En janvier, la question se pose : l'étalon pour votre jument sera-t-il disponible en semence fraiche ou congelée ?
Alors que l’hiver bat son plein, c’est la période propice aux discussions préférées des éleveurs : quel étalon choisir pour la prochaine saison ? Une question bien difficile d’autant que le choix ne manque pas. Pourtant, la première décision avant de choisir est bien souvent de savoir s’il est disponible en semence fraiche ou uniquement en semence congelée !
La carrière d’un étalon est avant tout le résultat de nombreux choix dans la gestion par leur propriétaire et leur cavalier. Des choix délicats car un étalon qui favorisera uniquement le sport peut vite se retrouver déprécier à cause d’une production trop peu nombreuse pour revendiquer une place sur le marché alors qu’un étalon qui aura favorisé l’élevage peut non seulement se retrouver avec trop peu de résultats sportifs, mais parfois usé physiquement prématurément.
Eric Levallois, Champion du monde en 2002 avec Diamant de Sémilly et aujourd’hui étalonnier avec un crack comme Cornet du Lys dans ses écuries ; Gilles Botton, cavalier formateur de nombreux étalons dont Conrad de Hus ou le jeune Chacco White qui fut l’un des étalons à avoir le plus sailli en Belgique en 2020 ; et Luc Tilleman, étalonnier qui a connu les carrières de Toulon, Lys de Darmen ou encore Halifax, sont revenus avec nous sur cette gestion où chacun tente de trouver le meilleur équilibre possible selon ses objectifs. C'est la question du mois !
Chacco White (Chacoon Blue x Spartacus), l'un des étalons de 3 ans les plus populaires en Belgique en 2020.
Gilles Botton a déjà connu différents cas de figure, d’autant qu’en tant que fils d’ancien étalonnier, c’est un sujet qui le passionne depuis toujours : « 80% des éleveurs préfèrent utiliser du sperme frais. Les 20% restant sont souvent encadrés par de bons vétérinaires. Il faut admettre que le sperme frais est plus simple et qu’on le choisit souvent par facilité et surtout pour une diminution des coûts car cela permet de laisser sa jument à la maison mais il faut alors pouvoir compter sur un vétérinaire fiable. Il y a évidemment toujours des exceptions. Le congelé n’a pas empêché Dollar du Rouet de faire deux-cent-cinquante juments en France et à l’étranger lors de son année de six ans mais il faut bien admettre qu’il a une qualité de semence exceptionnelle. Pour un étalon avec de telles qualités et une telle génétique, cela ne représente pas un frein lorsque les éleveurs n’ont pas le choix. Du point de vue du cavalier ou de l’étalonnier, cela implique une gestion assez particulière. Courir tous les lièvres à la fois n’est pas une bonne chose. On l’a fait avec Conrad de Hus dans ses jeunes années et cela ne l’a pas empêché d’atteindre le plus haut niveau par la suite mais cela demande une excellente gestion. En Belgique, ils ont créé un circuit pour les étalons qui se déroule l’hiver avec simplement quelques concours en début d’année. L’idée est bonne et permet aux jeunes étalons de saillir à la bonne saison. En France, c’est plus compliqué. Les étalons approuvés au Selle Français sont autorisés à ne faire que quelques concours. Le CIR peut leur ouvrir directement les portes des finales à Fontainebleau à quatre ans, c’est une bonne idée mais cela se complique après et l’on se rend compte que de nombreux étalons, même chez de gros étalonniers, ne sont disponibles qu’en congelé très rapidement. Faire les deux est voué à l’échec.
En 2020, nous avions fait le choix de proposer à la monte en Belgique l’étalon Chacco White (Chacoon Blue x Spartacus). C’est un étalon qui a été acheté pour le sport mais nous avons rapidement eu beaucoup de demandes et je suis persuadé que c’est un cheval qui est bien au-dessus de la normale alors j’ai décidé de le faire saillir uniquement pour sa saison de trois ans car je voulais lui donner une véritable chance de montrer ses qualités en tant qu’étalon. Nous avons finalement été agréablement surpris de l’engouement des éleveurs autour de lui. Cet hiver, je l’ai récupéré et j’ai commencé à le monter. J’ai été fasciné par sa gentillesse et sa simplicité. J’ai d’ailleurs mis en ligne les vidéos de chacune de ses séances de saut car je voulais vraiment être transparent avec les éleveurs qui lui ont fait confiance. Cependant, je me suis retrouvé face à un dilemme : que dois-je faire avec un cheval de quatre ans qui sait déjà lire et écrire ? Je peux évidemment faire la saison de concours mais avec quel intérêt si ce n’est celui de me faire plaisir à monter un tel cheval ? J’ai dès lors décidé de débuter la saison ici en France pour faire deux ou trois concours avant qu’il ne reparte faire sa deuxième et dernière saison de monte en Belgique. À cinq ans, les choses deviennent plus sérieuses et il est important qu’il prenne de l’expérience car notre objectif reste avant tout d’en faire un cheval de sport. Il doit devenir un athlète. Il sera dès lors disponible en congelé uniquement. On sait, même si nous avons déjà eu de très bons résultats avec le congelé, qu’il sera moins demandé mais nous lui aurons déjà donné sa chance durant deux ans et je pense que c’est important. Je ne me serais pas amusé à cela si je l’avais considéré comme un 'bon' cheval mais ici, je pense qu’on a affaire à un cheval d’exception. »
Après une brillante carrière sous la selle de José Larocca, Cornet du Lys (Cornet Obolensky x Champion de Lys) est le fer de lance du haras de Beaufour.
Fils et frère d’étalonnier, Eric Levallois s’est lancé sur le tard dans ce métier au haras de Beaufour après avoir monté de très nombreux étalons durant toute sa carrière avec Le Tot de Sémilly puis évidemment son fils, l’emblématique Diamant de Sémilly : « Diamant a été très rapidement proposé en congelé dès ses jeunes années. Notre chance a été qu’il avait une qualité de congelé tout à fait exceptionnelle. Avec lui, cela aurait été très compliqué de gérer ses carrières de sportif et de reproducteur simultanément. Quand on veut gagner sur tous les tableaux, on risque de tout perdre. Personnellement, j’ai beau faire partie de la commission d’approbation de Zangersheide, je n’utilise pas de jeunes étalons. Je préfère attendre qu’ils aient cinq ou six ans. Je comprends néanmoins très bien que certains le fassent, c’est peut-être une erreur de ma part mais c’est un choix délibéré. Je ne présente d’ailleurs mes propres étalons que vers cinq ou six ans car je tiens à présenter des performers qui ont déjà des résultats. Je suis ravi d’avoir à la maison deux étalons qui ont fait leurs preuves au plus haut niveau comme Cornet du Lys et Cabachon. Il est évident que pouvoir disposer de deux anciens performers en sperme frais au haras est un atout considérable car les éleveurs préfèrent le frais. Cela peut être un risque avec des étalons qui ont peu sailli durant leur carrière mais si Cornet du Lys (Cornet Obolensky) n’a que trois saisons de monte en France, il a déjà pas mal sailli en Allemagne durant sa carrière et la qualité de sa production est assez incroyable. J’ai déjà du recul sur celle-ci. Déjà, sa mère a elle-même tourné sur 1.60m et sa grand-mère a également couru sur 1.50m. On retrouve une super mentalité chez les produits de Cornet du Lys et je suis vraiment heureux d’avoir vingt juments pleines de lui pour cette année. Je suis aussi content d’avoir réussi à amener Cabachon (Casall) aux écuries car lui aussi a bien tourné et ses produits commencent déjà à tourner en Grands Prix. Je ne veux pas que les gens pensent que je tourne le dos au Selle Français mais j’avais besoin de sang étranger pour changer un peu nos courants de sang et je pense que ces deux étalons ont de grands atouts.
Il est certain que décider de ne mettre nos jeunes étalons uniquement en congelé peut nous faire peur. Nous sommes conscients de les priver de certaines juments mais je tiens à ce que les choses soient faites ainsi. Ce n’est pas possible pour moi de leur faire faire les deux si je veux que les choses soient bien faites. Nous devons faire des choix et à nous de faire la promotion de nos jeunes étalons pour qu’ils puissent bénéficier d’une jumenterie suffisante pour faire leurs preuves. Je pense que si les éleveurs français préfèrent le sperme frais au congelé, c’est aussi parce que durant plusieurs années, ils ont essayé de saillir leurs juments avec du congelé étranger, et l’on s’est rendu compte que l’exigence de qualité que nous avions dans l’hexagone n’était pas la même que dans une bonne partie de l’Europe où l’on se contente d’une qualité inférieure. À force d’avoir des juments vides, les éleveurs ont perdu confiance et ont préféré se retourner vers le frais. Néanmoins, il faut quand même bien avouer que souvent, ce sont quand même les mêmes vétérinaires qui ont les juments pleines d’années en années et les mêmes qui ont les juments vides… Même si on ne peut que se féliciter en France d’avoir du personnel très qualifié pour l’élevage ! »
Burbery DK Z (By Cera d'Ick x For Pleasure) est un frère utérin de trois chevaux de Grand Prix : Go Easy de Muze, Hocus Pocus de Muze & Iceman de Muze, issus de la célèbre souche de Qerly Chin.
Luc Tilleman a pris la succession de son beau-père Louis Lenaerts depuis désormais de nombreuses années. Toulon, Halifax vh Kluizebos et encore récemment Dieu Merci van T&L ou Corydon van T&L ont fait sa réussite. Aujourd’hui, de jeunes promesses tels Amadeao van’t Vossenhof Z et Burbery DK Z font parties des grands espoirs de la maison : « Notre politique est clairement d’offrir la possibilité aux éleveurs de saillir en frais le plus longtemps possible avec nos étalons. Cela permet un travail plus simple et avec de meilleurs résultats. Jusqu’à huit ans, nous laissons saillir nos étalons en frais. Par contre, à partir de neuf ans, ce n’est plus possible. Les étalons partent en concours internationaux, font de long déplacements et ne sont pas suffisamment à l’écurie pour cela. Nous les distribuons alors uniquement en congelé. Nous n’avons pas toujours fait cela. Pour des chevaux comme Halifax et Houston, nous avons rapidement privilégié le sport. Halifax a d’ailleurs remporté le championnat de Belgique des six ans mais aujourd’hui, la compétition d’étalons a redistribué les cartes. J’aime beaucoup cette compétition car elle permet aux étalons de tourner en hiver et de pouvoir se concentrer sur leur travail de reproducteur durant la belle saison. Cette année malheureusement, avec le Covid-19, je ne suis pas tout à fait d’accord avec les décisions qui ont été prise la concernant. J’aurais préféré que l’on opte pour des dates plus tôt en semaine en favorisant une retransmission sur Clipmyhorse, ce qui aurait permis aux éleveurs de suivre les chevaux malgré la situation sanitaire. Or, ici, la finale se déroulera finalement en extérieur mais un peu trop tard puisque la saison de monte aura déjà débuté. Je trouve aussi qu’à l’avenir, maintenant que cette compétition est bien installée et connait un très beau succès, on devrait la limiter aux étalons admis dans les trois studbooks belges. Cela serait une belle publicité pour ceux-ci.
Je pense qu’aujourd’hui, beaucoup de gens vont trop vite avec les étalons. Personnellement, nos étalons commencent seulement à faire quelques épreuves ranking l’année de leur neuf ans pour être prêts pour le grand sport vers dix ans. C’est bien assez tôt dans mon idée. Il ne faut pas oublier qu’un cheval grandit jusqu’à six ou sept ans. Avant, les chevaux sortaient en concours une à deux fois par mois, aujourd’hui avec la multiplication des épreuves jeunes chevaux, ils ont la possibilité de faire trois jours de concours toutes les semaines, et toute l’année ! Aujourd’hui, je suis très fier de constater que les éleveurs nous font confiance et n’hésitent pas à plus utiliser nos jeunes étalons qu’il y a dix ans. Depuis, ils ont vu notre manière de fonctionner. Ils savent que je ne suis pas un adepte du spectacle avec des jeunes chevaux et que ma vision est de les former tranquillement. Ils savent que si un étalon me déçoit, il sort du catalogue. Je ne veux garder que les bons et ils ont vu que par la suite, les chevaux étaient vendus dans de bonnes maisons ou bien mis en valeur. Il n’y a que le talent naturel qui peut être utile à l’élevage, ce que l’on peut améliorer par un entrainement, même de qualité, on ne le transmet pas à l’élevage ! »