Il y a onze ans, quelques mois après la naissance de Dubaï du Cèdre, Perrine Cateline et Sylvain Pitois étaient bien loin d’imaginer se retrouver à Paris, en tant que naisseurs mais aussi co-propriétaires de la meilleure jument de la délégation tricolore aux Jeux olympiques. Installés en Bretagne, les deux passionnés, enseignante et kinésithérapeute à la ville, ont vécu le rêve d’une vie grâce à leur géniale fille de Baloubet du Rouet. Leur riche et belle aventure auprès de leur alezane, formée par Come Couturier, Valentin Besnard et Margaux Rocuet, a pris fin voilà quelques jours, avec sa vente aux écuries Iron Dames. La désormais ancienne complice de Julien Epaillard, parée de bronze en individuel aux championnats d’Europe de Milan, deuxième de la finale de la Coupe du monde Longines de Riyad au printemps et médaillée de bronze olympique avec les Bleus cet été à Versailles, poursuivra sa route avec l’Allemande Janne-Friederike Meyer-Zimmermann. Ses éleveurs, qui resteront ses plus grands fans et ne manqueront pour rien au monde ces prochains exploits, reviennent sur leurs souvenirs les plus marquants à ses côtés, évoquent leur élevage, l’avenir ainsi que leur collaboration avec l’actuel sixième meilleur cavalier du monde. Un entretien croisé, à découvrir en deux épisodes.
Dans votre vie d’éleveurs, mais aussi d’un point de vue plus personnel, que représente Dubaï du Cèdre pour vous ?
Sylvain Pitois : Dubaï est peut-être la jument de notre vie. J’espère pouvoir dire, dans quinze ans, qu’elle n’est pas la seule et que nous aurons d’autres chevaux de son calibre, mais pour le moment, c’est la jument de notre vie. Elle représente également l’aboutissement d’un objectif. Je rêvais de voir l’un de mes chevaux à la télévision, de le voir évoluer sur de belles épreuves. Dubaï nous a permis de remplir cet objectif.
Perrine Cateline : Dubaï est notre fer de lance, notre fierté. Il est difficile de définir et de juger ce qu’elle représente pour nous. Nous sommes un petit élevage et Dubaï n’est que le deuxième produit de sa mère, Urgada de Kreisker, à être né à la maison. Par rapport à d’autres éleveurs, nous sommes encore assez jeunes dans cette activité. Mais Dubaï est notre étoile, notre star. Elle avait et a toujours son caractère ; cela n’a pas été facile tous les jours. Les grands champions sont des chevaux particuliers, avec du caractère. Dubaï n’en manque pas ! Elle nous a marqués, c’est certain.
“Nous mesurons pleinement notre parcours et notre chance”, Perrine Cateline
En 2020, vous disiez effectivement élever pour voir un de vos chevaux “passer à la télévision” et rêver “d’avoir un cheval en équipe de France”. Parvenez-vous à réaliser le chemin parcouru en quelques années seulement ?
P.C. : Oui. On s’en rend surtout compte grâce à nos amis, nos copains et aux éleveurs autour de nous qui vivent aussi notre rêve à travers Dubaï. Nous recevons souvent des messages et des petits mots gentils, qui nous rappellent que ce que nous vivons est le rêve de tout éleveur, que nous avons de la chance de connaître tout cela. En revanche, cela est moins vrai dans notre vie quotidienne. Nous sommes tous les deux dans nos métiers et dans notre élevage, mais lorsque nous rencontrons des copains ou d’autres éleveurs, nous mesurons pleinement notre parcours et notre chance.
S.P. : Ces dix-huit derniers mois, Dubaï a été le pilier de l’équipe de France. Je ne m’attendais pas à cela. J’imaginais qu’elle serait une bonne jument, capable de faire une Coupe des nations de temps en temps, mais pas qu’elle devienne la jument phare du collectif tricolore !
“Lorsque Dubaï est entrée sur le terrain à Versailles, toutes les tribunes se sont mises à trembler”, Perrine Cateline
Vous êtes restés au plus proche de votre jument et de ses performances durant onze ans en restant ses co-propriétaires. Cela vous a permis de la suivre jusqu’au plus haut niveau, où elle a participé aux championnats d’Europe de Milan, à la finale de la Coupe du monde Longines de Riyad et enfin aux Jeux olympiques de Paris, en plus de nombreux très beaux rendez-vous 5*. Quels sont vos plus beaux souvenirs sportifs partagés avec elle ?
S.P. : Il y a deux souvenirs qui se valent pour moi, mais je citerai quand même en premier la médaille de bronze obtenue à Milan. Nous sommes partis de loin dans ce championnat, et Dubaï est remontée petit à petit, au fil de la compétition, jusqu’à ce que Makan*Cosmopolit (le cheval de Jens Fredricson, ndlr) commette une faute lors de la finale et lui assure une place sur le podium. J’ai versé ma petite larme à ce moment-là. Il y a également eu le double zéro dans la Coupe des nations de La Baule, en 2023. Cela a été sa première vraie grande performance. J’étais très, très fier, car je pense que cela a fait taire toutes les personnes qui ne croyaient pas en Dubaï. À ce moment-là, les gens ont compris que nous avions raison et que Dubaï était une vraie crack.
P.C. : Il y a eu La Baule, effectivement, parce que cela se déroulait en France, sur le grand terrain en herbe. Il y a eu Milan aussi. J’ai loupé mon avion pour y aller et nous avons vécu mille et unes émotions. Je retiens également le CSI 5*-W de Lyon, en 2023, lorsque Dubaï a pris part aux deux épreuves majeures du week-end, conclues à la première et à la deuxième place. À ce moment-là, nous nous sommes dit “wow, elle peut répéter, c’est vraiment un phénomène”. Cela ne vaut pas ce que nous avons vécu à Versailles, mais a marqué les débuts de Dubaï au plus haut niveau. Mon plus beau souvenir reste sans doute la première manche par équipe des Jeux olympiques. Lorsque Dubaï est entrée sur le terrain, toutes les tribunes se sont mises à trembler, les gens ont secoué leurs drapeaux bleu, blanc, rouge… Les poils se hérissent ! La montée en pression était assez spectaculaire. Cette première journée olympique était incroyable. Sylvain, lui, était sur une autre planète à ce moment-là ! (rires)
S.P. : Je ne m’en rappelle plus, j’ai fait un black-out ! (rires)
Qu’est-ce que cela change, dans une vie d’éleveurs, d’avoir fait naître un cheval de la trempe de Dubaï du Cèdre ?
S.P. : Assez paradoxalement, l’arrivée de Dubaï sous la selle de Julien n’est pas forcément l’événement qui a changé le plus de choses au niveau de l’élevage. Cela est davantage intervenu lorsque Dubaï a été sacrée vice-championne de France à sept ans. À partir de ce moment-là, nous avons commencé à toucher une clientèle que nous n’avions pas avant, à savoir des Français. Avant, nous ne vendions nos poulains qu’à l’étranger, notamment aux Pays-Bas, en Belgique, voire en Espagne. Grâce aux performances de Dubaï à sept ans, cela nous a ouvert des perspectives.
P.C. : Lorsqu’on nous demande quels chevaux nous avons élevés, les gens savent tout de suite qui est Dubaï du Cèdre. Un cavalier sud-américain nous avait posé la question à Lanaken et savait immédiatement qui était Dubaï ! C’est dans ces moments-là que l’on prend conscience que notre jument est connue, même au-delà de l’Hexagone ! Cela nous fait rire de voir que Dubaï a des fans partout dans le monde. C’est ce qui est un peu nouveau pour nous avec elle. Pour le reste, dans notre quotidien, cela ne change pas fondamentalement nos vies. Nous travaillons à côté, donc nous avons la tête dans le guidon et n’avons pas le temps de nous reposer sur nos lauriers.
S.P. : Nous avons une trentaine de chevaux à la maison, donc le retour à la réalité est assez récurrent !
“Joli Cœur du Cèdre ne nous appartient plus mais est un crack !”, Sylvain Pitois
Les succès de Dubaï du Cèdre vous ont-ils incités à augmenter le nombre de naissances annuel de votre élevage ?
S.P. : Certainement pas, car plus nous avons de naissances, plus il y a de tracas ! En revanche, aujourd’hui, nous sommes peut-être moins vendeurs qu’à une époque. Nous pouvons nous permettre de garder davantage de chevaux, notamment afin de les tester à trois ans.
P.C. : Dans tous les cas, on ne peut pas augmenter le nombre de naissances. (rires) Et, effectivement, si un poulain ou une pouliche nous plaît un peu plus que les autres, on peut se permettre de le conserver plus longtemps, ce qui n’était pas possible avant. Nous avions un plus grand impératif pour vendre nos chevaux.
Combien de naissances avez-vous chaque année ?
P.C. : Nous sommes autour de cinq naissances en moyenne par an. Cela peut monter à sept, comme descendre à trois.
Votre élevage se base-t-il uniquement sur la souche d’Urgada de Kreisker, propre sœur de Quickly de Kreisker ?
P.C. : Oui. Lorsque nous avons d’autres lignées, nous les comparons tout de suite à celle d’Urgada et notre cœur nous ramène toujours à cette dernière. Nous ne savons pas si, à l’avenir, elle sera la meilleure, parce que nous avons eu d’autres bons poulains, mais c’est celle que nous préférons. Les poulains qui descendent d’Urgada sont ceux qui nous séduisent le plus, qui ressemblent le plus à l’idée que nous nous faisons d’un cheval de haut niveau.
S.P. : Au départ, nous sommes partis sur trois ou quatre souches et celle d’Urgada est sortie du lot. Je pense que cela fait partie de la stratégie d’un éleveur : partir avec quatre ou cinq pouliches, puis se recentrer sur celle qui semble être la plus performante. Cela ne veut pas forcément dire que les autres lignées que nous avons utilisées n’étaient pas bonnes, mais peut-être que nous ne sommes pas tombés sur les meilleures mères de ces souches-là.
“Avec l’apport de sang étranger, les jeunes mâles qui émergent sont souvent métissés”, Sylvain Pitois
Vous avez fait naître plusieurs frères et sœurs utérins, deux propres frères et une propre sœur de Dubaï du Cèdre, qui vous a, à son tour, donné neuf produits. Quelles sont, selon vous, les meilleures cartouches pour l’avenir de votre affixe ?
S.P. : Globalement, tous ces produits sont encore jeunes. Si on parle de performances plus concrètes, nous avons une demi-sœur de Dubaï de trois ans (Lutèce du Cèdre, par Cornet Obolensky, né Windows vh Costersveld, ndlr) qui a terminé deuxième du saut en liberté à Lamballe cette année et une autre sœur utérine de Dubaï par Cornet Obolensky (Ouganda du Cèdre, ndlr) qui a remporté un concours de modèle et allure foal cette année. Il y a également Joli Cœur, le fils de Dubaï (par Dollar dela Pierre, ndlr). Il ne nous appartient plus mais est un crack ! Comme sa mère, il a un petit côté atypique mais ne fait quasiment que des sans-faute. Cette année, sur l’ensemble de la saison, il a dû toucher une barre une fois, parce que des trombes d’eau sont tombées au moment de son passage, et faire un refus lors de la finale, à Fontainebleau.
P.C. : Nous avons cru en Joli Cœur dès le départ. On sent qu’il a un petit truc en plus. Il est différent de Dubaï, mais dans son corps, dans son attitude, sa locomotion et la façon dont il se comportait lorsque Sylvain le faisait travailler à l’obstacle en liberté à trois ans, nous avons bien senti que nous avions un vrai cheval. Il ne nous appartient plus et nous ne pouvons plus rien faire, mais s’il continue à être bien exploité, on ne voit pas de raison qui pourrait l’empêcher de percer. Nous continuons de le suivre, lui et ses poulains. Les gens nous montrent des photos, des vidéos de leurs poulains par Joli Cœur. Ce partage entre éleveurs et passionnés est sympa ! Nous ne pouvons pas l’utiliser sur nos propres juments, puisqu’elles sont issues de la même souche, et c’est un peu notre regret, mais nous avons toujours sa propre sœur, Jakarta du Cèdre.
Avez-vous l’ambition de continuer à produire des Selle Français Originel avec cette lignée ?
S.P. : Cela devient compliqué. Pour pouvoir produire des Selle Français Originel, il faut qu’il y ait des étalons. Notre objectif est et a toujours été le haut niveau, donc il faut des étalons à la hauteur. Actuellement, en dehors des étalons âgés, je ne connais pas de jeunes étalons Selle Français Originel qui me séduisent. Avec l’apport de sang étranger, les jeunes mâles qui émergent sont souvent métissés. De plus, en Selle Français Originel, on retrouve souvent Diamant de Semilly dans le papier. Toute notre souche étant basée sur Diamant, cela ne nous facilite pas la tâche.
P.C. : Tous les éleveurs ou presque ont utilisé Diamant, même à l’étranger. À Lanaken, il était pratiquement présent dans un pedigree sur trois. Ce n’est pas un manque de volonté de notre part, mais davantage une question de difficulté technique.
Photo à la Une : Perrine Cateline et Sylvain Pitois aux côtés de leur star, Dubaï du Cèdre, ici dans son box au CSI 5*-W de Lyon. © Collection privée