Diabolo, Rosana, Beau Gosse, Hollywood. Tous ont fait, ou font encore briller l’affixe du Park, initié un peu par hasard par Corinne Accary. Passionnée, la Parisienne n’avait jamais vraiment envisagé de devenir éleveuse. Finalement, sa toute première jument, la brillante et énergique Quinine de Livoye l’a menée dans cette direction. À partir de cette unique Selle Français Originel, issue du croisement entre Ukase et Artichaut, l’amatrice s’est muée en professionnelle à succès, produisant, à travers les années et les générations, de véritables cracks. Fidèle à sa souche, celle qui s’est exilée en Bretagne, ne manque pas d'anecdotes ni de détermination. Retour, dans la première partie de cet article, sur la genèse d’une œuvre aussi singulière qu’intéressante et réussie.
Corinne Accary pourrait parler, des heures durant, de sa très chère Quinine de Livoye (Ukase x Artichaut), sans jamais perdre la flamme qui s'illumine dans ses yeux à chaque mot prononcé, ni lasser son auditoire. Plus de trente ans après avoir rencontré celle qui est devenue la matrone de l'affixe du Park, sa propriétaire et ancienne cavalière a encore en tête son numéro SIRE. “C'est le seul que je connaisse”, glisse-t-elle dans un sourire.
Corinne a vingt ans. Parisienne, cavalière amateure, passionnée et déterminée, la jeune femme se met en quête de son premier cheval. Son instructeur d'alors, doté d'un “bon coup d'œil”, prospecte et lui propose une sélection de chevaux. Parmi ceux-ci, une certaine Quinine de Livoye. Fille du bon Ukase et petite-fille d’Artichaut, la baie à la large liste blanche retient son attention. “Mon moniteur avait fait une tournée, à l’occasion de concours de modèle et allures, où les chevaux ne sautaient même pas. Il avait ensuite établi une liste et m’avait dit que si je ne prenais pas Quinine, il le ferait, pensant que c’était la meilleure”, se souvient Corinne. Pourtant, faire l’acquisition de la belle n’a pas été une mince affaire. Légèrement plus cher que son budget initial, le prix de la Selle Français n’a, heureusement, pas refroidi les parents de la Parisienne. “Pour mes parents, il était inenvisageable de m’acheter un cheval. J’avais dû négocier. L’achat en lui-même les dérangeait moyennement. En revanche, ils trouvaient complètement aberrant qu’une jeune de vingt ans puisse dépenser des sommes conséquentes chaque mois, pour entretenir un équidé. Finalement, je leur avais assuré qu’ils ne débourseraient pas un centime pour cette jument s’ils l’achetaient. À cette époque, je suivais des études, auxquelles j’ai rapidement mis fin, et travaillais le week-end dans un magasin. Voilà comment j’ai réussi à avoir ma première jument”, retrace l’éleveuse. “Nous n’avions jamais vu Quinine sauter en liberté, n’avions pas effectué de bilan radio ni une quelconque visite vétérinaire. Lorsque nous étions allés la chercher, elle était un box vétuste, clos, qui ressemblait à une espèce de carton. Rapidement, j’ai compris pourquoi elle vivait dans cette boîte. Quinine était un vrai lion ! Elle était gentille et douce, mais avait une telle énergie ! Combien de fois elle m’a échappé lorsque j’allais la faire brouter. Lorsque je la sortais en mains, j’avais parfois les pieds qui ne touchaient plus terre (rires).”
En 1986, lorsqu’elle entre dans la vie de Corinne, Quinine a tout juste quatre ans. À ce moment-là, difficile de prédire à cette petite jument, née dans la Manche, une telle épopée. Plutôt modeste, sa souche n’a pas produit de grand champion. Malgré tout, il convient de souligner le travail d’André Mancel qui a développé sa souche à partir d’une jument demi-sang baptisée… Terrible. Loin d’être si terrible que cela, ses filles, petites-filles et arrière-petite fille ont fait perdurer l'œuvre de leur naisseur à travers les générations. Outre les étalons Oeillet (Artichaut) et Dollar de Livoye (Ukase), qui ont donné quelques produits sur le sol belge, l’affixe du Manchois, donné à soixante-deux équidés, a également été porté avec réussite par Trésor (Kapoc), Banjo (Pluriel), Jamina (Camée d’Or), Gitana (Talent Platiere) ou encore Danseur de Livoye (Le Mioche, PS), tous indicés à plus de 125 en saut d’obstacles ou en… dressage ! Les années passants, la voie femelle initiée par André Mancel a fait le bonheur de plusieurs férus d’équidés, à commencer par l’heureuse propriétaire de Quinine. Pourtant, à cet instant, loin d’elle l’idée de faire de sa passion dévorante son métier.
Du sport à l’élevage
Passionnée par les animaux, et notamment les chiens et les chevaux, avant d’être cavalière, Corinne débute en club, un peu comme tout le monde, avant de faire l’acquisition de sa première complice. Et puis, finalement, cette première jument se révèle tout sauf ordinaire. “À l’époque, je ne m’en rendais pas forcément compte, mais j’ai eu la chance, par rapport à d’autres, de tomber sur une jument exceptionnelle en termes de qualité. Quinine était un phénomène, une force de la nature, mais se montrait très compliquée. Elle venait de la Manche et avait sans doute été mal nourrie étant pouliche. Heureusement que les visites vétérinaires n’étaient pas la norme à l’époque, sinon je ne l’aurais jamais achetée”, plaisante Corinne. Les années passent et la paire évolue jusqu’en troisième catégorie, allant même jusqu’à disputer les championnats de France de ce niveau de compétition en 1989, obtenant au passage un ISO 117. Seulement, le conte de fée n’est pas si idyllique. “La gestion de Quinine était compliquée. Elle était boiteuse six mois de l’année et ne sautait jamais à la maison. Nous partions en concours comme ça tant elle était hors norme”, révèle la passionnée, désormais installée en Bretagne. Et d’ajouter, sur la personnalité haute en couleur de sa géniale partenaire de jeu : “Il fallait qu’il n’y en ait que pour elle. Lorsque j’arrivais à l’écurie, elle reconnaissait ma voiture. Elle m’accordait alors dix minutes pour arriver jusqu’à elle. Si je dépassais ce délai, je pouvais l’appeler : elle ne sortait pas la tête du box. Là, je savais ce qui m’attendait. Elle retournait son box et le transformait en tas de fumier. Puis elle me regardait avec son œil blanc, l’air de dire : ‘alors, tu as compris ? La prochaine fois, tu te dépècheras.’ Parfois, je laissais mes affaires dans un coin de son box. Elle n’y touchait pas, sauf si je ne venais pas la voir assez vite. Alors, elle cachait tout sous la paille, jusqu’à me mettre le doute ! Elle était particulièrement drôle, franchement incroyable.”
Remarquée à chacune de ses - trop - rares sorties, la baie présente une qualité indéniable. “Même si je ne montais qu’en Classe C, tout le monde savait qui était Quinine de Livoye”, assure l’ancienne cavalière de la jument. “Elle était extrêmement courageuse, rien ne pouvait l’arrêter. J’ai déjà sauté par-dessus des gens avec elle ! À chaque saut en concours, les gens retenaient leur souffle. Je n’ai jamais vraiment sauté de parcours à 1,20m, puisqu’elle était toujours au-dessus des chandeliers. C’était tout le temps comme ça avec elle. Et puis, à la maison, je suis tombée un paquet de fois parce qu’elle sautait trop fort. C’était une horreur. J’imagine que cela devait être drôle de l’extérieur ! Mais je n’avais pas peur et je suis assez têtue. Alors, plus on me disait que je n’allais pas y arriver, plus je voulais essayer.” Finalement, un jour de 1990, Corinne doit se résoudre à prendre une décision pour sa protégée : la reproduction. “Toujours sur la planète amateure, je me suis dit que j’allais lui faire faire un poulain, dans le but qu’elle se repose pendant plusieurs mois avant de reprendre la route des concours. C’était complètement improbable, mais c’est ce à quoi on pense lorsqu’on n’est pas du milieu”, s’amuse la Parisienne.
Tombée amoureuse d’un certain Quidam de Revel (Jalisco B x Nankin), alors qu’il avait à peine huit ans, Corinne n’hésite pas longtemps. Déterminée et sûre d’elle, la jeune femme s’embarque dans la folle aventure de faire naître son premier produit. En 1991, lorsque Diabolo du Parc II voit le jour, le crack d’Hervé Godignon n’en est qu’aux prémices de sa carrière de reproducteur et sa première génération fête ses quatre ans. Qu’importe, l’éleveuse en herbe a vu juste. “Quelque part, je devais avoir le nez”, s’amuse-t-elle avec quelques années de recul et un attachement toujours présent au fils de la grande Dirka.
Mais, comme toutes les belles histoires ont une fin, l’arrivée de Diabolo coïncide avec la fin définitive de la carrière de compétitrice de sa mère. “Évidemment, Quinine boitait toujours. Je l’ai vue dans son pré, j’ai pleuré et réalisé que ce n’étaient pas des vacances, que tout était terminé et que je ne la monterais plus jamais. Alors, nous lui avons fait faire un poulain par an”, conte Corinne. “Travailler dans les chevaux était un rêve, mais à ce moment-là, je ne savais même pas que c’était quelque chose de viable. J’étais très parisienne et surtout très amateure. Mais mon élevage a commencé ainsi.”
Le début d’une dynastie
Imaginant peut-être un temps pouvoir se consoler avec le premier produit de sa jument chérie, Corinne vit une nouvelle désillusion. Enfin presque. “Manque de bol, j’ai tout de suite vu, lorsque Diabolo avait trois ans, qu’il était lui aussi hors norme ! Alors je suis restée sur le Trotteur de réforme que j’avais acheté entre-temps”, rigole-t-elle. Un mal pour un bien, puisque deviendra, quelques années plus tard, le mieux indicé des vingt-trois descendants de la généreuse Quinine. Sous la selle de Ludovic Leygue, ex-mari de Corinne Accary, Ludger Beerbaum ou encore Andrea Herck, le fils de Quidam de Revel s’imposera jusqu’en 5*, allant jusqu’à amasser un peu plus de 300 000 € de gains en quatorze ans de carrière sportive. Toujours en forme du haut de ses trente-deux ans, et après avoir survécu à une opération consécutive à des coliques, puis à une endocardite infectieuse, une infection des valves cardiaques, Diabolo, qui a achevé sa carrière à vingt et un ans aux côtés de Marlène Leygue, fille de Corinne et Ludovic, est le roi de l’élevage du Park, qui a rapidement troqué son ‘c’ pour un ‘k’, plus original et distinctif. “Diabolo a le droit à tout. À trente ans, il mettait encore des coups de cul et faisait l’idiot. On lui aurait donné vingt ans. Après son endocardite infectieuse, qui lui a donné 40,5° de fièvre, il ressemblait à un vieillard de trente-sept ans. C’était l’horreur et j’ai failli baisser les bras, mais il est toujours en vie et en forme ! Il est encore le chef avec sa copine de pré. Diabolo n’est pas un cheval comme les autres et il le prouve. Son caractère, il l’a hérité de sa mère. Il ne devrait plus être de ce monde et pourtant, il est en bonne condition, se déplace très bien, a beau poil et est en état. Il est vraiment bichonné !”, souligne son éleveuse. “Il a terminé sa carrière avec ma fille sur 1,30m et était prêt pour faire une saison de plus.” Une trempe et une longévité qui font partie des qualités transmises par Quinine à sa descendance. “Quinine a transmis sa force, son courage et son caractère. Je n’aime pas les chevaux qui sont guimauves, qui ont l'œil hagard et qui n’ont pas de personnalité. Elle a également légué sa longévité, en produisant des chevaux qui ont de bons physiques et qui durent dans le temps. Et puis, elle a donné sa classe de galop. Elle avait beaucoup d’action”, résume Corinne. “Avec les générations, j’ai amélioré la bouche de mes produits, ce qui était un défaut chez Quinine. Aujourd’hui, ce n’est plus un problème.”
Partie d’une souche finalement peu connue, dans une optique amateure d’abord, la Parisienne a su forger un élevage qui brille, année après année, sur le devant de la scène. “L’élevage de Livoye, d’où est issue Quinine, était correct. Il y a eu de bons chevaux, pas aucun ne sortait vraiment de l’ordinaire. C’est vraiment surprenant. Je pense qu’Ukase, qui a produit de bons chevaux, a pris le dessus chez Quinine”, résume-t-elle. “Ensuite, j’ai réussi à la croiser assez correctement. Je suis surtout tombée amoureuse du bon cheval à cette époque-là, alors que je n’y connaissais rien. Quidam de Revel est devenu l’un des meilleurs pères de mères du monde. Et comme j’en ai produit beaucoup, la plupart de mes poulinières sont ses filles.” Jusqu’à Beau Gosse, son grand espoir, en passant par Hollywood, sa star en devenir, Corinne Accary n’a pas fini de faire parler de ses du Park.
La suite de cet article sera disponible lundi sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Corinne Accary et Hollywood du Park, ici à Saint-Lô, lors du Salon des étalons 2023. © Mélina Massias