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“On doit toujours mettre son égo de côté, au profit du bien-être des chevaux”, Willem Greve (1/3)

À dix ans, l'histoire de Pretty Woman van't Paradijs est déjà digne d'un roman !
Interviews mardi 11 novembre 2025 Mélina Massias

Willem Greve fait partie de ces cavaliers instantanément qualifiés d’hommes de chevaux à la simple évocation de leurs noms. Franc, engagé et talentueux, le Néerlandais n’a plus quitté les sommets du saut d’obstacles depuis le début des années 2010 et son avènement aux rênes de l’attachant Carambole. Depuis, Zypria S, Grandorado*TN, Highway*TN et plus récemment Pretty Woman van’t Paradijs ont pris le relais et lui ont permis de disputer plusieurs grandes échéances avec la veste orange de son escouade nationale. Généreux dans ses échanges, éminemment passionné et enclin à partager des vidéos de celles et ceux qui seront peut-être ses futures stars, Willem Greve est un champion qui garde les deux pieds bien ancrés au sol. Conscient des réalités qui sont celles de la filière, proches des éleveurs et de ses propriétaires, celui qui a grandi entouré de chevaux - son père, Jan, vétérinaire ayant repéré de nombreux grands étalons, à l’instar de Voltaire - a tout de l’ambassadeur idéal pour le jumping. Rencontré dans les allées du CHI Longines Equita Lyon, le 31 octobre dernier, le jeune quadra à l’humour toujours bien senti s’est livré sur ses chevaux, ses derniers championnats, dont sa décision marquante aux Jeux olympiques de Paris, son système, l’élevage ou encore la formation des jeunes. Un entretien à découvrir en trois épisodes, dont voici le premier.

Vous participez au CSI 5*-W de Lyon pour la deuxième fois de votre carrière, après votre première venue en 2018. Dans quelle mesure le circuit indoor et de la Coupe du monde Longines sera-t-il un objectif pour vous cet hiver ?

Le concours de Lyon s’intégrait bien dans mon planning et j’ai pu avoir une place grâce à ma fédération. Comme je dispose de bons chevaux, venir ici est agréable. Le circuit indoor sera assez important pour moi cet hiver. Je veux utiliser cette période pour garder mes chevaux dans le bain. L’an dernier, j’ai participé à ma première finale de la Coupe du monde, qui a été une très bonne expérience. Nous verrons comment la suite de la saison se déroule, mais si je me qualifie pour la finale (qui aura lieu à Forth Worth, au Texas, en avril 2026, ndlr), j’aimerais y prendre part avec Pretty Woman van’t Paradijs (Vigo d’Arsouilles x Bamako de Muze). Ce sera mon but. Pour mes étalons, Highway TN (Eldorado vd Zeshoek x Chellano) et Grandorado TN (Eldorado vd Zeshoek x Carolus II), le voyage en Amérique impliquerait une quarantaine et des règles à suivre, notamment par rapport à leur semence, qui sont assez contraignantes. Mais nous verrons comment les choses se déroulent. L’an dernier, à cette même période, je ne pensais pas disputer la finale de la Coupe du monde, puis j’ai gagné le Grand Prix de Leipzig (avec Highway, ndlr) et tout est allé très vite. On ne peut pas toujours tout planifier à l’avance : ce sont mes chevaux qui me diront ce qui est possible de faire ou non.

La très plaisante et très bien née Pretty Woman van't Paradijs, petite-fille de Jeunesse van't Paradijs, pourrait disputer la prochaine finale de la Coupe du monde si Willem Greve décroche sa qualification. © Mélina Massias

À Bâle, votre première finale de la Coupe du monde n’a pas exactement débuté comme vous l’espériez, après qu’Highway a décollé une foulée trop tôt sur la spa qui défendait l’entrée du premier double dans la Chasse. Comment l’avez-vous vécue ?

Dans un sens, oui, ce n’est pas tout à fait ce que j’espérais. Mais d’un autre côté, j’ai terminé septième. Sans cette faute, j’aurais peut-être été cinquième. En finale, Grandorado a signé un sans-faute puis un parcours à un point (faisant de lui l'un des trois seuls chevaux à ne pas toucher de barre dans cette ultime étape, ndlr). Tout aurait pu être terminé dès le premier jour, mais Highway a magnifiquement rebondi après cette faute. Je pense que la fin de son parcours a mis en lumière la solidité de notre couple et notre confiance mutuelle. Nous ne nous sommes pas compris sur cet obstacle (probablement en raison d’un jeu d’ombre au sol, ndlr), mais ce sont des choses qui arrivent et je retiens surtout la façon dont nous avons bouclé cette Chasse, qui plus est en gardant un bon rythme (le bai n’a concédé aucune autre faute, pas même sur la sortie du double, parfaitement franchie malgré la situation, ndlr) ! Je crois que c’était assez impressionnant. Cela a prouvé la qualité et la fiabilité de notre couple.  

En avril, Highway a fait preuve d'un sang froid inouï dans la Chasse de la finale de la Coupe du monde de Bâle. © Mélina Massias

“Monter aux Jeux olympiques de Paris aurait été très égoïste de ma part”

Entre votre blessure survenue juste avant les championnats du monde de Herning en 2022 et ce petit couac en terres helvètes, vous avez renoncé à prendre le départ des Jeux olympiques de Paris en 2024, votre complice Grandorado ne vous ayant pas semblé en pleine possession de ses moyens lors de la warm up

Oui, mais en tant qu’hommes de chevaux, nous devons parfois prendre de telles décisions. On doit toujours mettre son égo de côté, au profit du bien-être des chevaux. Et mon intuition était là bonne : Grandorado n’était pas à cent pour cent. Pour sauter les Jeux olympiques, il faut être à deux cents pour cent. Monter à Paris aurait été très égoïste de ma part. Si je l’avais fait, cela ne se serait probablement pas bien terminé, ni pour mon cheval, en premier lieu, ni pour mes coéquipiers. C’était une décision très difficile, mais la bonne. C’est la vie ! En tant que cavaliers, nous devons vraiment penser à nos chevaux et assumer le rôle que nous avons à jouer dans leur protection. Et puis, on ne peut pas ignorer le sentiment qui nous dit que quelque chose cloche et monter malgré tout ! Je ne suis pas ce type de cavalier et je n’ai pas envie de l’être. J’assume à mille pour cent la décision que j’ai pris ce jour-là. 

Ne sentant pas son complice en pleine possession de ses moyens, Willem Greve a renoncé aux Jeux olympiques de Paris à la veille de l'épreuve par équipes. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Lorsqu’on pense championnats et Pays-Bas, on pense inévitablement à Jeroen Dubbeldam, champion d’Europe, du monde et olympique, et toujours au rendez-vous dans les grandes échéances. Est-ce une inspiration pour vous ?

J’ai passé trois ans dans les écuries de Jeroen. Il est devenu un mentor et l’un de mes meilleurs amis au fil des années. Les gens se souviennent des résultats en championnats, moins de ceux en Grands Prix. On se rappellera de Jeroen pour l’héritage qu’il a laissé et cela ne vaut que pour quelques personnes dans notre sport. La façon dont il aborde les chevaux, sa réflexion sur leur entraînement et la manière dont il monte sont des éléments avec lesquels je suis totalement en phase. Alors oui, Jeroen est une très grande inspiration pour moi et je travaille toujours beaucoup avec lui aujourd’hui.



“J’ai toujours fondé beaucoup d’espoirs en Pretty Woman”

Pretty Woman van’t Paradijs vous a permis de décrocher un troisième titre de champion des Pays-Bas en début d’année. À neuf et dix ans, elle a également signé de très belles performances sur la scène internationale, à l’image de son sans-faute dans la Coupe des nations d’Aix-la-Chapelle en 2024 et sa participation aux championnats d’Europe de La Corogne l’été dernier. Quelle est l’histoire de cette jument ?

J’ai acheté Pretty Woman lorsqu’elle avait six ans, au début de l’année 2021. Je l'ai acquise directement auprès de ses éleveurs, la famille Rooms-Van Den Branden. C’est une jument très talentueuse, avec beaucoup de sang et j’ai toujours fondé beaucoup d’espoirs en elle. Pour cette raison, j’ai effectué quelques transferts d’embryons avec elle dès la première année, en utilisant Comme Il Faut et Ganesh Hero (Gemini CL x Diamant de Semilly, classé en Grand Prix 5* avec Carlos Hank Guerreiro, ndlr). À la fin de son année de six ans, elle me semblait un peu fatiguée, notamment lors des championnats du monde des Jeunes Chevaux à Lanaken. Pretty Woman avait pris un peu d’embonpoint et j’ai dit à ma cavalière maison de l’époque (Leontine Bruin, ndlr), qui l’a montée à sept ans, d’aller la faire galoper en forêt pour la garder en forme. Et puis, nous avons fini par l’emmener en clinique, et nous nous sommes aperçus qu’elle était gestante et qu’un embryon de Ganesh Hero était resté en elle ! Après avoir sauté quelques parcours en janvier, elle a passé le reste de son année de sept ans au pré, avec sa pouliche ! C’était assez spécial, et cela représentait aussi un risque. Nous avons été soulagés que tout se passe bien. En novembre, sa pouliche (Grace Jones, ndlr) a été sevrée et un mois plus tard, Pretty Woman était de retour en concours à Peelbergen. En janvier, elle prenait la troisième place de la finale réservée aux jeunes chevaux à Leipzig, puis elle a très bien sauté au Sunshine Tour. À ce moment-là, Monsieur Korbeld, le propriétaire de Carambole (Cassini I x Concerto II) souhaitait acheter un autre cheval. Je lui ai dit que s’il souhaitait investir dans un cheval auquel je crois, il devait acheter Pretty Woman. Et c’est ce qu’il a fait, en en devenant co-propriétaire à cinquante pour cent. Elle avait alors huit ans et a réalisé une bonne saison, jusqu’à sauter quelques parcours à 1,50m. Au début de son année de neuf ans, elle s’est classée deuxième du Grand Prix secondaire du CSI 5*-W d’Amsterdam. M. Korbeld avait déjà quelques problèmes de santé et Pretty Woman a suscité beaucoup d’intérêt après sa performance à Amsterdam. S’est alors posée la question de la vendre, mais nous avons décidé de la garder, ensemble. En mars 2024, M. Korbeld est malheureusement décédé, juste après le Grand Prix 5* de Paris, où Pretty Woman avait seulement écopé d’un point de temps. Elle a ensuite réalisé un très bon sans-faute dans la Coupe des nations d’Aix-la-Chapelle, avant d’avoir un accident la semaine précédant les Jeux olympiques. Ma compagne la montait en balade, quand un camion est passé près d’elle. Pretty Woman a eu peur et est tombée dans un ravin. Elle s’est écorché tout le corps. Elle n’avait pas de blessure majeure, mais sa peau avait besoin de temps pour se régénérer. Alors je lui ai accordé une pause, et elle n’a repris le travail que durant l’hiver. En 2025, elle a plutôt bien sauté les quelques indoors dans lesquels je l’ai engagée, puis elle a été sacrée championne des Pays-Bas. Dans le même temps, nous avons passé un accord avec la veuve et les enfants de M. Korbeld et avons décidé de garder Pretty Woman. Elle restera avec nous quoi qu’il arrive, fin de la discussion. Financièrement, j’aurais déjà dû la vendre compte tenu de l’intérêt qu’elle a suscité ces dernières années. Mais elle représente aussi l’héritage de la famille Korbeld et nous sommes heureux de continuer cette aventure sportive. Nous avons un groupe de discussion, sur lequel nous échangeons beaucoup. M. Korbeld a élevé J’Adore (Carambole x Chin Chin), la jument de Lalie Saclier. Hier soir (entretien réalisé vendredi 31 octobre, ndlr), ici à Lyon, j’ai pris une photo avec Pretty Woman et J’Adore, que j’ai envoyée à la famille Korbeld.

Pretty Woman van't Paradijs et sa pouliche, Grace Jones, en 2022. © Collection privée

Cette histoire et votre relation avec les Korbeld expliquent donc, au moins en partie, l’émotion que vous exprimez parfois à la fin de vos parcours avec Pretty Woman, non ?

Je ne dirais pas que je suis particulièrement ému à ces occasions, mais Pretty Woman me fait réaliser combien des gens comme M. Korbeld et sa famille comptent. C’est déjà un honneur de rencontrer de telles personnes. Et lorsqu’elles ne sont plus là, on réalise encore davantage combien elles ont été importantes et généreuses. Ce sont des gens formidables. Je suis heureux et reconnaissant d’avoir croisé leur route et que l’histoire autour de Pretty Woman continue, mais j’aimerais que M. Korbeld soit toujours parmi nous pour partager ces beaux moments de sport. La relation que j’entretiens avec sa famille est fantastique, et cela n’a pas de prix à mes yeux.

À tous points de vue, l'histoire de Pretty Woman est unique. © Mélina Massias

Avez-vous toujours les poulains de Pretty Woman ?

Oui, j’ai trois produits de Pretty Woman : la Ganesh Hero et les deux Comme Il Faut. Ils ont fait quelques sauts en liberté, mais ils n’ont que trois ans et ne sont encore que des bébés. On verra ce que l’avenir leur réserve !

“Être le meilleur de son pays est un immense honneur”

Le championnat national néerlandais est devenu un rendez-vous à part entière et parvient à réunir les meilleurs cavaliers de votre pays, ce qui n’est pas le cas pour toutes les nations. Comment expliquez-vous cet attrait et cette réussite ?

Aux Pays-Bas, le championnat national existe depuis très, très longtemps. Chaque année, il est organisé en début de saison, en général fin avril, afin de jauger les nouveaux couples, les jeunes chevaux. C’est une sorte d’observation avant la suite de l’année. Comme ce championnat n’a pas lieu en plein milieu de l’été, il représente une bonne préparation pour nous. C’est un très bon test pour évaluer l’état de forme des troupes, les couples qui montent, qui ira aux CSIO 5* de Rome ou La Baule, quel pourrait être le plan pour le grand championnat estival, etc. Être le meilleur de son pays est un immense honneur. Je n’avais jamais fait mieux que cinquième au championnat néerlandais, puis je l’ai remporté en 2022 avec Highway. J’étais blessé en 2023 et n’y ai pas pris part, avant de le remporter à nouveau avec Grandorado en 2024, puis avec Pretty Woman cette année. Je suis très flatté de pouvoir dire que je suis le champion des Pays-Bas. Je suis patriote et je suis fier de monter pour mon pays ! Je crois aussi que ce championnat motive les cavaliers à bien performer.

Willem Greve a remporté trois fois son championnat national, avec ses trois meilleurs chevaux, dont le charismatique Grandorado, ici en action à Rotterdam. © Leanjo de Koster / FEI

La deuxième partie de cet entretien sera disponible mercredi sur Studforlife.com…

Photo à la Une : À dix ans, l'histoire de Pretty Woman van't Paradijs est déjà digne d'un roman ! © Mélina Massias