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“Ne pas avoir décroché une médaille individuelle à Tokyo restera toujours une déception”, Henrik von Eckermann (1/2)

Interviews jeudi 12 mai 2022 Mélina Massias

Sans doute pourrait-on l'écouter des heures durant, sans jamais se lasser, tant ses réflexions sont pertinentes et intéressantes. Le Suédois Henrik von Eckermann, plutôt discret de prime abord, se révèle être avant tout un Homme de cheval, à l'écoute de ses montures. Accordant beaucoup d’importance au fait de former lui-même ses cracks de demain, et de garder la main sur chaque détail, le pilote de quarante ans semble pleinement épanoui. Installé aux Pays-Bas, aux côtés de sa compagne, la Suissesse Janika Sprunger, mais aussi de son fils, Noah, qui a soufflé sa première bougie le 6 avril dernier, l’actuel troisième meilleur cavalier du monde briguera une sélection aux championnats du monde de Herning, cet été, au Danemark. Privé du CSIO 5* de La Baule, dont il espérait disputer les deux temps forts avec la vive Glamour Girl, le jeune père de famille a pris le temps de se confier. Il revient, entre autres, sur la sucess story de la Suède, son formidable King Edward, la construction des écuries Cyor et son expérience olympique. Entretien.

Ce week-end, vous n’avez malheureusement pas pu prendre part à la moindre compétition, après que l’une des montures de vos écuries a montré des signes de fièvre. Comment se portent vos chevaux ? 

Ils vont tous bien et sont déjà de retour à la maison (entretien réalisé dimanche 8 mai, ndlr). Mes chevaux n’avaient aucun problème, mais l’une des montures de mon élève (Evelina Tovek, ndlr) avait un peu de fièvre à son arrivée. Comme nous avions voyagé ensemble, mes chevaux ont aussi dû se soumettre à une quarantaine. Aujourd’hui, tous ont été testés et les résultats sont revenus négatifs donc tout va bien.

Quel était votre plan initial en venant ici, à La Baule, sans votre cheval de tête, King Edward (BWP, Edward x Feo de Lauzelle) ?

Normalement, je voulais monter Glamour Girl (KWPN, Zirocco Blue, ex Quamikase de Forêts x Caletto I) dans la Coupe des nations et le Grand Prix, mais tout a un peu changé (rires). King Edward sautera la semaine prochaine, dans un autre concours Rolex, à Windsor.

Henrik von Eckermann et Glamour Girl. © Sportfot

À quoi va ressembler la saison de concours de King Edward ?

À partir de maintenant, il va y avoir des concours presque toutes les semaines. Avec lui, nous regardons bien sûr vers les championnats du monde (qui auront lieu à Herning, du 6 au 14 août prochain, ndlr). Il s’agit de notre objectif majeur, mais nous en avons de nombreux autres sur notre route.

Vous avez talonné votre compatriote Peder Fredricson pendant deux mois au classement mondial Longines des cavaliers. Désormais, vous figurez en troisième position, mais les écarts se resserrent entre Peder, Martin Fuchs et vous. Visez-vous la place de meilleur cavalier du monde ?

Bien-sûr, il s’agit de quelque chose que j’aimerais accomplir au moins une fois, même si je pense que ce sera désormais difficile. Martin est très fort. J’ai établi mon plan pour mes chevaux et je vais le suivre. Nous verrons ensuite ce qu’il advient.

“Je ne prends rien pour acquis”

Ces derniers mois, vous avez accumulé les performances, victoires et autres classements. Parvenez-vous à réaliser l’ampleur de vos exploits ?

Oui, c’est chouette, mais on passe rapidement d’une semaine à l’autre. Quand un week-end de concours est terminé, on enchaîne avec le suivant, en se fixant de nouveaux objectifs. Parfois, j’essaye de savourer ce que j’ai et, surtout, je ne prends rien pour acquis. C’est très important. Dans ce sport, nous savons que tout peut changer très rapidement.

Bien que vous ayez remporté le dernier Grand Prix que vous avez disputé avec King Edward, à l’Hubside Jumping de Grimaud le 17 avril, vous avez terminé deuxième à Doha, puis à Paris. Avec le recul, pensez-vous que vous auriez pu ajouter ces épreuves à votre collection ?

C’est certain. J’ai été très content de gagner mon dernier Grand Prix 5*, où nous étions, qui plus est, dix-neuf au barrage. J’ai déroulé une bonne finale. Je pense que ce Grand Prix à Saint Tropez était parfait. Concernant les deux autres, je n’ai pas assez bien monté. Je suis sûr que j’aurais pu les gagner si j’avais mieux monté.

Beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que King Edward est le meilleur cheval du monde en ce moment. Quel sentiment a-t-on lorsqu’on monte un tel crack ?

Tout est formidable, vraiment. King Edward est un cheval incroyable, dans tous les sens du terme. Chaque fois que l’on entre en piste, on prend du plaisir. J’apprécie sincèrement chaque moment passé sur son dos, d’autant que nous choisissons avec soin les événements auxquels il participe. Un cheval ne doit pas en faire trop.

Aux Jeux olympiques de Tokyo, l’été dernier, bien que vous vous soyez paré d’or collectivement et que vous ayez aligné pas moins de six sans-faute en autant de parcours, vous avez terminé quatrième en individuel. Regrettez-vous de ne pas être monté sur le podium ?

Ne pas avoir décroché une médaille individuelle a été une déception et le demeurera toujours, à chaque fois que j’y repenserai. Je ne verrais jamais cela comme une chose positive, même si c’était extraordinaire. Quoi qu’il en soit, je ne peux plus changer le cours des choses, alors, je me tourne vers l’avenir.

L'équipe suédoise de saut d'obstacles, sacrée championne olympique à Tokyo l'été dernier. © Sportfot

“Mary Lou va très bien”

Après vos très belles heures avec Toveks Mary Lou (Westph, Montendro I x Portland L), King Edward a pris le relais de la meilleure manière. Mais, avant cela, étiez-vous inquiet de ne pas retrouver une monture de ce calibre ?

Bien-sûr, nous essayons et souhaitons toujours rester au sommet. Mais nous savons aussi à quel point il est difficile d’y parvenir. Notre plus grande tâche est de découvrir de nouveaux diamants, de façon à créer de nouveaux partenariats et former un bon couple. King Edward a douze ans, il est en pleine forme et j’espère que nous avons encore quelques belles années devant nous. Toutefois, le temps passe à une vitesse folle, alors nous devons déjà nous atteler à trouver la relève, même si cela n’est pas chose aisée. J’ai eu tant de bons chevaux dans ma carrière. À chaque fois, on se dit que celui-ci est le meilleur que l’on a jamais monté, et on se demande si on pourra en trouver un autre pour prendre la suite. Cela a été le cas avec Mary Lou, puis King Edward maintenant. Mais la limite vers le ciel s’amenuise (rires). Si je trouve un autre cheval aussi doué, voire un peu moins, que ces deux-là, ce sera déjà très bien.

Justement, comment se porte votre chère Mary Lou ? Peut-on imaginer vous voir aux rênes de l’un de ses produits dans une dizaine d'années ?

Elle va bien, très bien. Elle est en Italie, chez Mares of Macha (structure développée par le Belge Pieter Devos et sa famille, ainsi que Klaas de Coster et Frederik de Backer, dans le but de commercialiser des embryons de haute qualité, ndlr). Je suis très heureux qu’elle soit là-bas. Elle vit avec beaucoup de copains et profite pleinement de sa retraite. J’ai déjà quarante ans et je ne sais pas combien de temps je vais continuer, mais, quoi qu’il arrive, il sera intéressant de regarder ce que donne sa production.

Mary Lou. © Sportfot

Actuellement, avez-vous dans vos écuries des chevaux présentant le potentiel pour épauler vos deux chevaux de tête à haut niveau ?

Oui, j’en ai quelques-uns. King Edward est phénoménal et Glamour Girl rencontre aussi un succès fou. J’ai quelques chevaux qui arrivent et qui me semblent intéressants. Je dois continuer à les faire travailler. Ils sont encore un peu verts pour la plupart et n’ont pas beaucoup d’expérience.

Quid de la Selle Français Dzara Dorchival (Qlassic Bois Margot x Raphael) ?

Elle est l'une d'entre eux. Nous avons été malchanceux avec elle, parce qu’elle a été un peu malade. Maintenant qu’elle revient en forme, j’espère pouvoir compter sur elle pour l’avenir. Elle fait en tout cas partie des atouts qui me semblent intéressants dans mon piquet.

Dzara Dorchival. © Sportfot

Il y a quelques mois, vous vous êtes installé avec votre fiancée, Janika Sprunger, au sein des écuries Cyor, que vous avez fait construire de A à Z, près de Kessel, aux Pays-Bas. Quels facteurs vous ont poussé à prendre cette décision ?

En effet, nous avons emménagé dans nos nouvelles écuries. En 2016, j’ai développé ma propre activité, en Allemagne. Ensuite, j’ai rencontré Janika. La structure où j’étais installé était destinée à deux personnes et nous étions un peu à l’étroit. Nous avons alors réfléchi à ce que nous voulions pour l’avenir et l’opportunité d’acquérir cette propriété s’est présentée. Nous aimons tous les deux la Hollande et la région où nous nous trouvons. Nous n’avions pas entièrement prévu de suivre ce chemin-là, mais cela s’est produit ainsi et nous sommes extrêmement heureux d’avoir fait les choses comme cela, surtout depuis que nous avons notre fils, Noah, avec nous. Nous vivons sur place et c’est un rêve pour nous. Cela a été [difficile de partir de zéro] et le chemin a été long, mais nous sommes ravis d’avoir persévéré.

“Dans ce sport, nous n’avons jamais fini d’apprendre”

Comment fonctionne votre système et quelle place accordez-vous aux différentes activités inhérentes à la pratique de votre sport ?

J’essaye de le garder petit. Je suis un peu un maniaque quant au fait de tout contrôler (rires). J’aime avoir la main sur tout, et, pour cette raison, je ne souhaite pas avoir une immense structure. Sinon, j’ai l’impression que tout s’écroule. Nous avons donc peu de chevaux, mais nous pouvons nous concentrer à 150% sur ce que nous faisons. J’ai le sentiment de pouvoir consacrer du temps à chaque cheval, de façon individualisée. Pour le moment, je ne veux pas, et n’ai pas besoin, d’un cavalier pour former mes chevaux ; je m’en charge moi-même. Bien-sûr, mon équipe prend soin des chevaux et les monte, mais c’est tout. Il en va de même pour Janika avec son piquet, et j’ai également mon élève, Evelina. Une fois de temps en temps, il nous arrive de vendre un cheval, mais je ne me considère pas comme un marchand. Nous avons des propriétaires fantastiques, notamment pour King Edward et Glamour Girl, et également pour Dzara Dorchival. Nous sommes entourés de gens supers, qui aiment le sport autant que nous.

Peder et Jens Fredricson, mais aussi Henrik Ankarcrona, votre chef d’équipe, sont toujours installés en Suède. Avez-vous envisagé la possibilité de fonder votre structure là-bas ?

Non. Cela n’a jamais été une option pour moi. J’aime et j’apprécie mon pays. Lorsque je me rends en Suède, j’ai toujours l’impression d’être à la maison, mais, pour le sport, avec toute la logistique et les voyages que cela implique, c’est trop loin.

En 2016, vous avez quitté les écuries de Ludger Beerbaum pour vous lancer en solo. La décision de voler de vos propres ailes a-t-elle été difficile à prendre ?

Il est toujours difficile de prendre une telle décision dans sa vie. J’ai vécu d’excellents moments là-bas, mais, comme pour tout dans ma vie, j’ai senti le besoin de changer quelque chose à ce moment-là. J’avais trente-quatre ans et c’était maintenant ou jamais. Finalement, ce choix était le bon. Dans la vie, tout a une date de péremption. Après avoir quitté la structure de Ludger, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Je n’avais pas vraiment d’économies financières, alors j’étais un peu sur le fil. Heureusement, Mary Lou est arrivée et a pu me sauver (rires).

Henrik von Eckermann aux côtés de son ancien mentor, Ludger Beerbaum. © Sportfot

Aujourd’hui, vous entraînez-vous avec un coach ?

Non, pas à proprement parler. J’essaye en revanche de m’inspirer de tout le monde. Lorsque j’étais aux écuries Beerbaum, Ludger était évidemment d’une grande aide pour nous et était notre entraîneur, mais le plus important est d’apprendre de ce que nous voyons. Avoir l’opportunité d’évoluer auprès de telles personnes, pas seulement Ludger, mais aussi Marco Kutcher, qui a été très important pour moi lorsque nous montions pour Ludger, est une chance. Quand je suis en concours, des jours comme aujourd’hui, j’essaye toujours d'approfondir mes connaissances. Spécifiquement dans ce sport, nous n’avons jamais fini d’apprendre. Il y a toujours quelque chose que l’on peut ajouter à son bagage technique. Chaque cheval est différent et, parfois, ce n’est pas ce à quoi nous sommes habitués. Alors, on peut tenter de voir ce que tel ou tel cavalier fait, avec un cheval similaire au nôtre.

La seconde partie de cet entretien est à lire ici.

Photo à la Une : Henrik von Eckermann et King Edward à Tokyo. © Sportfot