Proche de Michel Robert, Paul Delforge n’a pas hésité à élargir ses horizons, voilà quelques jours. Le Haut-Saônois a fait intervenir, au sein de ses écuries, un comportementaliste équin, afin d’en apprendre toujours plus sur le fonctionnement de ses complices à quatre jambes. En quelques heures, les résultats ont été remarquables, si bien que le jeune homme a pu faire ses premiers sauts en licol et ses premiers pas en cordelette, avec un cheval de sept ans réputé difficile. Dans la lignée d’une prise de conscience grandissante dans la sphère équestre, le Tricolore revient sur son expérience.
Pendant une journée, Roger Albert, comportementaliste équin, a dispensé ses précieux conseils à Paul Delforge et son équipe, qui a tendu l’oreille avec attention. Le jeune homme a ainsi organisé un stage, afin d’ouvrir encore plus ses horizons et profiter des bénéfices d’une approche recentrée sur l’essentiel. “Je travaille depuis trois ou quatre ans avec Michel Robert, qui m’a permis de rencontrer également Julie Lavergne (une cavalière enseignante, experte en locomotion et comportement du cheval, ndlr), à la tête de 2C2A Concept équestre. Tous deux sont déjà très proches des équidés et sont des hommes et femmes de chevaux à part entière. Par hasard, j’ai rencontré Roger. En discutant, notamment au sujet du travail à pied, j’ai eu l’idée de le faire venir sur une journée aux écuries. Et je pense que nous allons reconduire cette initiative. C’était une super expérience et Roger est très, très doué. Il a une connaissance du cheval impressionnante”, résume le cavalier de l’élevage du Banney. “L’approche de Roger constitue une base primordiale pour tout cavalier, et encore plus pour quelqu’un comme moi qui fait naître des chevaux et travaille beaucoup avec de jeunes montures. Il se concentre sur des choses simples, dont on peut facilement passer à côté. Dans les écuries, nous courons toujours après le temps. Finalement, en acceptant de prendre le temps de nous concentrer sur ces choses-là, nous en gagnons par la suite. Une fois les bases acquises, nous pouvons avancer plus facilement, et dans le sens du cheval. C’est cela qui est important.”
Conquis par la philosophie et la méthode proposée, Paul Delforge a même fini par évoluer en toute sécurité en licol éthologique puis en cordelette ! Une première pour le natif de Luxeuil-les-Bains. “Initialement, j’ai récupéré un cheval de sept ans cet hiver, qui montre beaucoup de qualité mais qu’on m’avait décrit comme étant presque dangereux, avec énormément de caractère. Son propriétaire l’a acheté un peu par hasard et j’ai tout de suite eu un bon sentiment avec lui. Je ne connais pas vraiment son passé, mais je pense qu’on lui a expliqué les choses dans le mauvais sens. De fait, il se montre un peu dur lorsqu’on le monte et cherche le conflit, chose dans laquelle je n’entre jamais. Réussir à monter ce cheval en licol puis en cordelette après une journée est assez improbable. Pour moi, il était important de passer par ces étapes. Roger remet en place toutes les bases à pied, le respect mutuel entre le cheval et l’homme, la connexion. C’était assez incroyable. Cette journée de stage m’a aidé à passer un cap, à m’ouvrir à d’autres choses, d’autres façons de faire. Et c’est très important. Bien sûr, il ne faut pas être extrémiste et dire qu’il n’y a que cela de bon, mais il me paraît très important de savoir que ce travail existe et qu’il est bénéfique. Nous en faisons notre métier ; nous devons être des hommes de chevaux avant d’être des cavaliers.”
Installer des codes… à pied puis en selle
Avant de passer en selle et de retirer mors et filet, Roger Albert s’est penché sur le travail au sol, en liberté puis en longe. “Roger m’a enseigné beaucoup de choses en liberté et à la longe, ainsi qu’en main”, apprécie Paul Delforge. “Nous avons fait un gros état des lieux, afin de voir ce qui allait et n’allait pas. Ensuite Roger demande des choses simples et jauge les réactions du cheval. Il lui fait comprendre que tout va bien se passer. Il commence par contrôler les postérieurs, puis la tête. Très rapidement, le cheval lui a fait confiance. Il a compris que lorsqu’il l’écoutait, il était dans le confort et pas dans le conflit. Nous avons fait tout cela à pied, afin d’ancrer tous les codes de respect.” Après avoir consacré le temps nécessaire à cette étape clef, il était temps de se mettre en selle. “Nous avons reproduit la même chose monté et tout est allé très vite”, souligne le cavalier de vingt-six ans.
“Je crois que l’on apprend tout le temps avec les chevaux et qu’on ne les comprend jamais assez. Cette intervention m’a ouvert l’esprit sur plein de choses que l’on ne prend pas toujours le temps de faire malgré leur importance capitale”, reprend l’intéressé. “Le simple fait de marcher en main ou de longer d’une certaine façon est important. Une fois les codes installés entre le cheval et nous, tout se passe mieux, sans conflit. Je crois qu’avec le conflit, on n’arrive pas à grand-chose et surtout, cela ne dure jamais longtemps. J’en suis convaincu. Bien que j’adore la compétition et le fait d’être compétitif, j’aime avant tout la relation avec l’animal. M’enrichir autant que possible sur ce point est un but pour moi. Il y a du bon à prendre partout, et chez des gens comme Roger, il y en a énormément ! Une fois en cordelette, on arrête de penser aux mors et on ressent vraiment le galop, le fait de pouvoir tourner sans les rênes. Nous travaillons des choses similaires avec Michel Robert : le placement des aides, le regard, etc. La base est là et, finalement, on se dit que le mors et les rênes sont juste un plus. On se recentre sur notre connexion et notre sentiment avec nos chevaux. C’est un retour aux fondamentaux. Pour tourner en piste, nous avons d’abord besoin de nos jambes et de notre assiette. Peut-être qu’un jour on utilise un mors ou une bride, mais cela n’intervient que lorsque le cheval est dans la compréhension, qu’il est prêt à l’accepter, mentalement et musculairement. On ne met pas une bride, ou autre chose, pour obtenir ce préalable. Cela relève davantage du peaufinage. Un cheval peut être monté en licol, puis en cordelette, aux trois allures, et nous devons être en mesure de tourner, s’arrêter, ralentir, avancer, etc. Je crois que la base passe par là. Si on n’y arrive pas, le reste ne sert pas à grand-chose. On cache les problèmes plus qu’autre chose. Et un jour, tout cela refait surface. Bien évidemment, il y a tout un processus, tout un système derrière cela. On ne va pas tous se mettre à la cordelette et tout gagner comme cela, mais il est important de savoir que cet outil existe et qu’il fonctionne. Je pense que lorsque ces bases sont inculquées au cheval dès sa première rencontre avec l’homme, on gagne un temps précieux et on effectue du bon travail. Chacun doit trouver le système qui fonctionne pour lui, qui lui permet de se sentir bien avec ses chevaux. Aujourd’hui, je pense que la proximité avec son cheval fait la différence, d’autant plus lorsqu’on voit la vitesse à laquelle on doit aller et la précision dont on doit faire preuve. Il n’y a plus de place au hasard.”
“Notre sport nous oblige à nous remettre en question tous les jours”
Si Paul Delforge n’est plus à convaincre sur le recours à des méthodes plus “cheval”, demeure la légitime question de l’ouverture d’esprit, dans un milieu parfois tiraillé par diverses convictions et autres mœurs en tout genre. Petit à petit, le haut niveau semble donner de plus en plus de place aux pratiques qui se veulent naturelles. Impossible de ne pas penser à l’incroyable ascension de Grégory Cottard, portée par une harmonie et une connexion retrouvée, loin de tout artifice et récompensée par une brillante victoire dans le Grand Prix dominical du CSI 5*-W de Bordeaux, début février. Dans une autre dimension, la volonté de répondre aux besoins des équidés prônée par Peder Fredricson doit être saluée, tout comme la vie en troupeau proposée par Julien Epaillard à ses partenaires, pour ne citer qu’eux. “Je pense qu’aujourd’hui il y a une pleine conscience de tout cela. Cela était déjà le cas avant, avec des personnes comme Michel Robert, que je côtoie beaucoup, ou encore Thierry Pomel, que j’ai pu fréquenter comme sélectionneur. Ce sont des hommes de chevaux, qui sont proches d’eux. Je pense aussi à Bosty, qui fait marcher ses chevaux en concours et entretient une étroite relation avec eux. Il les comprend et cela est très important. À l’heure du bien être équin, je pense qu’il y a une vraie prise de conscience des cavaliers, qu’ils soient français ou étrangers. Ce qu’a fait Grégory Cottard à Bordeaux est formidable. Pour l’image de notre sport, c’est fantastique, d’autant plus dans le contexte où cela s’est produit, avec l’interruption du Grand Prix (causé par des défenseurs du mouvement animaliste, ndlr). Ce genre de revendication doit être pris en compte. Mais voir quelqu’un qui arrive avec un mors simple, sans muserolle, sans rien, et remporte le Grand Prix est un beau pied de nez à tout cela. La veille de cet événement, un cheval de vingt ans (Punch de l’Esques, qui prenait par la même occasion sa retraite, ndlr) gagnait le cross indoor. Ces deux personnes sont vraiment arrivées au mauvais moment ! (rires)”, ajoute le Haut-Saônois. “Savoir que cela existe est important. En faisant intervenir des gens comme Roger, par exemple, nous allons nous rapprocher de nos chevaux, les comprendre davantage et les rendre heureux. Pour nous, personnellement, cela est déjà enrichissant, mais pour l’image de notre sport, nous allons être obligés de prendre cela en compte. Tout va tellement vite avec les réseaux sociaux. Les gens pensent qu’en montant sur les chevaux nous leur faisons du mal. À l’heure du bien-être animal, ce genre d'idées deviennent de plus en plus nombreuses et dangereuses. Il faut donc faire attention. Pour côtoyer le haut niveau régulièrement, je pense que la plupart des acteurs du sport ont déjà entamé des démarches en ce sens. J’ai eu la chance de parler avec Peder Fredricson et sa connaissance du cheval est exceptionnelle. Il respecte tellement ses chevaux et les laisse presque dans leur état naturel. Et on voit à quel point cela fonctionne. Julien Epaillard, qui gagne énormément (et est numéro trois mondial, ndlr) déferre ses chevaux et les fait revivre en troupeau. Il y a une vraie prise de conscience, un tournant qui s’opère, dans notre sport et une ouverture d’esprit qui fait plaisir. Je pense qu’il faut s’inspirer de ces gens-là. Des personnes comme Roger manquent, à mon sens, de reconnaissance, car leurs connaissances du cheval dans son état général peuvent aider n’importe quel cavalier, tous niveaux confondus. Ces gens sont capables d’aider les autres, de pratiquement changer leur quotidien. Ils méritent d’être connus. Évidemment, il n’y a pas une seule méthode. Il n’y a que des hommes de chevaux, des gens proches de leurs chevaux, qui les respectent. Maintenant, je pense qu’il est important d’inculquer cela à notre génération. De plus en plus de jeunes bénéficient de moyens financiers confortables. Alors, peut-être qu’ils ont moins besoin d’avoir recours à ce genre de méthodes et qu’elles se perdent un peu. Surtout, il faut trouver les bonnes personnes, les bons intervenants. Je pense qu’il ne faut pas être fermé, s’ouvrir aux autres. Notre sport nous oblige à nous remettre en question tous les jours, à avoir l’esprit ouvert. Sinon, on ne va pas très loin.”
Photo à la Une : Paul Delforge. © Mélina Massias