En 2024, l’affixe de la Roque caracole plus que jamais au sommet. D’abord avec la bien nommée Caracole, médaillée d’argent par équipes sous la selle de Karl Cook aux Jeux olympiques de Paris cet été et grâce à Foxy, révélée par Victor Bettendorf, et dont l’ascension fulgurante n’a laissé personne indifférent ces derniers mois. Si l’élevage de la Roque peut s’enorgueillir des prouesses de ses produits, c’est en grande partie grâce à Alexandrine Bonnet Dian. Depuis de longues années, la Normande d’adoption, fait naître les champions de demain, avec passion et curiosité, puis les observe avec bonheur briller jusqu’au plus haut niveau. Bilan, projets, aspirations : entretien avec l’éleveuse derrière le succès d’un élevage d’exception.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Quel est le produit de l’affixe de la Roque dont vous êtes la plus fière ? Et le plus prometteur ?
Il y a tellement de chevaux qui nous marquent au cours d’une vie, qu’on les ai fait naître ou rencontrés plus tard ! Pour répondre à la question, je dirais Caracole, car elle a réalisé mon rêve d’emmener un cheval que j’ai fait naître jusqu’aux Jeux olympiques. Elle a une espèce de folie, un petit truc en plus, que nous avons d'ailleurs décelé très tôt. Quand Adeline était en selle, elle répétait que la jument n’était pas comme les autres. Elle faisait les choses avec beaucoup de force et d’énergie, mais aussi avec du sang et de l’intelligence. Le chemin est tellement long et les sorties de route possibles que je ne m’aventurerai pas à répondre à la seconde question, même si j’ai un nom en tête ! Et puis, je suis superstitieuse ! (rires)
L’affixe de la Roque a produit beaucoup de bonnes mères, à l’instar d’Untouch de la Roque (Untouchable x Adelfos), mère de Vroom de la Pomme (Vigo d’Arsouilles), récent vainqueur du Grand Prix 4* de Stockholm avec Peder Fredricson, pour ne citer qu’elle. Selon vous, qu’est-ce qu’une bonne poulinière ? Et un bon étalon ?
Je n’ai plus Untouch, mais j’ai encore certaines de ses filles. Une bonne poulinière dépend avant tout de la souche maternelle et du sang. Je crois qu’une crack poulinière peut être mariée avec à peu près n’importe quel étalon : elle donnera toujours un bon cheval, avec plus ou moins de qualités. Un bon étalon, quant à lui, ne doit pas avoir de défaut majeur. Élever en espérant compenser est risqué, car il y a une chance d’obtenir un poulain avec les défauts de l’étalon et de la jument.
“Je trouve grotesque de vendre plusieurs dizaines d’embryons congelés de la même mère”
Quelle direction vous semble prendre l’élevage aujourd’hui ? Comment l’imaginez-vous dans dix ou quinze ans ?
Il y a eu une bulle de surexploitation de quelques lignées maternelles qui a permis aux gens pratiquant à outrance l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI, technique consistant à prélever un ovocyte de la jument pour le féconder in vitro avec un spermatozoïde de l’étalon, ndlr) de vendre des embryons une fortune. C’était une folie et la bulle est en train d’éclater. C’est une bonne chose, car cela va nous permettre de revenir à la normale, c’est-à-dire de chercher le renouveau, avec de nouvelles lignées ou d’anciennes souches qui n’ont pas été surexploitées. J’étais farouchement opposée à la technique de l’ICSI, mais après y avoir beaucoup réfléchi, je considère désormais que le problème ne réside pas dans le geste en lui-même. Quand on pense, par exemple, aux bébés dits éprouvettes, ce n’est pas un problème. Les enfants nés par fécondation in vitro (FIV) sont parfaits. Le problème réside dans l’utilisation qui peut être faite de la technique. Je trouve grotesque de vendre plusieurs dizaines d’embryons congelés de la même mère. L’utilisation de l’ICSI,?du point de vue du confort des juments, ne me semble pas pire que le transfert d’embryon. Si l’on prend l’exemple d’une femme, je ne suis pas sûre qu’elle préfère recevoir des litres de liquide dans l’utérus pour prélever un embryon, plutôt que d’avoir recours à une FIV. C’est une pratique très courante aujourd’hui pour les femmes qui n’ont pas la chance de pouvoir avoir des enfants naturellement. Encore une fois, selon moi, le problème n’est pas la technique mais son utilisation.
Sous la selle de Richard Vogel, United Touch S (Untouched x Lux) fait sensation. Que pensez-vous de lui en tant qu’étalon ?
Dans mon cas, United Touch est un bon exemple pour rappeler que l’amour des chevaux nous fait passer notre vie à changer d’avis ! J’étais vent debout contre lui en tant qu’étalon, car je trouvais qu’il y avait beaucoup trop de consanguinité dans son papier et parce que sa semence était disponible uniquement en ICSI. Puis, j’ai regardé un grand nombre de ses produits et j’ai constaté que, bien croisé, il avait énormément à apporter à sa descendance. J’en suis arrivée à me dire que j’allais lui confier, en ICSI, la jument que j’estime être ma meilleure poulinière ! C’est véritablement un métier où l’on change tout le temps d’avis.
Une étude de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) indique que la production française d’équidés de sport a reculé de sept pourcents en dix ans. Le ressentez-vous ? Comment anticipez-vous l’évolution du marché ?
Non. Vendre des embryons congelés une fortune n’est pas être éleveur. Ce n’est pas normal qu’un éleveur en arrive à se demander s’il doit écouter son instinct et son expérience ou suivre le marché pour choisir un étalon ! C’est hallucinant. Cela implique de réfléchir différemment selon si l’on souhaite vendre un embryon une fortune ou garder et valoriser un poulain. C’est bien l’exemple que nous sommes à côté de la plaque. Je n’ai jamais proposé un cheval à une vente aux enchères, car je pense que ce système a contribué à pousser notre métier d’éleveur de base dans le trou. Comme j’ai des souches exceptionnelles, j’ai vendu, dans de très bonnes conditions, des foals et des mères porteuses pleines. Quelques-uns par le biais de mon ami Cyril Carisey, fondateur de Genesis Horse Breeding, une entreprise qui aide les clients à investir dans la génétique (notamment via un catalogue d’embryons implantés, mais pas que, ndlr). Cela permet notamment à des gens qui n’avaient pas accès à nos souches, d’acheter ce que nous pensons être de bons poulains. Jusqu’à présent, nous avions vendu très peu de jeunes chevaux. J’ai eu besoin, un temps, économiquement parlant, de faire cela. Aujourd’hui, j’ai la volonté de me recentrer sur le fait de produire des chevaux pour les garder, pour essayer de reproduire des chevaux de sport. Il s’agit de partir dans une optique un petit peu différente.
“Je trouve grotesque de vendre plusieurs dizaines d’embryons congelés de la même mère”
L’affixe de la Roque est l’un, si ce n’est le leader en France depuis dix ans. Que vous inspire cette longévité au sommet ?
Je pense surtout au risque de ne plus l’être l’année d’après ! (rires). On ne s’intéresse à ces classements que lorsque nous en sommes en tête, mais il y a plein de très bons éleveurs qui n’y figurent pas. Quand on est en haut d’une liste une année, le risque est de faire moins bien celle d’après !
Quels sont vos objectifs, à court et long terme ?
Me recentrer sur le métier d’éleveur et produire de futurs chevaux de sport. Je souhaite redévelopper deux ou trois souches laissées de côté car un peu moins bankable, mais en lesquelles je crois énormément et dont je suis à peu près sûre qu’elles produiront de très bons chevaux. Il s’agit de la souche d’Atomic de la Roque (Kannan x Adelfos), une vieille lignée normande, Eden du Rozel (la grand-mère d’Atomic de la Roque, sœur utérine de L'Élue du Rozel, mère de l’inoxydable Rokfeller de Pleville*Bois Margot et propre sœur de Mésange du Rozel, à l’origine d’Usual Suspect d’Auge, ndlr) venant de l’élevage Blin-Lebreton. Je développerai peut-être la souche d’Astuce de la Roque (Kannan x Quick Star) en ICSI, car elle ne produit pas beaucoup (Astuce de la Roque n’a eu que deux produits, dont un est né pour le compte de Carlos Hank Guerreiro en 2023, malgré plusieurs inséminations, ndlr). C’est une fille de Médine d’Amaury, une demi-sœur de Caracole. Lily d’Amaury est la mère de Pocahontas d’Amaury, qui a fait une star, Caracole, et de bons chevaux par la suite. Médine n’a, quant à elle, produit que de petites stars dans leur catégorie. J’ai la chance d’avoir conservé Astuce, que je pense croiser à Armitages Boy, United Touch S et son père, Untouched. Tous ces projets sont très motivants. J’ai également une autre souche Anglo-arabe que je voudrais développer.
Que peut-on vous souhaiter pour 2025 ?
Comme à tout le monde : que ma famille aille bien et soit heureuse ! Je pense notamment à mes enfants et mes petits-enfants. Je souhaite que tout continue pour ma fille et Victor, car, à mon sens, ils sont dans une formidable période de leur vie professionnelle. Et puis de bons chevaux, car je vis pour ça et cela me va bien !
Photo à la Une : Alexandrine Bonnet Dian continue de faire prospérer l'affixe de la Roque au plus haut niveau, tout en gardant l'esprit ouvert. © Timothée Pequegnot