Le Pôle hippique de Saint-Lô a fait le plein, il y a un peu plus de dix jours, à l’occasion de Salon des étalons, événement incontournable de la filière de l’élevage. Et ce bilan positif, avec près de 7 000 visiteurs estimés, ne peut que réjouir Yann Adam, Directeur du lieu ! Dimanche soir, alors que les stands commençaient à fermer boutique et qu’un dernier verre de l’amitié se mettait en place au milieu de la piste, le sympathique et dynamique technicien a dressé le bilan de ce rendez-vous annuel, qui, d’année en année, grandit, encore et encore. Entre tribunes combles, étalonniers pris d’assaut, éleveurs ravis, retour sur les enseignements de ce rendez-vous unique en son genre.
À chaud, quel bilan tirez-vous de l’édition 2023 du Salon des étalons de Saint-Lô ?
Indécent, c’est ça le mot ? Je n’irai peut-être pas jusque-là, car je ne bénéficie pas de tous les chiffres de l’événement, ni de ceux des étalonniers, même si le nombre de personnes présentes sur le site était un peu indécent ! Le Pôle hippique était particulièrement difficile d’accès, notamment samedi. Le site étant très grand, nous jugeons souvent sa fréquentation par l’état du parking. Cette année, il y avait beaucoup de gens présents dans les écuries. C’est un élément important de cette manifestation. Certains éleveurs ont des approches et appréciations différentes, selon s’ils voient les chevaux en piste ou au box, que cela soit négatif ou positif. Cette proximité, que nous devons conserver, est hyper intéressante. Lorsqu’on se tient en bord de piste, on a la chance de voir passer de grands champions à quelques centimètres de soi ! Nous n’allons peut-être plus appeler cet événement le Salon des étalons, mais bien le Salon de l’élevage. Au-delà des contrats de saillies, énormément de sujets ont été débattus pendant ces trois jours de rassemblement, des problématiques et enjeux de l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïdes, ndlr), en passant par les autres techniques de reproduction, la consanguinité, le nombre de saillies autorisées par étalons, les changements d’affixe, etc. Nombre des préoccupations de la filière ont été abordées ici. C’est aussi pour cela que l’on peut dire qu’il ne s’agit plus seulement d’une question d’étalons. Saint-Lô est aujourd’hui un vrai rendez-vous de l’élevage, très professionnel. Les étalonniers ont beaucoup travaillé, les éleveurs étant venus ici spécifiquement pour choisir des reproducteurs pour leurs juments. D’un point de vue général, je dirais que l’élevage français se porte bien. Il est toujours facile de souligner lorsque rien ne va, mais il faut également parler du phénomène inverse ! Donc, le secteur se porte bien dans l’Hexagone et les chevaux se vendent. La preuve : on se lance dans la reproduction car on est en mesure de commercialiser ses produits par la suite. Il faut surfer sur cette vague.
L’an prochain, nous allons peut-être devoir trouver des espaces supplémentaires ! Des étalonniers, qui n’ont pas osé prendre de stand cette année, m’ont assuré qu’ils le feraient en 2024. Malheureusement, nous ne pouvons pas pousser les murs. Nous allons devoir être inventifs afin de trouver des solutions pour que tout le monde ait sa place. Les points de restauration devront aussi être plus nombreux et variés. Cela manquait cette année, parce que nous avons été un peu surpris d’avoir autant de personnes. Cela a fait travailler les commerçants de la ville, donc tant mieux, mais il nous reste des choses à améliorer. Globalement, on peut quand même dire que nous avons vécu une très belle édition du Salon. Saint-Lô est La Mecque, ou du moins le centre névralgique de l’élevage du cheval de sport en France, et nous l’affirmons haut et fort.
“La présence de nombreux étrangers me fait dire que l’événement présente un intérêt pour tous”
Les passionnés ont été gâtés cette année avec des étalons venus des quatre coins de la France, mais aussi de l’Europe…
Oui, la présence de nombreuses personnes venues de l'étranger me fait dire que nous ne sommes pas trop à côté de la plaque et que l’événement revêt un intérêt pour tous, que ce soit en tant que spectateur ou qu’acteur, en présentant des étalons. Le Holstein amenait des étalons pour la deuxième fois (après la venue de Clarimo en 2019, ndlr), le SBS avait un stand discret à l’étage, et d’autres étaient aussi au rendez-vous (comme le haras VDL ou encore celui des Rosiers, ainsi que les étalons de Grégory Wathelet et Gilles Botton, ndlr). Nous commençons à prendre une dimension plus internationale, peut-être aussi parce que l’élevage français brille un peu partout. Quelque part, il est peut-être envié, parce que nos jeunes chevaux sont scrutés. On ne va pas dire que la génération des six ans présente dans le Masters des étalons était indécente, mais elle était en tout cas très enviable. Cela signifie que l’avenir est bien là pour l’élevage français et pour le Selle Français. Et c’est hyper positif. Lorsque deux étalonniers majeurs (Arnaud Evain, pour le Groupe France Elevage et Sébastien Neyrat pour Béligneux le haras, ndlr) sortent de piste en disant “j’ai tellement bien travaillé que c’en est indécent”, je ne peux qu’être content ! Il faut positiver et regarder le bon côté des choses. Tout le monde était content de se revoir, de se retrouver. La morte saison a, malgré tout, été longue. Et, à part Bordeaux, où les gens ont pu se réunir dans un autre contexte, il n’y a pas eu énormément d'occasions, d’autant que le Jumping de Bordeaux n’est pas spécifiquement dédié à l’élevage. À Saint-Lô, on sent vraiment une envie de partager, d’échanger et de confronter des opinions. Cela peut donc nous orienter, pour proposer une autre approche sur les questions techniques. Cela m’intéresse beaucoup et les gens étaient demandeurs. Les Assemblées Générales qui se sont déroulées vendredi ont été le témoin et la tribune de cela.
Avez-vous des premières pistes pour concrétiser et formaliser ces volontés de partager et de discuter de thématiques plus générales touchant le monde de l’élevage ?
Nous allons peut-être nous orienter vers un côté séminaire technique pour ce genre de sujets, comme pour l’ICSI que j’ai évoquée, par exemple. Nous l’avons déjà fait pour le salon du trot en Normandie, qui a eu lieu ici, il y a quinze jours (entretien réalisé dimanche 19 février, ndlr). En amont, nous proposons aux éleveurs de se réunir un peu plus tôt, afin d’échanger sur des points plus techniques. Nous en avons tous besoin de reparler des fondamentaux, d’alimentation, de reproduction, de sanitaire pour continuer à faire évoluer les élevages. Cela peut-être une voie intéressante à explorer en complément. Je pense que la formule du salon fonctionne, donc nous n’allons pas la changer.
Cette année, le Salon de Saint-Lô est réellement devenu unique après la non-reconduction de la partie élevage du Jumping International de Bordeaux. Cela le rend encore plus important…
Il l’était presque déjà, mais il est vraiment devenu le rendez-vous de l’élevage. Et je me plais à dire que nous allons peut-être l’appeler le Salon de l’élevage ! (rires)
“Lorsqu’un jeune cheval fait un beau parcours, nous aimerions que le public s’enthousiasme davantage”
Comme toujours, le public était présent en nombre. Quel regard portez-vous sur l’ambiance de ces trois journées de manifestation ?
J’ai été très agréablement surpris de voir autant de monde vendredi soir ! Les gens étaient là pour ces épreuves de jeunes chevaux spécifiquement. Ils ne sont pas venus par hasard, puisqu’il s’agissait quasiment uniquement de professionnels. J’ai le sentiment que les gens viennent de plus en plus tôt, en arrivant dès le vendredi. À l’inverse, ils repartent peut-être un peu plus tôt le dimanche. Cette journée-là a peut-être été plus creuse. Nous avons voulu organiser la parade des grands sires dimanche soir (il y en avait également une samedi soir, où, entre autres, Nevados S et Quabri de l’Isle ont été présentés et récompensés, ndlr). Il est peut-être compliqué de clôturer l’événement et d’être le dernier. Il y a peut-être des choses à revoir à ce sujet. Pour les jeunes, nous aimerions voir un peu plus de spectacle, de mise en valeur et de chaleur. C’est un point un peu plus négatif, en tout cas que nous devons améliorer, que je retiens. Il y a très peu d’applaudissements et nous ne ressentons pas vraiment de ferveur. Bien sûr, nous avons à faire à des professionnels en tribunes, qui connaissent et apprécient les prestations, mais lorsqu’un jeune cheval fait un beau parcours, nous aimerions que le public s’enthousiasme davantage et encourage les étalons. L’idée serait d’avoir davantage ce côté partage et échange qu’il peut y avoir sur un concours classique, où les gens n’hésitent pas à s’exprimer lorsqu’ils voient quelque chose de beau et réussi. Lorsque Quabri de l’Isle revient à ses premières amours, pratiquement là où il a été conçu, aux côtés de son naisseur, qui était présent, un peu plus de chaleur n’aurait pas fait de mal. Peut-être que nous ne savons pas faire passer cela. Pourtant, nous avons de super speakers (Alison Drummond, Jérémy Chaix et Alexandre Depagne, ndlr), qui parviennent à nous faire hérisser le poil sur les bras, mais peut-être que les gens sont tellement habitués à voir cela qu’ils s’expriment moins.
Peut-être craignent-ils aussi une réaction de la part des jeunes, peu habitués à évoluer dans un environnement aussi impressionnant ?
Oui, peut-être aussi, mais ce n’est pas du horse ball non plus. Il ne faut pas exagérer, mais parfois, on aimerait un peu plus de reconnaissance. Les gens partent dès la remise des prix commencée. Ce n’est pas inhabituel et nous ne sommes pas surpris, mais cela reste regrettable. On aimerait un peu plus d’encouragement, de respect pour les chevaux, les étalonniers et les éleveurs. Amener ces étalons jusque-là demande du travail ! Plusieurs personnes m’ont fait savoir qu’ils n’avaient pas senti de vraie ferveur.
Pour le barrage du Grand Match, samedi soir, l’ambiance était quand même plus dynamique et bruyante…
Oui, parce qu’il s’agit d’un barrage, parce que c’est spectaculaire et que nous avions quand même des chevaux de niveau 5* qui y participaient. Vangog (du Mas Garnier, ndlr) n’est pas n’importe qui ! Il a gagné un Grand Prix 5* et était encore quatrième (d’une épreuve à 1,50m, ndlr) à Bordeaux. Concernant les jeunes, nous apprécierions plus de mise en valeur. Nous avons discuté avec le Stud-book (Selle Français, ndlr) sur les évolutions à apporter. Cela en fait partie. Nous pouvons travailler davantage sur les notes, et quelque chose de plus marquant lors de leur remise (actuellement, les notes apparaissent sur l’écran géant quelques secondes après la fin de parcours de chaque candidat, ndlr), afin de les partager au mieux avec le public. Il y a toujours des choses à faire évoluer, mais, globalement, nous maîtrisons bien ce format. Je suis heureux lorsque nos partenaires, l’ensemble des étalonniers et des personnes présentes sur les stands, sont satisfaits. C’est ça, notre objectif. On n’organise pas ce salon pour nous faire plaisir. Nous allons partir dès demain sur un autre événement, le hall va se vider et mercredi nous aurons un nouveau concours jeunes chevaux sur cette piste. Notre rôle est d’être au service de la filière, d’en faire la promotion et de permettre à ses membres de travailler. Nous avons tout gagné lorsque nous obtenons cela. Et j’espère que cela leur donne envie de revenir !
“La gratuité du Salon est importante”
La construction des parcours, notamment celui de vendredi, destinés aux chevaux de quatre, cinq et six ans, qui débutent leurs saisons dans la classe d’âge supérieure, a posé quelques questions, certains la jugeant pas assez adaptée. Quel regard portez-vous sur le sujet ?
C’est une question délicate. La piste est petite. Il y a peut-être des façons de faire (la mise en place de deux lignes d’obstacles a notamment été suggérée ci et là, ndlr). Vendredi, pour le pot des éleveurs, nous avions raccourci la piste afin de permettre à tout le monde de se rassembler. Nous pouvons peut-être travailler sur une piste plus large, qui permette aux jeunes de faire de plus grandes courbes et d’être moins serrés. À leur âge, ils peuvent être surpris par des obstacles qui arrivent rapidement. Nous avons agrandi l’allée afin de permettre une meilleure circulation du public, mais, le mètre que nous avons gagné d’un côté a été perdu de l’autre. Donc, effectivement, il y aurait peut-être la possibilité d’agrandir cette piste le vendredi soir pour permettre aux étalons d’être plus à l’aise, tout en leur proposant un parcours plus fluide pour eux.
Avez-vous une première estimation chiffrée de la fréquentation pour cette édition 2023 ?
En cumulé, je dirai qu’il y a eu 7 000 personnes, parmi lesquelles certaines sont revenues plusieurs fois. Je suis sûr qu’il n’y a pas eu 45 000 visiteurs, comme j’ai pu l’entendre à table ! (rires) La jauge ici est à 3 000, et il y avait beaucoup de gens aux boxes. Nous estimons la fréquentation par rapport aux parkings, qui ont débordé, de façon similaire à ce à quoi nous pouvons assister lors du Normandie Horse Show, notamment le dimanche, jour de Grand Prix, où 5 000 personnes sont présentes autour de la carrière. L’entrée étant gratuite, nous n’avons donc pas de moyen pour effectuer un décompte précis. Toutefois, la gratuité du Salon est importante. On m’a demandé pourquoi nous ne faisions pas payer les visiteurs. Mais Saint-Lô, c’est le salon de tout le monde. Je préfère que les éleveurs achètent des saillies plutôt qu’un billet à 5€ ! Nous avons trouvé l’équilibre économique de l’événement. Ce dernier doit rester accessible et ouvert à tous. L’objectif n’est pas de vendre des entrées, même à prix modique. Le fait que le Salon se déroule pendant les vacances scolaires a également un effet positif sur la disponibilité des gens. Il ne faut pas que ce soit beaucoup plus tard, parce qu’on sent que la saison va démarrer, et nous commençons à avoir la concurrence des tournées du soleil du côté des cavaliers. Le stud-book Zangersheide a également lancé son propre événement en même temps, avec un CSI 4* et d’autres choses autour.
Mais, à en voir les tribunes pleines à craquer, Saint-Lô n’a pas souffert de cette concurrence !
Nous sommes présents sur cette date depuis des années. Zangersheide organise un nouvel événement, qu’ils viennent de créer. Je ne suis pas sûr que décaler leur rendez-vous d’une semaine, avant ou après Saint-Lô, aurait gêné grand monde. En tout cas, je ne cherche pas la polémique. Nous n’avons simplement pas vu beaucoup d’étalons Z ! (rires) Il y en a quand même quelques-uns. En tout cas, nous sommes dans la bonne période pour organiser le Salon, pendant la pré-saison. Début mars, tout le monde va partir à droite et à gauche et la saison de monte sera vraiment lancée. Mi-février, nous approchons du but, les choix sont faits en général, et il faut les confirmés ou les infirmés. En revanche, il y a tellement d’étalons présents sur place que certains repartent avec des nœuds dans la tête, soit parce qu’ils ne savent toujours pas ou pire, parce qu’ils savent encore moins qu’avant ! Le choix des étalons suscite tellement d’interrogations. Les choix d’aujourd’hui porteront leurs fruits seulement dans quelques années. C’est ça, la génétique. En tout cas, nous devons rester présents. Nous allons également essayer de mieux organiser l’accueil du public étranger. Lorsqu’on arrive sur un événement que l’on ne connaît pas, on ne sait pas qu’il faut réserver une place au restaurant, etc. Nous l’avions fait par le passé. À l’entrée, nous proposions spécifiquement aux gens qui ne connaissaient pas l’événement de leur indiquer comment fonctionnait l’outil et toutes les commodités présentes sur le site. C’est peut-être un élément à creuser. Cela pourrait aussi passer par une visite de groupe, une explication sur la race, etc. Nous avons croisé des Belges, des Luxembourgeois cette année. Ils connaissent le Salon, mais pas tous les détails inhérents à l’événement. Nous allons également travailler sur une communication plus européenne, comme nous avions pu le faire avant l’arrivée du Covid. Je pense que nous sommes mûrs pour cela. En tout cas, nous sommes très heureux de cette édition et nous donnons rendez-vous pour la prochaine édition, même date, même heure !
Crédit photo : © Mélina Massias. Photo à la Une : Yann Adam.