Touardo Blue, l’avènement d’une force tranquille (1/2)
Touardo Blue. Voilà un nom qui capte l'attention. Sous la selle de Nathan Budd, l’attachant étalon bai arrive à maturité. À l’aube de ses douze ans, le fils de Toulon déploie ses ailes et prouve qu’il est taillé pour les plus grands événements de la planète jumping. Né chez Céline Rousselet et Philippe Mattelin, l’étalon Zangersheide s’est très vite imposé comme une évidence aux yeux d’Alexandra Sobkowiak et Hugues Delattre, qui l’ont acquis à un an. Désormais associé au haras des Rosiers sur la carte de propriétaires de son protégé, le couple vit un rêve éveillé. Auteur de deux performances remarquables et remarquées aux CSI 4* de Liège et 5*-W de Lyon, Touardo Blue est bien loin d’avoir dit son dernier mot. Son cavalier, son éleveuse et son co-propriétaire content l’histoire de cette force tranquille aux origines de premier ordre, qui excelle autant en piste qu’à l’élevage. Portrait.
D’un calme olympien lorsqu’il déambule au paddock, sous la selle de Nathan Budd ou aux rênes de Steve Loiseau, son fidèle groom, Touardo Blue semble chez lui partout où il passe. S’il n'est pas le plus démonstratif à l’échauffement, une fois en piste, son talent et son envie de bien faire éblouissent. À l’aube de ses douze ans, ce grand cheval, au sens propre comme figuré, semble prêt à déployer ses ailes pour s’offrir un palmarès à sa hauteur. Et si l’étalon Zangersheide parvient aujourd’hui à révéler tout son potentiel, c’est en partie grâce au travail bien senti de Nathan Budd et à un entourage solide, qui a toujours cru en lui, de ses premiers mois à ses premiers coups d’éclats.

Chaque saison, Touardo Blue semble franchir un nouveau cap. © Mélina Massias
Au rang des plus grands fans de Touardo Blue, Alexandra Sobkowiak et Hugues Delattre occupent la pole position. Tous deux ont repéré le charismatique bai chez ses éleveurs, Céline Rousselet et Philippe Mattelin, alors qu’il n’était encore qu’un jeune poulain. “Avec une association d’éleveurs de notre région, nous avons organisé une journée de visites d’élevages locaux. À cette occasion, nous nous sommes rendus chez Céline Rousselet, que je connais bien. L’une de ses juments, Easy Blue, était suitée de Touardo. Ma compagne, Alexandra, a eu un coup de foudre pour ce poulain”, plante Hugues Delattre, éleveur sous l’affixe de Marguy en parallèle de son activité professionnelle. “J’ai aussi trouvé que ce poulain dégageait quelque chose. Il avait une présence particulière, que n’ont pas tous les jeunes chevaux. Pour autant, parmi les dix autres éleveurs présents à nos côtés ce jour-là, aucun ne s’est retourné sur Touardo. Nous avons trouvé cela assez étonnant et n’avons pas donné suite.” Mais le fils de Toulon aux origines maternelles intéressantes continue de trotter dans la tête du couple qui finit par l’acheter, quelques mois plus tard, dans son année de yearling. Si Hugues Delattre apparaît comme naisseur de Touardo Blue sur ses papiers, il s’agit en réalité… d’un quiproquo administratif ! “Il y a eu une erreur lorsque nous avons fait les papiers de Touardo Blue… Ce sont bien Céline Rousselet et Philippe Mattelin qui sont ses naisseurs. Je ne tire aucune gloire à ce que mon nom apparaisse sur ses papiers. D’ailleurs, je ne suis même pas véritablement son propriétaire non plus : il appartient à ma compagne ainsi qu’à Herik Duran !”, clarifie au passage le sympathique Belge.

Alexandra Sobkowiak et Hugues Delattre ont repéré Touardo Blue lorsqu'il était poulain, avant de l'acheter à un an. © Tiffany Van Halle
Une souche précieuse
Premier fils d’Easy Blue (Arko III x Darco), Touardo Blue découle de l’excellente souche du Ruisseau développée par André Vandepapeliere. De cette même famille maternelle, sont, entre autres, issus les géniaux Heidi du Ruisseau (Heartbreaker) et Chat Botté du Ruisseau (Casall), tante et oncle du bai vus jusqu’au plus haut niveau avec Edwina Tops-Alexander pour la première et Billy Twomey pour le second. Tous deux, de même qu’Easy Blue, la mère de Touardo, sont des produits de Pupiblue du Ruisseau, sœur utérine de Celsius du Ruisseau (Chellano), vu jusqu’à 1,60m avec Grégory Wathelet, et jument avec laquelle tout a commencé pour Céline Rousselet et Philippe Mattelin. “Il y a une vingtaine d’années, André Vandepapeliere, avait l’habitude de mettre tous ses jeunes chevaux au travail chez Eric Legat, un ami à moi qui disposait d’une petite écurie près de chez moi. À l’époque, alors que j’avais une vingtaine d’années, j’étais déjà passionnée et avais pris l’habitude d’aller voir sauter les jeunes chevaux en liberté. André me prévenait lorsqu’il en amenait certains à l’écurie et, un jour, il a débarqué avec Pupiblue du Ruisseau, qui avait alors deux ans et demi. Je l’ai vu passer ses premiers obstacles et elle était déjà assez impressionnante. Elle m’avait très fortement marquée”, se souvient la Belge, qui exerce aujourd’hui en tant qu’infirmière. “Lors de son débourrage, Pupiblue s’est blessée. Son éleveur a alors décidé de lui laisser du repos et de l’inséminer.” Croisée à Chellano, Pupiblue, lauréate d’une épreuve de saut en liberté avec sa blessure, donne naissance à son premier produit, une pouliche nommée Chic Lady du Ruisseau. Passionné d’élevage, André Vandepapeliere décide de continuer dans cette voie avec sa jeune jument, qu’il marie cette fois à Heartbreaker. Un an plus tard, en 2004, vient au monde Heidi du Ruisseau, qui fait, à son tour, fructifier son héritage maternel.

Celsius du Ruisseau, grand-oncle de Touardo Blue, a montré de belles choses sous la selle de Grégory Wathelet. © Sportfot
Avec Edwina Tops-Alexander, Heidi du Ruisseau, sœur utérine de d'Easy Blue, a évolué au plus haut niveau. © Sportfot
Céline Rousselet, de son côté, reste follement amoureuse de Pupiblue du Ruisseau, qui n’est alors pas à vendre. Elle se rabat sur sa première fille, Chic Lady, dont elle fait l’acquisition au sevrage. Quatre ans plus tard, ayant effectué deux transferts d’embryons avec Dollar dela Pierre et Casall, André Vandepapeliere appelle son amie et lui propose d’acheter sa jument de cœur, alors pleine de Quasimodo. “Pupiblue était jeune et nous n’avions pas encore de retour sur sa production. Mais je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de cette occasion”, se souvient Céline, qui s’associe alors à un ami, Philippe Mattelin, pour s’offrir cette fille de Darco si chère à ses yeux. “Philippe Mattelin est, au départ, un éleveur de galopeurs ! Il n’était pas du tout dans le monde du saut d’obstacles, mais, étant joueur, il a accepté de faire ce pari avec moi.”
En 2008, les deux porteuses conservées par André Vandepapeliere lui donnent… deux mâles : Dream In Blue du Ruisseau, malheureusement grièvement blessé au pré et euthanasié, ainsi que Chat Botté du Ruisseau. À la tête de près d’un demi-million d’euros de gains, le charismatique alezan s’est consacré à la monte en France en 2025 avant de reprendre discrètement la compétition en fin d’année, du haut de ses dix-sept ans. Pupiblue, elle, pouline de Café Noir du Ruisseau chez ses nouveaux propriétaires. Vendu aux enchères à Liège, le fils de Quasimodo permet à Céline et Philippe de faire naître deux poulains en 2010 : Extra Blue (Cicero van Paemel), vu jusqu’à 1,50m sous selle française, et Easy Blue, une fille d’Arko III.
Chat Botté du Ruisseau est un autre représentant de l'excellente lignée maternelle de Touardo Blue. © Sportfot
“En 2009, Arko III était stationné chez Michel Spaas. Il avait encore très peu sailli à l’époque et nous n’avions pas beaucoup de recul sur sa production, mais nous l’aimions beaucoup. C’était un vrai cheval de concours”, justifie l’éleveuse. “Nous avons eu du mal à avoir Pupiblue gestante, donc Easy Blue est née assez tard, à la fin du mois de juin. Malheureusement, à deux semaines de vie, sa mère lui a marché dessus. Elle n’avait rien de cassé, mais un jarret un peu gonflé. Nous avons préféré la préserver et tirer un trait sur une éventuelle carrière sportive. De fait, nous l’avons conservée à l’élevage.” 
Céline Rousselet a toujours adoré Pupiblue du Ruisseau, grand-mère de Touardo Blue ici suitée de sa mère, Easy Blue, qu'elle a achetée avec Philippe Mattelin. © Collection privée
Après un nouveau poulain, Fendi Blue (Quintus), né en 2011, Céline et Philippe décident d’utiliser Toulon sur leur poulinière phare. “Nous aimions beaucoup cet étalon, qui venait de revenir en Belgique après avoir concouru en France avec Hubert Bourdy. Nous avons donc essayé d’inséminer Pupiblue, mais cela n’a pas fonctionné. Malheureusement, Pupiblue est morte quelques temps après. Elle allait très bien le matin, et elle s’est éteinte l’après-midi, en prairie”, regrette Céline. Disposant d’un report sur la saillie de Toulon, elle et son associé décident d’un commun accord de l’utiliser pour… Easy Blue, la fille de Pupiblue, alors âgée de trois ans. “Easy était plus jolie, plus chic que sa mère, qui était très signée par Darco, mais elle lui ressemblait beaucoup. Alors, nous nous sommes dit que Toulon pourrait bien lui aller. Et ce croisement nous a donné Touardo”, poursuit l’infirmière, à la tête de l’affixe du Pont Letot que portent ses propres poulains.
“Poulain, Touardo Blue était gigantesque et avait des jambes interminables”, Céline Rousselet
Le 10 juillet 2014, Touardo Blue, qui porte le suffixe Blue choisi par Céline et Philippe pour les poulains nés de leur association en hommage à Pupiblue du Ruisseau, tombe dans la paille. À l’époque, les deux co-éleveurs sont bien loin d’imaginer le succès que rencontrera leur jeune protégé. “Touardo était un très, très grand poulain. D’ailleurs, à l’origine, nous voulions l’appeler XL Blue ! Il était gigantesque et avait des jambes interminables”, décrit la Belge. “Touardo avait de l’envergure, de l’étendue. Il était bien construit, sans pour autant être le plus chic du monde. Il avait terminé dans les vingt premiers sur quatre-vingts poulains présentés lors d’un concours de modèle et allures à Ghlin. Nous étions satisfaits, mais ce n’était pas non plus un résultat exceptionnel. Poulain, il avait un caractère assez affirmé. Il fallait s’adresser à lui avec politesse. Il n’était pas méchant du tout mais savait ce qu’il voulait.”
Après Touardo Blue, Easy Blue donne plusieurs autres produits : Keasy et Idylle Blue, deux filles de Tornesch nées en 2016 et 2018 et ayant évolué sous selles amateurs jusqu’à 1,10m pour la première et 1,20m pour la seconde, puis Lady Blue (Aganix du Seigneur), sortie en Cycle libre première année cette saison à quatre ans, Milady Blue (Cornet’s Stern) et Oardo Blue (Qlassic Bois Margot), en 2021, 2022 et 2024, pour le compte de Philippe Mattelin et François Dorange. “Philippe comme moi sommes des éleveurs amateurs, si je puis dire. Le recours aux transferts d’embryons était quelque chose d’exceptionnel pour nous. Nous n’avions pas l’idée de surexploiter la souche, même si, entre-temps, Chat Botté et Heidi ont signé de très belles performances”, glisse Céline Rousselet, qui n’a pas participé à la naissance des derniers produits d’Easy Blue.

Idylle Blue, une sœur utérine de Touardo Blue, en action. © Pixels Events
Moins d’un an après sa naissance, Touardo Blue quitte ses prairies natales pour rejoindre Alexandra Sobkowiak et Hugues Delattre. La Belgique étant un petit pays, Céline connaissait bien la nouvelle famille de sa perle. “Je connais Hugues depuis que j’ai dix-huit ans !”, s’amuse la quadragénaire. “Il était mon maréchal-ferrant à l’époque et était déjà passionné d’élevage. Forcément, nous avons partagé de grandes discussions de rêveurs ensemble. Lors d’une journée de tournée des élevages organisés entre amis, Hugues avait déjà eu un coup de cœur pour Touardo. Quelques mois plus tard, lui et sa compagne nous ont recontactés, pour savoir si nous étions prêts à le vendre et nous avons fini par tomber d’accord. Alexandra était très, très emballée par Touardo.”

Touardo Blue, ici à deux ans lors d'une épreuve de saut en liberté qu'il a remportée, a toujours montré du potentiel. © Collection privée
Premier de la classe
Visiblement aiguisé, l’instinct d’Alexandra et Hugues ne les trompe pas. Bien au contraire. Dès ses deux ans, le jeune papillon qu’est Touardo Blue ouvre ses ailes pour s’envoler en tête de son premier concours de saut en liberté. À Ghlin, il remporte son épreuve, face à plus de quatre-vingts poulains. “Il a toujours été le premier de la classe”, sourit Hugues, dont le protégé est admis au stud-book SBS en 2017 après une prestation très sérieuse en liberté.
Après cette première étape dans sa carrière, Touardo Blue, débourré par les soins de son nouveau propriétaire, est confié à Bertrand Genin pour sa formation en compétition. Plutôt préservé, le grand bai aligne pourtant les sans-faute. Si tous ses sauts ne sont pas les plus académiques, le Zangersheide étant déjà doté d’un passage de dos très puissant, son talent est évident. “À quatre, cinq et six ans, Touardo a toujours été très régulier. À chaque sortie de piste, on venait nous demander s’il était à vendre”, se souvient Hugues. “Bien sûr, il n’avait pas que des aficionados et il avait aussi ses détracteurs. Mais pour moi, il sortait de l’ordinaire et avait quelque chose de particulier.”

Aux yeux de Hugues Delattre, Touardo Blue est toujours sorti de l'ordinaire. © Tiffany Van Halle
Après trois années passées aux côtés de Bertrand Genin, qui l’a fait progresser de parcours à 0,90m à ses premiers tours - et sans-faute - à 1,25m, Touardo Blue pose le sabot dans l’Hexagone début 2021 et intègre les écuries d’Edward Levy dans le but de poursuivre sa route vers le haut niveau. Mais le Tricolore étant dans une excellente période sportive avec Rebeca LS et Uno de Cerisy, sans compter les compétitifs Broadway de Mormoulin et Sirius Black, et l’épizootie de rhinopneumonie équine n’aidant pas, le fils de Toulon ne reste que peu de temps en Normandie. Après une année quasiment blanche, Touardo Blue retrouve les terrains de concours à huit ans, à la fin de l’été 2022… aux côtés de Nathan Budd. Quelques mois plus tôt, le petit-fils d’Arko III a, en effet, intégré le haras des Rosiers. “Thomas Skilbecq, un ami, nous a présenté Herik Duran et Nathan Budd”, reprend Hugues. “Nathan a essayé Touardo et a senti du potentiel. D’entrée, il a cru en lui, ce qui était moins le cas d’Herik. Il n’avait pas eu le coup de foudre et il a fallu le convaincre. Touardo était un peu en retard dans son apprentissage, mais Nathan a effectué un travail fantastique. Il a pris son temps et a fait les choses calmement. Touardo est resté à l’essai pendant trois mois au haras des Rosiers, puis Herik a acheté la moitié des parts de ma compagne. Je pense qu’une grande partie du mérite revient à Nathan. Le système mis en place par Herik, Chloé Quenon, son épouse, et Nathan est très professionnel. Il a déjà fait ses preuves avec Cashpaid, et permet aujourd’hui à Touardo de se révéler.”
À force de travail et de patience, Nathan Budd a permis au papillon qui sommeillait en Touardo Blue de déployer ses ailes. © Sportfot
La seconde partie de cet article sera à découvrir demain sur Studforlife.com…
Photo à la Une : À l'aube de ses douze ans, Touardo Blue s'apprête à écrire les plus belles pages de son histoire. © Tiffany Van Halle








