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“Je crois qu'il faut que les cavaliers montent mieux à cheval”, Richard Howley (2/3)

Richard Howley
jeudi 23 novembre 2023 Mélina Massias

Qui est Richard Howley ? Âgé de trente et un ans, l’Irlandais a bluffé son monde en remportant avec maestria les deux premières étapes de la Coupe du monde Longines sur la ligue d’Europe occidentale, la plus disputée de toutes. Associé à l’atypique mais brillant Consulent de Prelet, un cheval né en Slovaquie, chez Svo Trans Feka, l’ancien disciple de Michael Whitaker n’a pas dit son dernier mot, loin de là. Installé en Angleterre, où il gère avec son épouse, Morgane Kent, HK Horses, une large écurie mêlant sport, élevage et commerce, Richard Howley a grandi sur l’île d’Emeraude, au sein d’une famille passionnée, sans pour autant être professionnelle du milieu. Reconnaissant n’avoir manqué de rien durant sa jeunesse, sans pour autant rouler sur l’or, le jeune homme s’est forgé lui-même, a appris la patience et l’abnégation et surmonté un grave accident l’ayant immobilisé plusieurs mois. Raisonné et déterminé, ce perfectionniste dans l’âme, qui a vu passer sous sa selle quelques excellentes cartouches, à l’image de Chinook ou Arlo de Blondel, semble en passe de vivre les plus belles heures de sa carrière, avec Riyad et Paris en ligne de mire. À l’occasion du salon du cheval de Lyon, le jeune trentenaire, au départ de deux championnats d’Europe à poney et un en Junior, s’est confié sur son parcours, ses ambitions et son fonctionnement. Rencontre en trois volets.

La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.

Vous êtes installé en Angleterre depuis plus de dix ans désormais. Pourquoi avoir choisi ce pays ?

J’adore la campagne anglaise. C’est aussi un bon pays pour vivre, un pays sûr. Nous avons un bon, calme et paisible mode de vie, qui nous permet de former nos chevaux tout en confort. Nous habitons au Nord de l’Angleterre, dans le Yorkshire. À mes yeux, c’est un bon pays qui permet de rester parfois un peu dans l’ombre, notamment avec ses très bons jeunes chevaux. On peut les former directement à la maison, sans avoir besoin de faire chaque semaine des concours internationaux onéreux. Il y a plein de raisons à ce choix. Morgan et sa famille sont aussi originaires de cette zone géographique. Avec notre jeune fille, Winter, c’est important qu’elle soit près de sa famille à cette étape de sa vie. Est-ce que cela ferait sens que nous soyons basés sur le continent avec quelques chevaux l’été ? Oui, mais, en même temps, je ne veux pas avoir mes chevaux de tête loin de moi entre les concours, dans un pays dans lequel je n’ai pas envie de vivre. Nous travaillons au sein d’un cercle très restreint d’amis, qui sont tous très accueillants avec nous, comme l’ont par exemple été Charlotte et Mark (McAuley, ndlr) cette semaine (le couple a accueilli Richard Howley et ses chevaux avant Lyon, dans ses superbes écuries La Tuilière, ndlr). Tout le monde comprend notre fonctionnement et est plus que prêt à nous ouvrir ses portes au besoin. C’est très plaisant.

En plus d'être compatriotes, Mark McAuley et Richard Howley sont de bons amis. © Mélina Massias

Comment fonctionne votre système ? Comment trouvez-vous l’équilibre entre le commerce, le sport de haut niveau, l’élevage et la formation de vos jeunes montures ? 

Nous sommes une écurie de commerce. Acheter et vendre des chevaux est notre cœur de métier. Nous essayons de faire l’acquisition des meilleurs chevaux que nous pouvons trouver et de les revendre le plus tard possible. Cependant, il est parfois extrêmement difficile de dire non à certaines offres. De ce fait, il peut être plus simple de garder les chevaux un peu dans l’ombre, pour ne pas avoir à refuser lesdites offres ! (rires) Du reste, notre système est très basique. Nous faisons naître une trentaine de poulains par an et avons ainsi un grand nombre de chevaux. Nous sommes assez critiques avec les chevaux qui continuent à nos côtés. Nous croyons donc vraiment en ceux qui poursuivent leur aventure avec nous. Ensuite, notre rôle est de les guider pour qu’ils deviennent la meilleure version d’eux-mêmes.

J’aimerais également remercier mes propriétaires, et notamment Sarah Borthwick et sa famille, qui sont de très bons amis et de grands soutiens pour nous, ainsi que toute mon équipe à la maison. Les gens ne voient pas tous les efforts fournis en coulisses. Je suis extrêmement reconnaissant pour l’implication et le travail de chacun. Je pense en particulier à Toby Parsons, un jeune homme qui est à mes côtés depuis ses quatorze ans. Il en a aujourd’hui vingt. Il joue un rôle capital dans notre équipe, notamment dans la formation des jeunes chevaux et la gestion de mon piquet de chevaux lorsque je ne suis pas à la maison. 

Le jeune Zodiak du Buisson a un incroyable potentiel. © Mélina Massias



Consulent de Prelet, votre cheval de tête, est-il donc potentiellement sur le marché ? 

(Il hésite) Répondre à cette question est difficile… Je ne peux pas en vendre un et pas l’autre. Encore une fois, nous sommes une écurie de commerce. Mon plan est toutefois de conserver Consulent au moins jusqu’à la finale de la Coupe du monde et aux Jeux olympiques. C’est le plan A, assurément. Si quelqu’un m’empêche de suivre ce plan, alors il en sera ainsi.

L'excellent Consulent de Prelet pourrait permettre à Richard Howley d'honorer sa première grande sélection Sénior en 2024. © Mélina Massias

“Chaque cheval doit apprendre son métier”

Est-ce difficile pour vous de voir partir certaines de vos meilleures montures, comme ce fut le cas, par exemple, avec le très compétitif Arlo de Blondel (Dollar dela Pierre x Kassidi) ?

Arlo est juste un super cheval ! Je l’ai acheté auprès de Jack et Michael. Il a été un précieux atout pour Jack à huit et neuf ans, puis a continué sur sa lancée à dix et onze ans avec moi. Sa vente n’a pas été trop difficile à accepter. Bien sûr, dire au revoir à un cheval si important de son piquet n’est pas aisé, mais après quelques semaines, le voir réussir tant de choses avec Nicola Pohl, encore et encore, est une belle récompense. Arlo est un vrai personnage. D’ailleurs, j’ai une belle anecdote avec lui. Donald (Whitaker, qui le monte de temps en temps en parallèle de Nicola, ndlr) l’avait emmené avec lui au Horse of the Year Show (un CSI 3* organisé à Birmingham et très réputé en Angleterre, ndlr). Parfois, lorsqu’on lui met des protections de repos aux antérieurs, Arlo peut avoir des réactions assez fortes. Il a un fort tempérament ! J’étais en train de monter l’un de mes chevaux sur le plat, quand Arlo a quitté son box, est sorti de la tente qui l’abritait, a remonté deux allées, est entré dans une autre tente, puis dans un de mes box, qui était alors vide ! Il a fait cela tout seul, en totale liberté ! C’est incroyable. Peut-être que je lui manque aussi ! (rires) Quoi qu’il en soit, je suis aux anges pour Nicola. Arlo fait presque mieux qu’avec moi sous sa selle. Je suis ravi pour elle et pour ses écuries.

Le génial Arlo de Blondel est une machine à gagner jusqu'à 1,50m. © Hippo Foto

Comment décririez-vous votre philosophie et votre optique de travail avec les chevaux ?

Je crois qu'il faut que les cavaliers montent mieux à cheval, qu’ils soient plus au contrôle de leurs actions lorsqu’ils sont assis sur le dos d’un cheval. Et tout le monde doit faire preuve de patience. Chaque cheval doit apprendre son métier. Chaque crack qui a existé a été formé de ses trois ans jusqu’à ses onze ans, où il a commencé à sauter des Grands Prix 5*. Tout le monde dit “oh, je veux ce cheval”, mais le voulaient-ils à trois, quatre ou cinq ans ? Non. Pourtant, l’apprentissage et la formation sont une nécessité pour tous les chevaux. Il faut avoir de la patience. Si l’on est suffisamment chanceux pour croiser une super star un jour dans sa carrière, il faut être reconnaissant d’avoir l’opportunité de la monter. Chaque cheval a besoin de temps, d’attention et d’avoir sa chance.

Pensez-vous qu’il y a un manque de cavaliers prêts à assurer la formation des jeunes chevaux ? 

Je pense que oui. Je dois dire que j’ai un super groupe de personnes à la maison, et que nous avons toujours de super personnes qui intègrent notre équipe. Tout le monde comprend que lorsqu’ils débutent chez nous, ils partent tout en bas de l’échelle. Ensuite, les opportunités viennent des aptitudes et des capacités. Mieux on monte, plus on a d’opportunités. La vie est aussi simple que cela. Si l’on est un promoteur immobilier, on ne va pas acheter un terrain et demander au laitier du coin de construire la maison. Tous nos chevaux sont des atouts et nos investissements. Il y a beaucoup d’argent en jeu, ce qui rend encore plus important le fait qu’ils reçoivent les soins adéquats et les une bonne formation sous la selle.

L'Irlandais évoque aussi la pénurie de cavaliers formateurs permettant d'assurer l'éclosion au plus haut niveau des cracks de demain. © Mélina Massias



“Nous ne sommes pas très critiques avec nos poulains, ni avec nos deux ou trois ans”

Vous avez développé un large programme d’élevage ces dernières années. Que recherchez-vous chez vos poulains ? 

Un bon modèle, solide et athlétique est ce que nous essayons de rechercher. Cependant, nous ne sommes pas très critiques avec nos poulains, ni avec nos deux ou trois ans. Vers la fin de leur troisième année, nous commençons à les juger un petit peu, avant de passer aux choses plus sérieuses à quatre ans. La plupart de nos produits sont débourrés, puis conservés ou vendus, là où ils pourront s’épanouir au mieux.

À trois et quatre ans, quelles qualités aimez-vous observer chez vos jeunes chevaux ?

L’intelligence. On veut des chevaux intelligents. Personnellement, j’aime les chevaux souples, très déliés et athlétiques dans leur façon de sauter. Pour moi, le plus important n’est pas qu’ils sautent avec leurs antérieurs autour de leur tête et au-dessus des chandeliers ; je préfère qu’ils soient à l’aise avec leurs corps, souples, avec un bon équilibre et une bonne tête. Parfois, lorsqu’on fait le même exercice avec plusieurs chevaux, certains ne commettent jamais d’erreur, là où d'autres la répètent. Il faut alors choisir lesquels vont correspondre à notre programme, à notre système et notre façon de faire, et lesquels seraient mieux dans d’autres maisons. 

Parmi vos poulinières, vous avez notamment la géniale Cas de Liberté Kelfshof (Cracky x Chellano), ancienne complice de Niels Bruynseels…

Oui, nous avons quelques juments très intéressantes dans notre programme d’élevage ! Nous utilisons également certaines de nos bonnes juments. Au fil des années, nous avons eu de très bonnes sauteuses, qui ont parfois eu une blessure qui les a empêchées de progresser dans le sport, ou d’autres éléments qui ont mis un terme à leurs carrières, mais qui nous semblaient être de très bonnes juments. Nous élevons donc aussi avec elles. Ensuite, il ne nous reste qu’à espérer que les étalons que nous leur choisissons améliorent leurs lacunes. 

Cas de Liberté et Niels Bruynseels. © Hippo Foto / Stefano Secchi

Vos juments, comme Cas, portent-elles leurs poulains elles-mêmes ?

Non, Cas ne le fait pas. Nous prélevons seulement quelques embryons chaque année. Cas a une existence merveilleuse. Elle vit chez ma propriétaire, Sarah Borthwick, dans le Yorkshire. Elle rentre à l’écurie tous les jours pour être brosser et que l’on s’occupe d’elle. Elle reçoit l’attention de la jument de Grand Prix qu’elle a toujours été ! Elle a une super vie.



Comment choisissez-vous les étalons que vous utilisez pour vos juments ? 

Dans le cas de Cas, qui a la dernière qualité, est extrêmement respectueuse et possède une super technique, on cherche plutôt à amener un peu de taille. Cas n’est pas très grande. On aime les étalons forts, solides et sains, qui produisent bien. J’ai tendance à juger les étalons en fonction des poulains que je vois. Certains étalons peuvent avoir une production fantastique mais engendrent des chevaux regardants et difficiles. À mon sens, les étalons doivent avoir une descendance homogène. Diamant de Semilly est un sire solide et réputé. C’est un point positif. Kashmir van’t Schuttershof est un autre bon exemple. Ce sont les types d’étalons que nous avons choisis pour Cas. Il sera intéressant de voir ce que le futur lui réserve, à elle et ses poulains. Et de même pour toutes nos juments. Ce ne sont pas toujours les chevaux avec les pedigrees les plus à la mode qui deviennent les meilleurs.

Richard Howley préfère les étalons confirmés pour son programme d'élevage. © Mélina Massias

“J’ai une vraie superstar de cinq ans”

Parmi vos jeunes chevaux, pensez-vous que se cachent un ou plusieurs diamants pour le futur ? 

Oui. J’ai récemment accueilli un très bon sept par Diamant de Semilly, Skyfall OS (mère par Heartbreaker), en partenariat avec Oakingham Stud. Il nous appartient désormais en copropriété. Je pense qu’il s’agit d’un très bon cheval. J’ai aussi une fille d’Andiamo Semilly qui est géniale (Gloria du Bary, née chez Marina Storgato, ndlr). Dans la génération des six ans, j’ai un chouette Kashmir, et j’ai une vraie superstar de cinq ans. C’est une jument incroyable, une fille de Stakkato Gold. C’est un vrai chat. Je pense qu’elle va être brillante dans quelques années.

Pour les besoins de votre élevage, vous avez régulièrement recours à l’ICSI, une technique qui se démocratise de plus en plus. Qu’en pensez-vous personnellement ?

Je pense qu’il nous faudra encore quelques années avant de tirer de vraies conclusions et de savoir si l’ICSI peut, ou non, faire ressortir le meilleur chez les juments. Beaucoup d’anciens éleveurs disaient que les meilleurs produits des juments sont ceux qu’elles ont eu lorsqu’elles étaient jeunes, pas âgées. On tâtonne. Le pedigree est le pedigree. Nous utilisons l’ICSI, et cela fonctionne pour nous, mais il faut attendre d’avoir davantage de recul avant d’affirmer s’il s’agit de quelque chose de vraiment bénéfique et d’un progrès, ou s’il vaut mieux laisser les juments porter naturellement leurs poulains.

Avec Consulent de Prelet, Richard Howley bénéficie d'un sacré complice. © Mélina Massias

Photo à la Une : Richard Howley à Lyon. © Mélina Massias

La troisième et dernière partie de cette interview est disponible ici.