Sur les trois derniers mois écoulés, Max Kühner est le cavalier à avoir amassé le plus de gains. Il faut dire que l’Autrichien ne rate rien, ou presque, et ce quelle que soit la monture avec laquelle il collabore. Ce scientifique dans l’âme, qui mène de front sa carrière sportive et son activité à temps plein dans la finance, s’apprête à vivre ses premiers Jeux olympiques, cet été à Versailles, aux côtés de son fidèle Elektric Blue P. Et ces deux-là se connaissent par cœur, après dix années d’aventure commune. Pour être au meilleur de sa forme à Versailles, le fils d’Eldorado vd Zeshoek a pu compter sur ses voisins d’écurie pour prendre le relais en début d’année et s’accorder une pause bien méritée, avant de repartir de plus belle, à Windsor, Rome, La Baule puis Stockholm. Fort de ses résultats, Max Kühner a gravi les échelons du classement mondial, intégrant le Top 5 en juin pour la première fois de sa carrière, avant d’en prendre le troisième rang en juillet. Également impliqué dans l’élevage et chef de file d’une équipe autrichienne plus forte que jamais depuis sa médaille de bronze historique décrochée à Milan l’été dernier, le jeune quinqua se livre et partage son point de vue, toujours intéressant.
La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.
Septième des championnats d’Europe de Milan et de la finale de la Coupe du monde de Riyad, neuvième de celles de Leipzig et Göteborg, sixième des Mondiaux de Herning et des Jeux équestres mondiaux de Tryon ; votre régularité en grand championnat est remarquable. Comment expliquez-vous tous ces classements ?
C’est gentil de le souligner, mais cela n’a jamais débouché sur une médaille individuelle. Ce sont de bons résultats, mais pas suffisamment à mon goût, en tant que personne ambitieuse. Cela aurait pu basculer d’un côté ou de l’autre. J’aurais espéré mieux, mais cela aurait aussi pu être pire. Globalement, je pense que nous inculquons une solide formation aux chevaux. Nous l’avons fait pour la plupart des chevaux que je monte depuis des années. La plupart de nos chevaux arrivent dans nos écuries lorsqu’ils sont jeunes. Cela est rendu possible par les personnes qui nous entourent, en particulier Helmut Schönstetter, qui s’occupe de tous mes jeunes chevaux ou presque. Avec le temps, nous avons, je pense, développé un bon système. Qu’un cheval ait du talent est une chose, mais comme dans la vie, les choses ne progressent pas seules. Il faut toujours trouver des solutions aux moments plus difficiles, aux impasses. Et, quoi qu’il arrive, il faut toujours se souvenir qu’à huit, neuf ans ou plus, les chevaux doivent encore avoir toutes leurs capacités physiques. Une chose dont je suis convaincu est qu'il ne faut pas travailler avec les jeunes chevaux sur de longues périodes de temps. Il faut toujours les remettre au pré. Dans notre cas, nous commençons avec eux, leur faisons faire leur premier concours lorsqu’ils sont prêts, puis les remettons au pré. Ensuite, nous reprenons à zéro, avant de leur accorder une nouvelle période de repos au champ. Ils y restent souvent jusqu’au début de leur année de sept ans. Cela a été le cas d’Elektric Blue. Il est rentré au printemps de son année de sept ans, je l’ai monté un peu puis je l’ai emmené au Sunshine Tour, où il a remporté les épreuves réservées aux jeunes chevaux. Les chevaux se souviennent très bien de ce qu’ils ont fait et appris. C’est aussi intéressant pour eux d’avoir conscience de ce qu’il se passe et de ce qu’on leur demande. Cela permet également d’améliorer leur mental. Au bout du compte, dans un barrage rapide ou une épreuve difficile, ils doivent se battre pour nous et être physiquement, mais surtout psychologiquement de notre côté. Ils doivent aimer ce qu’ils font. Lorsqu’on s’acharne à essayer de faire comprendre quelque chose à un jeune cheval et que cela ne fonctionne pas, je trouve que cela les épuise mentalement. À l’inverse, lorsqu’on ne parvient pas à faire comprendre quelque chose à un jeune cheval et qu’il passe du temps au pré, il a parfois un déclic lorsqu’il revient au travail quelques mois plus tard. Certaines choses se débloquent seules. Il faut faire confiance à la nature et croire en ses chevaux.
“Nous faisons de la préparation mentale pour moi, mais aussi pour les chevaux”
Suivez-vous une préparation différente pour aborder ces grandes échéances ?
Je pense que la meilleure des préparations est d’écouter ses chevaux, afin d’identifier leurs faiblesses et de pouvoir travailler sur celles-ci les semaines et mois précédents un championnat. Lorsque nous commettons des fautes, ou que certaines choses ne sont pas aussi fluides que je l’aimerais, je les analyse et essaye de travailler dessus. Il s’agit davantage d’essayer d’avoir un bon sentiment par rapport à ces choses-là que de faire quelque chose de particulier.
La préparation mentale entre-t-elle en jeu dans votre préparation ?
Nous le faisons pour moi, mais aussi pour les chevaux.
Comment se traduit la préparation mentale de vos chevaux ?
Cela irait un peu loin… Tout ce que je peux dire est que nous ne faisons pas que des choses qui sont prouvées scientifiquement. Nous croyons aussi en d’autres choses. Je pense que nos chevaux apprécient ces méthodes. Par exemple, Elektric Blue aime travailler avec moi. Alors, j’essaye de lui proposer différentes activités, de le longer, le promener, etc.
“Le classement mondial est un bon indicateur de régularité”
Vous avez intégré le Top 5 mondial pour la première fois de votre carrière en juin. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Je regarde beaucoup le classement mondial, car il est un bon indicateur de régularité et un bon retour sur le travail effectué ces dernières années. C’est assez important à mes yeux. Cela reflète non seulement la façon dont je travaille, mais surtout celle dont toute mon équipe travaille. Tout est toujours un travail d’équipe.
Afin de faire partie des meilleurs mondiaux, le système du classement mondial impose de concourir de nombreuses semaines par an, certains cavaliers étant en compétition jusqu’à cinquante week-end chaque saison. Qu’en pensez-vous ?
Parfois, cela fait beaucoup. Il peut être préférable d’en faire moins que trop, mais on ne peut pas le savoir à l’avance. Il est impossible de donner un avis général. Il faut écouter ses propres chevaux. Certains ont besoin d’un rythme un peu plus soutenu, d’autres sont plus heureux lorsqu’ils ne concourent pas autant. Les conditions de concours, que l’on ne peut pas nécessairement reproduire chez soi, avec l’adrénaline procurée par la piste, sont aussi nécessaires. Mais, encore une fois, il faut faire ce qu’il y a de mieux pour ses chevaux. Je prends part à quarante à quarante-cinq concours par an. C’est beaucoup.
Le calendrier international est de plus en plus rempli chaque semaine, notamment de CSI 5*. Vous faites d’ailleurs partie des quelques cavaliers à en avoir disputé deux lors d'un même week-end. Cela ne fait-il pas perdre de la valeur aux concours historiques ?
Je n’aime pas prendre trop parti dans ces choses-là. Les compétitions ouvertes à tous sont aussi importantes pour notre marché. Bien sûr, il y a des concours historiques fantastiques, mais cela ne fait pas tout. Les organisateurs de ces événements doivent aussi chercher à améliorer ce qui peut l’être. Le niveau des compétitions augmente. Aujourd'hui, les standards sont très élevés, que ce soit pour les sols ou pour les chevaux.
“Les médailles individuelles se joueront très certainement sur un barrage très rapide à Paris”
Les Jeux olympiques de Paris sont l’objectif principal de bon nombre de cavaliers et vous ne dérogez pas à la règle. Sur quoi allez-vous travailler avant ce grand rendez-vous ?
Paris est évidemment dans ma tête. Les Jeux olympiques se courent sur un format un peu différent des autres championnats. Les médailles individuelles se joueront très certainement sur un barrage très rapide. Il faut donc avoir un cheval à l’aise dans l’exercice de la vitesse. Cela m’a motivé à progresser sur ce point. Je ne suis peut-être pas celui qui va toujours très vite, mais cela me donne envie de tenter davantage et de m’entraîner sur ce point. Lorsque l’on forme des jeunes chevaux, on essaye toujours de les protéger, de les économiser et d’aller un peu moins vite sur tel ou tel parcours. Et puis, parfois on manque, ou plutôt je manque le moment où ils sont prêts et où il est temps d'y aller à fond. Connaître le format olympique m’a donné un but pour cette saison.
L’été dernier, lors des Européens de Milan, l’Autriche a décroché une médaille de bronze historique. Comment jugez-vous les chances de votre équipe à Paris ?
Actuellement, nous avons de bons couples cavaliers-chevaux en Autriche. Ils ne sont pas extrêmement nombreux et nous n’avons pas l’embarras du choix non plus ; nous devons donc vraiment faire attention aux chevaux et s’assurer qu’ils restent en bonne forme jusqu’aux Jeux. Ensuite, nous aurons évidemment besoin d’un peu de chance ! Les choses devront tourner en notre faveur et l’espoir fait toujours partie du jeu.
En Italie, vous avez partagé le podium avec Angelika May, votre cheffe d’équipe. Quel rôle joue-t-elle au sein du collectif autrichien ?
Angelika nous apporte une énergie très positive ! Elle est vraiment passionnée et ambitieuse, et essaie de nous soutenir autant que possible. Nous avons décidé d’un commun accord que je prendrais les décisions sportives pour l’équipe autrichienne jusqu’à Paris. Notre ancien chef d’équipe a quitté ses fonctions quelques semaines avant les championnats d’Europe de Milan. Alors, nous nous sommes plus ou moins débrouillés nous-mêmes, avec le soutien et les bonnes ondes du Docteur Angelika May. Nous allons continuer ainsi jusqu’aux Jeux, car il aurait sans doute été difficile d’intégrer une nouvelle personne dans notre équipe sur un laps de temps si court. Pour l’instant, tout a l’air de bien fonctionner.
“J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour ce milieu et je crois que j’ai commis toutes les erreurs possibles”
Vous n’êtes pas seulement cavalier de haut niveau et menez une brillante carrière professionnelle dans la finance en parallèle du monde équestre. Comment gérez-vous votre temps et cette double casquette ?
Généralement, lorsque je suis à la maison, je m’occupe des chevaux dès la première heure. J’essaye de quitter les écuries entre 9 et 10 heures. Je me rends ensuite à mon bureau. Mon incroyable équipe gère les écuries et les chevaux. J’essaie d’être toujours disponible pour eux s’ils ont des questions ou besoin de quoi que ce soit, mais tous sont assez indépendants. Je rentre à la maison aux alentours de 19 heures, une fois ma journée au bureau terminée. Nous dégustons alors un bon dîner, souvent cuisiné par mon épouse, en famille. Nous profitons de ce temps tous ensemble, puis je change notre petite dernière et la prépare pour la nuit. Dans la soirée, je profite au maximum de ce temps passé en famille.
Vos deux filles aînées, Grace Isabelle et Jolie Marie, semblent bien lancées pour suivre vos traces et se montrent très performantes sur les terrains de compétition. Quel regard portez-vous sur leur parcours, qui doit, à n’en pas douter, déjà vous rendre très fier ?
Oui, bien sûr, je suis très fier d’elles et surtout de la façon dont elles appréhendent le sport. Mes parents m’ont toujours soutenu, mais ils n’avaient pas beaucoup de connaissances dans le monde du cheval. J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour ce milieu et je crois que j’ai commis toutes les erreurs possibles (rires). Désormais, ces expériences sont un avantage, puisque j’ai appris de ces erreurs et trouvé des solutions. Je mets cela à contribution pour mes enfants. Et ils ressemblent déjà à des petits professionnels ! Lorsqu’ils passent un mauvais week-end en concours ou qu’ils sont déçus d’un résultat, ils se comportent vraiment comme des professionnels. C’est incroyable d’être témoin de cela ! S’ils ont l’ambition, ce qui est selon moi le plus important, plus que le talent ou n’importe quoi d’autre, ils ne pourront que progresser. Il ne peut pas en être autrement si les chevaux sont constamment dans notre esprit. Si on veut vraiment avancer dans ce milieu, il faut se demander chaque soir ce que l’on aurait pu faire de mieux et le mettre en application le lendemain. On peut avoir le plus grand talent du monde, si on est paresseux et peu intéressé, cela ne servira à rien au bout du compte.
Parvenez-vous parfois à trouver un peu de temps libre dans votre emploi du temps de ministre ? Qu’aimez-vous faire pendant ces moments ?
Effectivement, nous n’avons pas beaucoup de temps libre ! De fait, nous devons profiter encore plus de celui qui nous est offert ! (rires) Nous vivons dans une magnifique région. Par exemple, nous apprécions aller au lac et faire quelques petites activités ensemble, en famille, et en hiver, nous allons skier.
Photo à la Une : Depuis quelques mois, Max Kühner s'efforce de prendre plus de risques dans les barrages des Grands Prix 5* qu'il dispute. Mélina Massias