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Roméo des Aigles, un Pur-Sang pas tout à fait comme les autres

Roméo des Aigles approbation Zangersheide Deauville.
Elevage samedi 18 mars 2023 Mélina Massias

À Deauville, le week-end dernier, l’approbation d’étalons organisée par le stud-book Zangersheide a accueilli un candidat singulier, mais non moins talentueux. Roméo des Aigles, né chez Benoît Deschamp, a été présenté par Mathieu Coutin, éleveur, cavalier, marchand et propriétaire du gris. Issu d’un père ayant disputé des courses de haies, le bien nommé Roméo remet l’utilisation de mâles Pur-Sang dans l’élevage de chevaux de jumping ou de complet un peu plus sur le devant de la scène.

Des observateurs avertis ont salué, samedi 11 mars, le courage et l’audace de Mathieu Coutin. Le week-end dernier, le cavalier, éleveur et marchand installé non loin de Saumur, dans le Maine-et-Loire, a présenté un cheval pas tout à fait comme les autres à l’approbation du stud-book Zangersheide organisée à Deauville. Exempt des courants de sang désormais si communs de Diamant de Semilly, Kannan, Chacco-Blue et autres Cornet Obolensky (ex Windows vh Costersveld), son protégé, âgé de quatre ans n’est autre qu’un… Pur-Sang ! S’il n’a pas été retenu par le jury pour la seconde phase de sélection, malgré une première prestation sans fausse note sur les barres, le gris aura eu le mérite d’attirer l’attention et d’amener une réflexion sur le retour du sang pur dans les croisements de demain.

Roméo au modèle à Deauville. © Pixels Events

Né chez Benoît Deschamps, à Hudimesnil, près de Saint Martin de Bréhal, de l’union entre Quick Martin et Cyrna des Aigles, une fille de Confuchias, Roméo des Aigles a grandi chez Mathieu Coutin, son propriétaire. “Benoît Deschamps est un ami avec qui je travaille. Il est notamment le naisseur de Cirrus des Aigles (lauréat de vingt-deux courses, récompensé par plus de sept millions d’euros de gains en carrière et dont Yvon Lelimouzin est également le co-naisseur, ndlr), qui a été entraîné par Corinne Barbe et a fait la renommée de son élevage. Un jour, nous étions en vacances chez Benoît et il avait mis énormément de juments à la saillie. Il était un peu dépassé, alors, j’ai acheté une quinzaine de chevaux chez lui. Dans le lot, il y avait Roméo des Aigles. La sœur de sa mère, Cyrna des Aigles, s’appelle Kissmi des Aigles et est une cousine de Cirrus des Aigles. Parmi les chevaux que j’ai achetés, j’en ai revendu certains, en tant que juments porteuses, etc. Cyrna et Roméo me plaisaient bien, donc je les ai conservés. Comme il était gentil, nous l’avons gardé entier et l’avons laissé vivre sans pression avec nos autres mâles, à l’herbe Et puis, lorsqu’il a fallu le débourrer à trois ans, j’ai trouvé qu’il avait bien changé, bien évolué”, débute le formateur. “Roméo bouge comme un roi, il trotte vraiment bien lorsqu’il est relâché. Je n’ai pas remis sa mère mère à la reproduction ces deux dernières années, puisque je souhaitais voir comment évoluait Roméo d’abord. J’ai également conservé une autre jument de l’élevage des Aigles, Éclair, une petite-fille de Garde Royale, lui-même descendant de Mill Reef.”



Roméo lors d'une séance d'entraînement en liberté. © Collection privée



Apporter du sang, du tissu et susciter une réflexion

Une fois sous la selle, le polyvalent Pur-Sang semble ne laisser personne indifférent. “Nous adorons Roméo, il est vraiment top. Quand les gens le voient, ils sont toujours interloqués positivement. Nos copains qui ont eu l’occasion de le monter s’accordent à dire qu’il est génial”, reprend Mathieu Coutin. Entraîné dans le mouvement, le gris suit alors ses voisins d’écuries et participe à plusieurs séances de saut, dans diverses écuries. Remarquant “un truc sympa” chez son protégé, le cavalier multi-casquettes décide de tenter sa chance lors de l’approbation Zangersheide. “Nous allions à Deauville avec d’autres chevaux (Amstrong, Armani van Overis x Ulahop Boy et Tango des Cèdres, Tangelo vd Zuuthoeve x Tygo, ndlr), donc nous l’avons emmené aussi. C’était avant tout une conviction d’éleveur. J’élève des chevaux depuis vingt-cinq, trente ans. Mon but et ma volonté sont de ramener du chic, du tissu, de la sensibilité, de la franchise, de la frappe et de la dureté. J’élève des chevaux de concours, mais aussi des Pur-Sang, et je fais du commerce. Les Pur-Sangs se donnent à 300% et qu’ils sont tout le temps dans le rouge lorsqu’ils courent. Après, les gens les catégorisent en disant qu’ils sont bêtes ou difficiles, mais, souvent, cela est simplement lié au fait qu’ils ont mal”, souligne-t-il. 

Roméo en action, samedi, lors de la première phase de l'approbation Zangersheide. © Pixels Events

Finalement, même si Roméo n’a pas décroché son approbation, Mathieu Coutin reste optimiste et sûr de ses convictions. “Ce n’est pas toujours facile de présenter un Pur-Sang, d’autant que celui-ci s’entraîne aussi à courir. Je l’ai préservé, nous prenons notre temps avec lui, mais on ressent des choses extraordinaires sur son dos par rapport à un Selle Français classique ou à un autre cheval étranger”, reprend l’éleveur. “Il était un peu à plat à Deauville, et peut-être que le fait de le repasser davantage au pas l’aurait aidé. Dans tous les cas, on ne peut pas le juger comme un représentant des stud-books habituels, qui aurait eu une tout autre préparation. Il ne s’est pas présenté au mieux là-bas et a fait de meilleures séances à la maison ; les Pur-Sangs restent malgré tout sensibles. En tout cas, Roméo a fait son travail : il n’a pas touché une barre, plie les antérieurs, éjecte bien le dos, etc. Les Pur-Sang demandent peut-être un peu plus de temps aussi. Ma démarche relevait avant tout d’un plaisir d’élevage. Roméo méritait de tenter sa chance. En le montant, je me suis dit que j’avais envie de lui confier des juments, tout simplement. Au-delà de cela, j’étais content de présenter un Pur-Sang, parce que cela a choqué, interpellé les gens.”

Roméo en toute quiétude dans ses prairies angevines. © Collection privée



Retour aux sources ?

D’ailleurs, Mathieu Coutin va peut-être franchir le cap et confier à son adorable gris une ou deux juments, dès cette saison. “Si c’est le cas, rendez-vous dans sept ans ! (rires)”, lance l’heureux propriétaire. De fait, les poulains naîtraient Origines constatées et pourraient, par la suite, prétendre à devenir Selle Français à titre initial, moyennant une participation en concours de modèle et allures et quelques centaines d’euros. Un pari et un investissement qui en valent peut-être la chandelle, tant l’influence du Pur-Sang a fait des merveilles par le passé. “Ma conviction, à terme, serait de refaire quelques Pur-Sang destinés au saut d’obstacles”, développe Mathieu Coutin. “Cela permettrait de ramener le tissu qu’ont par exemple les chevaux allemands. Dans le stud-book Holstein, l’influence du Pur-Sang n’est plus à prouver. L’élevage belge, qui a beaucoup évolué, alors qu’un certain nombre de ses représentants étaient lourds ou avaient le dos relâché, a ramené un tissu hors pair. Et puis, surtout, nous avons eu des cracks en croisant nos belles Demi-Sang de l’époque avec des chevaux comme Rantzau, Lionel, ou Laudanum.”

Quick Martin, le père de Roméo des Aigles. © Scoopdyga

Ces courants de sang, tout comme ceux de Ladykiller, Furioso, Fra Diavolo, Orange Peel et consort, bien qu’anciens, sont toujours recherchés dans l’élevage moderne, de même que les bonnes souches anglo-arabes. “Les Pur-Sang ont, certes, cinq vitesses, dont une qui les met plus à plat et dont ils se servent notamment en course, mais ils sautent sans perdre de temps. C’était typiquement le cas d’Herald III, qui présente le pedigree d’un AQPS et a évolué jusqu’en Grands Prix avec Pilar Lucrecia Cordon et Eric Lamaze”, ajoute le passionné. “En allant à Deauville, j'espérais aussi attirer le regard de nos voisins du Benelux, qui peuvent être intéressés par ce type de cheval. Je pense que Roméo va ramener de la réactivité. Aujourd’hui nous avons aussi besoin de redonner de la trempe, de la dureté. Et ce ne sont pas les étrangers qui vont nous apporter cela. Les chevaux comme les Pur-Sangs apportent de la tension dans le dos grâce à leur locomotion, tout simplement. Ils avancent naturellement, donc l’équitation devient plus simple. Il n’y a plus besoin de tirer pour avoir le dos en place et de monter avec de gros éperons.”

Roméo dans le rond d'Havrincourt de Deauville. © Pixels Events

Pour Mathieu Coudin, pas de doute. “Il y a un avenir pour le Pur-Sang”, assure-t-il. “J’ai déjà utilisé des mères Pur-Sang, qui m’ont donné de très bons chevaux, vendus par la suite aux Etats-Unis ou en Angleterre. J’ai également de très bonnes souches AQPS, mais nous sommes obligés d’utiliser aussi des étalons de sport reconnus afin de vendre les foals. Sinon, cela devient plus compliqué. À haut niveau, il y a de plus en plus de chevaux avec des papiers longs comme le bras. C’est une forme de nouveau monde, auquel il faut aussi savoir s’adapter. Mais le recours aux Pur-Sang reste une conviction pour nous. D’ailleurs, je vais croiser la mère de Roméo à un Pur-Sang arabe, afin d’obtenir un Anglo-Arabe avec 50% de sang. Par exemple, l’un des reproducteurs les plus influents en Belgique a été Lys de Darmen, un petit-fils de l’Anglo Pancho II, un petit cheval qui sautait 1,25m. Je vais donc utiliser un étalon chez qui on retrouve Massondo, qui a donné Zandor, Ryon d’Anzex et de grandes souches et lignées. Maintenant, est-ce que cela va porter ses fruits ou non, je ne sais pas. Toujours est-il que pour gagner sa vie, il faut avant tout respecter sa matière première. Et puis, si l’on veut fabriquer un bon cheval, il faut qu’il trouve le bon cavalier, et qu’il soit aimé.”

Roméo. © Collection privée



Pour les amateurs de Selle Français dits “Originels”, l’apport du sang de bons Pur-Sangs serait aussi une aubaine, tant les croisements, en dehors de l’omniprésence de quelques grands noms, peuvent s’avérer difficiles. Pour autant, l’idée de revenir à ce type de croisement fait peut-être son chemin chez certains. S’ils ne sont pas légions, les défenseurs de telles initiatives continuent de se mobiliser, comme a pu le faire un certain Xavier Leredde en présentant, justement, un Pur-Sang au salon des étalons de Saint-Lô ! Une première depuis bien longtemps.

L'adorable Roméo. © Pixels Events

Des possibilités multiples pour l’avenir

Après cette expérience en terres normandes, les regards se tournent vers l’avenir pour Roméo des Aigles. Evoluera-t-il en saut d’obstacles, avec l’espoir d’obtenir son approbation sur performances lors d’une Grande Semaine de l’élevage à Fontainebleau ces prochaines années, s’illustrera-t-il sur les champs de course ou bien en concours complet ? Face à son panel de qualités, Mathieu Coutin a l’embarras du choix. “Je travaille beaucoup avec Nicolas Touzaint, Jean Teulère, etc. Roméo pourrait, de fait, être orienté vers le concours complet. Il pourrait aussi courir en fin d’année car c’est un vrai cheval d’Auteuil ! On ne sait pas trop. Pour l’instant nous nous adaptons au jour le jour. Une chose est sûre : la passion du cheval primera toujours”, révèle le propriétaire du gris. Pas question, donc, de précipiter une quelconque participation en concours. “Dans notre système, nous aimons prendre notre temps. Avec les quatre ans, nous prenons part à trois ou quatre parcours, puis les remettons à l’herbe. Notre ferme et nos cent hectares d’herbe nous le permettent. Nous faisons également notre foin, notre avoine, notre fenugrec, notre orge et notre luzerne. C’est aussi un plaisir, puisque nous savons exactement ce que nous donnons à nos équidés. Aller en concours alors que nos chevaux sont fatigués ne sert à rien, puisque cela signifie que leur physique n’est pas prêt. Nous les dressons à la maison, les rendons légers et à l’écoute, sans courir après les performances en compétition.”

En attendant d'embrasser sa future carrière sportive, Roméo profite d'une vraie vie de cheval. © Collection privée

Gageons désormais que la suite permette à Roméo des Aigles de trouver sa voie, qu’elle soit sur les champs de courses ou sur les terrains de saut d’obstacles. Qui sait, peut-être que de belles choses l’attendent à l’élevage ou dans le sport. “La magie de notre sport réside dans les rencontres et les chevaux, qui nous permettent d’être bons”, ajoute Mathieu Coutin. “Si on tombe dans la bonne chaîne, auprès de personnes qui partagent tes envies, cela peut mener à de belles histoires et nous propulser là où on n’aurait jamais cru arriver.”

Photo à la Une : Roméo des Aigles lors de sa présentation à Deauville pour l’approbation Zangersheide. © Pixels Events