Qui est Richard Howley ? Âgé de trente et un ans, l’Irlandais a bluffé son monde en remportant avec maestria les deux premières étapes de la Coupe du monde Longines sur la ligue d’Europe occidentale, la plus disputée de toutes. Associé à l’atypique mais brillant Consulent de Prelet, un cheval né en Slovaquie, chez Svo Trans Feka, l’ancien disciple de Michael Whitaker n’a pas dit son dernier mot, loin de là. Installé en Angleterre, où il gère avec son épouse, Morgane Kent, HK Horses, une large écurie mêlant sport, élevage et commerce, Richard Howley a grandi sur l’île d’Emeraude, au sein d’une famille passionnée, sans pour autant être professionnelle du milieu. Reconnaissant n’avoir manqué de rien durant sa jeunesse, sans pour autant rouler sur l’or, le jeune homme s’est forgé lui-même, a appris la patience et l’abnégation et surmonté un grave accident l’ayant immobilisé plusieurs mois. Raisonné et déterminé, ce perfectionniste dans l’âme, qui a vu passer sous sa selle quelques excellentes cartouches, à l’image de Chinook ou Arlo de Blondel, semble en passe de vivre les plus belles heures de sa carrière, avec Riyad et Paris en ligne de mire. À l’occasion du salon du cheval de Lyon, le jeune trentenaire, au départ de deux championnats d’Europe à poney et un en Junior, s’est confié sur son parcours, ses ambitions et son fonctionnement. Rencontre en trois volets.
Les première et deuxième parties de cet entretien sont à (re)lire ici et ici.
Avec la recrudescence des ventes d’embryons, et l’utilisation parfois démultipliée de certaines lignées maternelles et paternelles, avez-vous des craintes pour l’avenir de l’élevage ?
Honnêtement, je pense qu’il va y avoir un effet boomerang. Je pense que tout va se calmer dans les prochaines années. Je trouve cela bien que les gens qui le souhaitent puissent s’offrir une bonne lignée afin de commencer l’élevage, par exemple. Ils ont le droit d’aller à une vente et d’acheter un bon poulain ou d’investir dans un pedigree qui leur plaît. Est-ce que cela sera un tournant pour notre sport ? Non. Je pense que les médias ont un rôle majeur à jouer dans la direction que va prendre notre sport. Trop de personnes se focalisent sur les mauvais côtés. Dès que quelqu’un n’aime pas, a priori, quelque chose, cela est placardé partout. Alors que nous devrions tous, dans le monde entier, montrer combien nous aimons nos chevaux, comment nous prenons soin d’eux, combien chaque cavalier prête attention au moindre détail, combien tous les cavaliers essayent de faire au mieux pour obtenir le meilleur de leurs chevaux. On prend mieux soin de ces animaux que de nous-mêmes ! Je ne sais pas vous, mais je ne vois pas le physio toutes les deux semaines ! La façon dont on peut dépeindre le bien ou le mal aux yeux du grand public est incroyable. Il est important de mettre en avant le positif. De cette manière, on peut aussi attirer plus de gens.
Au-delà des soins en tout genre, le plus important pour les chevaux n’est-il pas de satisfaire leurs besoins de base, en leur permettant, en premier lieu, de vivre en extérieur ?
Sans aucun doute ! Nous croyons fermement en cela. Lorsque l’on connaît ses chevaux, on sait lesquels peuvent avoir tendance à faire les idiots. Evidemment, s’ils ne sont jamais allés dehors, ils vont être excités lorsqu’ils iront. Il faut faire preuve de bon sens, en commençant, peut-être le premier jour par les laisser en liberté dans une carrière après avoir travaillé, plutôt que de les mettre directement dans un pré de deux hectares. Ensuite, on peut évoluer progressivement à partir de là. Mais je suis d’accord, les chevaux devraient être hors de leur box autant que possible. Cela fait partie de notre philosophie. D’ailleurs, mon père disait toujours “on ne peut pas faire mieux que le Docteur vert” !
“Personne ne voit le travail de l’ombre du lundi matin”
Dans la performance des couples cavaliers chevaux, beaucoup d’acteurs, dont on parle plus ou moins, sont impliqués. Cependant, à la base de la chaîne se trouvent les éleveurs, sans qui rien ne serait possible et qui sont encore trop souvent dans l’ombre. Quelles solutions pourraient permettre de leur offrir une juste reconnaissance de leur travail ?
Les éleveurs sont importants, mais je pense aussi qu’ils devraient travailler davantage avec les bons cavaliers. Si un éleveur a un très bon trois ans, que ce soit un étalon, un hongre ou une jument, peu importe, et qu’il croit sincèrement qu’il s’agit d’une superstar, sans que ce soit un rêve utopiste, la bonne chose à faire est sans doute de m’appeler et me dire “j’ai un super cheval, seriez-vous intéressé pour démarrer un partenariat avec moi ?”. Il y aussi un autre fait important : former un cheval coûte énormément d’argent. En fin de processus, si le cheval n’est pas très doué, il vous aura coûté plus cher que son prix de vente. Les gens doivent aussi voir les choses du point de vue du cavalier, qui doit payer ses écuries, son camion, son équipe, etc. On ne voit que les dotations du dimanche soir, et il faut encore que le cavalier soit chanceux pour en avoir une petite part. Personne ne voit le travail de l’ombre du lundi matin, je peux le promettre. Les grooms sont aussi des éléments indispensables. Comme je l’ai dit, nous avons une super équipe, jeune et qui garde tout le monde motivé. Dans le même temps, tout le monde doit continuer à apprendre et développer ses compétences en tant qu’homme ou femme de cheval. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de monter à cheval pour être un homme ou une femme de cheval. Je crois fermement à cela. Faire preuve de bon sens et engranger l’expérience qui vous ait donnée me semble très important.
En début d’année, vous disiez espérer pouvoir grappiller davantage d’expérience au niveau 5*, afin de faire vos preuves. Vous avez su saisir cette opportunité sur le circuit du Longines Global Champions Tour. Qu’avez-vous pensé de ce circuit ?
Je l’apprécie beaucoup. J’ai eu la chance d’emmener ma famille sur quelques étapes. Pouvoir partager des concours comme ceux de Rome ou Monaco avec ses proches est incroyable. C’est ainsi que devrait être notre sport. C’est un sport extrêmement coûteux et élitiste. En dresser le portrait au plus grand monde est super. Cela permet de garder de plus en plus de personnes, notamment aisées, intéressées, de leur donner envie de continuer à acheter des chevaux ou sponsoriser un cavalier en l’aidant avec les coûts inhérents à son activité. Toutes ces choses sont vitales pour notre développement. En tant qu’écurie et athlète, nous avons besoin de soutien.
“Il faut rejoindre son cheval à mi-chemin sportivement parlant afin de grandir en tant que couple”
Comment jugez-vous les forces et faiblesses de l’équipe irlandaise en ce moment ?
L’équipe irlandaise est très passionnée. À chaque journée de Coupe des nations, tout le monde tire dans la même direction et tout le monde se donne à fond, avec la volonté sincère de faire de son mieux.
Personnellement, je trouve que nous étions encore meilleurs lorsqu’il y avait davantage de concours, notamment ceux de l’ancienne Super League, ouverts à tous. Il n’y avait pas seulement cinq étapes obligatoires ; on pouvait aller partout. Je me souviens que j’avais eu l’opportunité de disputer une Coupe des nations avec Chinook lorsque j’avais vingt-trois ans. C’était quelque chose de très important pour moi. En changeant le format de certaines Coupes des nations, on perd l’esprit de ses épreuves, celui qui rassemble tout le monde. Je ne suis pas assez renseigné pour juger du nouveau format mis en place par la Fédération équestre internationale (FEI), mais les Coupes des nations doivent offrir une chance aux cavaliers qui ne peuvent pas forcément grimper au classement mondial. Sans paraître prétentieux, je gagne pas mal et suis plutôt régulier au niveau 2, 3 et 4*. Mais comme je suis toujours en train de former et vendre des chevaux, je n’ai jamais réussi à grimper au classement mondial (l’Irlandais est actuellement quatre-vingt-troisième, son meilleur classement, ndlr). C’est tellement difficile ! J’ai deux ou trois chevaux capables de marquer des points sur les épreuves comptant pour cette hiérarchie. Mais pour figurer parmi les meilleurs mondiaux, il faut un vrai groupe de chevaux que l’on peut utiliser encore et encore. C’est un système très difficile, qui demande de trouver le bon équilibre entre garder ses chevaux en bonne santé et continuer à progresser dans le classement. Sinon on doit se battre toutes les semaines pour essayer d’accéder aux meilleurs concours. La preuve, même avec mes deux victoires en Grands Prix Coupe du monde, je n’ai pas encore été invité à Londres (interview réalisée le 4 novembre dernier, ndlr). Que devons-nous faire de plus pour se voir ouvrir les portes du concours ? J’adorerai y aller ! J’espère que la situation se débloquera, mais cela reste difficile.
Il y a quelques mois, dans une passionnante interview accordée à Worldofshowjumping vous disiez qu’il ne fallait jamais perdre son horsemanship. Que voulez-vous dire par là et quelle serait votre définition de cette notion ?
Je pense qu’il faut, dans un premier temps, être capable de comprendre complètement tous les besoins de son cheval et de le rejoindre à mi-chemin sportivement parlant afin de grandir en tant que couple. Voilà ce qu’est être un Homme de cheval. C’est ne pas monter sur un cheval et lui dire “je monte de cette manière, donc tu dois t’y conformer”. À mes yeux, il faut donc trouver un point d’équilibre entre les deux parties et créer un vrai partenariat. Lorsque je vois des couples comme Martin Fuchs et Clooney, Steve Guerdat et Bianca, Marcus Ehning et probablement n’importe quel cheval il a monté dans sa carrière ou Daniel Deusser et Tobago ; on parle de vrais partenariats. Ils se battent les uns pour les autres chaque semaine. Être un homme ou une femme de cheval, c’est cela, c’est faire ressortir le meilleur de son cheval. Il y a aussi des cavalières qui ont construit de superbes relations avec leurs chevaux, à l’image d’Edwina Tops-Alexander et Itot du Château. Quel duo !
Certains chevaux n’auraient peut-être jamais eu la carrière qu’ils ont eu s’ils n’avaient pas rencontré leur cavalier, et inversement si certains cavaliers n’avaient pas croisé la route de certains chevaux. C’est difficile à dire, mais parfois il faut accepter que tel ou tel cheval a trop de qualité pour soi et qu’il serait peut-être mieux chez quelqu’un d’autre, plutôt que de se tirer soi et sa monture vers le bas. Les gens doivent parfois être plus réalistes face à leurs capacités. De cette façon, peut-être qu’un ou deux chevaux de plus ne passeraient pas à travers les mailles du filet.
Enfin, lorsque vous avez un peu de temps libre, avez-vous d’autres passions que les chevaux ?
Nous sommes toujours très occupés, mais nous avons une super vie. Il m’arrive de jouer un peu au golf, peut-être une fois par an ! (rires) J'aime bien le bon sport en général, peu importe le niveau, et j’en suis plusieurs. Pour le reste, je n’ai pas vraiment de hobbies.
Photo à la Une : Richard Howley heureux de la progression de sa jeune pépite, Zodiak du Buisson, à Lyon. © Mélina Massias