“Mon système repose sur le respect mutuel, la confiance et l’écoute du rythme du cheval”, Sara Brionne (2/2)
Il y a des couples qui sortent de l’ordinaire. Sara Brionne et Grand Duc du Paradiso sont de ceux-là. Si le fils du regretté Vagabond de la Pomme a d’abord fait ses gammes aux côtés de Luc Couteaudier, il accompagne sa jeune amazone depuis l’été 2022. En un peu plus de trois ans, tous deux ont connu une progression fulgurante, marquée par une saison 2025 exceptionnelle. Classée dans les temps forts des CSI 3* du Touquet, de Deauville, Saint-Lô, ainsi que dans ceux des CSI 4* de Cabourg, Chantilly, Deauville et Avenches, la paire n’en finit plus d’impressionner. Cette semaine, Sara Brionne et Grand Duc du Paradiso fouleront leur première piste 5*, à Lyon, après avoir porté les couleurs de l’équipe de France dans la Coupe des nations du CSIO 4* d’Avenches début septembre. La récompense d’une progression maîtrisée, planifiée et attendue. Grâce à une ouverture d’esprit salutaire, Sara Brionne, vingt-quatre ans, s’approche un peu plus chaque jour de son idéal, dans un système sur-mesure, dont elle a pensé les moindres détails pour permettre à ses partenaires de pleinement s’exprimer. Entretien.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Pour l’instant, Grand Duc du Paradiso n’a eu qu’un produit, qui est né cette année, au sein de votre propre élevage. À quoi ressemble cette pouliche ?
En toute objectivité, elle est magnifique ! (rires) Elle lui ressemble assez et a de longues jambes. Elle est globalement très bien dessinée. J’ai eu de la chance d'avoir une femelle ! Sa mère, Douna de Besquelen (Urlevent du Barry x Dollar du Mûrier), était l’ancienne jument de concours de ma sœur (Lola Brionne, qui a sauté jusqu’à 1,40m avec cette représentante de la souche de Dirka, ndlr). Je pense que le croisement peut être très intéressant. La pouliche devrait avoir beaucoup de caractère. Elle est déjà très sensible, davantage que les autres.
Grand Duc sera-t-il proposé aux éleveurs l’an prochain ?
Si nous le faisons prélever cet hiver, il sera proposé en semence congelée en 2026. Sans jamais avoir fait de pub pour sa carrière d’étalon, j’ai déjà reçu beaucoup de demandes. Cela en est même impressionnant !

L'an prochain, les éleveurs devraient pouvoir utiliser Grand Duc du Paradiso en semence congelée. © Sarah Bedu / GRANDPRIX Events
“Mon élevage est géré par Shanna Oltra et Jean-Marc Le Guennec, deux personnes incroyables, passionnées et très douces avec les chevaux”
Depuis quelques années, vous vous êtes vous-même lancée dans l’élevage. Comment en êtes-vous venue à développer cette activité ?
C’était une suite logique pour moi, puisque j’avais la chance de pouvoir compter sur de bonnes poulinières. Mes juments ont été blessées et ont été mises tôt à la retraite, donc nous avons poursuivi l’aventure d’une autre manière grâce à l’élevage. Mes trois poulinières ont toutes sauté 1,50m et disposent de très bonnes souches. La mère de Comète de Canteloup (Chippendale x Socrate de Chivre) a vraiment très bien produit (et notamment donné le compétitif Untouchable Gips*HDC, classé jusqu’en Grand Prix 4* avec Reynald Angot, ndlr). Comète, Kat Fois Deux Huit et Douna ont toutes de bonnes origines, donc cela m’a logiquement amenée à faire un peu d’élevage. Aujourd’hui, acheter des chevaux coûte aussi énormément d’argent. Je n’ai pas les moyens financiers pour acheter tous mes chevaux prêts pour évoluer à haut niveau. Alors, forcément, en faisant naître, j’espère aussi avoir de bons poulains pour la suite. Il m’est aussi arrivé d’en vendre, notamment pour rentabiliser cette activité. J’ai hâte de voir ce que cela va donner par la suite ! Les premiers produits de l’élevage ont sauté cette année et la fille la plus âgée de Comète m’a l’air plutôt très intéressante.
Comète de Canteloup, une sœur utérine d'Untouchable Gips*HDC ayant évolué jusqu'à 1,50m, fait partie des trois poulinières de l'élevage de Sara Brionne. © Sportfot
Parmi vos poulinières se trouve Kat Fois Deux Huit, avec laquelle vous avez disputé deux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers, dont ceux d’Oliva en 2022, théâtre de sa dernière apparition en compétition. Comment se porte-t-elle ?
Elle va bien et est très belle ! C’est cool qu’elle puisse avoir des poulains, car la fin de notre histoire avait été un peu regrettable. Kat a déjà deux produits par Halifax vh Kluizebos et un par Vagabond de la Pomme. L’an dernier, j’ai vendu un embryon, et elle attend un fils ou une fille d’Armitages Boy pour 2026. J’ai la chance que mes juments fassent assez régulièrement des doubles ovulations et que les deux embryons s’implantent sur les porteuses ! Cela me fait donc beaucoup de poulains.
Kat Fois Deux Huit a accompagné sa cavalière dans deux échéances européennes en Jeunes Cavaliers et se consacre désormais à la reproduction. © Sportfot
Comment s’inscrit la gestion de l’élevage dans votre système ? Êtes-vous épaulée par une aide extérieure ?
Oui, Shanna Oltra et Jean-Marc Le Guennec gèrent tout de A à Z à Saint-Lô. Tous mes chevaux d’élevage sont là-bas. Shanna et Jean-Marc s’occupent des transports pour les transferts, de la surveillance, des poulinages, etc. Ce sont deux personnes incroyables, passionnées et très douces avec les chevaux. C’est exactement ce qu’il me fallait ! Les chevaux ont de grands prés et une rotation régulière entre les différentes parcelles. Concernant les croisements, j’en discute souvent avec eux également. Je suis complètement novice dans ce domaine, donc nous partageons nos idées, en fonction de mon sentiment et de croisements qui ont déjà fait leurs preuves.
“Avant, j’imaginais trop que pour être cavalier, il fallait monter au moins dix chevaux par jour”
Quid de votre système au sein des écuries Quibel Stables, situées près de Deauville et dont les initiales forment votre affixe ?
Aux écuries, ma groom, Léa, qui est à mes côtés depuis quatre ans, et moi sommes généralement toutes les deux. Durant les jours de repos de Léa, je reçois l’aide de prestataires freelance. J’essaye de faire appel aux mêmes personnes, afin que les chevaux aient une certaine stabilité et ne passent pas entre trop de mains différentes. Je suis pratiquement la seule à monter à cheval, d’où le fait que je ne souhaite pas compter un trop grand nombre de montures dans mon piquet. L’hiver dernier, j’en avais huit. Je passe beaucoup de temps avec mes chevaux, que ce soit à pied ou en selle. Cela est donc chronophage. Dans mon système de rêve, mon objectif serait d’avoir deux piquets de trois chevaux : un qui puisse suivre et épauler Grand Duc et un second qui soit capable d’évoluer au niveau 2 voire 3*. J’apprécie aussi beaucoup le fait de former de bons jeunes chevaux de six ou sept ans. J’ai eu la chance de suivre ces circuits avec Grand Duc et Horizon de Carolles (Rock’n Roll Semilly x Quidam de Revel). C’est vraiment intéressant et cela permet de se rendre rapidement compte si on a un bon cheval ou non.

Sara Brionne a une idée bien précise de son système de rêve pour ses écuries Quibel Stables. © Sarah Bedu / GRANDPRIX Events
Êtes-vous encadrée par un coach dans le travail de vos chevaux ?
À la maison, je suis toute seule. Je demande parfois à Guillaume (Lamare, ndlr) de venir m’aider, notamment lorsque j’effectue les dernières séances avant un concours avec Grand Duc. Il m’apporte un regard extérieur précieux. J’ai également effectué plusieurs séances avec Eugénie (Angot, ndlr) : trois avec Grand Duc et deux avec Horizon. Je sentais que j’étais dans une impasse à ce moment-là et que j’avais besoin d’elle. Elle m’a beaucoup aidée et m’a donné des points clefs pour avancer. En concours, en dehors de la présence de Guillaume, qui me connaît très bien, je préfère être seule. Il m’accompagne les jours de Grands Prix ou lors d’épreuves plus importantes, mais la plupart du temps, je suis seule.
Il y a quelques années, vous avez débuté des études dans le domaine du commerce. Vous consacrez-vous aujourd’hui pleinement à votre écurie et votre métier de cavalière ?
J’ai effectué ma première année d’école de commerce, mais je n’ai pas poursuivi mes études après cela. Lorsque je suis arrivée en Normandie, j’ai dû tout gérer seule. De fait, entre ma structure et mes études, je ne faisais rien à cent pour cent. Lorsque je travaillais sur mes cours, je me disais “il faudrait que je fasse ça, ça et ça aux écuries”. Et lorsque j’étais à cheval, je ne pensais qu’à une chose : me dépêcher de rentrer pour me replonger dans mes cours. Cela n’était pas viable. J’ai donc préféré arrêter mes études et me consacrer entièrement aux chevaux. J’ai appris sur le tas, même si certaines notions apprises à l’école, notamment sur l’aspect comptabilité, me servent aujourd’hui. Avec mon entreprise et toutes les lois qui existent, j’en apprends tous les jours ! J’essaye également de bien m'entourer, comme avec mon avocate par exemple. Bien qu’il soit difficile de comprendre et gérer tout ce qui concerne les entreprises, je trouve cet aspect très intéressant !
À neuf ans, le phénoménal fils de Vagabond de la Pomme a confirmé l'étendue de son talent. © Cécile Sablayrolles / GRANDPRIX Events
“Je suis heureuse de la vie qui est la mienne actuellement et j’aimerais que cela continue”
En 2022, au micro de Georgette Mag, vous émettiez des doutes quant à votre capacité à exercer le métier de cavalière, qui est exigeant tant mentalement que physiquement, toute votre vie. Aujourd’hui, cette perspective vous semble-t-elle plus évidente ?
En 2022, j’avais en tête l’image des cavaliers qui ne font que cela de leurs journées, de leurs vies, sans avoir d’autres centres d’intérêts à côté. C’est décidé : les chevaux seront ma vie, je vais faire cela. Par contre, je ne ferais pas que ça. J’aime voyager, découvrir d’autres choses. J’ai envie d’avoir une vie de famille dans le futur et je ne veux pas être en concours tous les week-ends ni m’enfermer complètement dans une seule case. Ce n’est pas comme cela que j’imagine ma vie. Lorsque je suis aux écuries, et j’y suis tous les jours, je suis à deux cent pour cent. Avant, j’imaginais trop que pour être cavalier, il fallait monter au moins dix chevaux par jour. Chacun peut créer son système comme il le souhaite, mais je n’imagine pas le mien comme cela. Si j’arrive à mettre en place tout ce que je souhaite, tout en étant rentable, je pense parvenir à tout concilier. J’aimerais également effectuer des investissements en dehors des chevaux. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Aujourd’hui, je peux dire que cavalière sera mon métier, sans pour autant m’imaginer passer trois-cent-soixante-cinq jours par an aux écuries, de 7 heures à 19h30. Je sais que je ne peux pas monter dix chevaux par jour. Même si je travaille à le renforcer, mon physique n’est pas le plus solide du monde. J’ai appris à m’écouter. Alors, quand j’arrive aux écuries le matin, j’ai le sourire. Ce matin (entretien réalisé vendredi 24 octobre, ndlr), je faisais marcher Grand Duc en main. Il faisait super froid, mais j’étais très heureuse d’être là. J’ai envie de garder cet état d’esprit et ce bonheur. Il y a des jours plus difficiles que d’autres, où l’on a moins le moral, moins d’envie, et c’est normal, mais je suis heureuse de la vie qui est la mienne actuellement. J’aimerais que cela continue.

À vingt-quatre ans, la jeune Tricolore a trouvé un équilibre qui lui permet de profiter de la vie sous tous ses aspects, qu'ils soient sportifs ou personnels. © Cécile Sablayrolles / GRANDPRIX Events
Aujourd’hui, les lignes bougent dans le sport et les mentalités évoluent, notamment sur toutes les questions relatives à la bientraitance animale et à la bonne façon de pratiquer l’équitation. Selon vous, quel rôle la jeune génération, que vous incarnez, a-t-elle à jouer dans ces changements ?
Je pense qu’en premier lieu, il est important de répondre aux questions que l’on nous pose. Par exemple, on me demande souvent pourquoi j’ai recours à la communication animale. Oser parler de ces sujets-là est un bon début et aide à tendre vers le mieux. Les chevaux ont tellement à nous apprendre. Mettre en avant à quel point il est important de les écouter, d’entendre les messages qu’ils ont à nous faire passer me paraît primordial. Je pense qu’il faut aussi garder sa ligne de conduite. Dans mon cas, mes chevaux ne vivent pas au pré, mais j’essaye de faire au mieux pour eux. Ils sortent en général trois fois par jour, ce qui évite qu’ils restent trop longtemps dans leurs boxes. Pour moi, être ouvert d’esprit est très important. Je touche beaucoup à tout ce qui est développement personnel et spiritualité. Si quelqu’un me parle de quelque chose que je ne connais pas, cela m’intéresse toujours ! Je suis prête à tout écouter pour devenir meilleure. Il ne faut pas se bloquer dans des cases et dans des systèmes déjà tout faits, où tout le monde croit tout savoir. Ce sport existe depuis de nombreuses années. Forcément, on sait beaucoup de choses, mais on est encore bien loin d’avoir tout appris et de tout savoir !

Très ouverte d'esprit, la jeune femme n'hésite pas à emprunter des chemins encore peu habituels au plus haut niveau, mais qui lui permettent de faire toujours mieux pour ses chevaux. © Cécile Sablayrolles / GRANDPRIX Events
Que vous apportent les communications animales dans votre quotidien avec vos chevaux et votre pratique du sport ?
Lorsque j’ai recours à la communication animale, les personnes qui font l’intermédiaire entre mes chevaux et moi me donnent des informations que je ne leur ai jamais communiquées ! Cela m’aide principalement à comprendre certains comportements de mes chevaux. Très souvent, ceux-ci sont liés à des douleurs ou des gênes. Ils peuvent aussi exprimer une forme de stress parce qu’ils ne se sentent pas bien dans tel ou tel box. Il y a plein de choses différentes qui ressortent. Et puis, la communication animale me permet aussi de faire passer des messages à mes chevaux. Je m’en sers beaucoup pour leur expliquer certaines situations et je trouve que cela m’aide énormément. Après Avenches, Grand Duc et moi avons fait plusieurs séances photos. Il n’aime pas trop l’agitation et a besoin d’être dans sa bulle. Je lui ai donc expliqué par ce biais que ce n’était rien et qu’il ne fallait pas qu’il s’inquiète. En parallèle, je lui parle aussi beaucoup. J’estime que chaque détail est important et comme je suis ouverte à cela, j’aurais tort de m’en priver ! Dans le pire des cas, si certains éléments sont trop en décalage par rapport à ma réalité, je ne les applique pas. Comme dans tout, il y a des choses à prendre et à laisser. Mon système reste axé vers le sport et le commerce. Hormis Grand Duc, tous mes chevaux sont actuellement à vendre. C’est ainsi. Mais je trouve que les communications animales m’apportent autant à moi qu’à eux. J’ai l’impression de comprendre encore plus mes chevaux. Ces échanges nous apprennent parfois des choses sur nous-mêmes. Les chevaux peuvent faire passer des messages et nous expliquer qu’ils sont comme ci ou comme ça parce que leur cavalier se comporte de telle ou telle manière. Je sais que mon discours ne va pas plaire à tout le monde, et que certains se moqueront peut-être de cette pratique, mais cela ne m’atteint pas. Je ne dis pas que mon système est parfait, mais il fonctionne pour Grand Duc et mes autres chevaux. Et ce système repose vraiment sur le respect mutuel, la confiance, la compréhension et l’écoute du rythme du cheval.
Un grand avenir semble attendre Sara Brionne et Grand Duc du Paradiso, l'un des couples de l'année. © Sportfot
Photo à la Une : Sara Brionne et Grand Duc du Paradiso ont vécu une année de rêve en 2025, qui se conclut à Lyon. © Mélina Massias





