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Avec Enjoy et Été, l’élevage de la Mûre se fraie une place à haut niveau (1/2)

Enjoy
dimanche 4 juin 2023 Mélina Massias

De l’insémination à la formation des jeunes chevaux, en passant par le transfert d’embryon et les poulinages, tout est fait maison à l’élevage de la Mûre. Non loin de Saint-Etienne, dans la Loire, Béatrice Drigeard Desgarnier et sa fille, Adeline Morel, travaillent main dans la main pour produire les cracks de demain. Véritablement démarré au tournant des années 2010, le cœur de l’activité de ses deux passionnées qui ne comptent pas leur temps est placé sous le signe du respect des besoins physiologiques et psychologiques des équidés. Et cela paie. Avec Enjoy et Été de la Mûre, ses deux meilleurs représentants, l’affixe ligérien débarque en force sur la scène internationale. Si proche de son objectif d’excellence, la paire féminine n’entend pas arrêter ses efforts en si bon chemin.

Enjoy de la Mûre dépassera-t-il Rokfeller de Pléville Bois Margot dans le cœur d’Eduardo Alvarez Aznar ? Amoureux des représentants du stud-book Selle Français, l’Espagnol a, en tout cas, trouvé une nouvelle star. Né près de Saint-Etienne, à Saint-Just-Saint-Rambert, dans la Loire, Enjoy est l’une des perles de l’élevage de Béatrice Drigeard Desgarnier et de sa fille, Adeline Morel. Double sans-faute dans les Coupes des nations des CSIO 3* de Mannheim et Kronenberg, puis sixième du Grand Prix associé à l’événement néerlandais, le bai foncé, fils de Vigo Cécé et Carmen, par Sable Rose, est en route pour le très haut niveau, où il pourrait certainement croiser son propre frère, Été, malheureusement rebaptisé Mr Boombastic, complice de Julia Lynch et de son époux, Denis, qui l’a déjà présenté en CSI 5*.

Sous la selle d'Eduardo Alvarez Aznar, Enjoy de la Mûre est en route pour les sommets. © Sportfot

“Enjoy et Été sont issus de la même récolte d’embryons. En sommes, ce sont des vrais jumeaux, bien qu’ils aient été chacun implantés dans une porteuse différente. Ils sont très différents, mais ont tous deux beaucoup de qualité. Été est un peu plus grand, un peu plus lourd et bai clair. Enjoy, lui, est bai foncé, plus moderne dans son modèle et a toujours été l’élève parfait, là où Été pouvait être un peu plus délicat et tardif. Ils n’ont pas non plus la même technique de saut”, analyse en préambule Béatrice. “Nous avons adoré Enjoy. Le voir toucher le haut niveau en même temps que son frère est vraiment sympa ! Nous avions vendu Été plus jeune, avant Enjoy, mais nous savions qu’il s’agissait aussi d’un très bon cheval. Toutefois, nous avons eu la chance qu’ils tombent chacun dans les maisons adéquates et que tout évolue dans la bonne direction.” Les deux compères ont surtout eu la chance que le destin pousse leur naisseuse et éleveuse vers l’élevage.

Du haut de ses neuf ans Eté de la Mûre, désormais baptisé Mr Boombastic, a signé quelques apparitions 5* en début d'année avec Denis Lynch. © Mélina Massias



Une passion pas si évidente

“Rien n’était prémédité.” Voilà comment Béatrice pourrait, plus ou moins, résumer l’histoire de son affixe. Tombée amoureuse des chevaux par l’intermédiaire de ses parents, cadres et passionnés par les équidés, la jeune fille, qui grandit d’abord en ville, débute comme ses camarades, en montant à poney, puis à cheval. “Cela ne m’a jamais lâchée. J’ai monté en tant que Junior en concours hippique, puis j’ai travaillé dans des écuries en Rhône Alpes”, précise-t-elle. “Lorsque j’étais adolescente, je montais dans une structure dans le Beaujolais, où il y avait à la fois une écurie de propriétaires et une partie élevage. Cette dernière activité me barbait ! De temps en temps, il fallait s’occuper des poulinières, mais ce n’était vraiment pas mon truc ! J’étais consciente qu’il fallait être une très bonne cavalière pour vivre de ce métier, mais je ne me voyais pas faire cela. En revanche, je ne voyais pas ma vie sans chevaux, et c’est encore le cas aujourd'hui.” Au fil de son parcours, l’amazone croise le grand Galoubet A, alors aux prémices de son histoire. Mais ce n’est pas le fils d’Almé qui sonne le déclic dans son esprit. Lors d’une première union, la passionnée pose ses valises en Bourgogne et épaule son désormais ex-mari dans l’élevage de Pur-Sang et d’AQPS. Pas convaincue par la monte en main, qu’elle juge trop brutale pour les juments, Béatrice reste sceptique. Finalement, quelques années plus tard, la Ligérienne refait sa vie et choisit le lieu-dit La Mûre comme nouveau point de chute. “Nous avons eu une opportunité ici. Au départ, nous n’avions pas du tout penser à nous installer. Nous avons acheté une maison avec deux ou trois hectares, puis les terres autour se sont libérées. Lorsque j’ai vu que nous pouvions acquérir l’ancienne exploitation qui entourait notre maison, j’ai foncé ! Mais rien n'était prévu”, s’amuse-t-elle. “Je me suis installée lorsque j’avais quarante ans. Ce n’était pas un projet, les choses se sont faites comme cela. Et puis, je me suis prise au jeu.” Son diplôme d’inséminatrice en poche, afin de pouvoir gérer le suivi de ses propres juments, la cheffe d’orchestre de l’affixe de la Mûre enchaîne en devenant cheffe de centre, s’octroyant ainsi le droit de pratiquer le transfert d’embryon. “Cela a tout changé et marqué le début de quelque chose de bien”, affirme l’intéressée.

Les installations de l'élevage de la Mûre vues de loin. © Collection privée



Carmen, le tournant

Les premiers produits enregistrés sous l’affixe de la Mûre, et les premiers protégés de Béatrice sont… des chevaux de trait ! “C’était anecdotique”, révèle l’éleveuse. “Mon mari, qui n’était pas du tout un homme de cheval, voulait faire de l’attelage. Nous avions alors récupéré deux comtoises auprès d’un vieux monsieur qui arrêtait. Il nous avait même vendu la calèche qui allait avec ! Comme elles étaient mignonnes et que nous les aimions bien, je me suis amusée à les faire reproduire. Mes parents ont récupéré les poulains pour faire, à leur tour, de l’attelage. Elles sont toujours chez eux et viennent juste de prendre leur retraite. Mon père s’est régalé avec elles.” En parallèle de la naissance de cette belle histoire de famille, quelques produits orientés sport, dont Phebus de la Mûre (Butin d’Elle x Tarbes, PS), crédité d’un ICC 143, voient le jour au début des années 2000. Mais les années 2010 marquent un véritable tournant dans l’itinéraire de cette petite entreprise familiale. En 2013, Carmen (Sable Rose x Sandro) engendre son premier produit. 

Carmen et Adeline en 2014. © Sportfot

Née au sein de l’immense Gestüt Lewitz de Paul Schockemöhle, la Oldenbourg débarque dans l’Hexagone une poignée d’années plus tard. “Carmen nous a fait faire un véritable bond dans l’élevage. J’avais acheté cette jument pour Adeline, ma fille, qui travaille avec moi. Elle est également ostéopathe en humain et partage son temps entre les chevaux et son métier. Elle a en quelque sorte deux mi-temps, même si en nombre d’heures, cela doit largement dépasser le compte. (rires) Adeline avait une bonne ponette, que nous avons d’ailleurs conservée à l’élevage. À la fin de ses études, elle souhaitait trouver un cheval pour évoluer sur des épreuves un peu plus importantes. Alors, nous avions convenu que nous prendrions une jument, afin de pouvoir l’utiliser également à l’élevage. Et Carmen nous a plu. Elle était étrangère, donc je n’avais pas prêté une trop grande importance à ses origines. Je savais qu’il s’agissait d’une bonne jument, mais, en creusant un peu plus, je me suis rendu compte qu’elle était issue d’une lignée qui avait très bien produit. Adeline a concouru jusqu’à 1,30m avec elle, le tout sans coach”, retrace Béatrice. “Carmen était une bonne jument de concours, avec une bonne frappe. Elle avait toutefois un gros défaut : son mauvais caractère ! C’était parfois très compliqué. Nous avons véritablement pris conscience de ses qualités lorsqu’elle a commencé à nous donner des poulains. Nous avons compris que ce n’était pas juste du hasard.” 

Bien qu'elle n'ait concouru que jusqu'à 1,30m, la belle Carmen avait tous les ingrédients pour devenir une bonne reproductrice. © Sportfot

Issue d’une souche maternelle solide, la belle engendre d’abord Django de la Mûre (Jarnac), puis, dès l’année suivante, Enjoy et Été, deux fils du regretté Vigo Cécé. “J’avais vu Vigo Cécé à Saint-Lô lorsqu’il avait crevé l’écran, terminant deuxième à deux ans puis champion des trois ans. Il m’avait plu, tout comme son papier. Avec Adeline, nous aimons bien choisir des jeunes étalons. Nous continuons à le faire régulièrement. Parfois, cela fonctionne bien, d’autres fois un peu moins. Mais les jeunes étalons permettent d’avancer plus vite, de faire bouger les choses. Si l’on reste tout le temps sur des mâles confirmés, même si certains sont formidables et que je les utilise aussi, on finit par tourner en rond. Les jeunes représentent un pari sur l’avenir. Et Vigo Cécé en fut un. Il avait quatre ans lorsque nous l’avons choisi. Malheureusement, il est aujourd’hui décédé, mais lorsqu’on voit tous ses excellents produits (comme l’excellent Do It Easy, renommé Donegal, Deuxcatsix d’Eglefin ou encore Diego de Blondel, ndlr), on se dit qu’on a fait bonne pioche ! Aujourd’hui, il y a de bons étalons partout. Lorsqu’on voit des jeunes qualiteux, avec de bonnes origines, notamment du côté maternel, et qu’on les croise à de bonnes juments, il est difficile de faire naître un mauvais produit. Bien-sûr, tous ne seront pas des champions, mais le risque en vaut la peine”, détaille l’éleveuse. Outre Vigo Cécé, et en parallèle d’étalons ultra confirmés à l’image de Mylord Carthago, Dollar dela Pierre, Jaguar Mail ou encore Quick Star, l’affixe de la Mûre n’a pas hésité à faire confiance à Cazador LS, notamment à l’origine du tout bon Feel Good Chance, Adagio de Talma ou Croc Lulu d'Aubigny lors de leurs premières années de monte en France, ainsi qu’au génial Kapitol d’Argonne, lors de sa troisième saisons à l’élevage. 

Eté de la Mûre, l'un des meilleurs produits de Carmen, monté par Julia Lynch. © Sportfot



Aussi, Béatrice et Adeline ont donné sa chance à leur pépite maison, Enjoy de la Mûre, lui confiant deux juments en 2019 et 2020. “J’ai quatre produits d’Enjoy, dont un trois ans qui est formidable au niveau du saut en liberté. Il est top et nous sommes ravies. Nous avons trois autres pouliches, l’une de trois ans et les deux autres âgées de deux ans. Aucune n’est pareil ! Elles sont encore jeunes et n’ont pas vraiment sauté en liberté. Nous verrons cette année. L’une des deux ans me plaît énormément et je vais faire du transfert d’embryons avec elle”, se projette l’inséminatrice. “Ensuite, Enjoy a été vendu et, malheureusement, je n’avais pas pu faire congeler sa semence avant son départ…” Manquant parfois un peu de chance dans ses jeunes années, le Selle Français avait dû déclarer forfait pour l’approbation de Saint-Lô en raison d’une blessure au niveau du passage de sangle, puis avait concédé quatre points lors de la finale de Fontainebleau l’année suivante, alors que ses notes auraient pu le placer sur le podium. “C’est le sport… Avec des si… Nous sommes reparties le cœur lourd de Fontainebleau, un peu déçues. Et puis, alors que nous étions sur la route, nous avons été appelées par le stud-book, qui nous a annoncé qu’ils avaient approuvé Enjoy sur performance ! Depuis Fontainebleau, nous aurions pu l’emmener chez Eurogen, mais nous étions déjà parties. (rires) Nous avons commencé la saison des cinq ans, puis cela ne s’est jamais fait. Nous ne pensions pas vendre Enjoy aussi tôt, mais, d’un autre côté, c’était bien qu’il puisse être entre de bonnes mains pour poursuivre son ascension.”

Enjoy de la Mûre à trois ans. © Collection privée

À quatre et cinq ans, Enjoy de la Mûre a pris part à la finale de Fontainebleau avec Adeline. © PSV Morel

L’importance de la lignée maternelle

Au-delà du choix des mâles, Béatrice accorde avant tout une place primordiale à la voie femelle, qu’elle défend d’ailleurs dans son rôle d’administratrice du stud-book Selle Français. “Je crois beaucoup à la lignée maternelle. Le père est bien sûr important, mais il faut regarder ce qu’il y a derrière. Ce qui est important à mes yeux chez une mère, c’est le caractère répétitif, soit de ses performances, soit de celles de sa fratrie. Parfois, il peut y avoir un performeur qui émerge d’une souche au hasard. Alors, je veille à ce que les sœurs aient montré des choses en compétition et/ou qu’elles aient plusieurs poulains qui tournent bien", dépeint-elle.  "Je regarde tout cet ensemble.” 

Vendu aux écuries du Grand Veneur à six ans, Enjoy de la Mûre a disputé quelques parcours avec Kyle Timm avant de débarquer, en 2020, dans les écuries d'Eduardo Alvarez Aznar qui a, depuis, assuré le reste de sa formation jusqu'à ses premiers Grands Prix 4*. © Sportfot

Photo à la Une : Enjoy de la Mûre et Eduardo Alvarez Aznar à l'œuvre à Barcelone, en octobre dernier. © Mélina Massias

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