Lena Bieler et Untouched LB, de la résilience au rêve éveillé (1/2)

Qui ne rêverait pas que son tout premier poulain soit classé en Grand Prix 5* à seulement neuf ans ? Pour Lena Bieler, cela est devenu réalité, en début d’année, sous la verrière du Grand Palais. Son fabuleux Untouched LB, issu de la première génération du phénomène United Touch S, a terminé quatrième de l’épreuve reine du concours parisien avant de poursuivre sa prise d’expérience dans les mois suivants. En septembre, le duo terminait troisième des Sires of the World de Lanaken et s’apprête, quelques semaines plus tard, à prendre le départ du temps fort du Longines Global Champions Tour de Rome dimanche. Pour Lena Bieler, cette réussite est la récompense d’une résilience qui force le respect et d’une passion flamboyante. Retour sur le destin de cette sympathique éleveuse, indissociable de son si cher “Uno”, dont elle est toujours co-propriétaire.
“Ce qui se passe est complètement irréel. Parfois, je crois être dans un rêve ! Et puis, je reçois un message me proposant une interview. Moi, petite personne, qu’est-ce que je pourrais bien raconter ? Tout va tellement vite ! Mais je suis extrêmement fière. Le soir, avant de me coucher, je peux regarder la même vidéo une centaine de fois. Cela me donne la force de travailler, encore et encore, chaque jour.” Lena Bieler, trente-six ans, a fait naître son premier poulain il y a neuf ans, un jour de mai 2016. L’Allemande était alors bien loin d’imaginer qu’en 2025 sa pépite se serait déjà classée au plus haut niveau, terminant notamment quatrième du Grand Prix du Saut Hermès, sous ses yeux, à Paris. Et pourtant ! Nommé Untouched LB, son roi fait déjà tourner les têtes. À raison. Doté de qualités athlétiques remarquables, ce fils du phénomène United Touch S et petit-fils de l'indémodable et incontournable Windows vh Costersveld, alias Cornet Obolensky, semble avoir hérité du meilleur de l’un et de l’autre. Sous la selle de Christian Ahlmann, chacune de ses apparitions sont scrutées, décortiquées. Si le duo a attaqué l’année sur les chapeaux de roues dans la capitale française pour son tout premier CSI 5*, il a ensuite manqué d’un peu de chance. À Fontainebleau et Cannes, une barre a privé les deux complices du barrage dans l’épreuve reine de ces deux CSI 5*, tandis qu’ils ont été les seuls à réussir un clear round dans l’acte initial du Grand Prix 4* de Bourg-en-Bresse, avant de concéder deux fautes dans le second pour une dixième place au classement final. Ils ont ensuite obtenu une troisième place dans une épreuve de vitesse à 1,60m à Saint Tropez, mi-juin, avant de connaître un CHIO d’Aix-la-Chapelle en demi-teinte. Après ce rendez-vous, Untouched LB s’est éclipsé près de trois mois des pistes internationales, avant de faire son grand retour à Lanaken, avec une excellente troisième place dans les Sires of the World. De quoi reprendre son ascension vers les sommets sur le bon pied.
Quels débuts au plus haut niveau pour Untouched LB, à seulement neuf ans ! © Mélina Massias
La résilience et le courage en leitmotiv
Pour comprendre l’histoire et le destin du grand et charismatique Westphalien, il faut aussi comprendre ceux de Lena Bieler, sa première et plus grande fan. Pour cette jeune femme, qui s’est construite seule, à force de travail et d’abnégation, les chevaux ont été ses sauveurs. Alors qu’elle n’est âgée que de douze ans, Lena et ses deux sœurs cadettes voient leur père tomber gravement malade, touché par un cancer. Au milieu de cette sombre période, Lena trouve un rayon de lumière chez son oncle, à la tête d’une toute petite ferme. Dans celle-ci, se trouve un cheval d’attelage. Pour lui tenir compagnie, Nancy, une ponette sans la moindre expérience, le rejoint. Celle-ci devient alors la première monture de Lena. Sans endroit pour l’éduquer et la monter, la jeune fille ne se décourage pas, bien au contraire. “Je montais dans des grands champs de maïs. Ma grand-mère me regardait toujours par la fenêtre de la cuisine. Une fois, je suis tombée sept fois en une heure ! Même si ma grand-mère m’implorait d’arrêter, je suis toujours remontée sur son dos !”, raconte l’éleveuse allemande. Encore adolescente, Lena perd son papa. Dans ce premier deuil, ses amis à quatre jambes sont d’un soutien inestimable. “Mon père trouvait que monter à cheval était dangereux et qu’il serait peut-être préférable que j’arrête, mais les chevaux m’ont tellement aidée, à surmonter toutes ces mauvaises nouvelles que l’on m’annonçait quand je rentrais de l’école et traverser ces moments difficiles…”, murmure-t-elle.
L'avènement d'Untouched LB est une jolie revanche pour son éleveuse. © Dirk Caremans / Hippo Foto
La jeune fille se raccroche à sa passion grandissante pour l’équitation. Avec sa ponette, elle commence à prendre quelques leçons. Pendant que ses camarades viennent avec leur propre moyen de transport, Lena, elle, parcourt la distance qui la sépare du poney-club en selle, pendant près de quarante minutes. “Je suis vraiment partie de rien”, résume la naisseuse d’Untouched LB. Face à la motivation et à la détermination de sa jeune élève, son instructeur de l’époque lui propose de l’aider en encadrant les plus jeunes cavaliers de sa structure et lui trouve, en échange, un cheval à monter en concours. En parallèle, Lena donne aussi un coup de main à trois familles de passionnés, en veillant sur leurs chevaux en leur absence. “Ces trois familles m’ont dit que je me donnais beaucoup et qu’il me fallait désormais un cheval d’expérience. Alors ils ont acheté un cheval pour 3.000 € et celui-ci m’a permis d’évoluer sur des parcours à 1,25, 1,30m”, complète-t-elle.
Poussé par ses proches, Lena poursuit ses études en parallèle de son implication dans le milieu équestre. “Après mes journées de cours, je continuais de former des jeunes chevaux et poneys, que je vendais après quelques concours”, expose-t-elle. Au fil des ventes, l’amazone continue d’investir et de pérenniser son système fait maison, tout en étudiant le management et le marketing. Le dernier jour de ses études, l’heure n’est pourtant pas à la fête pour la jeune femme, qui doit surmonter un nouveau départ définitif, celui de sa mère. Une nouvelle fois, elle traverse cette épreuve entourée de ses animaux.
Le grand saut
Bien que cela ne l’enchante pas, Lena décroche un emploi en lien avec ses études. “J’ai passé quatre ans dans les bureaux. Rester assise toute la journée était terriblement ennuyant pour moi. Cela me rendait folle !”, confie-t-elle. Après ses journées de travail, elle ne délaisse toutefois pas les chevaux et continue d’en valoriser un certain nombre, sans pour autant imaginer en faire son activité principale. “Mes parents m’ont toujours dit de faire un métier classique et de garder les chevaux à côté. Je n’aurais jamais cru qu’ils deviendraient mon travail à temps plein ! Je n’ai jamais été une excellente cavalière et n’ai jamais pu m’offrir les services de très bons entraîneurs. En revanche, je me débrouillais bien avec les jeunes chevaux et j’avais sans doute un bon œil pour les repérer”, poursuit la Germanique.
Lena Bieler n'est jamais bien loin de son crack Untouched LB. © Mélina Massias
Un jour, elle décide pourtant de faire le grand saut. Elle se fixe une certaine somme d’argent à réunir pour pouvoir démissionner. “J’ai vendu un poney, un cheval et un très bon six ans. Avec cela, je pouvais mettre un peu de côté”, précise celle qui s’est aussi lancée avec succès dans le commerce de poneys de hunter. L’un d’eux a d’ailleurs connu une franche réussite outre-Atlantique. Et alors qu’elle louait des boxes dans une structure proche de chez elle pour ses montures, la jeune femme est contrainte de déménager après un désaccord avec un autre pensionnaire. “J’ai pris ma voiture et j’ai fait trois kilomètres, pour aller dans une autre structure. J’ai demandé à la propriétaire des lieux si je pouvais louer une dizaine de boxes, mais elle souhaitait uniquement vendre son écurie. Seulement, je n’avais pas les fonds nécessaires…”, se souvient-elle. La connaissant bien, la vendeuse lui suggère de s’appuyer sur ses connaissances universitaires et d’imaginer un business plan. Elle lui laisse trois mois pour trouver une solution.
Qu’à cela ne tienne. Lena imprime une vue aérienne des écuries et l’accroche au-dessus de son lit. Elle écrit, réfléchit, raye, recommence. Une amie, employée dans une banque en Suisse, l’aiguille pour formuler son discours et trouver les bons mots. Après plusieurs semaines à peaufiner son projet, elle se lance et le présente à une première banque. “On m’a dit que j’étais folle !”, se remémore-t-elle. “J’étais totalement démotivée, mais une seconde banque m’a donné une chance ! On m’a félicité pour ma présentation et mon plan. Le projet était un peu fou, c’est vrai, mais cinq ans plus tard, voilà où nous en sommes ! Il y avait vingt-quatre boxes à l’origine ; aujourd’hui, j’ai de la place pour quatre-vingts chevaux. J’ai construit une nouvelle écurie, un marcheur, etc. Cette croissance rapide attire forcément des commentaires peu sympathiques, mais ce n’est pas grave. J’adore arriver aux écuries à sept heures et prendre mon café avant de nourrir moi-même les chevaux. Le foin est distribué par quelqu’un d’autre à six heures, mais je m’occupe de donner les rations de granulés car je tiens à voir chaque cheval des écuries au moins une fois par jour. Je pense que conserver un certain contrôle est très important, même si on fait confiance à son équipe.”
Fer de lance des écuries de Lena Bieler, Untouched LB lui donne aujourd'hui raison d'avoir cru en ses rêves. © Sportot
Cascada V, une rencontre providentielle
Depuis toujours, et déjà lorsqu’elle achetait des poneys et chevaux pour les valoriser, Lena se passionne pour les lignées maternelles et les bonnes origines. Alors, forcément, passer le cap d’élever elle-même n’a pas été difficile à franchir. “Je travaillais encore en entreprise, et j’ai dit à une de mes collègues que je voulais acheter une poulinière parce que j’avais très envie d’élever. Elle m’a alors fait savoir qu’une fille de Cornet Obolensky, était à vendre dans ses écuries”, déroule la trentenaire. Amatrice du sang du gris, elle part à la rencontre de cette fameuse jument, Cascada V. “Je l’ai beaucoup aimée. Comme Untouched LB et United Touch, elle avait des yeux marron très clair. Cela leur donne un regard très particulier, que l’on ne retrouve pas chez tous les chevaux. Cascada était pétrie de sang et très intelligente. Elle avait aussi du tempérament et tout le monde ne pouvait pas aller directement vers elle. Avec moi, elle a tout de suite été gentille. Elle a toujours été ma préférée, durant toutes ses années”, brosse Lena, qui doit attendre le sevrage du poulain de sa nouvelle perle pour la ramener à ses côtés, durant l’hiver 2015.
Pour patienter, la jeune éleveuse peut déjà rêver de son futur croisement. Car si Cascada V est suitée d’un poulain par Casiro I, sa nouvelle propriétaire a tranché. Le père de son premier poulain sera United Touch S. Lorsqu’elle le choisit, celui qui est aujourd’hui un véritable OVNI du jumping mondial, vient fraîchement d’être approuvé. À trois ans, United Touch S était alors bien loin de son sacre de champion d’Europe, acquis dix ans plus tard à La Corogne, et du statut qui est aujourd’hui le sien sous la selle de Richard Vogel. “Lors de son approbation, United Touch était déjà un très grand cheval, moderne, dans le sang et doté de moyens illimités”, justifie l’Allemande. En 2016, la même année qu’une vingtaine d’autres poulains, dont Una Mariposa, récente sixième d’un Grand Prix 4* à Gassin avec Laura Kraut, Untouched LB, “Uno”, voit le jour. “Uno est mon premier poulain, d’où le fait que je l’appelle toujours ainsi. C’est incroyable. Je crois que ce croisement était béni ! C’est exceptionnel d’avoir d’entrée de jeu un tel poulain. Je n’aurais peut-être plus jamais un autre cheval de sa qualité”, s’émerveille Lena, qui, le 15 mai 2016 accueille non seulement son nouveau meilleur ami mais crée aussi officiellement son entreprise.
Untouched LB, ici âgé de quelques jours, a toujours séduit Lena Bieler. © Collection privée
À peine tombé dans la paille, Untouched LB suscite de l’intérêt. “Un bon éleveur m’a proposé 10.000 euros pour l’acheter, mais j’ai refusé. Je l’aimais déjà trop ! Uno a toujours été si intelligent… Il est unique”, sourit la trentenaire. Et d’ajouter : “J’ai toujours cru en lui, vraiment. Parfois, les gens m’ont dit qu’il n’était pas assez facile, ou ci ou ça, mais il a toujours eu quelque chose de différent. Je suis restée très calme, et je n’ai rien dit, même si j’ai toujours senti quelque chose chez lui. Je n’étais personne, et je ne pouvais pas me permettre de dire ‘hé, regardez, j’ai un super étalon’. Malgré tout, rapidement, plusieurs personnes qualifiées ont confirmé mon ressenti.”
La seconde partie de cet article sera publiée la semaine prochaine sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Lena Bieler n'est jamais loin d'Untouched LB, son tout premier poulain. © Sportfot