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Pierre Durand, un homme au destin doré (1/2)

Pierre Durand
jeudi 28 décembre 2023 Baptiste Royer

Dans sa série “le jour où”, Studforlife propose recueille les témoignages des acteurs du saut d’obstacles mondial. Qu’ils soient groom, cavalier, éleveur ou propriétaire, tous ont vécu des journées marquantes, en bien comme en mal. Quelles émotions ont-ils vécues ? Comment ont-ils rebondi après un échec ? Comment ont-ils appréhendé une gloire nouvelle, la retraite du cheval de leur vie ? Eléments de réponses à travers des souvenirs impérissables.

Né le 16 février 1955 dans la petite commune de Saint-Seurin-sur-l’Isle, en Gironde, Pierre Durand est une figure aussi incontournable qu’unique du saut d'obstacles français. Jeune garçon animé par le rêve d’un titre olympique, il devient un cavalier talentueux au service de l’équipe de France, et atteint le Graal le 2 octobre 1988, en devenant champion olympique à Séoul, associé à son fidèle Jappeloup. Pour Studforlife, le champion girondin revient sur cinq moments forts de sa riche carrière sportive. 

La découverte d’une passion

“La première fois que je suis monté sur un cheval, c’était en vacances d’été avec mes parents, je devais avoir une dizaine d'années. Nous étions sur le chemin de l’Espagne mais nous avions fait escale à Andorre, dans les Pyrénées. Il y avait, en bas de notre l'hôtel, probablement un loueur de chevaux qui faisait des baptêmes à cheval. J’ai absolument voulu en faire un, et je suis pour la première fois monté sur un équidé. J’en ai encore le souvenir aujourd’hui. Nous sommes allés faire une petite promenade tenue en main, le long d’un gave. C’était assez joli. J’ai été totalement envoûté par l’animal, son odeur, le soyeux de son poil et cela a été un coup de foudre absolu. J’avais même mis une panoplie de cow-boy. J’avais le chapeau, les pistolets à la ceinture… Évidemment la représentation du cheval que j’avais quand j’étais gamin, c’était du Western, pas du saut d’obstacles !”

“Après cette première expérience, j’ai commencé à me montrer très insistant auprès de mon père pour qu’il me fasse monter. Mais comme dans mon coin de la ruralité girondine il n’y avait pas de centre équestre à proximité, ce n’était pas évident… Il avait dans son entourage un ami qui chassait à courre. Il m’a initié à l’équitation sur un cheval destiné à cette pratique. Cela me plaisait tellement que j’amenais avec moi mes copains de l’école pour monter le jeudi après-midi. Quand mon père a vu ça, il a décidé de créer une petite structure équestre, un club associatif. C’est dans ce club que j’ai grandi. Je ne l’ai d’ailleurs jamais quitté puisque mes chevaux du temps de ma carrière étaient dans une partie de la propriété.”

Dès l’âge de dix-neuf ans, Pierre Durand se voit confier son premier “grand cheval de concours hippique”, l’étalon Laudanum, dont l’influence a l’élevage n’a pas été anodine. Le couple est rapidement propulsé au plus haut niveau et triomphe dans son premier Grand Prix international en avril 1975. Une collaboration déterminante dans la carrière du cavalier, dont la conviction de pouvoir concrétiser son rêve olympique sort renforcée. 

L'excellent Pur-Sang Laudanum aura aussi marqué la carrière de Pierre Durand. © Collection privée



Et puis… la rencontre avec le cheval providence

“En 1979, Henry Delage, l’éleveur et propriétaire de Jappeloup, vient me le présenter en me disant qu’il espérait avoir un très bon cheval pour moi. Si ce n’est que la première rencontre n’a pas été du tout concluante ! Je n’ai pas du tout été séduit par Jappeloup, de par sa petite taille, ses origines, mais aussi sa morphologie. Je n’ai pas véritablement donné suite à ce premier contact avec le cheval. Son éleveur s’est montré insistant, et il a eu l'habileté de mettre mon père dans la complicité. À peu près un an jour pour jour après cette première rencontre, ils me l’ont présenté à nouveau. Face à leur insistance, je n’ai pas pu faire autrement que de garder le cheval. Mais je n’étais pas convaincu du tout par ce que Jappeloup pouvait être en mesure de faire.”

“Je l’ai récupéré assez tard durant son année de cinq ans. C’était après mes examens à la fac, en juin il me semble. J’ai fait un premier concours avec lui réservé aux jeunes chevaux à Pompadour, et nous avons réalisé deux sans-faute. Il n’y a que deux chevaux qui ont fait cela. J’ai ensuite emmené Jappeloup avec moi au Touquet, où j’étais stationné tous les étés. Nous avons refait deux épreuves de cinq ans et il a refait deux sans-faute. Il y avait un triple en deux foulées et Jappeloup en a fait une seule à l’intérieur, sans aucun problème. À ce moment, j’ai commencé à comprendre que ce petit cheval était quand même assez étonnant… Mais, il n’était pas dressé, il était trotteur par son père, donc il repassait au trot devant les obstacles. Il m’avait intrigué plus que convaincu. Je me suis donc mis à beaucoup le faire travailler sur le plat.”

Pierre Durand et Jappeloup. © DR / Collection privée

Le couple connaîtra ensuite une progression fulgurante. En mars 1982, tous deux obtiennent leur première sélection en équipe de France à l’occasion du CSIO de Genève. Âgé de seulement sept ans, Jappeloup et son cavalier ressortent double sans-faute de ce premier défi. En octobre, le duo confirme son nouveau statut en s’imposant dans le championnat de France Sénior. Jappeloup et Pierre Durand sont dorénavant des piliers de l’équipe de France, et ils prendront part à leur première échéance olympique à Los Angeles, en 1984.

La désillusion de Los Angeles

“J’ai abordé les Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, avec l’ambition de m’y imposer, car le titre olympique était franchement mon obsession, mais j’y suis aussi allé avec un enthousiasme romantique. J’allais connaître l’aventure olympique, je voulais vivre ces moments-là dans l’émotion, me gaver de ces grands moments que l’on peut vivre dans cet événement, comme la cérémonie d’ouverture, ou se retrouver dans la délégation avec tous les grands champions de toutes les disciplines, vivre au village olympique… Ce sont des moments extraordinaires et j’ai voulu me rassasier de cela. Et j’ai compris après que cela avait été une erreur.”



Le 7 août 1984, l’équipe de France, représentée par Frédéric Cottier sur Flambeau C, Philippe Rozier et Jiva, Eric Navet aux rênes de J’t’Adore et Pierre Durand avec son fidèle Jappeloup, aborde sa finale par équipe. Dernier à s’élancer dans la seconde manche, le Girondin et son complice ont le destin des Bleus entre leurs mains. Si le couple est sans-faute, la France repart avec le bronze.

“Au moment d’entrer en piste, la pression ne fait que décupler. On est dos au mur. Nous sommes confrontés à un Everest sur le plan équestre du fait de la hauteur, la largeur et la difficulté techniques des obstacles, et nous sommes dans l’obligation de réaliser un parcours sans faute. Je me suis laissé influencer par le poids de l’enjeu…”

Pierre Durand et Jappeloup. © Dirk Caremans / Hippo Foto

“Je me sentais bien jusqu’en milieu de parcours car nous étions sans-faute. Presque trop bien, car je demandais beaucoup d’efforts sur chaque saut à Jappeloup, de crainte qu’il ne tutoie un obstacle et que la barre fatidique tombe. Il me les concédait généreusement, mais au milieu du parcours, j’ai senti qu’il commençait à m’adresser des signes de fébrilité. À ce moment-là, il y a eu une respiration assez longue entre deux obstacles. Je me suis un peu relâché pour lui faire comprendre que je n’allais pas lui demander d’être dans le rouge en permanence et je n’ai pas anticipé l’obstacle suivant suffisamment tôt et l’abord n’était pas convenable. C’est là qu’il s’est arrêté, sur l’obstacle numéro neuf…  Cela a été brutal et soudain. Le sentiment d’une détestation de moi-même, avoir failli dans la mission qui était la mienne, vécu aux Jeux olympiques devant des millions de téléspectateurs. C’était terrible… Si j’avais pu être un animal fouisseur, je serais rentré sous terre.” 

Après une honorable douzième place décrochée quelques jours plus tard en individuel, Pierre Durand se “remet en cause à tous les niveaux” et reprend l’épineuse route qui le mènera jusqu’au sacre olympique. Troisième de la finale de la Coupe du monde à Göteborg le printemps suivant, vainqueur de nombreux Grands Prix et champion d’Europe en individuel à Saint-Gall en 1987, le couple prend rendez-vous avec son destin à Séoul, à l’occasion des Jeux olympiques de 1988.

Photo à la Une : Pierre Durand. © Scoopdyga

La seconde partie de cet article sera disponible demain sur Studforlife.com...