Dix ans, ça se fête ! À l’occasion du mythique CHIO d’Aix-la-Chapelle, les équipes du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles, qui voyait le jour en 2013, ont organisé une rencontre avec quatre de leurs ambassadeurs. Au menu, des échanges constructifs et enrichissants, sur divers sujets, tous aussi intéressants les uns que les autres. Dans cet entretien version géante, Rodrigo Pessoa, Scott Brash, Martin Fuchs et Daniel Deusser se livrent, sans filtre, sur leur vision du sport, leurs incroyables partenaires à quatre jambes et les difficultés rencontrées et surmontées au cours des années.
Rodrigo, vous avez remporté les quatre Majeurs avant le lancement du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles, en 2013. Selon vous, quelle a été l’influence de ce circuit sur le sport ces dix dernières années ? Que représentent ces événements pour les cavaliers ?
Rodrigo Pessoa [RP] : Ces concours existaient bien des années avant le lancement du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles, mais Rolex les a rassemblé pour créer ce circuit. Je pense que cela a amené chacun de ces événements individuels à un autre niveau. Le fait que seul un cavalier (Scott Brash, ndlr) ait été capable de réussir l’incroyable prouesse de faire le Grand Chelem prouve à quel point cette compétition est prestigieuse et difficile. Cela a tiré tout le reste du sport vers le haut.
Scott, vous êtes le seul cavalier à avoir réussi le Grand Chelem jusqu’à maintenant. Pouvez-vous revenir sur ce que vous avez ressenti en 2015, à Calgary et ce qui vous a permis de réaliser une telle performance avec l’incroyable Hello Sanctos, né Sanctos van het Gravenhof ?
Scott Brash [SB] : C’est très difficile de trouver des mots pour décrire cela. J’ai ressenti un mélange d’émotions ce jour-là, puis j’ai réalisé que j’avais accompli un rêve en passant la ligne d’arrivée. Sur le moment, j’étais à la fois joyeux et un peu triste, car cela symbolisait aussi la fin de quelque chose pour lequel nous travaillions depuis longtemps. Malgré tout, j’étais globalement fou de joie. Mes propriétaires (Lady Harris et Lady Kirkham, ndlr) étaient là, ma famille aussi, et tant d’efforts avaient été fournis pour vivre ce moment. Atteindre ce rêve et cet objectif que nous nous étions fixés était un moment incroyable de ma vie que je n’oublierai jamais.
Parmi ces souvenirs incroyables du CSIO des Masters de Spruce Meadows, y’a-t-il un moment qui sort du lot dans votre mémoire ?
SB : Je pense que j’étais surtout concentré sur le fait de monter de façon à suivre le plan que nous avions établi pour Hello Sanctos, mais je me souviens spécifiquement que j’avais touché la palanque blanche sur le parcours. J’ai écouté le public prendre une grande inspiration ; c’était un moment pétrifiant. Mais Sanctos était un cheval phénoménal et la palanque est restée sur les taquets. Je pense que l’on est seulement aussi bon que le cheval qu’on monte ; Hello Sanctos m’a permis de gagner dans tous ces lieux différents.
Martin, Genève est votre concours maison. Avez-vous constaté un essor encore plus important dans la stature et le prestige du concours depuis 2013, date à laquelle il est entré dans le circuit du Rolex Grand Slam ?
Martin Fuchs [MF] : Oui, assurément. Lorsque j’ai commencé à monter à Genève, il s’agissait déjà d’un super concours, mais depuis qu’il fait partie du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles, il est devenu l’un des meilleurs concours qui soient. C’est encore plus spécial d’avoir un Majeur dans notre pays et sur une piste indoor si formidable. C’est fantastique.
“Une partie de mon succès est dû à la chance de pouvoir compter sur Killer Queen et Tobago”, Daniel Deusser
Daniel, vous avez été particulièrement en réussite sur les Majeurs et avez gagné trois des quatre événements, Aix-la-Chapelle en 2021, Bois-le-Duc en 2022, et Spruce Meadows en 2022. Quelles qualités doivent avoir un cheval et un cavalier pour espérer remporter ces épreuves ?
Daniel Deusser [DD] : C’est très difficile à dire. Nous connaissons tous les Majeurs : le niveau est le plus haut de notre sport. Lorsqu’on regarde les listes de départs, les meilleurs mondiaux sont de la partie, et les parcours des Grands Prix sont haut et extrêmement délicats. Le circuit comprend à la fois des pistes intérieures et extérieures. De fait, les chevaux doivent être extrêmement talentueux, capables de sauter dans les deux configurations, sur herbe comme sur sable, sur de grands terrains ou de plus petits, d’aller vite et de tourner court. Avoir ne serait-ce qu’un ou deux chevaux en mesure de concourir à ce niveau est déjà très spécial.
Lorsqu’on regarde l’ambiance à laquelle doivent faire face les chevaux à Aix-la-Chapelle, c’est incroyable. Je n’ai pas pris part à la Coupe des nations jeudi, mais c’était un moment fantastique à regarder. L’excitation monte chaque jour, jusqu’au dimanche pour le Grand Prix Rolex, qui achève la semaine. La piste doit être en bonne condition, et les chevaux dans leur meilleure forme pour espérer performer.
Le fait d’avoir un cheval très à l’aise en indoor et un très bon à l’extérieur a-t-il été l’une de vos forces sur les étapes du Rolex Grand Slam ?
DD : J’ai eu beaucoup de chance d’avoir deux très bons chevaux ces dernières années. Killer Queen VDM, qui est toujours très performantes sur des pistes comme ça, à Aix-la-Chapelle et Calgary, et Scuderia 1918 Tobago, qui est très pratique en indoor. Une partie de mon succès est dû à la chance que j’aie de pouvoir compter sur ces deux chevaux.
Rodrigo, vous représentez Rolex depuis 1999, ce qui fait de vous son ambassadeur le plus fidèle pour les sports équestres. À quel point le Rolex Grand Slam de saut d’obstacles est-il important dans le fait d’inspirer la nouvelle génération de cavaliers ?
RP : Je sais que la jeune génération admire les cavaliers plus âgés, plus expérimentés et essaie de s'inspirer de ce qu’ils ont fait pour tenter de gagner, en particulier lors du Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle. On l’a vu l’année dernière avec Gerrit Nieberg ; c’est un jeune cavalier, et il est parvenu à s’imposer ici. Il incarne la deuxième génération de cavaliers ; j’ai monté avec son père (Lars, notamment champion olympique avec l’Allemagne en 2000, ndlr) ! Même si cela me fait me sentir un peu vieux, c’est super de voir ce dont il est capable.
Nous restons tous dans ce sport pendant une courte période, puis nous passons à autre chose. Espérons que la nouvelle génération accorde autant d’importance au Rolex Grand Slam de saut d’obstacles que nous le faisons. Nous ne sommes pas seulement des ambassadeurs Rolex, nous savons aussi à quel point il est spécial de voir son nom figurer sur le mur des vainqueurs de ces célèbres Majeurs. Remporter un Grand Prix du circuit vaut bien plus que beaucoup d’autres événements. Gagner ne serait-ce qu’une fois Aix-la-Chapelle, Genève ou Calgary vaut trois fois plus que trois victoires ailleurs.
Martin, vous êtes le seul cavalier à avoir réussi à vous imposer deux fois d'affilée dans le Rolex Grand Prix de Genève, en 2019 et 2021. Qu’est-ce que cela représente pour vous et qu’est-ce qui rend ces concours du Grand Slam si spéciaux ?
MF : Gagner ces deux Grands Prix, avec Clooney 51 en 2019, puis réitéré avec Leone Jei (né Hay El Desta Ali, ndlr) en 2021 après une année blanche en 2020 et un barrage très rapide face aux meilleurs mondiaux, était évidemment un grand accomplissement dans ma carrière. C’était palpitant. Comme Daniel l’a dit, les meilleurs couples du moment tentent leur chance sur les Majeurs. Ils veulent tous gagner. En tant que Suisse, gagner face à mon public, avec beaucoup d’amis et ma famille, rend la victoire encore plus spéciale. S’imposer dans un tel événement est aussi une récompense pour toute notre équipe, pour ceux qui travaillent extrêmement dur toute l’année. C’est extrêmement satisfaisant de partager un moment comme cela.
“Je peux apprendre des erreurs que j’ai commises lorsque j’étais plus jeune”, Rodrigo Pessoa
Ces dix dernières années ont été remplies de moments plus incroyables les uns que les autres sur le circuit du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles. Daniel, seriez-vous en mesure d’en choisir un ou deux qui se sont démarqués, qu’ils soient votre œuvre ou celle de vos collègues ?
DD : Personnellement, il y a un moment qui se distingue : ma victoire ici, en Allemagne, au CHIO d’Aix-la-Chapelle en 2021 dans le Grand Prix Rolex. C’est une épreuve tellement historique, que je suis depuis que je suis enfant à la maison, à la télévision. Pouvoir monter à Aix-la-Chapelle a toujours été mon rêve. Gagner et voir son nom être écrit à côté de ceux que tous ces grands cavaliers est absolument le moment qui sort du lot pour moi.
Rodrigo, depuis quelques années vous attendiez de trouver votre nouvelle star. Désormais, vous avez Major Tom, né Nielsdaka van de Rhamdia Hoeve. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
RP : J’ai plus d’expérience aujourd’hui. Je peux donc apprendre des erreurs que j’ai commises lorsque j’étais plus jeune. Si l’on n’a pas de cheval pour le très haut niveau, c’est très difficile. Les chevaux qui ont remporté des Majeurs sont exceptionnels. Sans une monture du même calibre, il devient délicat de rivaliser. On peut évidemment concourir, mais on ne peut pas s’attendre à être aux avant-postes. Heureusement, j’ai désormais Major Tom, un animal spectaculaire. Je suis heureux de pouvoir de nouveau affronter les meilleurs du monde. Nous sommes chanceux de faire ce que nous faisons et d’avoir l’opportunité d’évoluer à ce niveau. On doit en profiter au maximum.
Martin, comment gérez-vous le manque ou le sentiment de ne pas avoir la chance de son côté ?
MF : C’est une bonne question. J’expliquais justement hier à un ami que j’ai vraiment eu une crise de confiance pendant la période Covid, puisque je ne performais pas aussi bien qu'habituellement. J’étais à Grimaud à ce moment-là, et j’avais donné une pause à mes deux meilleurs chevaux, Clooney 51 et Chaplin. Je montais un certain nombre de trois et quatrièmes chevaux, qui étaient de bons atouts, mais à qui je demandais d’affronter le niveau 5*. Semaine après semaine, je ne gagnais rien. Comme l’a dit Rodrigo, si l’on n’a pas les meilleurs chevaux, aller en 5* est très difficile, pas seulement pour un Majeur, mais aussi pour n’importe quel autre 5*.
J’ai commencé à vraiment me questionner, à me demander si je montais si mal que cela ? J’étais toujours numéro deux mondial, mais pour la première fois de ma carrière, je mettais en doute mes propres capacités. Que fais-je mal ? Pourquoi rien ne va dans le bon sens ? J’ai engagé certaines épreuves sans vraiment savoir si j’avais ma place à ce moment-là. Traversé cela et travaillé en étroite collaboration avec mon père, Thomas et Steve (Guerdat, ndlr) m’a vraiment aidé. Voir que Steve utilisait le même système d’entraînement que mon équipe et moi a été très utile. Cela m’a permis de continuer à penser positivement. J’ai juste essayé de revenir aux bases, de me concentrer sur les détails. Plus tard, la chance est revenue de mon côté. Je ne sais pas si le mot chance est le bon, puisque j’ai retrouvé le bon management, la bonne stratégie et la confiance pour mener à une façon totalement différente de monter. Si l’on est en forme, on a l’impression que rien ne peut nous arriver lorsqu’on entre en piste. Mais, il y a une période dans ma carrière où j’avais l’impression que rien ne pouvait bien se passer en piste. Cela a été un très bon apprentissage pour moi. J’ai réalisé combien tout cela est difficile pour de jeunes cavaliers en devenir, qui n’ont pas la chance que j’aie d’avoir un entourage impliqué dans le milieu. Depuis ce moment, j’ai beaucoup plus de respect et d’admiration pour les autres jeunes cavaliers, pour la façon dont ils sont capables de venir ici, à Aix-la-Chapelle, de monter avec confiance face aux meilleurs couples du monde et de donner leur meilleur pour performer au plus haut niveau.
La suite de cette rencontre est disponible ici.
Photo à la Une : Martin Fuchs. © Mélina Massias