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“Le sport s’impose une fois de plus malgré les failles du système”, Rodrigo Pessoa

Rodrigo Pessoa
Interviews jeudi 15 août 2024 Texte ©️ World of Showjumping, reproduit avec autorisation

“La FEI essaie-t-elle de maintenir ce sport en vie ou essaie-t-elle de l'enterrer ?”, s'interroge Rodrigo Pessoa, représentant des athlètes de la Fédération équestre internationale (FEI), dans un entretien avec World of Showjumping. Auprès de nos consœurs, le Brésilien évoque notamment l’élimination de Pedro Veniss aux Jeux olympiques de Paris, début août, et revient également sur des points de règlement qu’il espère voir évoluer et changer d’ici l’échéance 2028 de Los Angeles. 

À Versailles, lorsque le jury de terrain a éliminé Pedro Veniss - et donc le Brésil - de la qualificative par équipe, la décision a jeté de l’huile sur le feu dans un débat déjà houleux concernant l'article 241.3.30 du règlement de saut d’obstacles de la FEI. Cette règle stipule qu'en cas de présence de sang sur le ou les flancs du cheval, le jury doit imposer l'élimination. Le Manuel des commissaires de la FEI pour le saut d'obstacles, annexe XVI, fournit de plus amples détails sur la manière de traiter les cas de sang sur le(s) flanc(s) d'un cheval. Pedro Veniss venait de réaliser l'un des sans-faute les plus importants de sa carrière, lors de l'épreuve de qualification par équipes des Jeux olympiques de Paris, lorsqu'il la sanction est tombée, peu après son parcours. Le jury a, en effet, repéré une légère trace de sang sur le flanc droit de son cheval, Nimrod de Muze. Avec seulement deux résultats sur trois peuvent encore être comptabilisés et conformément au règlement de la FEI pour les épreuves équestres aux Jeux olympiques, l'élimination de Pedro Veniss a annihilé toute chance de qualification en finale pour l'équipe brésilienne. 

L’absence de proportionnalité

“Avec l'application de la règle dans le cas de Pedro, je me demande ce que fait notre fédération internationale. La FEI essaie-t-elle de maintenir ce sport en vie ou de l'enterrer ?”, s’interroge Rodrigo Pessoa, représentant des athlètes de la FEI et coéquipier de Pedro Veniss à Versailles. “Quels titres une telle élimination provoque-t-elle dans la presse et quelles en sont les répercussions ? Il est temps d'avoir une discussion honnête et ouverte sur cette règle et ses conséquences.”

Pedro Veniss et Nimrod de Muze ont été éliminés après leur premier parcours à Versailles, en raison d'une éraflure sur le flanc droit du hongre. © Scoopdyga

L'article 241.3.30 du Règlement de saut d'obstacles de la FEI est sujet au débat depuis des années et Rodrigo Pessoa, qui a participé à huit Jeux olympiques, est l’un de ceux qui croient fermement qu’un changement est nécessaire. “Le principe de proportionnalité est totalement absent de cette règle”, souligne-t-il. “Dans le cas particulier de Pedro Veniss, la sanction - l'élimination - n'était pas du tout proportionnelle à la violation de la règle constatée par le jury. Il ne s'agissait même pas d'une petite gouttelette de sang transférée sur le gant en latex du commissaire en chef, mais d'une éraflure presque invisible sur le bord de la sangle, là où un cavalier ne touche même pas son cheval avec l'éperon. Néanmoins, cette éraflure a été jugée et sanctionnée de la même manière qu'un abus ou un usage excessif de l'éperon. Or, il s'agit de violations très différentes, qui requièrent des sanctions différentes. Une approche acceptable serait que la sanction soit une réaction appropriée par rapport au degré de violation de la règle. Ce n'est pas le cas ici. Dépasser la limitation de vitesse de 200 kilomètres par heure ou de vingt n’a pas la même incidence. La première infraction mène en prison, la seconde vaut une contravention. Dans le cas de Pedro, il est allé en prison alors qu'il aurait dû recevoir une contravention. À mon avis, un avertissement ou un carton jaune serait plus approprié et proportionnel qu'une élimination dans un cas comme celui-ci, où l'infraction est à la fois accessoire et mineure.” 



Des professionnels qualifiés devraient prendre la décision

“En outre, cela m'amène à me demander si les membres désignés du jury de terrain, qui prennent ces décisions, sont qualifiés pour le faire. À mon avis, la décision devrait être prise par un vétérinaire expérimenté, en collaboration avec le jury de terrain”, poursuit Rodrigo Pessoa. “L'ensemble du processus, de l'examen des chevaux à l'élimination, ne devrait pas être uniquement entre les mains des commissaires, du chef des commissaires ou du jury de terrain. Ce sont des professionnels qualifiés qui devraient prendre la décision, et le contexte doit être pris en compte. S'agit-il d'un usage excessif des éperons, ou d'un usage accidentel, ou même d'un cheval qui saute à droite ou à gauche de l’obstacle et heurte le chandelier ou le fanion, provoquant une coupure mineure qui entraîne également l'élimination ? À notre époque, nous sommes en mesure de revenir en arrière, de regarder un tour en vidéo et de voir s'il y a eu un usage excessif de l'éperon ou non, et de décider ensuite de la sanction appropriée.” 

À Versailles, Rodrigo Pessoa n'a pas eu l'occasion de défendre les couleurs de son équipe nationale. © Scoopdyga

“Il y a une vraie incohérence de la part de la FEI”, Rodrigo Pessoa

“Bien sûr, nous avons besoin de règles pour protéger le bien-être des chevaux, mais cela exige aussi que la FEI utilise un minimum de ressources pour inculquer le bon sens et l'esprit équestre à ses officiels. On ne peut pas laisser les règles êtres supervisées par ceux qui ne savent que les suivre noir sur blanc”, développe le Brésilien. “La FEI ne cesse de faire référence au bien-être des chevaux lorsqu'elle élabore et applique ses règles. Cependant, il y a une vraie incohérence de la part de la FEI et cette affaire en est un exemple.” 

Et d’illustrer son propos, au sujet de ces incohérences : “Lors de la qualification individuelle, le président du jury a parfaitement saisi l'opportunité de sonner la cloche pendant un parcours, alors qu'il n'était clairement plus sûr pour la cavalière et son cheval de continuer, conformément à l'article 241.4 du règlement de saut d'obstacles. Cependant, dans une situation similaire lors de la qualification par équipe, où l'une des cavalières n'était manifestement pas à la hauteur, plaçant son cheval dans des situations qui n'étaient pas sûres, la cloche n'a pas sonné. Simultanément, dans cette même compétition par équipes, nous voyons un cavalier ayant effectué un sans-faute tout en sécurité éliminé à cause d'une minuscule trace de sang, ce qui n'a rien à voir avec le fait de mettre en danger le bien-être du cheval. Deux poids, deux mesures.”



Avec le rapport final de la Commission pour l'éthique et le bien-être équins en toile de fond, une récente proposition de règlement de la FEI suggère que l'instance dirigeante internationale s'apprête à aller plus loin dans sa réglementation concernant l'examen des chevaux et la présence de sang. Dans le cadre du processus de révision des règles de la FEI pour 2024, l'une des propositions avancées par la FEI comprend des modifications de l'article 1045 du Règlement vétérinaire. La règle actuellement proposée par la FEI permettra un examen plus large des chevaux, avec la formulation suggérée suivante : “Toute partie du corps du cheval, guêtres, bandages et/ou autres accessoires peuvent être examinés par les commissaires et/ou les vétérinaires officiels à tout moment pendant la durée de l'épreuve”. Il précise en outre que l'examen doit permettre de vérifier “la présence de sang sur toute partie du corps du cheval”, et pas seulement sur les jambes, les flancs ou la bouche. 

Le Brésilien, toujours investi pour son sport, évoque son point de vue sur différents points de règlement. © Scoopdyga

Les fédérations nationales et les autres parties prenantes ont jusqu'au 21 août pour faire part de leurs commentaires sur cette proposition, qui a été présentée par la FEI et découlant du plan d'action basé sur le rapport de la Commission d'éthique et de bien-être équin. Ce plan d'action a été approuvé à l'unanimité lors de la réunion du Conseil de la FEI en juin, au cours de laquelle le Conseil a également créé un fonds dédié au bien-être équin doté d'un montant d’un million de francs suisses pour son lancement. “Les parties prenantes devraient faire part de leurs préoccupations dès maintenant, afin que leurs commentaires soient pris en compte avant l'Assemblée générale de la FEI en 2024”, plaide Rodrigo Pessoa. 

“Le drop-score doit être un filet de sécurité”, Rodrigo Pessoa

“Une fois de plus, l'élimination de Pedro illustre la raison pour laquelle nous avons besoin du drop-score comme filet de sécurité”, développe Rodrigo Pessoa. “Il doit être présent, car qu'a fait le jury ? Ce n'est pas seulement un couple qui est éliminé, c'est tout un pays et toute une équipe qui subissent les conséquences de cette décision. La décision d'une seule personne a des répercussions sur l'industrie équestre de tout le pays qui est éliminé ; il faut penser aux investissements qui ont été faits avant ces Jeux olympiques pour que ces équipes puissent s'y rendre. Une telle décision incitera les sponsors et les propriétaires à abandonner le sport et à se tourner vers d'autres activités. Le préjudice qui découle d'une telle décision peut être gigantesque. Le drop-score doit être là pour protéger ; nous devons avoir quatre cavaliers dans une équipe, et trois résultats qui comptent.”



“Le format actuel pose également deux autres problèmes qui nécessitent de légères modifications”, ajoute le Brésilien. “Le premier est le fait que les couples qui ne concourent qu'individuellement ont un énorme avantage. Alors que les cavaliers et chevaux représentants une équipe ont déjà sauté deux parcours, ceux qui ne concourent que pour les médailles individuelles arrivent avec des chevaux complètement neufs. Ce n'est pas une situation équitable. Les cavaliers individuels devraient être obligés de participer aux épreuves par équipe, même si elles ne comptent pas dans les résultats. Ces questions doivent être résolues avant les Jeux de Los Angeles en 2028. Deuxièmement, tous les ex-aequo pour les médailles doivent être départagés par un barrage. À Versailles, nous avons eu une situation où les Pays-Bas ont perdu une médaille pour 0,57 seconde, au profit des Français. Je pense qu'il est clair que nous ne pouvons pas laisser le temps cumulé décider lorsqu’il s’agit de parcours de dimension olympique ! Ce n’est pas une épreuve de vitesse. En ce qui concerne les détails d’un barrage pour les médailles, je suis ouvert à la discussion pour savoir si un seul cavalier devrait représenter son équipe ou plusieurs. Mais ce sont des questions qui doivent être résolues avant Los Angeles 2028.”

Texte ©? World of Showjumping, reproduit avec autorisation

Photo à la Une : Rodrigo Pessoa participait à ses huitièmes Jeux olympiques à Versailles. Scoopdyga