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“Le métier de groom demande énormément en termes d’horaires, de pression et de responsabilités”, Cécile Dupré (2/2)

Unforgettable Damvil
samedi 30 novembre 2024 Camille Pineau

Cécile Dupré, qui a célébré ses quarante-cinq ans en octobre dernier, partage depuis bientôt six ans le quotidien de Jeanne Sadran, entrée pour la première fois dans le Top 50 du classement mondial Longines, édité par la Fédération équestre internationale, en octobre. Ensemble, elles ont gravi les échelons du haut niveau, jusqu’à leur victoire mémorable dans le Grand Prix 5* du Longines Global Champions Tour de Paris cet été. Discrète mais essentielle, cette groom passionnée est un élément clé du succès de la cavalière. Pour Studforlife, Cécile Dupré revient sur sa vocation, les exigences de son métier, et son lien unique avec les chevaux et sa protégée.

La première partie de cette interview est à (re)lire ici.

Qui sont les chevaux dont vous vous occupez et quelles sont leurs particularités ?

En travaillant avec Jeanne, j’ai côtoyé de nombreux chevaux. Actuellement, je m’occupe de Dexter de Kerglenn, un cheval fascinant qui passe presque inaperçu, mais possède un grand caractère. Il aime sa tranquillité et son confort, et il ne faut pas trop le contrarier. C’est l’Ourasi du jumping ! Kosmo van hof ter boone (Arko III x Pachat II), lui, est un grand cheval assez surprenant. Il saute magnifiquement, avec de gros moyens, mais il peut se montrer peureux pour un rien, ce qui rend la complicité qu’il a avec Jeanne très importante. Elle sait véritablement le mettre en confiance et l’apaiser. J’aime beaucoup les voir évoluer tous les deux. Je m’occupe également de Funky Boy des Rêves (Vigo d’Arsouilles x Cooper vd Heffinck), un nouveau cheval que Jeanne monte depuis peu de temps. C’est un cheval très nerveux qui a, lui aussi, besoin d’être vraiment rassuré. J’apprécie sincèrement de m'occuper de lui parce qu’il est très attentif à mes faits et gestes et montre beaucoup de tendresse. Il y a également Congratulation Pezi KB (Congress x Lord Pezi), une jument grise avec un grand potentiel. L’avenir nous le dira, mais à mon avis, il s’agit de la future crack de Jeanne.

Pour Cécile Dupré, Congratulation Pezi KB a le potentiel d'une crack. © Sportfot



“Unforgettable Damvil m’a profondément marquée”

Comment construisez-vous une relation de confiance avec les chevaux ?

Lorsque j’ai commencé mon métier de groom, j’avais une certaine appréhension quant à la relation que je pourrais établir avec les chevaux, car je ne suis pas présente quotidiennement aux écuries avec eux. Aujourd’hui, je sais qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le lien se crée finalement très vite, car nous passons tout de même beaucoup de temps ensemble. Je suis devenue leur référente : quand ils me voient arriver le matin aux écuries, ils savent que nous partons en compétition. Certains attendent même avec impatience que je les emmène. Ce sont des chevaux hors normes, et j’aime penser qu’ils sont très intelligents et nous reconnaissent. Au quotidien, pour gagner leur confiance, j’essaie simplement de rester moi-même, de passer le maximum de temps avec eux et de mettre en place des rituels. La préparation est, par exemple, un moment privilégié entre eux et moi. Ils savent que je prends soin d’eux, que cela va durer un petit moment, et en profitent pour s’apaiser et se concentrer.

Grâce au temps passé en compétition aux côtés de ses chevaux, Cécile Dupré tisse facilement des liens avec chacun d'eux. © Sharon Vandeput / Hippo Foto

Y a-t-il un cheval qui vous a particulièrement marquée dans votre carrière ?

Tous les chevaux que j’ai côtoyés occupent une place spéciale. Évidemment, aujourd’hui, j’ai beaucoup d’admiration et d'attachement pour Dexter de Kerglenn avec qui je partage énormément de choses. Mais Unforgettable Damvil (Corrado I x Papillon Rouge), que l’on appelle “Fifou”, m’a profondément marquée. Ce cheval est très expressif, il sait montrer quand on le dérange et souvent d’une manière un peu brutale. C’est un caractère dont on se souvient. À côté de cela, il a vraiment un très grand cœur, est très attachant. Il sait quand on a besoin de compter sur lui. Il a permis à Jeanne d’être sans faute dans le Grand Prix 5* de Monaco en juillet 2023. Ce jour-là, c’était fantastique. Aujourd’hui, c’est Louise, la sœur de Jeanne, qui s’occupe de lui.

L'attachant Unforgettable Damvil occupe une place particulière dans le cœur de la groom de Jeanne Sadran. © Sportfot

Depuis vos premiers pas dans ce milieu, avez-vous trouvé qu’il existe une véritable communauté entre les grooms ?

Oui, il existe une réelle communauté, et elle se caractérise par un fort esprit de soutien. Lors des compétitions, on perçoit la dévotion de chacun envers ses chevaux, l’usure physique et mentale, mais aussi la générosité et la passion qui animent tous les grooms. C’est un univers unique, empreint d’émotions intenses. Tout ce que ces personnes donnent est impressionnant, car cela se fait toujours à cœur ouvert.

Pour ma part, je choisis de dissocier ma vie professionnelle de ma vie privée. En dehors des compétitions, je n’ai pas de contact avec cette communauté. Je ne garde qu’une relation continue qu’avec Jeanne, les chevaux et les écuries. Cependant, lors des événements, la solidarité entre grooms est essentielle. Nous formons une sorte de grande famille. Je sais que je peux compter sur beaucoup d’entre eux, que ce soit pour des conseils bienveillants, un soutien moral quand j’ai un coup de mou, ou même une aide physique, comme pour porter des charges lourdes. Cette entraide rend cette communauté particulièrement précieuse sur le terrain.

"Nous formons une sorte de grande famille", dit Cécile Dupré au sujet des grooms. © Dirk Caremans / Hippo Foto



“Le métier de groom a clairement évolué et gagné en reconnaissance”

Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant devenir groom ?

Avant tout, il faut aborder ce métier avec sérieux et professionnalisme. Ce n’est pas un choix à faire uniquement par amour des chevaux ou pour le plaisir, mais parce qu’on veut en faire un véritable métier. Être groom implique de grandes responsabilités, notamment lors des déplacements. Les voyages présentent des risques, et il est essentiel de bien maîtriser ce que l’on fait. On conduit des véhicules d’une grande valeur, transportant des chevaux de compétition hors norme, et il ne faut pas laisser le stress de l’enjeu affecter sa concentration.

Travailler au haut niveau exige également une vigilance constante. Avec ces chevaux exceptionnels, chaque détail compte : il faut être présent et ne rien négliger. Les situations peuvent parfois devenir euphoriques, mais il est crucial de rester prudent et de redoubler d’attention. Deux qualités me semblent indispensables pour se lancer dans ce métier : le respect et la déontologie envers les chevaux, les collègues, et la profession elle-même.

Pour Cécile Dupré, le respect et la déontologie, envers les chevaux mais aussi ses collègues et la profession font partie des qualités nécessaires pour devenir groom. © Sportfot

Selon vous, le métier de groom a-t-il évolué ces dernières années ?

Oui, le métier de groom a clairement évolué et gagné en reconnaissance. Aujourd’hui, on considère les grooms comme des éléments essentiels à la réussite. Cela s’accompagne d’une meilleure médiatisation, de remerciements, voire de prix, ce qui valorise davantage notre rôle. Le métier demande énormément en termes d’horaires, de pression et de responsabilités, donc que les gens en aient conscience est déjà une grande satisfaction pour les grooms. Personnellement, je n’ai pas connu les époques où les grooms étaient moins respectés. Depuis que je suis à haut niveau avec Jeanne, j’ai toujours été prise en considération, entourée de respect et de bienveillance, notamment au sein d’une famille très bien élevée. Cependant, il est évident que la perception générale a évolué. On n’est plus des travailleurs de l’ombre comme avant. Les organisateurs et instances prennent en compte nos besoins en proposant davantage de confort, des espaces où se poser, des cafés à disposition, et des lieux pour échanger. Ce sont des attentions simples, mais elles témoignent d’une vraie prise de conscience de l’importance de notre rôle. Même si je continue à penser que le plus dur se joue sur la piste et que nul n’est irremplaçable.



“Il faut continuer à porter notre voix pour améliorer nos conditions de travail et obtenir davantage de reconnaissance”

Y a-t-il des changements que vous aimeriez voir advenir dans les prochaines années ?

Il y a toujours des améliorations possibles concernant la reconnaissance du métier. De nombreux grooms se battent pour cela en lançant des pétitions et en sollicitant la Fédération équestre internationale (FEI). Par exemple, l'année dernière, lors de la finale de la Coupe du monde à Riyad, il y a eu une situation qui a mis en lumière cette question. Les cavaliers et stewards bénéficiaient chacun d'une chambre individuelle, tandis que nous, grooms, devions partager les nôtres. Une pétition a donc circulé, soulignant que nous sommes aussi des êtres humains et que nous avons, nous aussi, besoin d’intimité. La FEI a répondu favorablement à cette demande, et chacun a finalement eu sa chambre. Ce type d’action montre que les choses peuvent changer, mais il faut continuer à porter notre voix pour améliorer nos conditions de travail et obtenir davantage de reconnaissance.

Cécile Dupré garde toujours un œil bienveillant sur Jeanne Sadran et ses montures. © Sportfot

Comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?

Je vois la suite de ma carrière aux côtés de Jeanne. Tant qu’elle aura besoin de moi, je ferai tout pour être présente. Cela dit, je ne vais pas mentir, il s’agit d’un métier très exigeant physiquement. Transporter des chevaux de grande valeur, du matériel plus lourd que moi, les longs trajets, les horaires... Tout cela fatigue, même dans des conditions privilégiées comme les miennes. Malgré tout, je me motive avec un but en tête : les Jeux olympiques. Ce serait un bel objectif. Et je sais que je peux compter sur Jeanne et son entourage. 

Photo à la Une : Cécile Dupré a été profondément marquée par Unforgettable Damvil, qui évolue désormais avec Louise Sadran. © Sportfot