“Je pense qu’ensemble, Julien Epaillard et Easy Up de Grandry ont tout pour réussir !”, Florian Angot (2/2)

Entré dans le piquet de Julien Epaillard à la fin de l’année 2024, Easy Up de Grandry a vite trouvé une place sous les feux de la rampe du circuit international de jumping. Cet alezan élevé et formé patiemment par Florian Angot qui l’appelait “mon grand cerf” représente un intéressant mélange de courants de sangs où l’Anglo-Arabe apporte par deux fois sa touche, dans une toile de maître de l’étoffe des cracks. Le fils de Jarnac met aussi à l’honneur une souche maternelle venue de l’Ain, élaborée par le regretté Roger Riche et travaillée par Guy Martin. Portrait.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Si Qelverdie du Temple, la mère d’Easy Up de Grandry, a rejoint la Normandie, sa grand-mère, Maverdi du Bear, a, elle, posé les sabots en Italie. Guy Martin raconte : “J’ai vendu Maverdi à la famille Muccioli, lorsqu’ils ont voulu développer l’élevage sur le site de la communauté de San Patrignano. Plus tard, quand cela a mal tourné dans la communauté, j’ai essayé de la racheter, mais c’était très compliqué avec l’administrateur et cela n’a pas abouti !” En Italie, selon les données de Horsetelex, Maverdi du Bear a eu neuf produits, sans qu’aucun n’ait toutefois véritablement crevé l’écran. Mais cette communauté, qui avait investi dans le monde équestre avec énormément de moyens financiers, n’avait sans doute pas ce fameux regard d’homme de cheval, celui de ceux qui, avant de façonner un crack en devenir comme Easy Up de Grandry, savent faire les bons croisements préparant son potentiel. Roger Riche, naisseur de Maverdi du Bear décédé il y a deux ans, était de ceux-là.
Easy Up de Grandry a fait ses gammes sous la selle de Florian Angot, son naisseur. © Pixels Events
Le Bear, au cœur du terroir du cheval de sport de la Dombes
À Ambérieux en Dombes, plus à l’ouest du département de l’Ain, où il existe une belle tradition d’élevage de chevaux de sport, Roger Riche a, en effet, fait naître de nombreux performers, souvent mis sur les barres par ses soins. C’est le cas de Castries, une solide fille de Mersebourg (Gagne si Peu), étalon du Haras national d’Annecy et frère utérin du chef de race Ibrahim. Castries est la mère de Maverdi du Bear, mais également de trois autres bonnes juments : Orée du Bear (Pontoux), ISO 142, Phalène du Bear (Emir IV), ICC 133, et Quastries du Bear (Pontoux), ISO 156, gagnante avec Éric Navet et exportée au Japon. Jean-Charles Riche, le fils de Roger Riche, tout en ayant une activité professionnelle dans la banque, monte en Amateur un produit de l’élevage familial, Virgile du Bear (Oncle Pol). Son autre jument, Tiphaine du Bear (Ogrion des Champs) est appelée à perpétuer l’élevage familial.
Ces deux juments ne viennent pas de la souche de Maverdi, mais d’une autre bonne jument née chez Roger Riche, Caraïbes I (Ton Bonheur), qui avait évoluée dans les années 70 sous la selle de Gilles Bertran de Balanda. Bien qu’étant alors très jeune, Jean-Charles Riche a gardé un parfait souvenir de Maverdi, et même avant qu’elle ne voie le jour ! “Mon père, qui avait monté dans les courses locales de villages, a toujours aimé les chevaux dans le sang. Pour Castries, une jument imposante, il avait choisi Gaverdi, un étalon du Haras d’Aurillac issu du croisement entre les Pur-Sangs Verdi et Furioso sur une souche Anglo-Arabe. À l’époque, il n’y avait pas d’insémination artificielle et il fallait emmener la jument à la station de monte, située à Lezoux, près de Clermont-Ferrand. J’avais quatre ans et mon père avait voulu m’emmener avec lui. Je m’en souviens encore tellement j’avais trouvé le trajet interminable ! On avait un tube Citroën et il n’y avait pas encore l’autoroute !”, s’amuse Jean-Charles Riche. “Mon père s’occupait des chevaux en plus de l’exploitation agricole de cent dix hectares en polyculture et une centaine de bovins. Lui et ma mère étaient tous deux de familles agricoles, où les chevaux ont toujours eu leur place et pas seulement ceux de trait. On m’a dit que mon arrière-grand-père maternel avait fait naître une jument qui avait gagné le Grand Prix ou la Coupe des nations de Rome en 1924, mais je n’ai jamais retrouvé de trace à ce sujet. Mon père confiait quelques fois des chevaux à des cavaliers locaux, mais il aimait les monter lui-même en concours. Pour Maverdi, il me semble me souvenir qu’il ne l’avait pas sortie à quatre ans parce qu’il voulait la préserver. Il avait fait quelques parcours à cinq ans et voulait la garder pour lui, mais elle avait beaucoup de force et de sang. Elle avait besoin d’un travail plus soutenu.”
La toute bonne Maverdi du Bear a connu une belle carrière sportive avec Carlos Lopez avant d'être exportée en Italie. © Jean-Louis Perrier
De fait, tout n’a pas toujours été tout rose avec la jeune Maverdi ! “Il y a une anecdote que mon père comme ma mère ne se privaient pas de raconter”, reprend le fils de son naisseur. “Un jour, lors d’une séance d'entraînement dans une écurie professionnelle voisine, mon père a fait une mauvaise chute avec une petite perte de connaissance. Alors, ma mère lui a posé un ultimatum en lui disant ‘c’est elle ou moi !’. C’est ainsi qu’il s’est décidé à vendre Maverdi à Guy Martin ! Plus tard, j’ai rencontré Carlos Lopez. Il m’a dit que Maverdi n’était peut-être pas le meilleur cheval qu’il ait monté, mais que c’était sa jument de cœur. Je suis vraiment très heureux de savoir que l’un de ses descendants évolue à haut niveau. Je vais suivre avec attention la carrière d’Easy Up de Grandry !”
Easy Up de Grandry et Julien Epaillard ont obtenu plusieurs victoires et autres classements jusqu'à 1,60m cette saison. © Mélina Massias
De l’Ain à la Normandie
Pour finir de percer l’histoire de l’arrière-petit-fils de Maverdie du Bear, direction… la Normandie ! Avec un coup de pouce du destin et l’œil avisé de Florian Angot, Qelverdie du Temple a quitté les prairies aindinoises où elle a grandi, comme toute sa souche maternelle, pour s’expatrier à l’autre bout de la France, ou presque. Jacky et son épouse Joëlle, comme leur quatre fils, Grégory, Cédric, membre de l’équipe de France lors de plusieurs Coupes des nations, notamment avec l’excellent Saxo de la Cour (Dollar dela Pierre), Reynald, médaillé d’or par équipe aux Jeux équestres mondiaux de Jerez avec Dollar dela Pierre (Quidam de Revel), et Florian, champion d’Europe Junior en 1991 avec Narcos II (Fair Play III) puis membre de l’équipe de France aux Jeux olympiques d’Athènes avec l’étalon des Haras nationaux First de Launay (Laudanum), font de la famille Angot un grand nom du terroir normand. Même s’il porte l’affixe tiré du nom de la propriété de ses parents, la Granderie, à Remilly les Marais, dans la Manche, le fils de Jarnac et Qelverdie du Temple est bien né près de Bayeux, où est installé Florian Angot.
Qelverdie du Temple, la mère d'Easy Up, a évolué à bon niveau sous la selle de Florian Angot. © Jean-Louis Perrier
“J’avais vendu un cheval en Suisse. Pour faciliter les choses, je l’avais amené chez Guy Martin, où mes clients venaient le récupérer. Guy est un super marchand et, bien sûr, il n’a pas manqué de me faire faire le tour de ses écuries pour que je reparte avec un nouveau cheval ! Il avait beaucoup de produits Toulon, mais rien ne me plaisait vraiment… En passant devant un box, j’ai vu une jument pas trop en état, qui ne ressemblait à rien. Mais, sans vraiment que je sache pourquoi, elle me plaisait”, narre le Normand, qui pose alors les yeux sur la fameuse Qelverdie du Temple. “Guy ne voulait même pas me la sortir, car, selon lui, elle n’était pas ‘dans sa robe de mariée’ ! J’ai insisté et cela a plutôt mal commencé… Le cavalier qui me la présentait est tombé dès l’entrée sur la carrière, puis a fait une seconde chute en sautant un double ! Mais je trouvais qu’elle avait quelque chose et je suis monté dessus. J’ai bien fait car j’ai vraiment eu des bonnes sensations. Elle avait quatre ans et beaucoup de sang. Elle était très typée For Pleasure, avec la tête haute, était un peu courte mais avait un vrai coup de jarret. Je l’ai achetée, en promettant à Guy, qui voulait conserver cette souche, deux poulains à naître par transferts d’embryons.” Finalement, Florian Angot rachète le premier produit de sa toute bonne compétitrice, Arko du Temple (Arko III), qu’il cède ensuite à Frédéric Busquet. Sous la selle de Robin Le Squerren, l’alezan atteint un ISO 145 et s’impose jusqu’à 1,40m. Delverdie du Temple (Action Breaker) est aussi acquise par Florian Angot, qui la revend d’abord à son frère, Cédric, puis à Stéphanie Hennequin, avec laquelle elle se montre très compétitive à 1,45m, jusqu’à décrocher un ISO 158 en 2024.
Qelverdie du Temple et sa robe tachetée ont donné de très bons produits à l'élevage, perpétuant ainsi le travail de Roger Riche et Guy Martin. © Jean-Louis Perrier
“Qelverdie avait une robe avec beaucoup de blanc, en tête et sur les membres, et des sortes de pastilles de poils blancs sur le corps, un peu comme une robe léopard mais à l’envers. On l’appelait ‘Madame Petit Pois’ !”, sourit son ancien cavalier. “Elle a fait une bonne carrière en compétition (en se classant jusqu’à 1,55m, pour obtenir un ISO 154 en 2013, ndlr), tout en menant de front sa carrière de reproductrice par transferts d’embryons. Je fais naître entre deux et quatre poulains par an, avec cette souche et celle d’Elina de Grandry (Qlassic Bois Margot). Je comptais beaucoup sur la lignée de Qelverdie, mais je n’ai pas de chance avec ses pouliches ! Qelverdie est morte à la fin de l’année dernière, et j’ai perdu l’une de ses filles en septembre, à la suite d’un accident au pré-débourrage. Une autre pouliche est morte après avoir été intoxiquée par le lait de sa mère porteuse… J’ai une cinq ans par All Star 5, Kelle Dame de Grandry, en laquelle je crois beaucoup pour l’avenir. Je ne l’ai pas emmenée à Fontainebleau car elle n’est pas à vendre. En début d’année, j’ai fait trois transferts avec elle, mais aucun n’a fonctionné… J’espère vraiment garder cette souche car il s’agit de la lignée maternelle de Maverdi du Béar, une jument qui était très réactive et très respectueuse.”
Florian Angot croit beaucoup en Kelle Dame de Grandry, une sœur utérine d'Easy Up par All Star 5. © Pixels Events
Gageons que la réussite soit au rendez-vous côté élevage, car côté sport, elle est déjà bien présente ! Les sept produits de Qelverdie du Temple âgés d’au moins six ans en 2024 ont tous un ISO supérieur à 130. L’an dernier, Easy Up de Grandry affichait un ISO 146. Et ses performances sous la selle de Julien Epaillard cette saison ne devraient pas manquer de faire décoller ce chiffre. Pourtant, tout n’était pas gagné d’avance et il a la connaissance et la sagesse de Florian Angot n’ont pas été de trop pour révéler ce crack en devenir. “Poulain, Easy Up était un grand bazar, plutôt maladroit : c’était mon Pierre Richard ! Il fallait lui laisser le temps de se faire un physique. Je l’appelais mon Grand Cerf”, retrace Florian Angot. “En revanche, il a toujours eu un très bon galop et a toujours été très respectueux. À quatre ans il n’a fait que quatre parcours, puis une dizaine à cinq ans, mais sans aller à Fontainebleau. Il est peu sorti l’année suivante, mais à sept ans, il était prêt pour sauter les Grands Prix réservés à sa classe d’âge. Je le travaillais surtout l’hiver, en faisant beaucoup d’exercices pour le gymnastiquer, avec des petits parcours, puis je le remettais au champ en juin. À un moment, j’ai pensé le vendre mais cela ne s’est pas fait.”
Florian Angot avait pour habitude d'appeler Easy Up "mon grand cerf" ! © Pixels Events
Avec du temps et de la patience, l'atypique fils de Jarnac a réussi à franchir les caps pour atteindre le très haut niveau cette année, à onze ans. © Pixels Events
Au printemps 2024, le couple devient un habitué des classements en Grands Prix Pro 1, puis Easy Up passe sous la selle du benjamin de la famille, Reynald Angot, pour continuer son cursus. De quoi attirer l’attention de Julien Epaillard, en quête de nouveaux cracks après le départ de son olympique Dubaï du Cèdre. Un essai a suffi pour entrevoir le potentiel du néo-duo. “Julien a mis tous les obstacles à 1,60m. Easy Up n’avait jamais fait cela, mais il a été parfait !”, se souvient avec bonheur Florian Angot. Depuis, tous deux ont confirmé leurs aptitudes… et comptent bien continuer sur leur lancée. Easy Up a repris la compétition début octobre, à Oliva, un site de concours que Julien Epaillard apprécie tout particulièrement pour former ses montures. D’entrée, le Normand a imposé son grand alezan dans une épreuve à 1,45m du label 2*, avant de signer un sans-faute sur le parcours initial du Grand Prix. À lui, désormais, d’écrire la suite d’une histoire construite depuis plus de soixante ans par un éleveur passionné et engagé, Roger Riche, qui a présidé un temps l’Union Régionale des éleveurs de Chevaux de Sport et s’est beaucoup impliqué dans la Société Hippique Rurale d’Ambérieux en Dombes, puis par deux grands noms du sport équestre conquis aussi par l’élevage, Guy Martin et Florian Angot. Et ce dernier de conclure, dithyrambique : “Julien a l’expérience et la méthode. Easy Up n’est pas usé. Il a besoin de prendre un peu de métier à ce niveau, mais je pense qu’ensemble, ils ont tout pour réussir !”
De retour à la compétition à Oliva depuis quelques jours, Easy Up de Grandry a encore de belles lignes de sa riche histoire à écrire. © Mélina Massias
Photo à la Une : Avec Julien Epaillard, Easy Up de Grandry est entré dans la cour des grands cette année. © Sarah Bedu / GRANDPRIX Events