“Je n’aurai peut-être plus jamais un groupe de chevaux comme celui que j’ai aujourd’hui”, Harry Charles (1/2)
Il crève l’écran depuis deux saisons, si bien qu’à vingt-trois ans, il est devenu un incontournable de l’Union Jack. Et pour cause. À l’entendre évoquer chacune de ses montures, la gestion de son piquet de chevaux et son système de travail, le jeune Harry Charles donne une impression de maturité déconcertante. Là où ses pairs bataillent pour se faire une place en Coupe des nations, ou pour les championnats d’Europe, lui a honoré sa première grande sélection Séniors aux Jeux olympiques de Tokyo, en 2021. Rien que ça. Depuis, tout est allé crescendo pour l’actuel numéro quinze mondial, qui a frôlé à plusieurs reprises une entrée fracassante aux côtés des dix meilleurs cavaliers du monde. Loin d’avoir pris la grosse tête, le Britannique, qui passe désormais la majeure partie de son temps en Belgique, entend bien poursuivre son ascension. Rencontré à Lyon, où il venait pour la première fois, afin de lancer sa saison indoor avec la ferme intention de prendre part à la finale du plus mythique des circuits hivernaux, qui lui avait particulièrement réussi l’an passé, le passionné d’aviation a depuis signé une excellente troisième place dans l’étape de Vérone. Après Omaha, celui qui avait fait ses grands débuts en 5*, en 2018, sur nulle autre piste que celle d’Aix-la-Chapelle, visera les Européens de Milan, dans une perspective de construction pour le grand objectif : Paris 2024. Premier épisode d’une interview en deux parties.
Vous êtes venu ici, à Lyon, avec Borsato (Contendro I x Nijinksi) et Romeo 88 (ex Champion of Picobello, Contact vd Heffinck x Orlando). Quels sont vos objectifs ?
Tout d’abord, il s’agit de ma première étape Coupe du monde de la saison (entretien réalisé vendredi 28 octobre, ndlr). Je vais tenter d’obtenir quelques points (le Britannique a finalement terminé vingt-septième à Eurexpo, mais s’est rattrapé le week-end suivant à Vérone en prenant la troisième place, ndlr). La finale sera à nouveau un objectif majeur l’an prochain (à Leipzig, en avril dernier, Harry Charles avait terminé quatrième, ndlr). J’ai l’impression que beaucoup de top cavaliers lancent leur saison ici, à Lyon. Il y a eu Oslo et Helsinki, mais cette semaine le plateau est vraiment relevé. Ce sera difficile, mais il va y avoir du beau sport (la victoire est finalement revenue à Julien Epaillard, ndlr). C’est chouette de se confronter aux meilleurs. Je vais monter Borsato dimanche. Romeo n’a pris part qu’à un petit concours depuis les championnats du monde. Il pourrait sauter la Coupe du monde, mais Borsato est en très bonne forme. Je vais donc prendre le temps de faire monter Romeo en puissance, plutôt que de le lancer directement dans le grand bain. Même si j’aurai adoré disputer cette étape avec lui, je pense que lui accorder un week-end plus facile est la meilleure chose à faire.
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À seize ans, Borsato semble encore en très grande forme, en atteste sa deuxième place dans le Grand Prix du CSIO 5* d’Hickstead cet été, ou encore son récent classement dans le Grand Prix de Riyad…
Il continue même de progresser ! C’est vraiment dingue. Je pense sincèrement que le meilleur reste à venir avec lui. Je l’ai récupéré assez tard dans sa carrière (en 2019, alors que le KWPN avait disputé moins de soixante-dix épreuves internationales avec Tim Davies et Miles Jon O’Donnell, ndlr). Il est âgé, mais il n’a pas beaucoup de kilomètres au compteur. C’est un peu comme lorsqu’on a une vieille voiture qui a peu roulé. C’est un cheval incroyable. Il affronte les Grand Prix majeurs aussi facilement que n’importe quel autre de mes chevaux. J’espère encore pouvoir profiter de lui pendant deux ou trois années dans le sport. Il est dans une forme exceptionnelle et n’a jamais été plus affûté. Il progresse à chaque sortie. C’est assez rare d’avoir un cheval de seize ans qui continue de se bonifier comme lui. Le mérite revient à mon équipe, qui parvient à le garder en pleine forme.
Romeo 88 a intégré votre piquet de chevaux fin 2020. Depuis, votre place sur la scène internationale a pris une tout autre tournure. Quelle influence a-t-il eu sur votre carrière ?
Une énorme influence. En 2020, lorsque le Covid est arrivé, j’allais principalement en concours de niveau 2 et 3*. Je n’avais pas beaucoup de chevaux. En fait, je trouvais ça bien de pouvoir prendre mon temps et me concentrer pour faire de mon mieux. Rapidement, à peu près à cette même époque de l’année, j’ai été contacté. L’opportunité de monter Romeo s’est présentée grâce à sa super propriétaire, Ann Thompson, avec qui nous avons une excellente relation deux ans plus tard. Dès que j’ai commencé à monter Romeo, beaucoup de choses se sont passées et cela a lancé ma carrière. J’avais connu une bonne année 2018, avant de disputer pas mal de 5* en 2019, mais je n’avais pas vraiment le réservoir de chevaux pour rester à ce niveau. J’ai passé presque deux ans sans trop goûter au très haut niveau. Romeo a ouvert de nombreuses portes. Il m’a permis de construire un piquet de chevaux autour de lui, d’enlever de la pression à certaines montures et de prendre le temps de former la relève. Maintenant, je dois dire que je n’aurai peut-être plus jamais un groupe de chevaux comme celui que j’ai aujourd’hui. Ils sont vraiment spéciaux, tout comme les personnes et propriétaires qui m’entourent. Nous avons une super équipe et nous vivons un peu rêve éveillé en ce moment.
“Aralyn Blue a une grande chance pour les Jeux olympiques de Paris”
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Ann Thompson vous a également récemment confié I’m Special V (I’m Special de Muze x Indoctro), que Brian Moggre montait jusqu’en juillet dernier. Quelles sont vos premières impressions sur ce hongre de neuf ans ?
Oui, c’est un nouveau cheval. Il vient juste d’arriver dans mon équipe. Il est très talentueux. Je pense que nous allons essayer de franchir un cap l’an prochain. Pour l’heure, je n’ai fait que deux concours avec lui, dans le but de lui montrer ce que j’attends de lui et d’apprendre à le connaître. Je suis très enthousiaste. Il sera particulièrement intéressant l’année prochaine et j’ai hâte de voir ce qui nous attend.
Cette année, Aralyn Blue (Chacco-Blue x Ludwigs As), onze ans, a franchi un cap sur la scène internationale. Quelles sont vos ambitions avec cette jument, en laquelle vous semblez fonder beaucoup d’espoir ?
Oui, en effet. Je pense qu’elle est encore à une année d’être la jument que je crois qu’elle peut être. Le plus important avec elle est de lui donner du temps pour mûrir. Elle a couru son premier Grand Prix 5* en mai, dont elle a pris la deuxième place. C’était très impressionnant. Même moi, j’étais un peu choqué ! Cependant, après cette performance, j’ai levé le pied de l'accélérateur, simplement pour lui accorder le temps dont elle a besoin. Elle est très sensible. Elle ira à Vérone la semaine prochaine (en Italie, la baie a réalisé deux sans-faute, à 1,50 et 1,45m, ainsi qu’un tour à quatre points à 1,55m, ndlr), puis à Stuttgart. Ensuite, nous verrons. Je crois qu’elle a une grande chance pour les Jeux olympiques de Paris. Elle fait partie des chevaux que je vais mettre en avant dans mon piquet avec cet objectif. C’est pourquoi je pense que d’ici un an elle aura beaucoup progressé. Pour l’instant, elle reste un peu irrégulière ici et là, mais elle progresse à chaque fois et devient plus confiante. Elle n’est vraiment pas loin de son plein potentiel. Il ne me reste qu’à mettre les touches finales. C’est une jument vraiment formidable.
Dans votre piquet de chevaux sacrément garni, il y a toutefois une absente de taille depuis quelques semaines : Stardust (Chacco-Blue x Con Air). Comment avez-vous décidé de confier les rênes de votre complice de la dernière finale de la Coupe du monde à votre sœur cadette, Sienna ?
Cela n’a pas été une décision facile. Stardust a tellement fait pour ma carrière. Elle m’a offert ma première vraie grande victoire au niveau 5* l’année dernière (dans l’étape Coupe du monde de Londres, en décembre, ndlr). Elle était sans doute ma plus grande gagnante. Elle était incroyable. Sienna est à un moment dans sa carrière où elle est prête à passer à l’étape suivante. Elle vient juste de mettre à la retraite sa jument Ornellaia (ex Kleine Cera, ancienne partenaire olympique de John Withaker et complice de la jeune Britannique depuis 2020, ndlr), qui a fait énormément pour elle. J’ai eu le sentiment qu’elle avait une sorte de vide dans son groupe de chevaux et qu'elle avait besoin d’un renfort. Stardust a toujours été sa préférée. Lorsqu’elle est arrivée, Sienna la montait tout le temps sur le plat et l’adorait. Je me suis dit que ce serait l’atout parfait pour elle. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de la bonne chose à faire. J’ai assez de chevaux et je pourrai essayer de former la relève. J’espère que nous les verrons bientôt à haut niveau. Elles ont déjà eu de bons résultats à Oliva (la nouvelle paire a notamment pris la deuxième place du dernier Grand Prix 3* d’Oliva, dimanche 6 novembre, derrière Alexa Ferrer et Arka de la Hart, ndlr). Elle l’adore et elles s’entendent vraiment bien. Elles vont former un super binôme. J’espère juste qu’elles ne me battront pas ! (rires)
“Billabong du Roumois est devenu mon ami”
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Comment se passe votre collaboration avec Billabong du Roumois (Mylord Carthago x Papillon Rouge), dont vous aviez aussi monté le frère utérin à l’occasion de quelques concours par le passé ? On imagine qu’il n’est pas aisé de prendre la suite d’un cavalier comme Julien Epaillard…
Il était initialement destiné à ma sœur, Sienna, mais je me suis retrouvé à le monter. Nous avons rapidement remporté une épreuve tous les deux (à 1,50m, à Windsor, en mai, ndlr). Ce n’est pas facile de simplement copier Julien. Si nous pouvions le faire, nous le ferions tous ! Billabong est toujours pieds nus. En fait, Julien m’a donné un coup de main au début avec lui, pour savoir quel filet utiliser, etc. C’est vraiment sympa. J’ai octroyé une longue pause à Billabong ces derniers mois. Depuis juin, il n’a pris part qu’à trois concours (à l’Hubside Jumping de Grimaud, en septembre et octobre, ndlr). En reprenant le chemin des compétitions, c’est devenu un cheval différent. Désormais, il me fait vraiment confiance. Ce qui prend un peu plus de temps que je ne l’aurais espéré est le fait que j’ai, certes, dû apprendre à le connaître, mais lui aussi a dû s’habituer à moi. C’est quelque chose que nous oublions souvent. Il n’y a pas que le cavalier qui doit faire connaissance avec le cheval ; le cheval doit aussi faire le chemin inverse et s’adapter à nous. En tout cas, je l’adore. Il est devenu mon ami, ce qui est super chouette. Il vit de façon permanente au pré, jour et nuit. Il aime ce mode de vie. Il n’est jamais propre puisqu'il adore la boue ! C’est un cheval rigolo et j’espère que nous aurons de bons résultats prochainement. Il a quelques concours majeurs de prévus pour le reste de l’année.
Avez-vous d’autres chevaux qui, comme Billabong, vivent dehors ou évoluent sans fer ?
Oui, Borsato vit aussi au pré, mais il lui arrive de glisser en hiver. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas de Billy (le surnom de Billabong du Roumois, ndlr), qui est très intelligent. Borsato a donc un très grand enclos sur paille. Le fait est qu’il s’ennuie dans son box, tout simplement. Bien sûr, dès que nous le pouvons, nous mettons tous nos chevaux au paddock, afin qu’ils puissent manger de l’herbe. L’hiver, cela peut être plus compliqué avec les terrains glissants et boueux, mais nous faisons de notre mieux.
Le cas de Stardust est aussi intéressant. Elle a été la première que nous avons déferrée, mais, comme elle a s'est blessée aux postérieurs il y a longtemps, nous continuons à lui mettre des fers sur ces membres. Elle est pieds nus seulement des antérieurs. C’est assez étrange ! Je ne vois pas beaucoup de chevaux dans cette configuration (Dominator 2000, l’étalon de Christian Ahlmann, évolue parfois avec le même dispositif de fers, ndlr). Nous avons également un autre cheval, Controe (Wender R x Iroko, qui a débuté sa carrière en concours complet avec la championne olympique par équipe Laura Collett et est désormais monté par Sienna et Harry, ndlr), qui porte des fers fixés par de la colle, sans clou. Il a de petits sabots très sensibles, ce qui nous a poussé à faire preuve d’inventivité puisqu’on peut difficilement concourir sur herbe sans fer. C’est le gros point noir. C’est un cheval incroyable sur ce type de terrain, donc nous avons trouvé cette solution. C’est une option, mais nous ne l’avons utilisée qu’avec lui jusqu’à maintenant. Nous pourrions y songer au besoin pour d’autres chevaux.
“Je dois la plus grande partie de ma carrière à Ann Thompson”
Vous semblez bénéficier du soutien renouvelé de fidèles propriétaires. Quel rôle jouent-ils à vos côtés ?
Ann Thompson (qui a longtemps soutenu Darragh Kenny avant de confier ses chevaux à Harry Charles et Brian Moggre, entre autres, ndlr) a été ma première vraie propriétaire. Elle a fait énormément pour moi. Sans elle, je ne serais probablement pas assis là, aujourd’hui, en train de répondre à ces questions. Je n’aurais pas pu bénéficier de la plateforme nécessaire pour trouver d’autres personnes dans le sport sans son soutien. Je lui dois vraiment la plus grande partie de ma carrière. J’ai pu être sélectionné aux Jeux olympiques et aux championnats du monde grâce à son cheval (Romeo 88, ndlr). En fin d’année dernière, nous nous sommes également associés à l’écurie Zet, un excellent groupe suédois spécialisé dans les Trotteurs (géré par Daniel Redén, entraîneur à succès, ndlr). C’est une chouette passerelle entre le saut d’obstacles et les courses de trot. Grâce à eux, je monte Casquo Blue (Chacco-Blue x Carthago), Billabong du Roumois et une nouvelle jument, Chavira (Chacco-Blue x Calvaro), que je présenterai la semaine prochaine à Vérone et qui est très prometteuse. Ils ont été super pour moi et ont une fantastique écurie en Belgique (près de Liège, ndlr), qui nous permet de nous entraîner là-bas et de contourner tous les problèmes causés par le Brexit, qui un désastre pour nous... Ils ont joué un rôle primordial dans le succès que nous avons rencontré cette année et j’espère que notre partenariat continuera sur le long terme. Nous sommes tous très amis, au-delà de la relation cavalier-propriétaire, et passons du bon temps tous ensemble.
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Vous êtes donc désormais installé en Belgique ?
En ce moment, oui, je suis basé en Belgique. Il en sera ainsi quasiment jusqu’à la fin de l’année, où nous avons des concours chaque semaine. Avec le Brexit, il est trop onéreux [de rester au Royaume-Uni]. C’était pourtant parfait avant ! C’est tellement dommage que tout ait changé… C’est vraiment terrible pour nous. Désormais, le temps de voyage des chevaux a drastiquement diminué. Par exemple, Borsato est parti de Riyad dimanche matin (le 23 octobre, ndlr). Il était dans son boxe à 13 heures dimanche après-midi. Nous sommes à dix minutes de l’aéroport, c’est génial. Pour rentrer en Angleterre, on ne sait jamais combien de temps vont prendre les contrôles vétérinaires à Calais et Douvres. Cela pourrait durer une demi-heure comme quatre heures. Avoir cette écurie en Belgique a été une aide immense. Par conséquent, je reste ici autant que possible, surtout lorsque j’ai beaucoup d’événements en Europe.
La suite de cet entretien est disponible ici.
Photo à la Une : Harry Charles et Romeo à Lyon. © Mélina Massias