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Le jour où… Pierre Durand a atteint l’objectif sportif qui importait le plus à ses yeux (2/2)

Jappeloup
vendredi 29 décembre 2023 Baptiste Royer

Dans sa série “le jour où”, Studforlife propose recueille le témoignages des acteurs  du saut d’obstacles mondial. Qu’ils soient groom, cavalier, éleveur ou propriétaire, tous ont vécu des journées marquantes, en bien comme en mal. Quelles émotions ont-ils vécues ? Comment ont-ils rebondi après un échec ? Comment ont-ils appréhendé une gloire nouvelle, la retraite du cheval de leur vie ? Eléments de réponses à travers des souvenirs impérissables.

Né le 16 février 1955 dans la petite commune de Saint-Seurin-sur-l’Isle, en Gironde, Pierre Durand est une figure aussi incontournable qu’unique du saut d'obstacles français. Jeune garçon animé par le rêve d’un titre olympique, il devient un cavalier talentueux au service de l’équipe de France, et atteint le Graal le 2 octobre 1988, en devenant champion olympique à Séoul, associé à son fidèle Jappeloup. Pour Studforlife, le champion girondin revient sur cinq moments forts de sa riche carrière sportive. 

La première partie de cet article est à (re)lire ici.

Quand le rêve devient réalité

“J’ai abordé les Jeux olympiques de 1988 de façon diamétralement opposée à l’échéance précédente, qui, pour le coup, m’aura aidé à grandir. Je suis arrivé à Séoul d’une façon totalement rationnelle, en maîtrisant tout l’aspect émotionnel. J’avais également un gros capital de confiance, en ayant la certitude, au fond de moi, que je pouvais être champion olympique.” 

Avant de croiser le fer en quête d’or en individuel, Pierre Durand et Jappeloup prennent leurs marques dans la compétition par équipe. Dernier à s’élancer dans la finale, le Tricolore peut offrir le bronze à ses coéquipiers - Hubert Bourdy sur Morgat, Frédéric Cottier toujours accompagné de Flambeau C et Michel Robert juché sur La Fayette - en cas de clear round. Une situation familière pour le cavalier, mais une issue bien différente. Le couple sort de piste sans-faute, et la France termine troisième. “Le fait de réussir là où j'avais échoué quatre ans auparavant a été un déclencheur en vue de la médaille individuelle quelques jours après. D'abord, cela m’a ôté d’un poids, d’une forme de dette que je pensais avoir auprès de l’équipe de France. J’ai été libéré totalement pour l’épreuve individuelle.”

Jappeloup. © DR / Collection privée

2 octobre 1988. Quatre jours après la finale par équipe, place à l’individuel… “L’épreuve a dû commencer à huit heures du matin car nous avons concouru dans le stade olympique. Il a fallu déplacer les chevaux dans la nuit, puisqu’ils avaient jusqu’alors sauté dans un hippodrome dans la banlieue de Séoul. La nuit a été très courte car nous devions être sur le site à 6 heures du matin. Ce matin-là, je dois dire que quand j’ai mis le pied au sol dans ma chambre, j’étais quasiment convaincu que j’allais sortir de cette journée champion olympique.” 

Sans-faute et deuxième au classement provisoire derrière l’Allemand Karsten Huck en première manche, Pierre Durand et Jappeloup exécutent une deuxième prestation parfaite lors du second acte. Si le cavalier de la Mannschaft commet la moindre faute, le Français devient champion olympique.



“J’ai vécu ce parcours sur le plan émotionnel. J’étais sur le bord de piste avec les autres cavaliers et notre sélectionneur. Lorsque je suis sorti de piste sans-faute, j’étais convaincu que j’étais champion olympique, car ce couple-là était le remplaçant de l’équipe d’Allemagne et qu’il n’avait pas vraiment de grandes performances derrière lui. Ça avait été très étonnant qu’il boucle sa première manche sans faute. Très honnêtement, j’étais convaincu que sur la première grosse difficulté, un triple en numéro trois, il allait faire une faute et que nous allions être soulagés. Mais ça ne s’est pas du tout passé ainsi, et il a fallu attendre l’avant dernier obstacle, qui a été le juge de paix de cette deuxième manche, tellement il était énorme... Mais comme jusqu’à cet avant dernier il avait sauté plutôt avec maîtrise toutes les autres difficultés, j’ai eu peur ! Je me suis dit ‘ce n’est pas possible, il va le faire !’ Et je n’aurais pas pu, dans ma tête, être médaillé d’argent, même si cela aurait été formidable. Finalement, il a commis une grosse faute sur l’avant dernier, et le soulagement fut immédiat…”

En 1988, Pierre Durand et Jappeloup ont décroché les étoiles. © DR / FEI

“J’avais atteint l’objectif sportif qui importait le plus à mes yeux. C’est un sentiment difficilement explicable, c’est une foule de sentiments, mais voilà, je suis au Graal de l’équitation, de ce que l’on peut espérer faire dans ce sport… Ensuite, tout s’emballe très vite. Mes coéquipiers me prennent sur leurs épaules. Ils me portent de l’enceinte jusqu’au paddock. C’est l’euphorie la plus totale autour. Les coéquipiers, ma femme, tout le monde exulte. Mais comme je l’ai dit après, j’ai eu le sentiment d’être volé de ces instants magiques, car tout de suite, à la sortie au paddock, il y avait quarante journalistes qui m’attendaient pour me tendre des micros, et il a fallu immédiatement que je mette des mots derrière ce parcours et que quelque part je redescende sur terre, que je retrouve de la lucidité pour m’exprimer. De fait, le côté émotionnel que j’aurais voulu vivre un peu plus longtemps a très vite disparu. S’en est suivi la cérémonie de remise des médailles, qui se passe très vite, la conférence de presse, et puis ensuite j’ai été baladé dans tout Séoul pour aller sur les plateaux des médias français, car à l’époque il n’y avait pas un media center et tout le monde était disséminé dans la ville. J’ai dû quitter le stade olympique à 11h30-12 heures et j’ai retrouvé mes coéquipiers et ma famille le soir, il devait être 19 heures. J’ai fait la tournée habillé en bottes, d’un endroit à un autre… J’ai vraiment goûté à ce que j’avais fait le lendemain matin quand je me suis réveillé. Au moment du réveil, j’ai réalisé pendant quelques instants fabuleux ce que j'avais fait.”



L’heure des au revoir

Après le triomphe de Séoul, Pierre Durand et Jappeloup continueront à accumuler les succès pendant près de trois ans, décrochant notamment une médaille d’or avec l’équipe de France aux championnats du monde de 1990, à Stockholm. Mais le 27 septembre 1991, il est temps pour le petit cheval, désormais âgé de seize ans, de tirer sa révérence. Pour l’occasion, un Jubilé a été organisé sur le Champ-de-Mars, en marge d’une première compétition internationale sur le mythique parc parisien.

“J’avais décidé de l’arrêter en début d’année et je ne voulais pas en démordre, même si j’ai subi des pressions au vu du niveau de performance qui était le sien. Ne serait-ce que de la part de Patrick Caron, qui souhaitait que je reste jusqu’aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992. Mais j’avais pris ma décision. Jappeloup avait seize ans, il avait énormément donné depuis l’âge de sept ans. Neuf ans de très très bonne compétition avec des championnats d’Europe, cinq finales de la Coupe du monde, deux championnats du monde et deux Jeux olympiques, cela fait beaucoup... Il m’avait tellement généreusement servi que je voulais qu’il s’arrête, ce n’était pas négociable.”

“C’était un moment très fort parce que c’était la première fois qu’il y avait une compétition sur le Champ-de-Mars, et tout avait été organisé autour de lui. Il y a eu une soirée fabuleuse en nocturne pour ses adieux. Il pleuvait beaucoup, c’était terrible, mais il y avait quand-même un public qui était là, sur les tribunes non-couvertes, et qui a assisté à ces adieux sous la pluie, stoïque… Cela a été un moment très, très fort. Un moment de communion avec un public qui l’adorait et qui a tenu à l’accompagner, même sous la tempête.”Jusqu'à son départ à la retraite, l'inoubliable Jappeloup a su fédérer les foules. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Pierre Durand, lui, a poursuivi la compétition au plus haut niveau avec Narcotique pendant presque un an. Mais quand la jument se blesse à l’antérieur à quelques semaines des Jeux olympiques de Barcelone, le cavalier décide, à son tour, de faire ses adieux à la compétition. La carrière du champion relève maintenant du passé, mais les émotions qu’elle a suscitées durant presque une décennie restent intactes dans le cœur des amoureux des sports équestres. 

Photo à la Une : Pierre Durand et son inoubliable Jappeloup à Séoul, en 1988. © Bob Langrish