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L’élevage Tame, la signature Brohier

Sylvie et Denis Brohier
jeudi 13 mars 2025 Jocelyne Alligier

Le salon des étalons de Saint Lô est l’occasion de rencontrer des acteurs majeurs de l’élevage du cheval de sport. Et c’est bien le cas de Denis Brohier, à la tête de l’affixe Tame. De Déesse II, une fille de Krichna, jument de concours de son père, Jean Brohier, élevée par son grand-père Alfred Brohier, au jeune Lazuli Tame, en passant par Narcos II, Quat’Sous, Panama Tame et tant d’autres, la famille Brohier a montré son savoir-faire en matière de sélection pour produire une pléiade de performers.

Denis Brohier et son épouse, Sylvie, dirigent le haras de Tamerville, à Sainte Marie du Mont, au cœur du bocage de la Manche, entre les marais de Carentan et la plage du débarquement d’Utah Beach. Les cent-vingt hectares de prairie naturelle accueillent une petite centaine de chevaux, dont vingt-cinq juments porteuses, pour entre quinze et dix-huit naissances par an. Là-bas, les équidés voisinent avec les bovins, qui, eux aussi, font partie de l’entreprise familiale de génération en génération. Denis Brohier tient à affirmer cet ancrage dans la ruralité. “Nous sommes des paysans dans l’âme ! J’avais réussi à persuader mon père de passer des vaches laitières aux vaches allaitantes, qui représentent moins de travail, et nous avons conservé cette activité. Les bovins sont un aspect essentiel de notre entreprise. Dans notre métier, il ne faut rien négliger. Avec les chevaux, la réussite économique est très fluctuante, et dépendante des blessures, qui remettent en cause des ventes, alors que les bovins assurent un revenu régulier”, expose-t-il. Malgré cette humilité affichée face aux aléas de l’élevage équin, les succès n’ont pas manqué pour souligner la qualité des produits du haras de Tamerville, élevés depuis trois générations mais parés de l’affixe Tame seulement depuis la génération des O née en 2002.

Narcos II est l'un des grands noms à avoir marqué l'élevage Tame. © Marc Verrier

Ma Pomme et Il Pleut Bergère, les fondatrices

Denis Brohier porte sereinement sa soixante-dixième année, et son enthousiasme dès qu’il s’agit de parler de l’élevage familial lui donne un éternel air juvénile, tonifié par les souvenirs d’une enfance passée au milieu des chevaux de sport. “Mon grand-père vendait déjà des étalons aux haras nationaux. Il a aussi eu des chevaux de concours, dont une jument, Déesse II (Uriel), qui a été championne de France avec Alain Hinard (sur l’équivalent des épreuves Pro Elite d’aujourd’hui, ndlr). Mon père a été cavalier de l’équipe de France à la fin des années 50, début des années 60. Il a participé à la Coupe des nations de Madrid avec une jument qui s’appelait Krichna (Mimosa), la mère de Déesse II. Lorsqu’il s’est installé à son compte, il a acheté une sœur de Krichna, une fille du Pur-sang Foudroyant II, baptisée Il Pleut Bergère. Elle est à l’origine de l’une de nos souches basses”, détaille l’éleveur. “Nous avons ensuite toujours travaillé pour améliorer ces souches, sans faire renter de poulinières extérieures. Lazuli Tame (Armitage Boy), que j’ai amené au salon des étalons, représente la sixième génération des descendants de Vergonne (Hennebont), la mère de Krichna et Il Pleut Bergère. Depuis une dizaine d’années, nous travaillons surtout sur la jeune génétique femelle, en testant les pouliches à l’obstacle en liberté à deux et trois ans. Nous choisissons celles qui font preuve de qualités naturelles, avec de belles allures, un solide coup de jarret à l’obstacle, beaucoup d’énergie, et qui sont jolies. Nous réalisons ensuite des transferts d’embryons avec elles, le plus souvent à quatre ans, parfois à trois ans, mais cela reste rare car je ne souhaite pas augmenter mon nombre de naissances. J’ai uniquement recours aux transferts classiques ; je ne pratique pas l’ICSI.” 

Lazuli Tame fait partie des jeunes pépites de l'élevage de Denis Brohier. © Jean-Louis Perrier 

L’autre souche travaillée par Jean, puis Denis Brohier, est celle de Ma Pomme (Furioso), propre sœur de la championne du monde 1966 avec Pierre Jonqueres d’Oriola, Pomone B. Comme il faut bien une exception à la règle, un des meilleurs ambassadeurs actuels de l’élevage, Calgary Tame (Old Chap Tame) ISO 173 en 2023, année au cours de laquelle il s’est montré très performant avec l’Américaine Laura Kraut, n’a rien à voir - en lignée maternelle - avec ces deux souches ! Sa mère, la BWP Davendy S (Kashmir van’t Schuttershof), fût une bonne compétitrice (ISO 167 en 2012) sous la selle de Jessica Springsteen mais aussi Eugénie Angot, qui est la co-naisseuse, avec le regretté Patrick Bizot, du bien nommé Calgary. “Eugénie Angot fait partie des cavaliers avec qui nous travaillons et elle nous avait confié cette ancienne jument de concours à la reproduction. Eugénie a formé Old Chap Tame (ISO 175, Carhago) et l’a emmené jusqu’au niveau 5* (avec notamment une troisième place dans la Coupe des Nations de Calgary en 2013, avant qu’il ne soit exporté, pour continuer sa carrière avec Edwina Tops-Alexander, puis différents cavaliers des pays du golfe persique, ndlr) ainsi que Panama Tame (Carthago). Eugénie ne monte plus en concours, mais elle coache une très bonne cavalière, à qui nous avons confié une cinq ans. C’est une façon de continuer cette belle histoire”, explique Denis Brohier.

Avec Julien Epaillard puis Laura Kraut, Calgary Tame a décroché plusieurs très bons classements jusqu'à 1,55m. En fin d'année dernière, l'alezan est passé sous la selle de Sterling Malnik, jeune cavalière de dix-huit ans qui monte également un autre Selle Français : Cap du Marais. © Sportfot



En revanche, Farah Tame (ISO 162 en 2024), qui porte haut les couleurs de Tamerville sous la selle de Julien Anquetin, représente la quintessence de la sélection opérée sur les deux souches maison. Son père Quadrio Tame (Jaune et Rouge), est issu en lignée maternelle de Ma Pomme (Furioso). La mère de Farah Tame, Bora Tame, est une fille de Panama Tame (Carthago, avec la lignée de Ma Pomme) sur la souche de Gémini (Tanaël), la fille la plus influente d’Il Pleut Bergère. Gémini a, en effet, produit avec un des premiers étalons maison à faire la monte à Tamerville, Fair Play III, fruit de l’union de Quastor, étalon du haras national de Saint-Lô et Ma Pomme, le grand gagnant international Larry II (ISO 160 en 1984), puis ses propres frères étalons Mazarin et Narcos II (ISO 166 en 1989), champion de France à cinq ans puis performer avec Eric Navet avant de passer sous la selle de Florian Angot, avec lequel il a remporté les championnats d’Europe Juniors en 1991. Associée ensuite à Kayak, autre étalon du haras national de Saint-Lô, Gémini a donné le très chic performer Quat’Sous (ISO 178 en 1993), lui aussi passé sous la selle d’Eric Navet, puis aux rênes d’Edouard Coupérie, le nouveau sélectionneur des Bleus

Julien Anquetin semble apprécié les produits de l'élevage de la famille Brohier, à l'image de sa compétitive Farah. © Sportfot

Malgré leurs qualités, ces deux étalons ont peu tracé dans l’élevage français, quand bien même le sang de Narcos II vive un regain d’intérêt par le biais de sa descendance étrangère, notamment avec le BWP Tangelo van de Zuuthoeve, à l’origine, entre autres, des étalons Tobago, Darry Lou et surtout Taalex, père de quatre-vingt-seize produits enregistrés au SIRE en 2024, tandis que son fils, Freud de Kreisker, en compte cent dix-huit la même année ! De quoi faire sourire Denis Brohier, qui, en parallèle de la gestion de ses souches femelles, a aussi une expérience d’étalonnier. “Narcos, Quat’Sous, ça commence à dater un peu !”, s’amuse-t-il. “Cela nous ramène quatre, cinq générations en arrière. Aujourd’hui, on voit des bonnes mères avec ces courants de sang : parfois la qualité saute une génération ! À l’époque, avec les juments françaises, cela n’a pas donné les croisements qu’il aurait fallu. Aujourd’hui, l’étalonnage est bien différent d’il y a quarante ans tant il y a de concurrence. Avant, nous étions une grosse boutique. Désormais, nous en sommes une toute petite ! Si Lazuli saillie une vingtaine de juments, ce sera déjà bien. Panama Tame (Carthago) a honoré très peu de juments, mais la qualité est là ! Old Chap Tame (Carthago) n’a pas fait beaucoup de juments non plus, car nous avons privilégié le sport avec lui. Si j’ai vraiment un super cheval, on tente de le garder entier, mais cette année, j’ai castré mes six trois ans, alors que je suis sûr de la grande qualité de deux d’entre eux. Conserver des mâles entiers est très compliqué et cela est souvent un handicap commercial. J’ai changé mon optique : on n’élève pas pour produire des étalons, mais si on en a un, tant mieux !” 

Eugénie Angot a révélé l'étalon Old Chap Tame au plus haut niveau. © Jean-Louis Perrier 

De la lignée de Gémini est également issu un certain Gospel Tame (Quadio Tame), très remarqué lors de la Grande Semaine de Fontainebleau en 2022, vendu aux écuries O’Connor, réapparu l’an dernier sur la scène internationale avec l’Irlandais Patrick Hickey, cousin de Mark McAuley, et sans-faute dans sa première épreuve à 1,45m fin février. 

“Avec les descendants de Narcos ou Quat’Sous, nous avions des chevaux qui avaient beaucoup de dos, beaucoup de puissance. Avoir recours au sang étranger était nécessaire pour nous. Cela apporte beaucoup de choses. J’ai essayé de travailler la verticalité, car aujourd’hui il faut galoper beaucoup plus. Il faut des chevaux qui se verticalisent plus naturellement et le sang étranger nous amène cela”, analyse l’éleveur. “Nous avons la chance, grâce à nos chevaux qui évoluent à haut niveau, d’arpenter de beaux concours internationaux. Les modèles de certains chevaux nous font parfois peur ! Mais je crois qu’il est difficile de définir un modèle type. On voit des chevaux, notamment allemands, très horizontaux dans leur ligne de dos, mais qui se servent de leur corps d’une manière incroyable. C’est ce qui compte !

Gospel Tame avait fait forte impression à Fontainebleau en 2021. © Mélina Massias



Une stratégie commerciale adaptée

Au fil des années, Denis Brohier a été aux premières loges de l’évolution du monde du cheval de sport. “Beaucoup de choses ont changé”, expose-t-il.  “Les éleveurs se sont professionnalisés, le contact avec les chevaux est différent. Aujourd’hui, on est beaucoup plus proche des chevaux, on les débourre différemment. Gamin, j’ai effectué beaucoup de débourrage, où je faisais le sac à patate sur les trois ans. En deux jours, c’était fait ! Désormais, on prend plus de temps pour les désensibiliser. Il y a aussi beaucoup plus de soins, de suivi vétérinaire. Autrefois, on ne se préoccupait pas d’un cheval qui avait un gros jarret. Maintenant, on contrôle cela et on s’assure qu’il n’y ait rien de problématique. La médecine vétérinaire a beaucoup progressé et il est presque plus facile d’avoir un vétérinaire en urgence qu’un médecin !” 

Ces évolutions se traduisent également d’un point de vue commercial. En la matière, le Normand a une stratégie bien ficelée. “Je vends peu de poulains sous la mère : je préfère les vendre à trois ans, après les avoir testés à l’obstacle, débourrés, et après une visite vétérinaire. Les clients sont de plus en plus exigeants sur ce point, surtout pour le très haut niveau. Beaucoup de nos chevaux sont commercialisés entre quatre et six ans. Lorsque je repère un cheval avec un bon potentiel, j’essaye de le conserver et de le confier à un cavalier de haut niveau. Il y a aussi une demande sur la jeune génétique femelle. En 2024, avec Jean-Luc Dufour et Denis Hubert, nous avons organisé une vente en ligne, exclusivement réservée aux juments, pouliches et poulinières. Je proposais dix femelles à la vente : neuf ont été vendues par ce biais, dont trois à l’étranger, tandis que la dixième, dont le prix était un plus élevé, a trouvé preneur la semaine suivante !  C’était nouveau, et le catalogue a nécessité un travail conséquent, mais ce fut une très bonne expérience”, apprécie Denis Brohier.  

L'attachant Calgary Tame. © Sportfot

Pendant de nombreuses années, le septuagénaire a valorisé lui-même ses jeunes chevaux, amenant bon nombre d’entre eux aux finales bellifontaines, puis au niveau international. Désormais, c’est Armand Mallet qui complète l’équipe du haras pour la partie valorisation, jusqu’à six ans, comme il l’a très bien fait avec Izarra Tame (Cicave du Talus), gratifiée de la mention “Excellent” à cinq puis six ans à la Grande Semaine de Fontainebleau. Désormais, la belle poursuit ses gammes avec Julien Anquetin, qui a également intégré à son piquet une autre fille de Cicave du Talus née à Tamerville, Hirondelle Tame, elle aussi “Excellent” à cinq ans. Toutes les deux ont déjà assuré leur descendance à l’élevage, de quoi faire perdurer encore longtemps l’héritage d’Il Pleut Bergère et Ma Pomme au plus haut niveau.

Armand Mallet valorise les produits de l'élevage de Sylvie et Denis Brohier, comme ici avec Izarra Tame. © Pixels Events

Photo à la Une : Denis et Sylvie Brohier tout sourire au salon des étalons de Saint-Lô. © Jean-Louis Perrier