S’il y a bien un duo qui s’est révélé ces deux dernières saisons, c’est celui formé par la Suédoise Wilma Hellström et l’incroyable Cicci BJN. Avant septembre 2021, ni l’une, ni l’autre, n’avait goûté au niveau 5*. Depuis, fortes d’une régularité stupéfiante au plus haut niveau, elles se sont fait une place au sein d’une escouade scandinave particulièrement sélective. Toujours très expressives, les deux complices arpentent les plus belles pistes du monde avec style et classe. En avril, à Omaha, la jeune amazone et sa grise ont disputé leur premier grand championnat Seniors, à l’occasion de la finale de la Coupe du monde Longines. Désormais, tous les feux semblent au vert pour poursuivre l’aventure à Milan, et pourquoi pas à Paris. Privée d’un œil depuis un accident, Cicci n’en reste pas moins une forte personnalité, et ce depuis sa naissance, sur les terres de Marjut Carlström et Jonas Sohlman. Retour sur le destin d’une reine.
Rome, vendredi 26 mai. Wilma Hellström entre en piste aux rênes de son binôme, Cicci BJN. La paire féminine ne le sait pas encore, mais elle s’apprête à signer l’un des quatre doubles sans-faute de la Coupe des nations du CSIO italien, sur la sublime place de Sienne. La grise et son amazone suédoise sont à deux sauts d’un premier clear round quand le téléphone sonne. Un nom apparaît : Jonas Sohlman. Inconnu du grand public ou presque, ce sympathique scandinave est pourtant à l’origine de l’une des meilleures juments de la planète, Cicci BJN, née le 30 avril 2011 sous ses yeux et celui de son ex-épouse, Marjut Carlström, disparue en 2020. Dans une discussion aussi riche que passionnante, le Suédois revient sur la naissance d’une star.
“Mon ex-épouse et moi nourrissons tous deux un intérêt pour les chevaux. Nous avons décidé de nous marier et d'acquérir quelques chevaux, pour pratiquer l’équitation pour notre plaisir personnel. J’avais vingt-sept ou vingt-huit ans lorsque j’ai commencé à monter à cheval et j’étais encore un débutant à l’époque. Nous avons acheté deux chevaux, puis, l’un d’eux s'est blessé. Je me suis mis en quête d’une nouvelle monture, et j’en ai trouvé deux. Je ne pouvais pas choisir et ai acheté les deux. De fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés avec sept chevaux. Nous vivions dans la banlieue de Stockholm et nos chevaux étaient en pension dans des écuries. Cela était assez frustrant, d’autant qu’il était difficile d’accéder aux écuries, puisque la route y menant était très fréquentée. Nous avons alors cherché une propriété et avons trouvé une belle ferme, à une soixantaine de kilomètres au Sud de Stockholm, appelée Björnäs, qui a ensuite donné l’affixe BJN que l’on retrouve dans le nom des chevaux que nous avons fait naître”, retrace Jonas, avec précision. “Nous nous sommes installés sur place avec nos sept chevaux. On pouvait accueillir facilement une vingtaine de chevaux. Nous avons donc acheté quelques nouveaux chevaux, proposé des places en pension dans notre ferme et conservé quelques étalons que nous essayions de faire approuver. Lorsque nous avons emménagé, nous avions cette jument, Imelda Marco, la grand-mère de Cicci, qui était gestante. Dès notre première année sur place, nous avons eu notre premier poulain avec cette jument. Imelda Marco était une fille d’Irco Marco et a concouru à 1,40, 1,45m. Nous montions la majorité de nos chevaux et cherchions à avoir des juments avec lesquelles nous pourrions aller en concours, afin de juger leur comportement. Nous faisions alors pouliner celles qui nous plaisaient. Notre élevage est resté assez petit. En tout, nous avons dû faire naître une dizaine de poulains.”
Le pari de miser sur de jeunes étalons
En 2006, Imelda Marco, alors âgée de dix-huit ans, porte en elle le fruit de son union avec un certain Tornesch, six ans à l’époque. Loin d’avoir connu les résultats qui sont aujourd’hui les siens, le fils de Lux, désormais stationné dans le Berry, tape dans l'œil de Jonas. “Tout d’abord, nous étions très sélectifs avec nos juments. Il est très important d’avoir une bonne jument, que ce soit au niveau de son pedigree, mais surtout en termes de mentalité, de modèle, etc. Notre philosophie était la suivante : avoir une bonne jument compétitive pour l’élevage, et choisir de jeunes étalons. C’était encore difficile à l’époque, où beaucoup de personnes en Suède choisissaient des étalons de renom, comme Cardento par exemple. À mon sens, cela permet de tirer les bénéfices d’une performance améliorée dans l’élevage aussi vite que possible, sans perdre de temps. C’était un challenge, puisque faire naître un poulain est coûteux et l’on ne sait jamais ce que l’on va obtenir. Il fallait prendre des risques. Pour Imelda Marco, nous avons alors choisi Tornesch. Nous l’avons utilisé avant sa victoire dans l’épreuve réservée aux jeunes chevaux à Falsterbo. En ce sens, nous avions un an d’avance sur celles et ceux qui ont attendu qu’il confirme son potentiel en piste. Nous avons baptisée la pouliche Tittut BJN. Il nous fallait trouver un nom commençant par T, l’initiale du nom de son père. Si l’on traduit Tittut, cela se rapporte plus ou moins à ‘jouer à faire coucou’ avec les enfants. La naissance de Tittut fût d’une telle facilité et rapidité, que ce nom était tout trouvé. Il lui a fallu cinq minutes top chrono pour venir au monde”, se souvient l’éleveur.
Tittut, qui a deux sœurs utérines et un frère utérin, nés en 2005, 2008 et 2009, grandit tranquillement en Suède et se prépare, l’année de ses trois ans, à se présenter à la traditionnelle compétition pour jeunes chevaux du pays, qui comprend notamment un test de saut en liberté et un autre sous la selle. Cette même année, Tittut est mise à la saillie. “C’est très commun de laisser une période de repos aux jeunes chevaux. Lorsqu’on leur donne ce temps, et que les juments ont un poulain, elles grandissent mentalement et connaissent beaucoup de soulagement de ne pas avoir la pression de tout le temps performer”, estime le Suédois. Si Tittut est bien gestante en 2010, il s’avère que Jonas avait déjà tenté ce même croisement, sans succès, un an auparavant avec Ci Ci Senjor (Cassini I x Contender), alors âgé de trois ans. “Dans le cas de Tittut comme de Cicci, nous avons choisi de très, très jeunes étalons. Je pense que c’était un véritable avantage. On peut d’ailleurs constater que Cicci est très moderne dans son style. J’ai conservé un hongre, né la même année que Tittut, pour mon plaisir. Il a seize ans, mais en paraît dix ou douze dans son modèle et sa conformation. Avec ce pari de la jeune génétique, nous avons réussi à produire des chevaux dans l’air du temps… et avons eu de la chance”, savoure Jonas.
Et de reprendre : “Je me souviens de la naissance Cicci. Cela n’a pas été aussi facile que celle de Tittut. Nous avons quelques problèmes, et il a fallu un peu de travail pour la sortir. J’ai dû beaucoup aider Tittut, mais c’était un beau moment d’assister à sa venue au monde. C’était intéressant.” Quelques années plus tard, Jonas et son épouse décident de divorcer et de suivre leur propre route. Le Suédois rachète alors la propriété et conserve une partie des chevaux. Malheureusement, il avoue avoir fait le mauvais choix. “J’ai choisi de conserver d’autres chevaux, mais pas Cicci ni Tittut. C’est dommage, car ce sont les deux représentantes de notre élevage qui ont connu le plus de succès. J’ai gardé d’autres bons chevaux, mais ils n’ont jamais atteint le niveau de Tittut (qui a évolué sur la scène internationale jusqu’à 1,50m, notamment aux côtés de la famille Thijssen, ndlr) ou Cicci. Cela étant, c’est assez incroyable d’avoir, sur une dizaine de naissances, deux chevaux qui se sont classés dans le top 6 des meilleurs jeunes chevaux lors des finales de Falsterbo. C’était un bel accomplissement pour nous. Et pour moi, ce succès est une combinaison entre la sélection de nos juments, le pari de choisir des étalons qui n’avaient pas encore fait leurs preuves, et aussi la présence dans le papier de Tittut et Cicci du fantastique Irco Marco. Il a apporté beaucoup de stabilité à toute cette souche.”
Une princesse au caractère affirmé devenue reine
Une fois les quatre sabots au sol, Cicci a immédiatement affirmé sa personnalité. Jonas se souvient. “Cicci était très indépendante lorsqu’elle était pouliche. Elle suivait ses propres idées. Par exemple, lorsqu’on rentrait Tittut à l’écurie, Cicci n’aimait pas du tout cela. Elle partait d’ailleurs dans la direction opposée. Parfois, on apercevait les chevaux trotter, et, tout d’un coup, Cicci se retrouvait de l’autre côté de la clôture, où elle broutait paisiblement. Cela ne l’a dérangeait pas, contrairement à Tittut, qui pouvait être un peu plus inquiète et perturbée de voir sa pouliche du mauvais côté du champ ! Cicci était spéciale, très spéciale”, sourit l’intarissable Suédois.
Devenue reine, la princesse Cicci a conservé ce caractère assuré et bien trempé. “Cicci est très spéciale, dans le sens où on ne peut pas la pousser à faire quelque chose (rires). Elle semble facile, et d’une certaine façon, elle l’est, mais elle a ses moments. Il suffit de la voir au paddock en concours pour comprendre (rires). Il lui arrive de s’arrêter et de me regarder. Si j’essaye de lui dire ‘Cicci, on est en plein milieu, il faut avancer’, elle me met par terre ! Dans ces situations-là, je dois simplement lâcher les rênes. En général, elle donne un énorme coup de dos ou fait un bond de trois mètres et se met à galoper. Je ne peux pas l’arrêter ! En gros, elle fait ce qu’elle veut et elle est heureuse comme cela”, confirme Wilma Hellström, sa cavalière. “C’est vraiment la reine. Désormais, nous nous connaissons par cœur. L’autre jour, je la montais dans la carrière, et elle était très molle. Je l’encourageais à se porter et elle s’est arrêtée, m’a regardée avec l'œil qui lui reste, l’air de dire ‘tu ne me dis pas quoi faire !’. C’est assez drôle. C’est un vrai personnage. Pourtant, je sais qu’elle irait au feu pour moi. Elle a beaucoup d’intégrité et est très intelligente. Elle est comme un humain, vraiment. Nous avons une relation spéciale toutes les deux. Dans la vie, on a son cheval. Si on a de la chance, on arrive à le trouver. Et Cicci est vraiment la jument de ma vie. C’est étrange, parce qu’elle n’est pas la jument la plus câline, la plus douce de la terre. Elle ne hennit pas quand on arrive, mais nous avons un lien spécial. Elle n’est d’ailleurs pas la plus aimable et elle peut mordre ! Mais on adore être en piste ensemble.”
Photo à la Une : Wilma Hellström et Cicci BJN à La Baule, en mai dernier. © Mélina Massias
La seconde partie de ce portrait consacré à Cicci BJN est disponible ici.