“J’ai travaillé très dur pour en arriver où j’en suis”, Tiffany Foster (2/2)
Toujours souriante, Tiffany Foster fait définitivement partie des favoris du public. À Herning, l’amazone de trente-huit ans a déroulé une excellente performance, la meilleure de sa carrière, aux rênes de son cher Figor. En terminant douzième en individuel, la Canadienne a signé un retour réussi en grand championnat, six ans après sa dernière apparition, aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, en 2016. Ravie du comportement de son complice à quatre jambes, dont elle a pris les rênes dès 2017, alors qu’il n’avait que sept ans, la première cavalière du monde revient sur leur rencontre, mais aussi sa performance, et celle de son escouade nationale, désormais encadrée par Éric Lamaze. Talentueuse, travailleuse et engagée pour son sport, celle qui a débuté sa carrière en hunter, avant d’atteindre les sommets grâce à sa persévérance et son ambition, retrace son parcours aussi atypique qu’inspirant. Elle évoque également la place des femmes dans le monde du saut d’obstacles, l’avenir des Coupes des nations, la prochaine édition des Jeux olympiques et sa passion pour la décoration d’intérieur. Deuxième et dernier épisode de cet entretien.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous êtes devenue, au mois de juin, la meilleure cavalière du monde pour la première fois de votre carrière, et vous êtes de retour dans cette position sur la Longines ranking d’août. Que cela représente-t-il pour vous ?
J’ai appris il y a longtemps qu’il est important dans ce sport, du fait qu’il soit très difficile, de se fixer des objectifs que l’on peut atteindre et commencer à partir de là. C’est donc quelque chose que j’avais ciblé. Même si c’est un sport égal, je trouvais que devenir la meilleure cavalière du monde était une belle référence et beaucoup plus simple que de dire d’entrer “je veux être numéro un mondiale”, alors j’ai commencé par être la femme la mieux classée du monde. Maintenant, je peux essayer d’être numéro un tout court. C’était un objectif majeur pour moi et je suis vraiment fière de l’avoir rempli. J’espère pouvoir continuer comme ça, parce qu’il y a encore beaucoup de place et de marches à gravir dans le classement mondial (rires).
Alors que beaucoup d’équipes sont composées d’hommes dans le sport de haut niveau, le Canada prend le contre-pied et a aligné, à Herning, quatre femmes. Comment peut-on expliquer cette domination féminine au pays de l’Erable ?
Nous avons un groupe de cavalières très fortes au Canada. Si on regarde le classement mondial, nous sommes probablement le pays le plus fort pour les femmes. Dans le top 150 ou 200, je parie qu’il y a plus de Canadiennes que d’amazones de n’importe quel autre pays. Je ne connais pas la raison exacte à cela. Évidemment, nous avons de supers cavalières canadiennes, et je pense que nous sommes tout simplement toutes très coriaces (rires).
Les jeunes filles et femmes sont souvent plus nombreuses que leurs homologues masculins dans les catégories Jeunes. Pour autant, la tendance semble s’inverser avec le temps. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?
J’ai réfléchi à cela car on m’a souvent posé cette question. Honnêtement, si l’on observe notre sport, cela prend énormément de temps avant d’arriver au sommet. Même s’il y a quelques exceptions avec de plus jeunes pilotes, la plupart des cavaliers dans le top 10 ont la trentaine, la quarantaine, voire plus (en août, la moyenne d’âge du top dix s’élève à un peu moins de trente-sept ans, Martin Fuchs, le numéro deux mondial, étant le plus jeune du haut de ses trente ans, et Conor Swail, cinquante et un ans, le plus âgé, ndlr). À un moment donné, beaucoup de femmes doivent prendre une décision pour savoir si, oui ou non, elles souhaitent fonder une famille, ou si elles veulent continuer dans le sport pour grimper en haut de ce classement. Les hommes n’ont pas à faire ce choix : s’ils veulent avoir une famille, des enfants, tout peut se dérouler pendant qu’ils continuent à aller en concours tous les week-ends. Mais, en tant que femme, ce n’est pas possible. Il faut choisir entre les deux. Je pense que cela évince de nombreuses cavalières qui auraient pu être compétitives et poursuivre dans cette voie. Ce n’est pas que les femmes ne peuvent pas parvenir à figurer au sommet du classement mondial, n’ont pas le talent ou la motivation pour le faire, non, cela prend juste tellement de temps pour devenir bon ! Dans d’autres sports, on peut atteindre son plein potentiel lorsqu’on a une vingtaine d’années. Cela permet ensuite de prendre du temps pour sa famille. En équitation, il faut continuer sur la durée pour devenir suffisamment performant, et il y a une fenêtre temporelle à respecter si l’on veut faire autre chose. Ce n’est que ma propre théorie, mais je pense que cela explique en partie pourquoi beaucoup de femmes disparaissent au très haut niveau.
“En fin de compte, je paye moi-même pour mon sport depuis que j’ai huit ans (rires)”
Vous venez d’une famille complètement extérieure au monde du cheval. Quel a été votre premier souvenir en rapport avec les chevaux ?
J’ai toujours adoré les chevaux, et je me suis investie dans cet univers pour une raison que j’ignore. Mon père était pompier et ma mère travaillait dans l'aéronautique. Tous deux, ni aucun membre de notre famille, n’avaient de contact avec les chevaux. J’ai juste aimé ces animaux dès le début. Mes parents m’avaient offert un cheval à bascule pour mes un an. Je ne m’en souviens pas vraiment, mais j’ai vu des vidéos où je le chevauchais ; je ne voulais plus en descendre. Ensuite, pour mes anniversaires, j’allais me promener à poney ou faire des activités de ce genre. J’ai toujours été une petite fille complètement folle des chevaux (rires).
Il paraît que vous avez tourné dans des spots publicitaires pour financer votre passion, dès un très jeune âge…
Oui ! (rires) Comme nous n’avions pas beaucoup d’argent, ma mère a commencé à se demander comment nous allions pouvoir payer des cours d’équitation. Quand j’ai eu huit ans, j’ai commencé à faire des pubs pour des jouets de petite fille. Je faisais cela le week-end, ou n’importe quand, en fonction de leur programme. J’en ai fait environ trente-cinq. En fin de compte, je paye moi-même pour mon sport depuis que j’ai huit ans (rires).
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à quelqu’un qui se trouve dans une situation similaire à celle que vous avez vécue et aimerait se frayer un chemin vers le haut niveau ?
J’ai eu beaucoup d’opportunités en étant un peu plus jeune, car je travaillais en tant que stagiaire. Je payais pour mes leçons en rendant des services. J’ai passé beaucoup de temps aux écuries. J’ai longtemps été groom, avant de devenir cavalière. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il est facile de se comparer aux uns et aux autres et de se sentir en retard, parce que telle ou telle personne saute déjà telle hauteur, ou qu'un tel fait déjà ci et ça, etc. Si on ne vient pas d’une famille, soit impliquée dans le milieu, soit avec de l’argent, la réussite n’arrivera sans doute pas rapidement. Cela prendra du temps et il faudra travailler dur. J’ai travaillé très dur pour en arriver où j’en suis. Je n’ai fait que du hunter jusqu’à mes vingt et un ans, donc j’ai presque commencé sur le tard. Lorsque j’ai commencé à travailler pour Éric (Lamaze, ndlr), je n’avais jamais sauté plus d’1,20m. Si l’on n’a pas l’historique pour nous rendre la vie facile, cela prend juste un peu plus de temps, mais tout le monde doit savoir que ce n’est pas grave. C’est un sport que l’on peut pratiquer longtemps et c’est ok que tout n’arrive pas en une nuit ou qu’on ne saute pas des grosses épreuves très jeune. C’est bien sûr un avantage d’affronter ces parcours assez tôt, d’apprendre à aller vite, mais ce n’est pas indispensable. Il y a d’autres options et c’est possible d’y arriver. Il faut s’accrocher, être conscient que cela demandera des efforts, mais si on aime ce sport, cela finira par payer.
“J’espère que les organisateurs vont pouvoir conserver les Coupes des nations en tant qu’épreuves importantes de notre sport”
Vous êtes vice-présidente du groupe des cavaliers nord-américains, et impliquée au sein du club international des cavaliers de saut d’obstacles (IJRC). Est-ce important pour vous de défendre les intérêts de votre sport ?
Je n’aime pas me plaindre de quelque chose alors que je ne fais rien pour changer les choses. Monter et faire tout ce que nous faisons représente une grande charge de travail, mais nous devons aussi jouer notre rôle [sur le plan politique]. Si on n’essaye pas d’avoir une voix, ou du moins d’exprimer nos volontés, alors nous ne sommes pas vraiment légitimes pour faire savoir lorsque quelque chose nous déplaît. J’essaye donc d’être dans une position où j’ai mon mot à dire, et la possibilité de communiquer avec la FEI (Fédération équestre internationale, ndlr). Ainsi, nous pouvons échanger et essayer d’améliorer notre sport. Si les cavaliers ne sont pas impliqués, il est difficile pour les instances de savoir ce que nous voulons. Il est parfois frustrant que les changements n’arrivent pas aussi rapidement que nous l’aimerions, mais j’essaye de m’impliquer autant que je le peux, de façon à ce que je ne puisse jamais dire que je me plains en ne faisant rien.
Comment fonctionnent ces groupes de parole ?
Le groupe des cavaliers nord-américains est un comité plutôt sain. Nous pouvons discuter des sujets importants pour nos cavaliers, et nous relayons nos besoins à l’IJRC, avec qui nous entretenons de bonnes relations. Cette année, nous avons évoqué avec la FEI l’éventualité de créer un autre groupe pour les cavaliers panaméricains, afin de donner un peu plus de poids aux cavaliers d’Amérique du sud, du nord et centrale. Nous avons des préoccupations un peu différentes de celles des Européens. L’IJRC a un point de vue plus européen, mais tout le monde est assez ouvert à cette possibilité. C’est en cours.
Ces dernières années, le sport fait face à de nombreux défis. En 2021, le nouveau format olympique, qui réduit, entre autres, les équipes à trois couples, a fait débat. Plus récemment, la FEI a évoqué la possibilité de modifier les Coupes des nations. Que pensez-vous de tout cela ?
J’ai le sentiment que le format olympique est un sujet un peu épineux. À mon sens, le plus important est que notre sport reste aux Jeux olympiques. Pouvoir dire que nous sommes des athlètes olympiques nous donne beaucoup de crédibilité dans le monde. Personnellement, je ne suis pas en total accord avec le format et j’aimerais que des changements puissent être apportés, notamment au sujet du dropscore. Je pense qu’il y avait des possibilités pour cela. Cependant, je suis certaine que la FEI fait son maximum pour s’assurer que nous restions un sport olympique. Le fait que la compétition par équipe revienne avant l’individuelle va être bénéfique pour les chevaux, mais cela reste perfectible. Avec le Covid, les JO [de Tokyo] ont été repoussés d’un an et il n’y a pas eu beaucoup de temps pour plancher là-dessus et mettre en œuvre quelque chose de complètement nouveau. J’aime à croire qu’ils travaillent dessus pour Los Angeles (où auront lieu les JO de 2028, ndlr), mais, encore une fois, je soutiens le fait que nous fassions notre maximum pour rester parmi les disciplines olympiques.
Concernant les Coupes des nations, la question est difficile… En faire un circuit global est délicat, parce que l’intérêt est totalement différent en fonction des zones géographiques dans le monde. Une règle qui s’appliquerait et fonctionnerait bien en Europe ou en Amérique du Nord ne marcherait pas nécessairement aussi bien à l’autre bout du monde. Je pense qu’il faut qu’il y ait un peu de flexibilité dans tout ça. Sur certains concours, c’est super que la Coupe des nations soit le dimanche. Cela en fait l’événement phare de la semaine. À Vancouver, mon concours maison, c’est le choix qui est fait. Cela donne plus d’importance à la Coupe des nations et je pense que c’était le but. Mais, à La Baule par exemple, le public est aussi incroyable le vendredi que le dimanche pour le Grand Prix. Dans ce cas, il est plus logique de conserver cette programmation. C’est mieux pour les chevaux et cela rend la Coupe des nations et le Grand Prix importants. Pour les sponsors, il s’agit sans doute d’un fonctionnement plus intéressant aussi. Il y a de la place pour progresser sur ce sujet. Personnellement, j’adore les Coupes des nations et ces épreuves sont toujours ma priorité. Toutefois, je comprends un peu pourquoi elles ne sont plus trop à la mode. J’espère que les organisateurs vont pouvoir trouver une solution et conserver les Coupes des nations en tant qu’épreuves importantes de notre sport.
Enfin, en dehors des chevaux, avez-vous d’autres centres d’intérêts ?
Il s’avère que je fais beaucoup de décoration d’intérieur. Je le fais pour moi, mais aussi pour des amis. Je n’ai pas vraiment le temps d’en faire un métier à proprement parler, mais ce serait tout à fait possible. Cela me plait vraiment beaucoup. C’est un peu mon exutoire, qui me permet d’exprimer ma créativité. Je me suis occupée de pas mal de maisons. Ces dix dernières années, j’ai passé beaucoup de temps en Belgique, où je trouve beaucoup d’inspiration. J’achète pas mal de choses ici et je les ramène à la maison (au Canada, ndlr). C’est mon petit amusement.
Photo à la Une : Tiffany Foster et Figor à Herning. © Sportfot