Dire que la fabuleuse Legacy, née Chavantele et dixième des Européens de Riesenbeck en 2021, a fait sensation ces dernières semaines serait un euphémisme. Sous la selle de Daniel Coyle, la représentante du stud-book Zangersheide a remporté deux étapes du circuit de la Coupe du monde Longines coup sur coup, à Leipzig et Amsterdam, juste après avoir achevé l’année 2023 sur deux très belles notes, à Genève puis Londres. Dans l’ombre du succès de ce duo ultra compétitif, un groom : Greg DeBie. Discret, passionné et attentif au moindre détail, cet ancien chef cuisinier a le bonheur de s’occuper de Legacy depuis cinq ans et de partager ses succès en tout genre. Pour Studforlife, il revient sur un mois de janvier riche en réussite, mais aussi sur sa relation et sur le caractère de sa pépite.
Chef dans divers restaurants il y a une poignée d’années, Greg DeBie s’est fait rattraper par l’amour des chevaux il y a cinq ans. En janvier, il a sans doute vécu l’un, si ce n’est le plus beau moment de sa vie de groom, en remportant, aux côtés de Legacy, née Chavantele, et Daniel Coyle, les deux Grands Prix de la Coupe du monde Longines de Leipzig et Amsterdam. “C’est un super sentiment ! Nous savions que Legacy était dans une bonne période lorsque nous sommes allés à Genève puis Londres. À Leipzig et Amsterdam, nous savions qu’elle était en pleine forme. Remporter ces deux victoires d'affilée est juste irréel”, s’émeut le soigneur.
Neuvième du Grand Prix de Genève, puis passée à un cheveu de la victoire dans l’étape de la Coupe du monde de Londres avant de prendre sa revanche dans le Grand Prix secondaire le lendemain, la belle Legacy, fille de Chippendale et fleuron de l’élevage de Romain Rotty, a prouvé toute l’étendue de son talent. “Avant Genève, elle avait eu quelques semaines plus tranquilles sans sauter. Nous sommes venus en Europe depuis le continent américain et il lui a fallu un ou deux concours pour se remettre dans sa routine. À la fin du CSI 5*-W de Londres, elle volait. Elle a gardé cet état de forme à Leipzig et je me suis dit qu’elle serait peut-être un peu moins dans le coup à Amsterdam. Et puis, elle est arrivée au concours très fraîche et totalement prête ! D’ailleurs, on en a eu la preuve”, poursuit Greg DeBie. “Il n’y avait pas grand-chose pour Legacy en Amérique du Nord. Notre plan était donc de prendre part à ces concours en Europe avec elle, dans l’espoir d’obtenir de bons résultats et une victoire dans l’un d’eux. Finalement, nous avons vécu quatre événements phénoménaux. À Leipzig et Amsterdam, la qualité des couples qualifiés pour le barrage était folle. Il y avait donc une chance pour que nous soyons battus. Leipzig a sans doute été le pire pour nous, car nous étions sixièmes à partir et il y avait encore sept couples après nous. Attendre le passage de ces très bons cavaliers donne des maux de ventre ! Mais Daniel avait tout donné. Alors, si quelqu’un parvenait à nous battre, c’était amplement mérité. Avant le barrage d’Amsterdam, Legacy était très fraîche. Je me suis dit que nous avions une bonne chance parce qu’elle semblait déterminée. J’espérais qu’il y aurait un bon sans-faute à aller chercher avant notre passage au barrage et c’était le cas. Daniel est allé le chercher et cela a payé.”
Des chevaux aux fourneaux… aux chevaux !
Il y a encore quelques années, Greg DeBie était bien loin de s’imaginer triompher à Leipzig et Amsterdam, en compagnie d’un des meilleurs couples cavalier-cheval de la planète. Et pour cause ! “J’ai toujours été entouré de chevaux. Mon père avait des chevaux de courses et était cavalier. J’ai grandi en pratiquant à mon tour l’équitation et je me suis tourné vers le saut d’obstacles. J’ai commencé à travailler et groomer dans ce milieu très jeune. J’ai fait des concours et ai même monté en Europe. J’ai travaillé pour un vétérinaire pendant un temps, pour qui je montais aussi à cheval. Il y a une dizaine d'années, j’ai intégré une école culinaire et j’ai quitté le monde équestre”, révèle le Canadien, originaire de l’Ontario. Diplômé, Greg DeBie exerce alors en tant que chef dans plusieurs établissements, avant de se faire rattraper au grand galop par… les chevaux. “Environ un an et demi avant le début du Covid, j’ai éprouvé le besoin de faire une pause dans ma vie de chef. Un ami, vétérinaire aux écuries Lothlorien, m’a fait savoir que la structure était à la recherche d’un nouveau groom et qu’elle ne trouvait pas son bonheur. Il m’a conseillé de tenter ma chance et de m’éloigner de la cuisine pendant un an. J’y suis allé et j’ai rencontré Ariel (Grange, propriétaire de Legacy et des écuries Lothlorien, ndlr). À ce moment-là, je ne savais même pas qui était Daniel ! J’avais quitté ce monde pendant dix ans. Il m’a fallu un peu de temps pour me remettre dans le bain, mais tout est allé très rapidement ensuite. Daniel et moi nous sommes tout de suite bien entendus. Lui et moi, ainsi que tous nos chevaux, avons une super connexion. Et puis, il y a eu le Covid et je devais retourner au restaurant, mais je suis resté avec les chevaux. Je devais prendre un an de coupure et cela fait cinq ans que je suis ici ! Je ne pense pas aller ailleurs de sitôt. Ces trois dernières années, nous avons connu de beaux succès. J’ai pu prendre soin de chevaux fantastiques. Legacy est juste unique.”
Unique, la relation qui unit la géniale baie de quatorze ans à son groom et son cavalier l’est tout autant. Reine des écuries, la belle semble se bonifier avec le temps, un peu à la façon du bon vin. En tout cas, ses récentes performances sont tout sauf anecdotiques et semblent être le reflet d’un système peaufiné et d’une entente parfaite avec ceux qui l'entourent.
Un trio qui roule
“J’ai toujours su que Legacy était une bonne jument. Je pense que nous avons eu un peu de malchance lors de belles compétitions, où il a commis une ou deux fautes, mais je savais qu’elle finirait par gagner de grandes choses. Et elle a encore beaucoup de choses à gagner !”, reprend Greg DeBie. “Nous l’avons beaucoup économisée. Nous ne l’avons pas engagée dans beaucoup d’épreuves et l’avons préservée pour les échéances majeures. Une fois le moment venu, cela ne fonctionnait pas vraiment. À l’hiver 2022, lorsque nous avons enchaîné The Royal Fair de Toronto, Thermal, en Californie, et Fort Worth au Texas, et qu’elle a remporté les trois Grands Prix, nous avons eu un déclic et avons compris que plus Legacy est dans le bain, mieux elle est. Avant, nous étions très précautionneux quant aux épreuves qu’elle disputait. Désormais, nous savons qu’elle est plus performante lorsqu’elle reste active et dans le travail. Elle aura un peu de repos prochainement, puis nous verrons quel est le plan pour cette saison.” À cela s’ajoute une routine bien huilée les jours de compétition. “Ces deux dernières années nous nous sommes rendu compte que le fait de la monter le plus tôt possible le matin lui convenait bien. Ensuite, cela me laisse toute la journée pour m’occuper d’elle. Je lui mets une couverture massante, utilise un laser et lui propose de marcher en main pour se détendre. Ensuite, je fais en sorte de lui laisser autant de temps seule que possible avant l’épreuve. De cette façon, elle peut se détendre et cela semble bien fonctionner pour elle. Beaucoup de cavaliers préfèrent monter plus tard et plus proches de leur épreuve, mais cela ne convient pas trop à Legacy. Lorsque je passe mes journées à ses côtés en respectant ce fonctionnement, elle est très compétitive”, souligne celui qui connaît le mieux la baie.
Si cette nouvelle recette de soins et de travail, avec une quarantaine de parcours disputés dans l’année - contre près de soixante pour Beau de Laubry ou une cinquantaine pour Landon, né Crack de Nyze, en 2023 - semble être l’une des clefs de la réussite de Legacy, son étroite connexion avec son groom n’est pas non plus étrangère à son succès. “Je m’occupe de Legacy depuis cinq ans, donc nous nous connaissons bien tous les deux. C’est un personnage ! Et je lui passe beaucoup de choses ! (rires) Elle a des idées bien arrêtées et j’essaye de ne pas lui imposer trop de contrôle, de la laisser s’exprimer. Elle ne franchit jamais la ligne rouge et n'essaiera jamais de me mordre, par exemple. Elle montre son petit caractère quand on la brosse ou la prépare, mais je la laisse faire. Elle n’aime pas qu’on lui dise quoi faire ni comment travailler. Mais je la laisse avoir ses propres opinions. Lorsqu’elle est en piste avec Daniel, je veux vraiment qu’elle soit capable de prendre des décisions s’il y a besoin. Et je ne pense pas que lui dire constamment quoi faire soit la bonne solution. Legacy adore Daniel ! Il lui arrive de se mettre en selle et qu’elle parte en ruant dans l’allée ou sur la piste, mais Daniel rigole et continue de chantonner. Nous la laissons être elle-même. Je ne sais pas si cela lui donne envie de nous aider et de gagner pour nous, mais c’est assurément une super jument”, sourit le Canadien. “À l’inverse, lorsqu’on s’assoit à côté de Legacy, elle est extrêmement câline et affectueuse. Legacy est également très indépendante : elle n’a besoin de personne et va au concours d’elle-même. Qu’elle soit entourée de dix autres chevaux ou qu’elle soit seule, elle est égale à elle-même. Elle adore son travail. Je pense qu’elle sait qu’elle nous rend heureuse en sortie de piste et qu’elle veut faire de son mieux pour nous à chaque fois. J’ai une très bonne relation avec elle, si bien que je peux dire à Daniel comment elle sera en piste. Parfois, je lui conseille de monter avec un peu plus d’intensité. D’autres, je lui dis ‘quoi que tu fasses, elle sautera et ne te laissera pas tomber’.” Ces derniers mois, Legacy a tout sauf laissé tomber son entourage. Celle qui a encore tant de monuments et de médailles à conquérir pourrait bien devenir une très grande dame de son sport et offrir mille et unes émotions de plus à son ange gardien, Greg DeBie.
Photo à la Une : Greg DeBie et sa fidèle Legacy, ici à Dublin. © Sportfot