“J'essaie simplement de ne pas penser à la pression”, Daniel Deusser (1/2)
À l’occasion d’une table ronde organisée par Rolex, dans son élégante loge surplombant l’immense piste de Palexpo, Daniel Deusser et Steve Guerdat, deux des prestigieux représentants de la marque jaune et verte, qui compte dans ses rangs sélects d’immenses champions, tous sports confondus, et s’implique auprès des sports équestres depuis soixante-cinq ans, se sont prêté au jeu des questions-réponses. Face à six journalistes de la presse écrite, deux représentants de la télévision asiatique et plusieurs membres de l’équipe de rEvolution, les deux champions ont évoqué l’avenir de leur sport, leurs ambitions pour le temps fort dominical du CHI de Genève, soutenu par Rolex depuis 1996, leur attachement au Rolex Grand Slam, initié en 2013 et récompensant des cavaliers en mesure d’empocher trois des quatre Grands Prix Majeurs à la suite - à Bois-le-Duc, Spruce Meadows, Aix-la-Chapelle ou Genève -, et dressé le bilan de leur année, qui s’est achevée sans participation au prestigieux Top Ten IJRC, soutenu par Rolex depuis sa création, en 2001. Toujours aussi francs et enclins à défendre leurs valeurs, l’Allemand et le Suisse se sont livrés sans détour. Entretien croisé en deux volets.
Daniel, vous êtes en position de signer le Rolex Grand Chelem, que seul Scott Brash a, jusqu’à présent, été en mesure de réaliser. Comment s’est déroulée votre préparation depuis les Masters du CSIO de Spruce Meadows et dans quel état d’esprit êtes-vous en arrivant ici, au CHI de Genève ? Quel cheval avez-vous choisi de monter dimanche ?
Daniel Deusser : Pour être honnête, je me sens bien et je suis de plus en plus détendu à mesure que l'on se rapproche du Grand Prix dominical. Quelques jours, semaines, à l'avance, on commence à penser au meilleur programme pour son cheval ; ce que l’on peut faire, s’il faut disputer plus de concours, moins de concours, s’il faut changer quelque chose dans notre entraînement, etc. Mais en fait, une fois ici, on ne peut plus rien changer, on doit simplement voir comment notre cheval se sent. Désormais, j’attends simplement le Grand Prix Rolex de demain (entretien réalisé samedi 10 décembre, ndlr) où j'essaierai de faire de mon mieux.
J’ai choisi de monter Scuderia 1918 Tobago (Tangelo vd Zuuthoeve x Mr. Blue) demain. J’avais quelques doutes parce que mes deux chevaux (Killer Queen VDM, Eldorado vd Zeshoek x For Pleasure, et son fils de Tangelo vd Zuuthoeve, ndlr) ont très bien sauté des dernières semaines. Tous deux ont déjà remporté un Majeur (à Bois-le-Duc pour l’un et Aix-la-Chapelle et Calgary pour l’autre, ndlr) et sont, de fait, capables de réitérer. C’est une situation et une décision agréable, mais difficile. J’ai fait sauter les deux chevaux ici jeudi et vendredi. Genève a une atmosphère un peu différente. Certains chevaux sont plus excités avec le bruit et Killer Queen était un peu plus difficile, trop en avant. Cela pourrait peut-être m’aider demain face aux obstacles imposants, mais j’ai suivi mon sentiment et préféré Tobago. Il était super hier. Il était peut-être un peu timide sur cette piste, mais je pense que pour son troisième jour de concours sur cette piste, il sera vraiment bien (le couple a finalement signé un brillant double sans-faute pour terminer sixième, ndlr).
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Steve, vous évoluez ici à domicile. Comment vous sentez-vous ? Est-ce différent d'être de retour cette année par rapport aux précédentes éditions ?
Steve Guerdat : C'est probablement différent pour moi et plus facile. Je suis dans une position complètement différente de celle de Daniel, par exemple, et de la plupart des meilleurs cavaliers qui sont ici. Si l’on considère mes derniers résultats, je suis un peu dans un creux dans ma carrière. Cependant, j’ai de bons chevaux en devenir, qui me permettront, je l'espère, de revenir là où je veux être dans les deux prochaines années. Me qualifier pour le Grand Prix Rolex était un objectif, et je suis très heureux d’y être parvenu. Je n’étais pas sûr avant le début du concours, mais je vais engager ma jeune jument, Dynamix de Bélhème (Snaike de Blondel x Cornet Obolensky, ex Windows vh Costersveld), qui n’a que neuf ans, dans cette épreuve. Bien sûr, je n’ai pas les mêmes attentes que d’autres cavaliers, mais je suis toujours très motivé. Je sais que si je monte bien, j’ai aussi une chance. Dynamix est très, très spéciale. Je ne vais pas lui mettre la pression en me disant “il faut qu’elle soit sans-faute” ou “il faut qu’elle termine sur le podium”. Un bon parcours sera déjà un bonus pour moi comme pour elle. Forcément, c’est un peu différent par rapport aux autres années où je venais en espérant gagner la finale du Top Ten Rolex IJRC et le Grand Prix Rolex. C’est une position nouvelle, mais quelque chose que j’apprécie aussi.
Daniel, votre année a été incroyable et riche en succès. Vous avez notamment remporté deux Grands Prix du Rolex Grand Slam. Êtes-vous proche d’une troisième victoire sur ce circuit ?
DD : Je ne sais pas. En effet, j’ai eu une très, très bonne année. J’ai gagné quelques épreuves très importantes et j’ai aussi la chance d’avoir deux très bons chevaux. Je peux donc alterner entre l’un et l’autre. Cela aide peut-être un peu. En ce qui concerne le CHIO d’Aix-la-Chapelle l’an dernier, ou Calgary cette année, je pense que Killer Queen est parfaite pour évoluer sur une grande piste en herbe extérieure. Tobago est différent. Il est un peu plus facile à monter, plus souple et peut tourner plus court. Ces deux montures sont également expérimentées, donc je pense être en bonne posture cette année avec eux deux.
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Quels sont vos projets et vos objectifs pour l'année prochaine ? Comment allez-vous articuler votre programme autour des quatre Majeurs du Rolex Grand Slam ?
SG : Personnellement, je veux tenter les championnats d'Europe avec un jeune cheval, Dynamix. Cette échéance est très importante, surtout pour la Suisse, car nous devons encore nous qualifier collectivement pour les Jeux olympiques de Paris. Je vais donc préparer Dynamix dans cet objectif. Ensuite, je vais essayer de me qualifier pour la finale de la Coupe du monde (qui aura lieu à Omaha au printemps prochain, ndlr). Je suis à mi-chemin en ce qui concerne le nombre de points nécessaires pour décrocher mon ticket. Ensuite, mon objectif est de conserver Venard de Cerisy pour les deux Majeurs d’Aix-la-Chapelle et Calgary. Ce seront ses objectifs. J’aimerais également être compétitif dans les autres grands concours. La qualification olympique à Milan sera l’objectif principal de Dynamix l’année prochaine.
DD : J’aimerai pouvoir compter une fois de plus sur Tobago pour les Dutch Masters en 2023. Pour Killer Queen, je vise davantage les événements extérieurs. Elle s’est très bien sentie et comportée à Aix-la-Chapelle ces deux dernières années, et était à son avantage à Spruce Meadows en septembre dernier. Si elle reste en forme et en bonne santé, j’espère qu’elle participera à ces concours une fois de plus l’an prochain. J'essaie de ne pas faire trop d'autres concours avec elle, car je sais qu'elle se sent plus à l'aise sur ces grands terrains. Pour ce qui est de la saison d'hiver, j'ai déjà obtenu quelques points en Coupe du monde. Je vais continuer sur ce circuit ces deux prochaines semaines (à Londres puis Malines, ndlr) et essayer de me qualifier pour la finale de la Coupe du monde. Après cela, je me tournerai vers la saison d'été. Je n'ai pas vraiment d'autres grands projets pour le moment.
Quid du CSIO de Rome ?
SG : Rome est toujours l’un des concours que nous regardons. Je ne sais pas si la Suisse s’y rendra l’an prochain, mais j’y serai en individuel. Je n’ai jamais eu beaucoup de chance sur cette piste, mais c’est toujours l’un de mes événements préférés.
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Vous n’avez pas participé à la finale du Top Ten Rolex IJRC vendredi 9 décembre. Était-ce frustrant ? De votre point de vue de compétiteur, qu’avez-vous pensé du dénouement de la compétition ?
DD : Oui, un peu. J’aurais forcément aimé prendre part à la compétition vendredi. C’était un peu dommage, car je n’ai manqué qu’un classement mondial (en octobre et novembre l’Allemand ne figurait pas parmi les dix meilleurs mondiaux, mais a réintégré cette hiérarchie en décembre, ndlr), parce que je n’avais pas assez de résultats. C’est la vie. Les dix autres cavaliers étaient meilleurs. J’ai tout de même passé une bonne soirée en regardant l’épreuve. C’était une compétition fantastique. Lorsque j’ai vu le barrage, j’étais même assez content de ne pas en faire partie, tant il était rapide et compétitif ! C’est toujours difficile de rester sur la touche pour une épreuve comme celle-ci, mais je me suis dit que j’aurais eu du mal à battre ces chronomètres. Nous avons eu un très bon gagnant avec Henrik (von Eckermann, qui montait King Edward, le double champion du monde en titre, ndlr). Le couple qu’il forme avec son cheval était le meilleur de l’année, il mérite sa victoire.
SG : Dans ma position, ce n’est pas frustrant cette année. Parfois, on peut se demander “qu’est-ce qui s’est si mal passé pour que cette épreuve soit autant hors de ma portée ?”. Cette idée était davantage la mienne il y a quelques mois. Depuis plusieurs semaines, j’ai une philosophie différente, une autre façon de penser. Je me dis que je dois rester en retrait quelques mois, mais que dans un an, je reviendrai plus fort. Avec les chevaux, tout n’arrive pas en une nuit ou deux jours. Cela prend du temps. Je suis dans cette position en ce moment. Mais il est certain que quand je vois ce genre de sport, que j'ai bien sûr beaucoup apprécié en regardant l’épreuve, avec beaucoup d'excitation, cela me motive à continuer à travailler pour atteindre mon objectif et à revenir plus fort dans quelques années pour être capable de concourir et d'être de nouveau compétitif dans cette compétition.
Le Grand Chelem Rolex est quelque chose que tout le monde, ou presque, souhaite accomplir. Mais cela s’accompagne d’une sacrée dose de pression. Comment la gérez-vous, notamment lorsqu’on est en position de remporter un deux ou troisième Grand Prix Majeur dans l’année ?
DD : Je pense que j'essaie simplement de ne pas y penser. Bien sûr, la possibilité est là demain parce que j'ai un cheval qui l'a déjà fait et j'ai remporté trois Majeurs ces deux dernières années, mais d'un autre côté, le gratin mondial concourt demain. Trente-neuf autres cavaliers veulent aussi s’imposer et sont en mesure de le faire. Tout doit être vraiment parfait pendant les deux minutes où nous sommes en piste et je sais que la possibilité d'être deuxième est aussi très, très importante (rires). J'essaie donc de ne pas y penser, de me concentrer sur mon cheval, de faire ce que je fais habituellement et voir ensuite quel est le résultat.
SG : J'ai aussi été quelques fois en position de gagner deux Grands Prix consécutivement, où d’en décrocher deux sur trois, mais cela ne m'a jamais traversé l'esprit au concours. Je n’ai jamais pensé au bonus qui va avec une victoire supplémentaire en entrant en piste. Pour ces épreuves, je pense que chaque cavalier aligné au départ est nerveux, parce qu’il s’agit d’une épreuve majeure, celle que l’on veut remporter dans l’année ou dans sa vie, et tout le monde a la pression. Non pas parce que l’on parle du Rolex Grand Chelem ou parce qu'il y a un bonus, mais parce que c'est l'épreuve la plus importante, ou l'une des épreuves les plus importantes, de l'année et de notre sport. Donc cela ne change pas grand-chose et ne concerne que l’épreuve qui est, à nos yeux, déjà extrêmement importante.
Steve, qu'est-ce qui rend le CHI Genève, où vous évoluez à domicile, si spécial pour vous ?
SG : Bien sûr, nous aimons toujours concourir dans notre pays d’origine. C’est toujours très agréable lorsque nos amis et notre famille nous regardent. Nous voyageons tellement que nos proches ne sont pas souvent avec nous. Alors, les avoir tous au même endroit est génial. J’ai la chance que mon concours maison soit en plus d’un des meilleurs du monde, part du Rolex Grand Slam. Cela rend les choses encore plus spéciales. Chaque année, revenir à Genève est un sentiment très particulier pour toute mon équipe. Tout le monde aux écuries attend toujours cet événement avec impatience et vient ici pour profiter du spectacle, pour me soutenir et pour voir le meilleur niveau que notre sport ait à offrir. Je me sens très chanceux de pouvoir dire que je suis chez moi ici. C'est beaucoup de bonheur de venir ici chaque année.
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Daniel, est-ce différent de venir ici par rapport à Aix-la-Chapelle, où vous jouez à domicile ?
DD : En ce moment, nous sommes dans la saison indoor. À cette période de l’année, Genève est un événement exceptionnel. Nous avons une piste et un paddock aussi spacieux qu’une fois dans l’année. Aix-la-Chapelle est également très vaste, mais il s’agit d’un concours extérieur. C’est donc différent. Comme Steve l’a dit, concourir à domicile, dans son pays d’origine - à Aix-la-Chapelle par exemple pour moi -, est quelque chose de très, très spécial. Beaucoup de famille et de personnes que nous connaissons sont autour de nous. C’est un peu moins le cas pour moi ici, mais Genève reste une compétition extraordinaire. En observant les gens présents ici, on se rend compte de l’importance de ce concours. Cela donne un sentiment supplémentaire pour le Grand Prix Rolex. Le public vient spécifiquement regarder cette épreuve et cela la rend encore plus spéciale.
La suite de cet entretien croisé entre les deux champions est disponible ici.
Photo à la Une : Daniel Deusser pose au-dessus de la piste de Palexpo, depuis la loge Rolex. © Peggy Schröder/Rolex Grand Slam