Marcus Ehning, triple vainqueur de la finale de la Coupe du monde Longines, tentera d’ajouter une quatrième victoire à son palmarès, début avril, à Bâle. Dans cette quête, celui qui est souvent comparé à un Centaure, tant il fait corps avec chacune de ses montures, sera accompagné par son meilleur cheval : Coolio 42. En rodage à Bois-le-Duc, à l’occasion de la première étape du Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles de l’année, l’Allemand de cinquante printemps s’est prêté au jeu des questions - réponses. Dans cette seconde partie, il évoque le fonctionnement de son élevage familial, dont a émergé un certain Funky Fred, la multiplication des compétitions ou encore la jeune garde allemande.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous semblez très enclin à monter des produits de vos anciens étalons. Vous avez, par exemple, eu sous votre selle Cordynox, un fils de Cornado I, Funky Fred, par For Pleasure, Priam du Roset, un descendant de Plot Blue, ou encore Sabrina, fille de Sandro Boy, pour ne citer qu’eux. Les recherchez-vous plus que les autres ou est-ce simplement lié à des coïncidences ?
Non, je ne les cherche pas particulièrement. Il y a simplement énormément de descendants de For Pleasure, Comme Il Faut, Cornado, Plot Blue, etc. J’ai monté beaucoup d'étalons formidables dans ma vie, qui ont, ensuite, très bien produit. Forcément, cela contribue au fait que je monte parfois leurs fils ou leurs filles.
Avec vos anciennes juments de concours, vous faites naître quelques chevaux, dont certains, à l’image de Funky Fred, ont évolué au plus haut niveau. Pouvez-vous en dire davantage sur votre élevage ?
Nous n’avons pas vraiment un programme d’élevage à proprement parler ; je dirais plutôt que nous avons l’opportunité que les juments que j’aie montées et qui prennent leur retraite puissent avoir quelques poulains. Nous ne sommes pas des éleveurs professionnels. Mes anciennes juments de concours, qu’elles m’appartiennent ou appartiennent à des propriétaires, restent généralement chez nous. Pour moi, les avoir à mes côtés après leurs carrières sportives, savoir qu’elles vont bien et se sentent bien, est important. Dans un second temps, pouvoir avoir un ou des poulains d’elles est très intéressant car on les voit grandir et évoluer.
Funky Fred, produit de l'élevage maison de Marcus Ehning, s'est imposé jusqu'en CSI 5* et se consacre désormais à la reproduction. © Mélina Massias
"J'aime que les poulains grandissent aux côtés de leurs mères biologiques"
Vous n’élevez donc qu’avec vos anciennes juments et anciens étalons ?
Oui. Normalement, nous avons entre deux et quatre naissances chaque année.
Comment gérez-vous cette partie de vos écuries ?
Ma sœur est le pilier des écuries. J’ai également toujours un ou deux cavaliers, qui participent également à des compétitions. Nous avons une écurie avec vingt-cinq chevaux au travail, ainsi que les jeunes et les retraités.
Plot's Princess, une fille de Plot Blue et Nolte's Küchengirl, née Lord's Fantastic Mouse. © Mélina Massias
Vos juments portent-elles elles-mêmes leurs poulains ou avez-vous aussi recours au transfert d’embryons ?
Non, en règle générale, nous ne faisons pas de transfert d’embryons. Je ne suis pas très fan de cela. Même si nous n’avons que quelques poulains par an, cela va vite. Si nous avions davantage de naissances, nous devrions également trouver du personnel pour s’occuper des poulains et des juments de la façon dont nous le souhaitons. Et ce n’est pas une mince affaire ! J’aime que les poulains grandissent aux côtés de leurs mères biologiques, et que nous puissions tout faire sur place, à la maison. C’est passionnant. Lorsque les juments portent leurs propres poulains, je pense que ceux-ci sont davantage imprégnés de leur caractère et tempérament. Je trouve que cela est simplement plus naturel.
Quel regard portez-vous sur les nouvelles techniques de reproduction, comme l’ICSI par exemple ?
Je ne sais pas vraiment… Ce n’est pas trop mon truc. On ne peut pas vraiment empêcher ces techniques, et ce n’est pas mon intention : je n’y ai simplement pas recours personnellement.
L'Allemand monte également For George, un fils de For Pleasure et Nolte's Küchengirl. © Sportfot
Les éleveurs, sans qui les sports équestres ne pourraient exister, restent encore très souvent de côté par rapport au très haut niveau. Selon vous, quelles actions pourraient être mises en place pour apporter davantage de reconnaissance à leur travail et leurs efforts ?
C’est une bonne question. Aujourd’hui, je pense que nous avons de moins en moins d’éleveurs comme ceux d’il y a cinquante ans. Avant, il y avait ces paysans, ces gens de la terre, qui avaient une vraie idée et un vrai savoir-faire avec les chevaux. Maintenant, à mon sens, les choses sont plus commerciales. Dans le même temps, les juments et les étalons deviennent meilleurs et meilleurs. Trouver une bonne réponse n’est pas facile… Si on fait naître un bon cheval, comme King Edward (Ress, né chez Wim Impens, ndlr) par exemple, on éprouve de la fierté. Et on peut ! Je pense que cela apporte de l’intérêt sur le travail des éleveurs, et que même des personnes extérieures à ce milieu doivent leur faire de bons retours.
"La programmation des CSIO 5* d'Abou Dabi et Ocala ne collent pas du tout à mon planning"
Chaque semaine, les CSI 4 et 5* sont de plus en plus nombreux. Sur les seuls quatre week-end du mois de février, vingt-trois événements de ce niveau ont été organisés dans le monde. Que cela vous inspire-t-il ?
Pour moi, cela ne change pas grand-chose, car je ne participe pas à toutes ces compétitions, pour la simple et bonne raison que j’ai une famille, avec laquelle je veux passer du temps. Je suis d’une autre génération, mais la multiplication de ces événements offre davantage de chances à la nouvelle génération de se frotter à des épreuves de ce niveau. Aujourd’hui, de plus en plus de cavaliers sont capables de performer en Grand Prix 4 ou 5*. Cela prouve que notre sport grandit.
L'excellent Priam du Roset enchaîne les sans-faute ces dernières semaines. © Mélina Massias
L’an dernier, la Fédération équestre internationale (FEI) a lancé son nouveau circuit, la Ligue des nations Longines. Vous n’avez, jusqu’à présent, pris part à aucune de ses étapes. Est-ce un choix de votre part ou une incompatibilité de planning ?
La programmation des CSIO 5* d’Abou Dabi et Ocala ne collent pas du tout à mon planning. Je fais également partie d’une équipe sur le circuit du Global Champions Tour et de sa Ligue. Mon programme de compétition convenait bien à mes chevaux ces dernières années. Concernant la Ligue des nations, il y a encore deux étapes cette année (Rotterdam et Gassin, ndlr), mais il y a aussi d’autres Coupes des nations à venir, d’autres 5*. Je participerai à certains de ces événements, mais cela n’a rien à voir avec les Coupes des nations ou la Ligue des nations en particulier : il faut simplement que ces différents rendez-vous soient compatibles avec mon emploi du temps.
Que pensez-vous de la décision de Martin Fuchs et Steve Guerdat de boycotter les quatre étapes qualificatives de la Ligue des nations, ainsi que sa finale ?
Ce n’est pas à moi de parler des choix des autres cavaliers… Je ne suis pas très satisfait des concours qui composent le circuit, et les dates ne me conviennent pas non plus (les CSIO 5* d’Abou Dabi et Ocala sont programmés en pleine saison indoor, avant même la finale de la Coupe du monde, autre circuit phare de la FEI…, ndlr). Je suis complètement d’accord avec eux sur ces points, mais leur décision leur est propre.
S'il porte régulièrement la veste de son équipe nationale, Marcus Ehning ne l'a encore jamais revêtue pour une étape de la Ligue des nations. © Mélina Massias
"Si l'on perd les formateurs de jeunes chevaux, nous n'aurons plus de chevaux de Grand Prix"
Vous dites vouloir passer autant de temps que possible avec votre famille. Parmi vos enfants, certains partagent-ils votre passion pour les chevaux et l’équitation ?
Oui, nous partageons cette passion en famille. Ma femme (Nadia Zülow, ndlr), a connu beaucoup de succès en voltige et tous mes enfants pratiquent cette discipline. Mais ils font aussi d’autres sports, comme du football ou de la natation, également en compétition. Pour l’instant, aucun n’est véritablement cavalier, mais tous sont plus ou moins connectés aux chevaux, et les apprécient.
Dans une interview accordée à WorldofShowjumping en 2023, vous disiez “craindre que la nouvelle génération s’éloigne trop du plus important : le cheval”. Qu’est-ce qui motive cette inquiétude et quelles actions pourraient aider à la faire disparaître dans le futur ?
Il ne s’agit que d’une phrase parmi toute l’interview. Mais le fait est que je constate cela en Allemagne : les jeunes n’ont plus l’ambition de former leurs chevaux. Je crois que si l’on veut être un bon cavalier, on doit aussi monter des jeunes chevaux, pour améliorer son sentiment à cheval. C’est comme cela que l’on progresse, que notre compréhension des chevaux s’améliore. C’est mon point de vue. Tous les bons cavaliers que je connais ont commencé comme cela. Il est aussi primordial que nous continuions à avoir des cavaliers capables de former ces jeunes chevaux, parce qu’en fin de compte, quelqu’un doit le faire. Si l’on perd cette catégorie de cavalier, nous n’aurons plus de chevaux de Grand Prix.
Le triple vainqueur de la finale de la Coupe du monde insiste sur l'importance des cavaliers formateurs de jeunes chevaux. © Mélina Massias
"Ma motivation, ce sont les chevaux, pas seulement de sauter un Grand Prix 5*"
Dans le même temps, l’Allemagne parvient à faire émerger un sacré vivier de talents, Richard Vogel, Sophie Hinners, Gerrit Nieberg et Kendra Claricia Brinkop, qui a travaillé dans vos écuries, en tête. Comment expliquez-vous la densité et la solidité de cette nouvelle génération ?
Tous ces cavaliers là ont remporté le Bundeschampionate (l’équivalent allemand de la Grande semaine de saut d’obstacles de Fontainebleau, où sont organisés les championnats de France des montures de quatre, cinq, six et sept ans, ndlr), ont monté plein de jeunes chevaux. Ils ont formé ces jeunes montures et je pense que cela les a rendus si forts qu’ils peuvent, aujourd’hui, avec le bon cheval, se montrer performants au niveau 5*. La plupart d’entre eux ne sont plus si jeunes que cela (à eux quatre, les cavaliers cités ont moins de trente ans de moyenne d’âge, ndlr), mais voir de nouveaux visages, et pas seulement ceux des vieux briscards, est très positif pour l’Allemagne.
Encore en phase de progression, le tout bon DPS Revere a enregistré de bonnes performances cette année. © Mélina Massias
Si vous deviez choisir, quel serait, selon vous, le plus bel accomplissement de votre carrière, celui dont vous êtes le plus fier ?
Je crois qu’il y en a plusieurs, mais je dirais sûrement les Jeux olympiques de Sydney, qui représentent le plus bel accomplissement de mon début de carrière. C’était un moment très spécial.
Aujourd’hui, après avoir parcouru le monde en long, en large et en travers, gagné certains des plus beaux Grands Prix de la planète, dont celui d’Aix-la-Chapelle à trois reprises, et trois finales de la Coupe du monde, comment restez-vous motivé à pratiquer votre sport ?
Ma motivation, ce sont les chevaux, pas seulement de sauter un Grand Prix 5*. J’aime tout autant le travail à la maison, apprendre à connaître les chevaux, à ne faire qu’un avec eux. J’apprécie toujours énormément le fait de monter à cheval.
L'Allemand ne rayonne jamais autant qu'entouré de sa famille. © Mélina Massias
Photo à la Une : Marcus Ehning et Stargold à Aix-la-Chapelle, une piste qui leur a tant réussi. © Mélina Massias