En 2024, l’affixe de la Roque caracole plus que jamais au sommet. D’abord avec la bien nommée Caracole, médaillée d’argent par équipes sous la selle de Karl Cook aux Jeux olympiques de Paris cet été et grâce à Foxy, révélée par Victor Bettendorf, et dont l’ascension fulgurante n’a laissé personne indifférent ces derniers mois. Si l’élevage de la Roque peut s’enorgueillir des prouesses de ses produits, c’est en grande partie grâce à Alexandrine Bonnet Dian. Depuis de longues années, la Normande d’adoption, fait naître les champions de demain, avec passion et curiosité, puis les observe avec bonheur briller jusqu’au plus haut niveau. Bilan, projets, aspirations : entretien avec l’éleveuse derrière le succès d’un élevage d’exception.
Comment résumeriez-vous l’année 2024 pour le haras de la Roque ?
En termes de réussite des chevaux de l’élevage, je pense que l’année 2024 a été assez formidable. Pour l’éleveuse que je suis, voir Caracole de la Roque (Zandor x Kannan) aux Jeux olympiques de Paris est l’aboutissement d’un rêve. Foxy de la Roque (Armitages Boy x Kannan) s’est, elle aussi, montrée incroyable, mais nous n’avons pas été surpris. Nous n’avons jamais douté de sa qualité et ses résultats montrent que nous avons eu raison de croire en elle. D’expérience, je peux affirmer qu’avec les chevaux, la route est longue. Il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu, tant de maillons qui doivent fonctionner pour espérer arriver au bout du processus. C’est d’ailleurs ce qui est frustrant pour les éleveurs : s’ils font naître un très bon cheval, mais que la chaîne cafouille à un endroit, ils n’obtiennent pas la reconnaissance de leur travail. En tout cas, pour ces deux juments-là, nous pouvons dire que nous sommes allés au bout !
Cette saison a été marquée par les Jeux olympiques de Paris, synonyme de consécration pour le duo formé par Karl Cook et Caracole de la Roque, médaillés d'argent par équipe. Comment avez-vous vécu cette échéance ? Que pensez-vous de l’équitation de Karl Cook, lui qui devrait monter les deux meilleures représentantes de votre affixe en 2025 ?
Même si je n’étais plus propriétaire de Caracole, la voir participer aux Jeux olympique était un rêve. Je suis née avec la passion des chevaux chevillée au corps, dans une famille qui n’avait rien à voir avec ce milieu. Toute petite, je voulais déjà être éleveuse et entraîneuse de chevaux de sport. C’est ce que je notais sur les fiches de présentation à l’école. J’étais obsédée par cette ambition. C’était un rêve d’enfant d’arriver, un jour, à avoir un cheval aux Jeux olympiques. Le voir se réaliser était tout bonnement magique. J’ai été invitée par la Société hippique française (SHF) à assister à la finale individuelle des Jeux olympiques et j’étais comme sur un nuage ! J’étais profondément heureuse comme le sont, je crois, tous les éleveurs lorsque leurs protégés performant au plus haut niveau, de la voir briller. À travers les réseaux sociaux, je suis d’autres éleveurs et je constate que notre métier, davantage reconnu aujourd’hui, procure une véritable joie.
Quant à l’équitation de Karl Cook, je n’ai pas la légitimité nécessaire pour la juger. Je suis pragmatique et ce que je constate et la grande humilité dont il a fait preuve pour s’adapter à Caracole. Sans rien enlever à son génie, Caracole est quand même très atypique ! Le partenariat entre Karl Cool et Éric Navet semble avoir porté ses fruits. C’est un véritable génie, disposant d’excellentes capacités à comprendre et à s’adapter aux chevaux. Nous ne pouvons être que béats d’admiration devant l’évolution du couple. Karl Cook a su établir une relation solide avec Caracole, qui donne l’impression de sauter pour lui. Je trouve qu’elle saute au moins aussi bien avec Karl qu’avec Julien Epaillard. Ils semblent avoir tissé une belle complicité, qui leur permet d’être rapides et compétitifs, tout cela dans le respect du cheval.
“Karl Cook et Caracole semblent avoir tissé une belle complicité, qui leur permet d’être rapides et compétitifs, tout cela dans le respect du cheval”
Une autre de vos pépites, Foxy de la Roque, s’est révélée sous la selle de Victor Bettendorf cette année, remportant son premier Grand Prix 5* en septembre, à Rome. Quels sont vos critères de sélection pour produire des champions ?
Nous avons eu l’immense chance de débuter l’élevage avec Kannan (dont Alexandrine et son ex-époux, Michel Hécart, ont été propriétaires de 2000 à 2008, ndlr), qui s’est révélé être un père de mère formidable (et est redevenu numéro un du classement de la WBFSH à l'automne 2024, ndlr). Cela nous a énormément aidés. Pour élever des chevaux, la curiosité me semble être la première des qualités requises, tout comme regarder les chevaux sauter et observer la production des juments et des étalons. Assurément, nous nous sommes dit que les qualités d’Armitages Boy allaient un peu compenser les défauts des filles de Kannan, comme la souplesse ou encore le coup de jarret. Et cela a fonctionné ! Mais ce n’est pas toujours le cas. Dire que tout repose sur le seul savoir-faire de l’éleveur, sans reconnaître la part de chance inhérente à notre métier, est faux. Il y en a forcément une. On peut dire que la chance se provoque avec de bonnes mères, mais il faut tout de même pouvoir compter sur sa bonne étoile et espérer que toutes les planètes s’alignent.
Quel regard portez-vous sur le duo formé par Victor, votre gendre, et Adeline Hécart, votre fille ? Au-delà de votre rôle d’éleveuse, comment vivez-vous leur aventure, en tant que mère ?
Ils se sont trouvés à merveille ! Victor est un crack cavalier et Adeline possède une belle énergie et une très bonne connaissance des chevaux. C’est un couple qui fonctionne dans la vie, mais aussi professionnellement. Ils se complètent parfaitement. Adeline permet à Victor de se concentrer essentiellement sur son équitation, tandis que son enthousiasme emmène les gens et les chevaux dans son sillage. Adeline est ma fille et il est difficile de porter un jugement, mais sous ses airs un peu exubérants, elle est très précise dans sa façon de travailler et surtout très compétente. Je l’ai accompagnée à haut niveau ; c’était un stress terrible ! Je suis fière de ce qu’ils ont fait tous les deux. J’estime qu’elle a bénéficié à la Roque de tout un système qui a fonctionné, mais qui avait aussi de gros défauts. Elle n’a pas répété nos erreurs et n’en a tiré que le meilleur. Aujourd’hui, je suis surtout une très heureuse grand-mère (rires) !
Quels liens entretenez-vous avec vos anciens protégés ? Continuez-vous à garder un œil sur leur parcours ?
Je les suis de loin. Une fois les chevaux vendus, il ne faut pas faire intrusion dans leur nouvelle vie. Nous laissons aux gens la décision de nous contacter ou non. Je me sens concernée, mais avec une certaine distance. Lorsque je conserve les mères des produits vendus, cela permet de donner des indications pour un éventuel futur croisement. C’est toujours intéressant de voir quand cela fonctionne, de comprendre pourquoi, mais aussi d’analyser quand ce n’est pas le cas. Si l’on n’est pas curieux dans ce métier, il faut arrêter, car rien n’est établi à l’avance. Il y aura toujours quelqu’un pour faire mieux que nous le lendemain. Alors, il faut toujours rester en mouvement.
“Pour élever des chevaux, la curiosité me semble être la première des qualités requises”
Comment êtes-vous devenue éleveuse ?
J’ai commencé à monter très tard. Adolescente, ma maman m’a donné deux ans pour trouver ma voie. C’est ainsi que j’ai débarqué chez les Ducornet-Lefranc, dans le Vexin. Ma maman m’a déposée un matin de septembre. J’avais dix-sept ans et tout à apprendre. À l’époque, j’étais une jeune fille assez parisienne et ma maman pensait qu’après quelques jours, je finirais par l’appeler en pleurant pour qu’elle vienne me chercher ! Finalement, ce fut tout le contraire : je suis restée deux ans. J’étais au paradis ! En rentrant, j’ai gardé en tête mon envie de faire naître des chevaux. Puis, j’ai rencontré Michel, qui, à l’époque, venait de vendre son club. Avec le temps, nous avons développé le haras de la Roque.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier d’éleveuse ?
Ce qui me passionne le plus est sans doute ce qui me permet d’élever des chevaux : cette quête permanente du bon cheval, et plus largement du bon cheval pour la bonne personne. Je m’inspire de l’observation d’un grand nombre de chevaux pour établir mes croisements. Cet amour du cheval de sport, qui me pousse à dégoter le futur crack, est ce qui me galvanise. Je n’ai pas été une éleveuse qui assistait aux naissances ou qui donnait le biberon aux poulains, mais j’ai passé mon temps à chercher l’inspiration pour les croisements. À la Roque, nous avions une équipe formidable, qui est restée longtemps en place. C’est grâce à cette façon de fonctionner, où chacun avec un poste défini et formait les maillons d’une même chaîne, que cela a perduré. J’ai aussi beaucoup regardé ce qui se faisait chez les meilleurs, car c’est ainsi que l’on apprend. Il faut s’inspirer de ceux qui ont su se réactualiser, à l’image de l’élevage du Rouet ou de celui des Forêts. J’en reviens toujours à l’importance de rester curieux de tout.
Le haras de la Roque a longtemps concilié l’élevage, la formation de jeunes chevaux et le sport de haut niveau. Comment s’organise votre système ?
Le lieu a été vendu il y a deux ans et n’existe plus. Seul subsiste l’affixe de l’élevage. Adeline et Victor ont acheté une propriété tout près de la Roque, où ils ont une quinzaine d’hectares et une quarantaine de boxes. Ils ont leur propre système et leur propre histoire, qui n’est pas la mienne. De mon côté, je me suis associée à des éleveurs que je connais de longue date et en qui j’ai confiance. Je co-exploite pratiquement toutes mes poulinières. Je fais du très bon travail avec Margareth Noël, du haras du Thot. Nous avons quelques juments ensemble, dont des filles et des sœurs de Toupie (de la Roque, Kannan x Nabab de Rêve, complice de Pieter Devos après avoir fait, entre autres, le bonheur de Julien Epaillard, ndlr) ou encore sœur de Caracole. C’est assez sympa. Ce sont des chevaux qui sont encore jeunes, mais à qui nous laissons le temps de se développer. Je continue à élever de cette manière. En parallèle, j’ai aussi des chevaux au travail chez Adeline et Victor. Certains sont placés chez des cavaliers en qui j’ai confiance pour leur formation, et avec lesquels nous faisons du bon travail. Mon petit réseau est doté d’une bonne énergie et fonctionne bien ! Par exemple, Geoffroy Bréant, qui est installé en Seine-Maritime, a été sacré champion de France des six ans cette année avec un produit de mon élevage. C’était une expérience formidable.
“Pour les chevaux, l’objectif n’est pas d’être champion des six ans mais d’avoir une carrière sportive”
À ce propos, cette année, vous avez vu pour la première fois l’un des représentants de l’affixe de la Roque, Igy (Untouchable 27 x Kannan), être sacrée championne de France des six ans à Fontainebleau. Comment avez-vous vécu ce moment, le premier de votre carrière d’éleveuse, la finale de Fontainebleau n’était jamais un objectif pour vos protégés ?
J’ai vécu cela comme si j’avais gagné les Jeux olympiques ! (rires) C’est une jolie histoire. J’ai mis cette petite jument, dotée de nombreuses qualités, chez Geoffroy l’année dernière. Je trouvais qu’il serait le cavalier idéal pour la mettre en valeur. Il a fait un super travail avec elle. Un des amis de Geoffroy cherchait un cheval pour l’un de ses élèves. C’était le bon client, pour le bon cheval, et tout s’est bien goupillé. Pourtant vendue, Igy est restée sous la selle de Geoffroy jusqu’à la finale des six ans, grâce au papa du jeune homme qui l’a acquise. Et elle a gagné à Fontainebleau ! C’était vraiment sympa, tant humainement que professionnellement. Je pense que la jument nous surprendra à mesure qu’elle prendra confiance en elle. En plus d’Igy, Unity Touch (United Touch S x Chaman), un cheval de cinq ans, a terminé troisième du Criterium des cinq ans à Fontainebleau. Je l’ai acheté pour moitié à des amis bretons, les frères André, qui m’ont trouvé tous mes bons chevaux, à l’instar de Pasha du Gué (Dollar dela Pierre x Darco) et Question d’Orval (Rosire x Tu Viens d’Orval).
Selon moi, le but est de se laisser guider par les chevaux. Igy faisait son job sans aucun stress. Elle avait fini de grandir et possédait un physique qui lui permettait de participer à cette échéance. Elle donnait l’impression que cela l’amusait : tout semblait facile pour elle. À l’inverse, j’ai une génération de cinq ans, qui me semble très bonne, mais j’ai préféré arrêter leur saison très tôt, car ils avaient besoin d’aller au pré et de poursuivre leur croissance à leur rythme. Il faut observer et écouter les chevaux. L’objectif de leur vie n’est pas d’être champion des six ans mais d’avoir une carrière sportive. La finale n’est donc pas un objectif et les chevaux n’y participent que si elle n’est pas synonyme d’effort pour eux.
La seconde partie de cet entretien sera publiée demain sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Caracole de la Roque et Karl Cook ont fait partie des tous meilleurs couples lors des Jeux olympiques de Paris. © Benjamin Clark / FEI