé de créer un espace pour que les grooms puissent manger au chaud et boire un café, mais cela n’a pas très bien fonctionné. Je pense que le placement choisi n’était pas idéal. Nous allons donc trouver une meilleure solution pour l’année prochaine, afin de donner la possibilité aux grooms de s'asseoir dans un environnement chauffé.  Nous avons un grand respect pour le travail des grooms et savons depuis des années qu’ils ont une grande influence dans le choix des concours de leurs cavaliers. Si les grooms sont heureux, alors tout roule !”

Comme ici lors de la finale du Top Ten Rolex IJRC, les grooms sortent de plus en plus de l'ombre. © Mélina Massias

Plat froid, services au bon vouloir des organisateurs, fonctionnement trop compliqué, manque de choix ; les problèmes concernant la restauration sont pourtant encore (trop) nombreux, alors même que les statuts de la FEI obligent tous les CSI 5* à fournir les repas des grooms. “La nourriture fait partie des points qui pourraient être améliorés. Certains espaces de restauration pourraient par exemple être plus près des écuries. Si l’on est seul en concours, il est parfois difficile de trouver un moment pour aller chercher à manger. Dans mon cas, comme nous sommes souvent deux, cela est évidemment plus simple. L’un peut aller prendre de quoi se restaurer pour l’autre. Dans tous les cas, je pense que les organisateurs font leur maximum”, nuance Hanna. “Ce n’est pas toujours évident d’être à 110 % pour tout le monde. Surtout, on ne peut pas mettre tous les événements sur la même ligne. Tous n’ont pas besoin de revoir complètement leur fonctionnement, puisqu’ils sont déjà très bien.”

Qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, les indéfectibles soigneurs donnent toujours leur maximum pour leurs chevaux. © Mélina Massias

Photo à la Une : Irremplaçables, les grooms accumulent fatigue et frustration lors de certains événements. © Mélina Massias

La troisième et dernière partie de cet article est disponible ici.