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“J’aime que mes chevaux soient bien dans leur tête”, Béatrice Drigeard Desgarnier (2/2)

Eté de la Mûre Mr Boombastic Denis Lynch Bordeaux
mardi 6 juin 2023 Mélina Massias

De l’insémination à la formation des jeunes chevaux, en passant par le transfert d’embryon et les poulinages, tout est fait maison à l’élevage de la Mûre. Non loin de Saint-Etienne, dans la Loire, Béatrice Drigeard Desgarnier et sa fille, Adeline Morel, travaillent main dans la main pour produire les cracks de demain. Véritablement démarré au tournant des années 2010, le cœur de l’activité de ses deux passionnées qui ne comptent pas leur temps est placé sous le signe du respect des besoins physiologiques et psychiques des équidés. Et cela paie. Avec Enjoy et Été de la Mûre, ses deux meilleurs représentants, l’affixe ligérien débarque en force sur la scène internationale. Si proche de son objectif d’excellence, la paire féminine n’entend pas arrêter ses efforts en si bon chemin.

La première partie de cet article est à (re)lire ici.

Si l’élevage de la Mûre a connu de belles réussites avec plusieurs souches - le Selle Français Originel Amant de la Mûre (Diamant de Semilly x Veneur d’Etenclin), récent vainqueur de l’épreuve des Six Barres du CSI 4* de Bourg-en-Bresse après avoir franchi sans encombre 1,86m en étant la preuve, tout comme Api Lulu de la Mûre (L’Arc de Triomphe x Windsor), classé en CCI et CIC 1* en 2017 avec Maxime Livio puis exporté en Allemagne où il évolue jusqu’en CCI 3*-S, et Darkness de la Mûre (Jaguar Mail x Yarlands Summer Song), partenaire de la cavalière amateur Cécile Aiglehoux -, la lignée de Carmen reste la plus intéressante de la structure. “Il s’agit vraiment de notre souche principale, que nous exploitons avec elle, mais aussi ses filles et ses fils”, assure Béatrice Drigeard Desgarnier, qui reste toujours à l’affût d’une bonne opportunité pour diversifier le patrimoine génétique de son élevage. “Nous n’avons pas des moyens de milliardaires. Alors, j’essaye de faire des échanges d’embryons avec d’autres éleveurs, qui ont des juments qui me plaisent. Souvent, dans ces cas-là, nous avons eu des mâles, alors que nous avons généralement beaucoup de femelles (rires). J’ai également acheté un embryon dont les origines m’intéressaient. J’ai eu plus de chance et obtenu une femelle (Lavande de la Mure, Number One d’Iso x Urbain du Monnai, ndlr), qui a désormais deux ans. Sa mère (Lavande de l’Isle, ndlr) est une sœur de Quabri de l’Isle (Kannan x Socrate de Chivré, brillant complice de Pedro Veniss au plus haut niveau, ndlr) et a performé jusqu’à 1,50m. Nous avons quelques autres souches, qui ne sont pas très connues mais fonctionnent bien. L’avenir nous dira si cela va continuer.”

L'excellente Carmen est la meilleure reproductrice de l'élevage de la Mûre, mais pas la seule ! © Sportfot

Amant de la Mûre est issu d'une autre souche que celle de Carmen et s'est envolé sans mal au-dessus d'un vertical à 1,86m à Bourg-en-Bresse, avec Johanne Poisson. © Jumping International de Bourg-en-Bresse



Forte de son succès en jumping, qui reste la discipline de prédilection de ses protégés, la passionnée s’est également essayée à produire des chevaux destinés au complet, mais aussi au dressage, ainsi que des poneys ! Le tout, avec toujours une certaine réussite. “J’avais conservé la souche d’une jument de mon premier élevage de Pur-Sang et AQPS, qui m’a donné plusieurs chevaux de concours complet. Cela me fait super plaisir de voir certains produits bien évoluer dans cette discipline. Je suis ravie, bien que j’aie fini par céder la poulinière que j’avais, ne maîtrisant pas assez ce domaine. Concernant les poneys, il s’agit principalement de la descendance de la ponette de ma fille (Lolipop de l’Astrée, ndlr). Nous avons encore quatre poneys à la maison ! Nous ne la faisons plus saillir, mais elle a encore eu une pouliche l’année dernière, donc nous garderons la souche. Enfin, en ce qui concerne le dressage, c’est du pur hasard, un peu à l’image de mon histoire ! Le dressage n’est pas vraiment mon truc. Je fais donc naître et élève des chevaux jusqu’à trois ans, puis je collabore avec une jeune femme, Mélissa Huguet, qui est spécialisée dans la discipline. L’un de nos produits (Faramir de la Mûre, ndlr), qui montre de belles aptitudes et dont nous sommes toujours co-propriétaires, est d’ailleurs chez le cavalier olympique Pierre Volla. Encore une fois, j’avais récupéré la mère de ce cheval sans que cela ne soit prémédité ! En tout cas, cela me plaît de continuer à faire naître des poulains pour le dressage, parce que ce sont de beaux chevaux. Je suis un peu moins à l’aise pour choisir les étalons, mais j’essaye toujours de trouver des croisements me permettant d’inscrire les poulains au Selle Français. Je suis assez diversifiée dans l’élevage, c’est un peu bizarre (rires). Mais le saut d’obstacles reste le cœur de notre activité”, éclaire Béatrice. “Lorsqu’on essaye de bien croiser, de faire naître de bons produits et de les valoriser au mieux, cela porte ses fruits.”

Le jeune Frimeur de la Mûre, huit ans, est un fils de Lolipop de la Mûre et évolue jusqu'en As Poney 1 avec Eliza Richard. © Agence EcaryEncore en formation, dans l'ombre, Faramir de la Mûre laisse Pierre Volla rêveur. © Collection privée

De A à Z

Pour mener à bien son activité, la Ligérienne a mis en place un fonctionnement raisonné et bien rodé. Épaulée par ses quatre filles, principalement par Adeline Morel, qui assure la formation de tous les jeunes chevaux de l’élevage, Béatrice a les idées claires. “Nous faisons une bonne équipe ! Si j’étais toute seule, je ne sais pas si l’élevage en serait là. Mes autres filles peuvent aussi me donner un coup de main au besoin, mais ne travaillent pas à proprement parler avec nous. Adeline monte essentiellement les jeunes chevaux. Nous n’avons pas de délires de compétitions internationales, puisqu’il s’agit d’un autre job. Adeline a un bon œil d’éleveuse et m’aide dans tous les domaines de l’élevage. Nous sommes une petite structure et faisons tout de A à Z, de la conception à la naissance, jusqu’à la formation à quatre, cinq et six ans. Les juments restent sur place pendant tout le processus et nous disposons de nos propres porteuses. Pouvoir maîtriser toutes les étapes me plaît ; c’est assez gratifiant”, sourit l’inséminatrice. D’ailleurs, ce système éprouvé permet au duo Béatrice-Adeline de mener sa barque au rythme, non pas des vagues, mais des chevaux. “Il faut pouvoir attendre les chevaux, ne pas les bousculer”, prévient l’éleveuse. “Par exemple, Été n’était pas sorti à quatre ans, car il était plus tardif qu’Enjoy. Il faut savoir relativiser. Nous nous sommes aussi rendu compte que certains chevaux ne vivent pas très bien le fait de participer à la finale de Fontainebleau. Alors, s’ils sont sensibles, tant pis, nous faisons l’impasse. Aller à la Grande Semaine, voir ses chevaux est plaisant, mais il ne faut pas que ce soit fait à leur détriment. Si l’on veut qu’ils aillent loin, il faut les accompagner du mieux possible. Nous avons compris qu’il faut les présenter sous leur meilleur jour pour leur donner toutes les chances pour la suite. Notre but est vraiment de les voir atteindre le plus haut niveau. Nous savons que nous ne sommes pas en mesure de les accompagner jusqu’au dernier échelon, mais nous pouvons les montrer aux bonnes personnes. Le Cycle classique est pour moi un passage évident. Les parcours sont formateurs et permettent à nos protégés d’être repérés. Lorsque nous avons des propositions d’achat, nous faisons notre maximum pour qu’ils tombent entre de bonnes mains, même si nous ne décidons pas tout.” 

Le grand Eté de la Mûre, alias Mr Boombastic, a été préservé dans ses jeunes années. © Mélina Massias



La recette de la réussite de l’affixe de la Mûre est complétée par un autre ingrédient essentiel : le respect des besoins fondamentaux des chevaux. Pas question, donc, de les voir enfermés entre quatre murs des heures durant, ni de les priver de contact avec leurs congénères. “Bien que ce terme soit parfois galvaudé, le bien-être animal fait partie de nos valeurs. C’est avant tout une façon d’élever, une philosophie. J’aime que mes chevaux soient bien dans leur tête. Les chevaux au travail passent la journée dans de grands paddocks. C’est primordial pour nous. Nous voulons leur faire subir le moins de stress possible. Nos écuries ne sont pas les plus luxueuses, mais ce fonctionnement est notre luxe à nous. Les jeunes, comme dans tous les élevages, vivent en groupe au pré. Nous essayons toujours de gérer le sevrage de façon intelligente pour ne pas perturber les poulains plus que nécessaire. Pour le débourrage, nous prenons notre temps”, martèle celle qui gère également des chambres d’hôte, plébiscitées par tous ceux qui ont eu le plaisir d’y séjourner. “J’aime les chevaux qui sont dans le sang, qui ont un peu de modèle, de légèreté, qui sont très modernes et plutôt chics. Puisqu’il passe la journée sous nos yeux, autant qu’ils soient beaux ! (rires) Ces qualités viennent parfois avec un peu de tempérament. Raison de plus, donc, pour leur offrir les meilleures conditions de vie possibles. Je n’utilise pas le terme bien-être animal parce qu’il est à la mode, mais bien parce que c’est quelque chose auquel nous veillons depuis nos débuts.”

Une caresse en sortie de piste pour le très régulier Enjoy de la Mûre, guidé par l'Espagnol Eduardo Alvarez Aznar. © Sportfot

Préparer l’avenir avec raison et conscience 

Disposant de tout le nécessaire - une carrière, un rond d’Havrincourt, plusieurs boxes, un laboratoire, une barre d’échographie et de nombreux hectares de prés - pour faire évoluer ses jeunes pépites dans le respect de leur intégrité physique et mental, l’élevage de la Mûre peut tout aussi bien défendre ses couleurs me matin, sur un terrain de concours, puis préparer l’avenir avec un transfert d’embryon, pratiquer dans le calme et la délicatesse, l’après-midi.

Une partie des installations de l'élevage de la Mûre. © Collection privée

Le transfert d’embryon, justement, est le dada de la maison. Ainsi, Béatrice se laisse la possibilité de conserver peu de vraies poulinières, et préfère miser sur ses jeunes femelles prometteuses, dont les embryons sont ensuite confiés aux bons soins de gentilles juments porteuses. “J’en ai une quarantaine, que je propose également à des clients. Il me faut, de toute façon, un petit cheptel pour moi. De fait, il est intéressant de travailler avec un plus grand nombre, pour maximiser ses chances de réussite. Nous gardons peu de produits sur le très long terme, même si nous sommes actuellement tentées de conserver une jeune de six ans. Dans tous les cas, je préfère travailler de cette façon”, précise la cheffe de centre. 

Norma de la Mûre, fille de Carmen et Andiamo Semilly, prendra-t-elle la relève de ses aînés Enjoy et Eté dans quelques années ? © Collection privée



Pour autant, à Saint-Just-Saint-Rambert transfert d’embryon ne rime pas avec surexploitation, ni avec surproduction. Bien au contraire. “Nous avons entre cinq et dix naissances par an, en moyenne. Il est arrivé que nous en ayons un tout petit peu plus certaines années, mais nous ne faisons pas naître plus de poulains, puisque nous faisons tout nous-mêmes”, indique Béatrice. “Je n’ai pas non plus une place immense. J’ai un peu moins de cinquante hectares, avec des parties boisées. Mais, pour élever correctement, il faut déjà suffisamment de place. Je ne veux pas qu’il y ait de surpâturage, et je suis très sensible aux conditions climatiques et à l’avenir. Je ne sais pas ce que nous allons devenir… Je crains que nous ne soyons confrontés à plusieurs mauvaises années en termes de climat, avec la sécheresse et tous les dérèglements qui vont avec. Comment cela va se passer pour nos poulains ? Comment peut-on continuer à évoluer ? Alors, je me suis dit qu’il fallait commencer par préserver les prés, pour que les chevaux aient de quoi manger. Je suis en alerte par rapport à toutes ces questions. Il faut anticiper, mais, pour l’heure, je ne l’ai pas encore trop fait. Avant, j’avais quelques juments de propriétaires en pension, mais j’ai complètement arrêté. Cela a été ma première mesure. Mon objectif est de continuer à planter des arbres, des haies et trouver de l’eau, notamment en récupérant celle de pluie. Et puis, je pense qu’il faut continuer à produire de très bons chevaux. Avec l’inflation, les chevaux moyens risquent de ne plus trouver leur public. Je ne sais pas si j’ai raison, mais nous allons continuer à nous axer sur le haut niveau. Cela tombe bien ; c’est ce qui nous fait vibrer !” Avec Enjoy et Été, neuf ans, en chefs de file, la méthode Béatrice Drigeard Desgarnier-Adeline Morel semble, en tout cas, sur les bons rails.

Dans son cadre paradisiaque, l'élevage de la Mûre prépare l'avenir. © Collection privée

En attendant l'arrivée sur le devant de la scène des jeunes produits portant l'affixe de la Mûre, Enjoy continue sa folle ascension vers les sommets. © Sportfot

Photo à la Une : Été de la Mûre, renommé Mr Boombastic, ici au CSI 5*-W de Bordeaux en février, sous la selle de Denis Lynch. © Mélina Massias