Avec patience, Dejan Krunic se fait peu à peu une place au sein du microcosme du cheval de sport, à force de travail et d’investissement, à défaut de coups d’éclats tonitruants mais trop vite éphémères. Discret, cet homme d’affaires à la tête bien faite a choisi de partager sa vie entre ses obligations professionnelles aux Etats-Unis et la concrétisation de sa passion pour le cheval, grâce au développement de son élevage “DKS” en France. Rencontre avec ce “citoyen du monde”, comme il se définit lui-même.
Les première et deuxième parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.
Dans ses choix d’étalons, un critère prime toujours pour Dejan Krunic. “Peu importe les résultats, la génétique... si un étalon ne me plait pas malgré le fait d’être irréprochable sur le papier, je ne l'utiliserai pas. Ensuite, j’essaie de rester raisonné dans mes plans de monte. J'ai tendance à aimer les juments pleines de sang, très électriques. Par conséquent, je choisis généralement des étalons qui apportent de la force, de la taille et des moyens. Cela explique pourquoi j’utilise des mâles que certains qualifieraient ‘d’ancienne mode’, comme Darco, Nimmerdor, Cumano ou encore Baloubet du Rouet. Ces étalons ont prouvé leurs qualités de pères à maintes reprises en produisant de très bons chevaux de sport. De plus, j'ai quelques considérations d’ordres purement pratiques lorsqu'il s'agit de choisir un étalon. Vivant majoritairement aux États-Unis, mon temps passé en Europe m’est compté. Je n'ai tout simplement pas la possibilité de me rendre sur suffisamment de compétitions réservées aux jeunes chevaux pour voir en action de jeunes étalons, ou la descendance d’étalons en devenir. Je dois ainsi avouer que je n'ai jamais pu assister en personne au Salon des étalons de Saint-Lô, car à cette période de l’année, il m’est impossible de quitter Houston. Cela explique aussi pourquoi je préfère les étalons confirmés, comme Diamant de Semilly, Kannan ou encore Kashmir van Schuttershof, car nous avons aujourd’hui assez de recul sur leur production pour savoir les croiser. Néanmoins, il peut m’arriver d’utiliser de jeunes étalons. Mais dans ce cas, je privilégie en premier lieu ceux issus de mon propre élevage, comme Ekano DKS*Semilly, Hanley DKS et Belgrade DKS”, justifie l’Américain d’adoption. Pour preuve, la naissance en 2019 d’une pouliche baptisée Jolie Girl DKS, issue du croisement entre Ekano DKS et Top Girl Kervec, fille de Jolie Girl Kervec, matrone de l’élevage français, apportant le sang recherché de Fragance de Chalus, mère, entre autres, du populaire Mylord Carthago.
“Ce n’est pas toujours simple de céder un poulain prometteur…”
Bien qu’aspirant à conserver dans son programme d’élevage quelques pouliches triées sur le volet, la majorité de la production DKS est à vendre. “Notre superficie étant limitée, nous nous efforçons de nous concentrer sur la vente de nos meilleurs poulains et jeunes chevaux à des cavaliers ou propriétaires qui sauront au mieux mettre en avant leurs capacités sportives. Il est vrai que ce n’est pas toujours simple de céder un poulain prometteur mais ces dernières années, plusieurs de nos chevaux ont eu la chance de partir chez des cavaliers de renom comme Grégory Wathelet, Pénélope Leprévost, ou Nick Skelton et Laura Kraut, ce qui représente pour moi de réelles satisfactions. Après, de façon plus globale, nous vendons principalement en Europe, car le commerce de jeunes chevaux est plus facile ici, contrairement aux États-Unis, où la clientèle recherche des chevaux dressés. Là-bas, les coûts de production d’un poulain sont tels que les Américains préfèrent acheter des chevaux plus âgés”, avoue l’éleveur. “Toujours en matière de commercialisation, nous avons déjà inscrit des embryons à des ventes aux enchères à plusieurs reprises, avec un certain succès. Cependant, en tant qu'éleveurs, nous aimons voir et juger nos produits. Bien évidemment, la vente d'embryons en ligne ne le permet pas. Il est, certes, agréable d'avoir un retour rapide sur l’investissement que représente la vente d’un embryon, mais quand on croit en ses produits, comme c’est mon cas, il est davantage appréciable de pouvoir les voir naître et les garder un peu plus longtemps. Afin de pouvoir pallier cette constatation, je m’active à trouver des solutions afin d’augmenter la surface en prairie du haras pour ne plus avoir à vendre systématiquement très jeune.”
Quant à savoir si l’homme est friand d’achats pour son compte sur le web, sa réponse est tempérée. “En enfilant ma casquette d’acheteur, j’avoue être toujours à l'affût de belles opportunités. J'ai déjà enchéri sur de nombreux embryons et poulains et c’est ainsi que j’ai pu acquérir des juments comme Hacienda van de Molendreef. Les ventes aux enchères sur le web ont leur place dans notre secteur, c’est indéniable. Mais aujourd’hui, elles sont, à mon sens, beaucoup trop nombreuses”, appuie Dejan. “J’ai d’ailleurs le sentiment que les acheteurs commencent à se rendre compte que l'achat d'un embryon, même issu d'une lignée de juments célèbres, est plus risqué et plus coûteux que l'achat d'un jeune cheval en bonne santé. Mais il faut aussi reconnaître que le prix du rêve n’est pas définissable et des sommes exorbitantes continueront d’être enregistrées !”
“Mon objectif final est de pouvoir assurer la valorisation de nos produits directement à l’élevage”
Concernant la valorisation des quelques produits qui ne sont pas vendus foals, Dejan tient à leur dispenser une formation solide. Ainsi, de nombreuses collaborations avec des professionnels établis ont vu le jour, en France, avec Allan Pacha, Romain Bourdoncle et Axelle Lagoubie, comme à l’étranger, via Amy Graham ou encore Ugrin Stanojevic. “Ces dernières années, j'ai également travaillé avec le haras de Hus, tant au niveau de l'élevage que de l'entraînement des jeunes chevaux, en mobilisant Gilles Botton”, complète le passionné multi-casquettes. “Je cherchais un cavalier capable de donner une éducation solide et systématique, sur le plat et à l'obstacle, à mes jeunes chevaux. J’apprécie depuis longtemps le travail de Gilles, qui, pour moi, s'intéresse de près au développement des aptitudes des jeunes chevaux sans se contenter de les faire sauter sur leurs facilités. Je l'ai contacté et c'est ainsi que plusieurs de mes chevaux sont arrivés au travail au haras de Hus. Lorsque je lui ai envoyé Belgrade DKS, il a tout de suite identifié un vrai potentiel chez ce cheval et en a parlé à son ami Grégory Wathelet. Grégory est venu le voir et l’a acheté dans la foulée. Cette vente m’a permis de rencontrer Grégory et, par la suite, de faire la connaissance de Manuel Thiry, son cavalier. Actuellement, Gilly Express DKS, sept ans, est au travail sous la selle de Manuel. Ombre de Quidam DKS, neuf ans, a été confiée à Gilles, comme Jellybean DKS, la propre sœur d’Ekano et Hanley, âgée de quatre ans. Enfin Lilly Express DKS, douze ans, évolue en Allemagne avec le jeune cavalier serbe Ugrin Stanojevic. Concernant nos autres chevaux ayant pris quatre ans cette année, ils travaillent pour l’heure à Fromentières. Lorsqu'ils seront prêts, ils commenceront à concourir. Mon objectif final, à moyen terme, est de pouvoir assurer la valorisation de nos produits directement à l’élevage. Jusqu'à présent, notre exploitation a été quasi exclusivement consacrée à l'élevage, mais j’aimerais dans un futur plus ou moins proche être capable de produire un cheval de sport de sa conception à ses premières sorties en compétition. Ce serait la continuité de ce que nous avons commencé à construire avec le développement de cet élevage. De plus, cela irait de pair avec notre envie de nous installer définitivement en France.”
Sans le moindre doute, le cheval est une passion virale et vitale pour laquelle Dejan Krunic n’a trouvé pour tout remède que de s’y investir pleinement, sans retenue ni demi-mesure. Après tout, comme l’écrivait Oscar Wilde, “le seul moyen de se délivrer d'une tentation est d'y céder”.
Photo à la Une : Ekano DKS sous la selle de Reynald Angot à Fontainebleau. © Mélina Massias