Rares sont encore les chevaux de couleur à briller au plus haut niveau. Comme un certain Ulyss Morinda avant lui, Ping Pong van de Lentamel éclabousse les pistes 4 et 5* de son talent. Né chez Filip Van Hul, en Belgique, du croisement entre Emerald van’t Ruytershof et une fille de Toulon, le hongre de dix ans, complice de Gerrit Nieberg, a remporté deux Grands Prix 4* d’affilée en début d’année, sur la vaste piste en herbe de Vejer de la Frontera. Sixième du championnat allemand de saut d’obstacles mi-juin, le représentant du stud-book BWP s’apprête à fouler pour la première fois de sa jeune carrière la mythique piste d’Aix-la-Chapelle. Son éleveur et son cavalier reviennent sur l’itinéraire d’un cheval plein de promesses aux origines solides.
Deux après sa dernière apparition au cœur du mythique stade équestre de la Soers, théâtre de la plus belle victoire de sa carrière en juillet 2022, Gerrit Nieberg retrouvera Aix-la-Chapelle dans quelques jours. Pour son grand retour dans cet antre comme nul autre, le sympathique germanique sera notamment accompagné d’un certain Ping Pong van de Lentamel. Au-delà de sa robe pie, encore rare au plus haut niveau, le hongre de dix ans se distingue avant tout par son talent sur les barres et sa technique impeccable, sans doute héritée de son père, Emerald van’t Ruytershof, et de son grand-père maternel, Toulon. Après une année débutée en trombe à Vejer de la Frontera, avec deux victoires et une quatrième place en trois Grands Prix 4* disputés, le BWP à la large palette de qualités a confirmé ses aptitudes en alignant un double sans-faute dans la Coupe des nations du CSIO 3* de Mannheim, remportée par la Mannschaft, avant de se classer deuxième d’une épreuve à 1,55m lors du CSI 4* d’Hohenkirchen, puis de boucler son premier Grand Prix 5* avec deux fautes, à Hambourg. Mi-juin, le duo confirmait le tout par une sixième place au classement final du championnat d’Allemagne de saut d’obstacles.
“Depuis le premier jour, j’ai toujours eu un super sentiment avec Ping Pong. J’étais convaincu qu’il serait capable d’affronter le plus haut niveau un jour”, se remémore Gerrit Nieberg, ancien cavalier des géniaux Contagio et Ben 431. “J’ai commencé à monter Ping Pong à la fin de son année de huit ans. Avant cela, il était monté par sa propriétaire, Karin Ernsting (à la tête d’European Youngsters, écuries par lesquelles est aussi passé un certain Calculatus, ndlr). Nous avons entamé une collaboration ensemble, entre ses écuries et mon patron, Hendrik Snoek. Je suis très heureux de notre partenariat, qui me permet de pouvoir compter sur de très bons chevaux, dont Ping Pong. Bien que je n’aie jamais douté de sa qualité, j’ai pris mon temps avec lui l’an dernier, afin de l’amener vers le très haut niveau. J’avais pour plan d’utiliser le Sunshine Tour comme préparation pour la saison 2025, mais je ne m’attendais pas à de tels résultats ! Ping Pong est extrêmement rapide au barrage et je suis plus que ravi de son comportement.”
Styliste, rapide et doté de bons moyens, Ping Pong van de Lentamel permet à Gerrit Nieberg de retrouver le haut niveau après les départs de Ben 431 et Blues d'Aveline. © Sportfot
Vita, matrone de l’affixe van de Lentamel
Derrière Ping Pong van de Lentamel et ses succès sous la selle de Gerrit Nieberg, se trouve un homme : Filip Van Hul. Et, trente ans plus tôt, ce dernier était encore loin de s’imaginer vivre une telle histoire. “Il y a vingt-huit ans, j’avais envie de faire naître un poulain pie. J’ai alors utilisé Limbo, mais je n’ai eu aucun poulain coloré. Heureusement, un ami à moi a eu plus de chance avec ce même étalon. J’ai alors acheté une de ses pouliches, Vita, et cela a marqué le début de l’aventure avec les chevaux de couleurs pour moi”, confie l’éleveur, jardinier de métier. Avec Vita (Limbo x Cay), née chez Rudi Maes, Filip Van Hul met non seulement la main sur une jument pie, mais surtout sur un très bon potentiel génétique. La BWP est, en effet, une petite-fille de Moruse, une jument née en 1966 qui est aussi présente, entre autres, dans les pedigrees de Gwindeline, alias Hello M’Lady (Indoctro), excellente complice de l’Ecossais Scott Brash au plus haut niveau et Helwell du Chabus (Elvis Ter Putte), troisième de l’étape Coupe du monde Longines d’Amsterdam en janvier dernier sous la selle de Jur Vrieling. Dans sa vie, Vita, vingt-sept ans et toujours bon pied bon œil aujourd’hui, a engendré vingt-deux produits, dont un par an maximum jusqu’en 2013. “J’ai parfois fait quelques transferts d’embryons et obtenu des jumeaux”, précise son propriétaire. Parmi d’autres étalons, Vita a été mariée pas moins de six fois à Toulon, transmettant sa robe pie à quatre reprises. “Toulon avait quatre ans la première année où je l’ai utilisé. Son premier produit avec Vita, Belgique van de Lentamel, était une petite jument, qui toisait 1,52m. Mais elle sautait bien et a concouru jusqu’à 1,40m”, reprend-t-il. “J’ai fait naître un poulain de Belgique, que j’ai bien vendu. J’ai donc de nouveau utilisé Toulon sur Vita. Aujourd’hui, avec le recul, on constate que Toulon était un bon choix pour les filles de Limbo. Et mes filles de Toulon ont encore mieux produit !”
Vita, vingt-huit ans, la jument avec laquelle tout a commencé pour Filip Van Hul. © Collection privée
Vriendinneke van de Lentamel, une sœur utérine de Ping Pong par Vigo d'Arsouilles. © Sportfot
Des vingt-deux produits de Vita, cinq ont évolué à 1,40m et plus, dont Handige Harry vd Lentamel (Bentley van de Heffinck) et Islamiet vd Lentamel T&L, alias Vintage Sologne (Darco), tandis que les jeunes Bruxelles (Bamako de Muze), Tuinman et Tapis-Plain (Kasanova de la Pomme), nés en 2018 et 2019 et sacré champion de France des Autres stud-books en 2023 avec Christophe Muller pour le dernier cité, poursuivent leurs gammes, respectivement avec Leen Braeckmans, Maisy Williams et Ignace Philips de Vuyst. Du côté des filles de Vita et Toulon, deux d'entre elles ont eu un poulain avec Emerald van’t Ruytershof. Juffrouw a été la première, donnant, en 2012, Mijnheer van de Lentamel, classé à 1,50m avec Sean Monaghan puis gagnant à 1,45m avec Giavanna Rinaldi et récemment passé sous la selle de la Jeune cavalière suédoise Lilly Landgren. Trois ans plus tard, et avant de fouler les terrains de compétition, sa sœur, Lieve Vrouwke, au nom inspiré d’une église sise à Bruges, a suivi sa voie en donnant… Ping Pong van de Lentamel ! Pendant que Ping Pong et son aînée d’une année, Vriendinneke (Vigo d’Arsouilles), grandissaient, leur mère s’est essayée à la compétition, entre 2016 et 2017, sous les selles de Lente Van Hul et Tim van den Broeck. “La mère de Ping Pong a participé aux championnats du monde de Lanaken à cinq ans avec mon cavalier. Elle a très bien sauté, mais faire valoriser ses chevaux est coûteux. Alors, je me suis dit qu’il serait préférable de la vouer à l’élevage”, justifie l’éleveur.
Lieve Vrouwke van de Lentamel, la mère de Ping Pong van de Lentamel, a participé aux Mondiaux de Lanaken en 2016. © Sportfot
Direction l’Allemagne
Rapidement, la qualité des deux premiers produits de Lieve Vrouwke donne raison à Filip Van Hul, qui cède Vriendinneke contre une “bonne somme”, à deux ans, lors d’une compétition de saut en liberté. Ping Pong, lui aussi, attire les regards et tape dans l'œil de Luc Tilleman, grand éleveur, étalonnier et dénicheur de talents, dont un certain Toulon. “Luc aimait beaucoup Vita et avait envie d’avoir une descendance de cette jument. Il a donc acheté Ping Pong lorsqu’il était poulain. Nous avons toujours fait de bonnes affaires ensemble, et Luc est aussi l’un de mes clients en tant que jardinier !”, glisse Filip. “Ping Pong était pie et Emerald déjà à la mode. Luc l’a vendu à trois ans, à l’occasion d’une vente aux enchères organisée par Zangersheide, pour 48.000 euros.” Non content de cet investissement, Luc Tilleman a aussi misé sur Musti van de Lentamel van T&L, une propre sœur de Lieve Vrouwke, dont plusieurs produits portent son affixe van T&L, à l’image de Simba (Lavallino Ter Klomp), qui, à sept ans, évolue sur le circuit international réservé aux jeunes chevaux avec l’Espagnol Diego Ramos Maneiro, et Spots (Stavros van de Barlebuis), un étalon pie approuvé de trois ans.
En voyant Ping Pong van de Lentamel un jour du printemps 2018, lors de cette fameuse vente aux enchères, Karin Ernsting ne s’est pas trompée. L’Allemande a rapatrié sa nouvelle pépite en Allemagne, qui a découvert la compétition un an plus tard, bouclant huit parcours avec Stephan Naber, son formateur jusqu’à la fin du printemps 2021. Après avoir fait ses débuts internationaux à Opglabbeek avec Kai Schäfer, le protégé de Karin Ernsting rejoint sa selle et poursuit sa progression et les sans-faute. À sept et huit ans, le BWP se montre d’une très grande régularité à 1,35m et affiche un taux de sans-faute de soixante-quatorze pourcents à cette hauteur, selon les données de l’application Jumpr. Avec sa cavalière et propriétaire, Ping Pong conclut ses premières épreuves à 1,45m de fort belle manière, avec trois parcours sanctionnés d’une faute, et deux clear rounds aux obstacles. L’heure vient alors pour le pie de huit ans de passer au niveau supérieur.
Karin Ernsting a mené Ping Pong van de Lentamel jusqu'aux portes du haut niveau, puis l'a confié à Gerrit Nieberg. © Sportfot
Pour cette nouvelle étape de sa carrière, le fils d’Emerald van’t Ruytershof rejoint Gerrit Nieberg, pour qui il n’est pas tout à fait inconnu. “J’avais déjà vu plusieurs fois Ping Pong en concours autour de chez moi. Forcément, avec sa robe, on ne peut pas le louper ! (rires) J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un chouette cheval”, se souvient l’Allemand. “Dès que j’ai commencé à le monter, j’ai eu un bon sentiment. J’ai tout de suite senti son intelligence et sa coopération au travail, ainsi que sa très bonne technique. Il a des moyens, tout en étant respectueux. Mais le plus important à mes yeux était son mental et son intelligence. Il est toujours très calme et détendu, en toute situation, toujours avec son cavalier et très attentif à son ce qu’on lui demande.”
“Certains éleveurs veulent à tout prix produire des chevaux de couleurs, mais je crois qu’il s’agit d’une vraie erreur”, Filip Van Hul
Très progressivement, l’ancien partenaire de Ben 431 donne de l’expérience à son nouveau complice, afin de le mener vers le plus haut niveau. “Je n’ai pas vraiment travaillé un point en particulier avec lui. Je voulais avant tout prendre le temps et ne surtout pas griller les étapes, d’autant plus compte tenu de sa qualité et de son côté très respectueux. Je ne voulais pas l’engager dans des épreuves plus importantes trop tôt, sans être certain qu’il soit prêt. Je me suis concentré sur notre confiance mutuelle, afin que nous ayons tous les deux des expériences toujours positives et agréables. L’idée n’était pas de faire un pas en avant, puis trois en arrière et mon but n’a jamais été le succès à court terme. J’ai toujours visé le long terme”, dépeint-il. Et sa stratégie a payé. Régulièrement sans-faute à 1,45m, Ping Pong a disputé son premier parcours international à 1,50m il y a à peine plus d’un an, en juin 2024, puis ses premières épreuves à 1,55m en suivant, jusqu’à se classer quatrième du Grand Prix 4* de Francfort, fin décembre. Un peu plus d’un mois plus tard, les performances du duo ont encore pris une autre ampleur, sur les grandes pistes du Sunshine Tour, avec deux victoires consécutives et une quatrième place dans des Grands Prix de même niveau. Un double sans-faute dans la Coupe des nations du CSIO 3* de Kronenberg et un premier Grand Prix 5* bouclé avec deux fautes à Hambourg plus tard, voilà les deux complices en route pour Aix-la-Chapelle, La Mecque des sports équestres. De quoi asseoir un peu plus le statut de roi des écuries dont Ping Pong fait bon usage au quotidien.
“Je pense qu’il sait qu’il est une star”, s’amuse Gerrit Nieberg. “Sa robe donne d’autant plus envie à tout le monde de s’arrêter devant son box, de le caresser et de lui donner des bonbons ! Il a l’attitude d’un cheval qui sait qu’il est spécial. Lors des remises des prix au Sunshine Tour, j’avais vraiment l’impression qu’il appréciait le moment. Il était très fier d’être au milieu de la piste avec la couverture du vainqueur sur le dos. Il est aussi très demandeur d’attention et n’hésite pas à réclamer du rab de bonbons !” Au centre de l’arène de la Soers, Ping Pong et son cavalier ne manqueront pas d’attention. Tous deux aborderont ce rendez-vous en pleine forme, en atteste leur récente sixième place aux championnats d’Allemagne de Balve, obtenue mi-juin.
L'adorable hongre de dix ans sait assurément convaincre quiconque de lui offrir quelques gourmandises supplémentaires ! © Sportfot
Pour ce passage sacré à Aix-la-Chapelle, Filip Van Hul ne manquera pas de garder un œil sur le meilleur représentant de son affixe, qu’ont porté, au cours des vingt dernières années, une centaine de chevaux. “Une fois que les poulains sont vendus, je ne peux plus suivre tous leurs résultats. Je ne m’attendais pas à ce que Ping Pong connaisse un tel succès ! Mais lorsque des représentants de son élevage performent, il y a toujours des gens pour nous appeler, nous féliciter, et on replonge à nouveau leurs aventures !”, se réjouit le Belge. Il y a deux ans, il a d’ailleurs songé à arrêter l’élevage, ses activités professionnelles occupant tout son temps, ou presque. Désormais, Filip Van Hul fait naître un ou deux poulains par an, et continue de développer la lignée maternelle de Ping Pong. L'éleveur a d'ailleurs racheté Belgique, la propre sœur et Lieve Vrouwke et Musti désormais âgée de vingt-quatre ans et avec laquelle il a pratiqué l'ICSI. Pour 2026, un poulain par Emerald van't Ruytershof et en route. “Je me suis dit qu’acheter un poulain était plus simple que de le faire naître… Mais aujourd’hui, tout le monde veut un produit de Vita ! Alors, j’ai recommencé à faire naître quelques poulains, mais il ne me reste que deux juments de cette lignée, dont une Vagabond de la Pomme, qui est plutôt petite. Je pense utiliser à nouveau Limbo sur elle, bien qu’il soit son arrière-grand-père maternel. J’espère obtenir la même qualité qu’avec Vita et ses produits ! Il y a quelques années, j’ai également eu recours à l’ICSI avec la mère de Ping Pong. Il me reste des embryons au congélateur. J’en avais obtenu neuf, mais je n’ai pas encore eu de poulain… Ce n’est pas si simple ! Le dernier embryon congelé sera implanté dans les prochains jours. Il y aura peut-être un propre frère ou une propre sœur de Ping Pong l'an prochain ! Je pense que j’élève maintenant plus intelligemment, avec de meilleurs courants de sang et davantage d’expérience”, résume-t-il. “Certains éleveurs veulent à tout prix produire des chevaux de couleurs, mais je crois qu’il s’agit d’une vraie erreur. Je préfère d’abord faire naître un bon cheval ; sa robe est secondaire.” Et avec Ping Pong van de Lentamel, Filip Van Hul a réussi à combiner les deux.
Le petit Ping Pong van de Lentamel a parcouru un sacré chemin depuis sa naissance, il y a dix ans, presque jour pour jour ! © Collection privée
Photo à la Une : Gerrit Nieberg et Ping Pong van de Lentamel entre dans la cour des (très) grands cette semaine, à l'occasion du CHIO d'Aix-la-Chapelle. © Sportfot