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“Le barrage de Christian Kukuk était parfait d’un point de vue stratégique”, Emeric George

Kukuk
mardi 6 août 2024 Propos recueillis par Mélina Massias

Les épreuves équestres se sont achevées à Versailles avec la victoire de Christian Kukuk et Checker 47, devant Steve Guerdat sur Dynamix de Bélhème et Maikel van der Vleuten aux rênes de Beauville au terme d’une finale passionnante, mardi 6 août. Membre de l’équipe de France et habitué à côtoyer les meilleurs mondiaux chaque week-end, Emeric George livre sa cinquième et dernière analyse dans les colonnes de Studforlife. Toujours avec la même pertinence, il évoque le travail des chefs de piste, le rôle joué par la pression et l’enjeu que représentent les Jeux olympiques, et dresse le bilan d’une édition réussie. 

Le parcours

“En résumé, le parcours était digne d’une finale olympique. Il était grandement exigeant, et c’est, encore une fois, une vraie réussite de la part des deux chefs de piste (Grégory Bodo et Santiago Varela, ndlr). Ce parcours était complet : il concentrait toutes les difficultés, à enchaîner avec fluidité pour venir à bout de tous ces efforts. Cela se faisait bien, mais le parcours était extrêmement délicat et exigeant sur le plan technique. Lundi, j’évoquais le fait que nous verrions sans doute un tracé plus subtil, en tout cas moins rectiligne et cela a été le cas, notamment pour l’abord de la ligne du premier double ou encore celui du triple. Il y avait des choix de distances, de contrats de foulées. C’était un vrai parcours de cavalier, qui demandait aux chevaux d’avoir toute la gamme d’outils possibles, de faire toutes les gymnastiques possibles. C’était extrêmement beau à voir.”

Le scénario

“Je n’ai pas été si mauvais dans mes pronostics ! Lundi, j’imaginais un barrage avec entre trois et cinq cavaliers et cela s’est vérifié. Les trois barragistes faisaient partie des couples que l’on attendait pour une médaille, donc il n’y a pas eu de surprises à ce niveau là. Il aurait pu y avoir davantage de barragistes : plusieurs cavaliers ont commis une faute sur le dernier, qui n'était pas placé au hasard (cela a notamment été le cas de Laura Kraut, Max Kühner ou Martin Fuchs, ndlr). Il s’agissait d’un faux oxer, aux couleurs très claires, et il était un peu isolé, après la ligne finale. C’est là où l’on voit toute la pression que représentent les Jeux olympiques : il y a forcément des cavaliers qui gambergeaient un peu à ce moment-là. Ils avaient presque le temps de se dire ‘je suis aux Jeux olympiques, je suis sans-faute, il n’en reste plus qu’un’. Je pense que certaines fautes auraient vraiment pu être évitées par des cavaliers aussi talentueux. Le paramètre fatigue a aussi joué. Il y avait dix-neuf efforts et quinze obstacles. Je n’avais jamais vu cela ! En Grand Prix 5*, il y a régulièrement quatorze obstacles, mais là, il y en avait un de plus. Au-delà de l’aspect technique, il n’était pas le plus facile à sauter, aussi bien sur le plan physique que psychologique. Même si on aurait pu voir plus de barragistes, tout était extrêmement bien dosé. Le scénario était presque idéal. Je me souviens des six barragistes des Jeux de Tokyo. Se retrouver au barrage pour ne finalement obtenir aucune médaille est frustrant. Trois barragistes, trois médailles : cela me semble être une configuration idéale.”

Steve Guerdat, médaillé d'argent et Maikel van der Vleuten, médaillé de bronze, encadrent Christian Kukuk, le nouveau champion olympique. © Benjamin Clark / FEI



L’ambiance vue de l'intérieur

“J’ai assisté à la finale du saut à la perche lundi soir (où Armand Duplantis a enflammé le stade de France en battant encore une fois son propre record du monde en franchissant 6,25m au troisième essai, ndlr) et à celle du jumping ce matin grâce à mon ami Pierre-Alain Mortier, cavalier de l’équipe de France, qui m’a laissé amicalement sa place au dernier moment. L’ambiance était vraiment chaleureuse et il y avait beaucoup de ferveur. Il y avait un point commun entre ces deux épreuves : le public était très cosmopolite, parlait toutes les langues et encourageait tout le monde. À Versailles, il y avait évidemment un petit quelque chose en plus pour les cavaliers français. Simon Delestre et Julien Epaillard ont eu une belle ovation, méritée, en entrant en piste, mais tous les cavaliers ont été encouragés. Il y avait une très, très bonne ambiance et nous avons vécu un super moment de sport.”

Sur place, Emeric George a pu profiter d'une excellente ambiance durant la finale individuelle. © Benjamin Clark / FEI

La chute d’Henrik von Eckermann et le rôle de la pression

“La chute d’Henrik von Eckermann est une caricature des Jeux olympiques. On peut toucher au Graal comme toucher le fond. Cela n’enlève rien à la domination d’Henrik von Eckermann ces deux dernières années. Il est numéro un mondial depuis vingt-cinq mois. C’est un cavalier fantastique et son cheval, King Edward, est extraordinaire. Il a produit un gros effort sur le premier double, puis a un peu surréagit et fait un nouveau très gros saut sur la rivière. Ensuite, Henrik change d’avis : il était parti pour faire six foulées mais en a ajouté une septième. Cela l’a mis en difficulté et son cheval, particulièrement sensible, s’est ému et demandé où il devait aller. Et puis il s’est passé quelque chose d’assez improbable. Il n’y a qu’aux Jeux olympiques que l’on peut voir ce genre de situation ! 

Henrik von Eckermann quitte les Jeux de Paris à pied. © Scoopdyga

Dans un autre registre, cela se rapproche de ce qu’a vécu Martin Fuchs. Il perd un étrier et continue ainsi pour les trois quarts du parcours. Martin est quelqu’un que l’on voit maîtriser et dominer tous les Grands Prix 5* de la planète, tous les week-ends. Aujourd’hui, il a dû s’accrocher avec son étrier en moins. C’est vraiment étonnant, même s’il a presque réussi à signer un sans-faute malgré tout ! Ces situations n’arrivent qu’aux Jeux olympiques. On ressent le surcroît de pression et de tension depuis les tribunes. Tous ces cavaliers sont de très grands champions, mais tous ne gèrent pas cette atmosphère de la même manière. Je pense en premier lieu à Steve Guerdat, qui n’est pas le seul mais a monté obstacle par obstacle, avec une précision et une détermination folles. À l’inverse, d’autres cavaliers ont commis des petites erreurs et ont eu des interventions inhabituelles, n’ont pas eu la monte qui est la leur habituellement. Cela est lié à la pression, mais aussi à la difficulté du parcours. Même les Grands Prix 5* les plus durs du monde sont, à mon sens, un cran en dessous de ce que l’on a vu sur cette finale olympique. Les hauteurs étaient maximales, avec trois combinaisons, de toutes les configurations possibles, placées à des endroits stratégiques. Il y avait vraiment de quoi perdre le fil du parcours et peu d’occasion de le retrouver, car tout venait assez vite.”



Un statut de favori pas si simple à assumer

“J’attendais beaucoup des Belges, des Suédois, des Irlandais et des Allemands. Christian Kukuk gagne l’or individuel, ce qui serait déjà suffisant pour beaucoup, mais j’imaginais les Allemands encore plus forts que cela. Avant le début de la compétition, je voyais deux, voire trois Allemands au barrage tellement ils semblaient forts. Finalement, ils sont repartis sans médaille par équipe. Idem pour l’Irlande. Arriver aux Jeux olympiques avec le statut de favori n’est pas facile, quel que soit le sport, mais encore plus en équitation, où le paramètre cheval est plus que fondamental. On le dit souvent, mais les chevaux sont des éponges et ressentent les émotions, les sensations de leurs cavaliers. En jumping, le statut de favori m’a semblé lourd à porter. C’est l’enseignement de ces Jeux. 

Pas de médaille collective pour l'Allemagne, attendue comme grande favorite à Paris. © Benjamin Clark / FEI

Les Suisses sont passés à côté de leur qualification par équipe, mais ont magnifiquement réagi en individuel. Certaines grandes nations ont, globalement, été un peu en deçà de ce qu’on imaginait d’elles. Cela s’explique par la pression et le poids des Jeux olympiques. Il y a de la tension dans chaque championnat, mais peut-être pas autant qu’aux Jeux, où elle est à son paroxysme. Sur un championnat traditionnel, une barre peut être rattrapée sur la longueur par un couple habitué à enchaîner les sans-faute. Ben Maher, qui, pour moi, a fait une démonstration aujourd’hui, ou Laura Kraut, n’ont pas pu rattraper leur faute. C’est quelque chose de propre aux Jeux.”

Ben Maher n'a pas pu tenter de décrocher un deuxième titre de champion olympique avec Dallas Vegas Batilly, pour une faute en finale. © Scoopdyga

Le podium individuel

“En voyant les trois barragistes, j’imaginais Steve Guerdat en or, Christian Kukuk en argent et Maikel van der Vleuten en bronze. Même si Steve peut gagner n’importe quel barrage, puisqu’il fait partie des cavaliers les plus rapides du monde, je pensais que le fait de partir en dernier lui donnerait un avantage. Je savais également que Checker, le cheval de Christian, serait très rapide, car il est naturellement très véloce. Le barrage de Christian a été parfait d’un point de vue stratégique : il s’est appuyé sur les qualités de son cheval, a fait un très bon parcours, mais ne s’est jamais mis à risque. J’ai le sentiment qu’il a gardé vingt pourcents de vitesse sous le coude, pour être rapide tout en restant sans-faute et pousser les suivants à la faute. Et c’est ce qui s’est produit ! Celui qui a gagné est celui qui a pu suivre son plan jusqu’au bout.

Steve Guerdat et Dynamix de Bélhème ont ajouté une médaille à leur collection, ouverte avec l'or européen l'été dernier à Milan. © Benjamin Clark / FEI



Steve et Maikel ont aussi fait de très beaux barrages. Je ne pense pas que Maikel ait fait d’erreur particulière, mais il a manqué quelque chose à Beauville pour couvrir l’oxer d’entrée de l’ancien triple, réduit en double pour le barrage. Je disais que Beauville était peut-être un poil moins brillant qu’il y a trois ans lundi. On a vu que sa qualité et que l’expérience de son cavalier a fait la différence. Tous deux ont réussi la prouesse de monter sur les podiums des Jeux olympiques de Tokyo, des championnats du monde de Herning et des Jeux olympiques de Paris. C’est juste exceptionnel. 

Nouvelle médaille de bronze pour Maikel van der Vleuten et Beauville ! © Scoopdyga

J’étais assez bien placé pour voir la faute de Steve. Je pense qu’il aurait pu prendre la foulée d’avant. Il a tourné très court et pris un risque. Dans un Grand Prix 5*, je pense qu’il aurait essayé de solliciter sa jument avant qu’elle prenne la foulée d’avant, quitte à commettre une faute. Aujourd’hui, il est resté dans une position plutôt défensive, en gardant la jument avec lui et en refaisant une foulée. Faire un barrage sur 1,65m est extrêmement difficile ! Steve avait moins de dix mètres et une foulée pour se remettre dans l’axe du vertical. C’était particulièrement délicat. 

Pour être sur le podium, il fallait faire preuve d’une maîtrise technique totale, former un couple cavalier-cheval expérimenté, performant et cocher toutes les cases, tout en ayant un brin de réussite.”

Une caresse bien méritée pour Checker 47, le nouveau champion olympique. © Scoopdyga

Une belle vitrine pour les sports équestres

“Ces Jeux olympiques rendent fier d’être français. Je suis content d’avoir pu y assister sur place. C’était une chance et je remercie encore Pierre-Alain Mortier. Le site était magnifique. Le choix de Versailles était, certes, éphémère, mais a donné des images à couper le souffle. Bravo à Sylvie Robert et à toutes les équipes GL Events qui ont organisé les épreuves équestres de main de maître. Les conditions semblaient parfaites pour le sport et d’un point de vue de spectateur, les accès étaient fluides, il n’y avait pas trop d’attente. C’était, me semble-t-il, très, très bien organisé et géré. Bravo aussi aux chefs de piste, tant pour le concours complet que pour le jumping. Ils avaient une grosse pression avec tous les enjeux de bien-être animal et une immense responsabilité. Ils ont réussi à tenir compte de tout cela tout en mettant en musique du très, très grand sport. Chapeau à tout le monde, des organisateurs aux officiels en passant par les chefs de piste. Ces Jeux semblent très, très réussis. L’enjeu était grand et il y a de quoi être fier.”

Photo à la Une : Christian Kukuk et Checker 47 ont remporté l’or en individuel à Versailles. © Benjamin Clark / FEI