Cécile Dupré, qui a célébré ses quarante-cinq ans en octobre dernier, partage depuis bientôt six ans le quotidien de Jeanne Sadran, entrée pour la première fois dans le Top 50 du classement mondial Longines, édité par la Fédération équestre internationale, en octobre. Ensemble, elles ont gravi les échelons du haut niveau, jusqu’à leur victoire mémorable dans le Grand Prix 5* du Longines Global Champions Tour de Paris cet été. Discrète mais essentielle, cette groom passionnée est un élément clé du succès de la cavalière. Pour Studforlife, Cécile Dupré revient sur sa vocation, les exigences de son métier, et son lien unique avec les chevaux et sa protégée.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’à devenir groom auprès de Jeanne Sadran ?
Je ne suis pas issue du milieu du cheval, mon père était dans la police et ma mère travaillait à la Banque de France. J’ai découvert l’équitation à douze ans, lorsque ma famille s'est installée en Essonne, près du centre équestre de Grange Martin (à Gif-sur-Yvette, ndlr). Là-bas, j’ai pu m’initier à plusieurs disciplines, comme le polo, le horse-ball, et même le spectacle. La richesse de ma formation m'a vraiment permis de développer cette passion pour l’équitation et de ne jamais la quitter. Après le baccalauréat, je me suis inscrite en licence STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), mais j’ai rapidement dû choisir entre mes études et ma passion. Une petite blessure lors d’un match de football a tranché pour moi, et j’ai décidé de me consacrer entièrement à l’équitation.
J’ai passé mon monitorat chez Gérard Andalo, puis il m’a embauchée dans une écurie de commerce de complet. J’ai énormément appris durant cette expérience. Aujourd'hui, j’ai beaucoup d’estime et de reconnaissance pour cet homme. À mes vingt-cinq ans, j’ai passé mon instructorat et j’ai eu un nouveau mentor : Bruno Bouvier. Mon expérience à ses côtés a également été très intense. Après cela, j’ai décidé de me mettre à mon compte, et je me suis installée dans les écuries de Jérémy Leroy en Essonne. Le plus gros de mon activité était d’enseigner et de monter les chevaux de mes clients, bien plus que de faire de la compétition. Puis, j’ai eu mon premier enfant et avec mon compagnon nous avons déménagé dans le sud-ouest de la France, à Loudet. La clientèle n’était pas du tout la même qu’à Paris et toute la partie cavalière et instructrice n’était pas très rentable. J’ai cherché à me diversifier et me suis présentée en 2019 à l’écurie Chev’El, la seule grosse écurie du coin, où l’on m’a proposé de devenir groom pour Jeanne Sadran. C’est là que tout a vraiment commencé.
“J’ai un rôle presque maternel auprès de Jeanne”
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le métier de groom ?
Mon parcours m’a naturellement amenée vers ce métier. Lorsqu’on m’a proposé d'être groom, cela m’a tout de suite plu. Je connaissais déjà bien les chevaux, la compétition, et même la logistique de route, puisque je transportais souvent les chevaux de mes clients en concours. Cela m’a confortée dans mon choix, tout comme mon goût pour la compétition. Bien qu'au fil des années je me sois rendu compte que je n'étais pas assez bonne pilote, j’aime la compétition, ses enjeux et toute l’organisation qu'il y a autour : les départs, les plannings, la préparation des chevaux pour le jour J, etc. Travailler auprès de Jeanne me permet de vivre la compétition autrement. C’est une très bonne cavalière et je m'épanouis en l’accompagnant à chaque étape.
Avez-vous été formée au métier de groom ou êtes-vous montée en compétences sur le terrain ?
Mes formations m’ont bien sûr été utiles, mais dans le milieu du cheval, c’est l’expérience qui prime. Ce qui me permet d’accompagner Jeanne aujourd’hui, c’est que je suis, sans prétention, une femme de cheval. Observer et comprendre les chevaux demande de la pratique, et j’ai toujours travaillé et vécu à leurs côtés, ce qui m’aide énormément. Mon expérience de cavalière me donne également une bonne compréhension de l’anatomie et de la biomécanique. Surtout, je reste curieuse et attentive. Côtoyer le haut niveau me permet de m’enrichir auprès des personnes compétentes qui façonnent ce sport.
Quel est votre rôle auprès de Jeanne Sadran ?
C’est un rôle presque maternel, comme elle aime le dire. J’ai le statut de freelance et j’accompagne Jeanne surtout sur les compétitions et les grands événements. Mon travail est de rester attentive au bien-être de ses chevaux et aux attentes de Jeanne tout au long de ces événements. Dès qu’elle est à cheval, je veille à toujours garder un œil sur elle. J’essaie d’avoir un rôle bienveillant envers elle et son cheval afin qu’elle reste concentrée et sereine. Cela est important, car l’intensité de la piste exige du cavalier beaucoup de lucidité. Il ne faut pas éparpiller ses pensées. Jeanne est très mature et réfléchie. Très souvent, une petite phrase suffit à ce qu’elle redevienne focus.
“Jeanne a des chevaux fantastiques et elle les respecte énormément, ce qui est très important pour moi”
Votre manière de travailler a-t-elle évolué depuis vos débuts avec Jeanne Sadran ?
Absolument. Au début, Jeanne était encore en formation, donc nous avons évolué ensemble. Aujourd’hui, je pense savoir répondre à ses besoins. Elle n’a pas besoin de parler pour beaucoup de choses. Avec Jeanne, nous formons véritablement une équipe, ce qui est un confort de plus pour optimiser la performance.
Quelle relation entretenez-vous avec Jeanne Sadran aujourd’hui ?
Nous avons été très pudiques dans notre relation au départ avec Jeanne. Nous n’échangions que de manière professionnelle. Jeanne est perfectionniste et a besoin de temps pour accorder sa confiance. Ce qui n’était pas forcément facile au début, mais j'ai tout de suite bien aimé sa ténacité et sa rigueur. Avec le temps et le travail fourni, j’ai réussi à gagner sa confiance. J’aime que les choses soient bien faites et je le fais assez discrètement. Ce côté perfectionniste chez moi aussi a sûrement aidé à obtenir la relation d’amitié et de confidentes que nous avons aujourd’hui. Cette connexion que nous avons toutes les deux est d’ailleurs très agréable. Nous partageons également la même estime pour les chevaux, ce qui est un réel atout dans notre relation. Jeanne a des chevaux fantastiques et elle les respecte énormément, ce qui est très important pour moi.
L’année 2024 va toucher à sa fin. Comment avez-vous vécu ces derniers mois, particulièrement marqués en succès ?
Avec énormément de joie et de fierté, même si sa réussite ne me surprend pas. J’étais là pour son premier Grand Prix. La voir aujourd’hui intégrer le cercle très fermé des cinquante meilleurs cavaliers mondiaux est l’aboutissement de son travail acharné. C’est difficile à expliquer, mais personnellement, je m’y attendais, tout comme pour sa victoire dans le Grand Prix 5* du Longines Global Champions Tour de Paris cet été. Ce matin-là, je savais qu’elle gagnerait, j’en avais la profonde conviction. Tout cela est vraiment le résultat d’un travail ardent, d’une maturité incroyable et d’un entourage exceptionnel. Jeanne est très bien accompagnée par sa famille. Son père, Olivier Sadran, gère sa carrière à la méthode “Williams”. Il s'intéresse bien sûr à la performance, mais aussi et surtout à la construction d’une carrière pérenne et réfléchie. Cela confère à Jeanne beaucoup de recul et de réflexion quant à ses choix, comme celui de renoncer au Super Grand Prix du Longines Global Champions Tour pour préserver Dexter de Kerglenn (Mylord Carthago x Diamant de Semilly, son cheval de tête, ndlr) en vue d’autres échéances. Au quotidien, ces succès n’ont rien changé, hormis un tableau immense de la dixième édition du Longines Paris Eiffel Jumping dans le manège, qui rappelle à tout le monde que cela vaut le coup de persévérer. Jeanne est humble et a conscience que tout cela peut s’arrêter très vite.
“Lors des épreuves, ma priorité absolue reste le bien-être des chevaux”
Quels sont les moments clés où la coordination entre groom et cavalier est cruciale ?
Les derniers instants avant l’entrée en piste sont essentiels. Je ne la quitte jamais des yeux et reste constamment près d’elle pour pouvoir intervenir quelle qu’en soit la raison : mettre de la colle à botte, essuyer les rênes, remettre le tapis… Dans ces moments, Jeanne doit garder toute sa concentration et ne doit pas avoir à me chercher. Mon rôle principal à cet instant est de m’assurer qu’aucun élément extérieur ne la distrait. Juste avant son entrée en piste, je lui dis toujours un petit “lâche rien” en tapant sur sa botte. C’est comme un petit rituel.
Pouvez-vous décrire votre journée type de groom en compétition ?
Il est toujours difficile de décrire un emploi du temps précis, car les journées sont dictées par les épreuves. Ce que je peux dire, c’est que le réveil sonne tôt. La journée commence généralement avant sept heures du matin en nourrissant les chevaux, en vérifiant leurs couvertures et en préparant les box. Jeanne arrive souvent tôt aux écuries pour monter les chevaux. Elle les fait toujours travailler deux fois : d’abord sur le plat, puis à la piste. Je me charge de les faire marcher entre ses passages. Je leur prodigue également des soins spécifiques en fonction de leur charge de travail. Chaque épreuve est considérée comme un très gros effort, donc je ne lésine pas sur les soins. Je suis d’ailleurs libre de faire beaucoup. Je surveille de très près les pieds des chevaux pour éviter qu’ils ne soient congestionnés et optimiser les réceptions et les chocs. Je les masse également beaucoup, que ce soit manuellement ou avec une couverture de massage. L’argile aide à éliminer les courbatures et j’utilise également des guêtres de froid pour leurs tendons après les épreuves. La routine peut varier si les épreuves sont tard le soir. Dans ces cas-là, nous avons des journées à rallonge. Nous ne réduisons pas la journée pour attaquer la nuit, car les chevaux ont toujours besoin de nous. Simplement, les chevaux, comme nous, prennent le temps de se reposer pour arriver prêts lors de l’événement de la nuit.
Quelles sont vos principales responsabilités en tant que groom ?
En amont des compétitions, une organisation rigoureuse est mise en place pour les chevaux. Le vétérinaire, Jérôme Thévenot, assure leur suivi, et Jeanne s’occupe des plannings de travail. Mon rôle devient vraiment crucial au moment du voyage et durant les compétitions. Pendant ces quelques jours, je suis responsable de préserver leur intégrité physique, leur calme et leur confort, des éléments essentiels pour ne pas compromettre toute la préparation préalable. Lors des épreuves, ma priorité absolue reste leur bien-être. Pour cela, j’accorde de l’importance à des éléments auxquels on ne pense pas forcément, mais qui peuvent être une gêne pour la performance. Par exemple, je m’assure qu’ils ont uriné avant d’entrer en piste pour éviter toute gêne. Lorsque je fais mon travail de groom, je suis convaincue que les chevaux comprennent mon rôle et comptent sur moi pour les mener au sommet de leurs performances.
La seconde partie de cet entretien est disponible ici.
Photo à la Une : Cécile Dupré et le génial Dexter de Kerglenn lors d'une visite vétérinaire. © Sportfot