“Il est primordial d’avoir d’autres centres d’intérêts, afin que notre seule source de satisfaction ne soit pas notre métier”, Denise Moriarty (1/2)
Derrière la folle année de Kent Farrington, qui a remporté pas moins de neuf Grands Prix 5*, dont sept avec sa seule Contina 47, alias Greya, pour près de deux millions et demi d’euros de gains, se cache toute une équipe, dont la cheffe de file se nomme Denise Moriarty. Au fil des années, l’Irlandaise a choyé Uceko, Gazelle Ter Elzen, Voyeur, Creedance, Austria 2, et prend désormais le plus grand soin de Greya, Toulayna van het Bloesemhof et leurs comparses. Depuis plus d'une décennie, la trentenaire arpente le monde aux côtés de montures de talent. Après avoir déjà goûté au rang de numéro un mondial de mai 2017 à mai 2018, son cavalier a retrouvé le sommet de la hiérarchie mondiale cette saison. L’occasion d’en apprendre plus sur le parcours de la sympathique et inépuisable groom ainsi que sur sa vision des choses.
Depuis seize ans, Denise Moriarty, qui a fêté son trente-huitième anniversaire en novembre, consacre sa vie aux chevaux. Une soif de voyage, l’amour des animaux et une opportunité qui ne se refuse pas font aujourd’hui d’elle la groom des montures du meilleur cavalier de saut d’obstacles de la planète : Kent Farrington. Née en Irlande, où la culture équestre est très développée, la trentenaire est rapidement tombée amoureuse des équidés… sans raison évidente. “Je n’ai pas grandi entourée de chevaux. Ce n’est pas du tout un univers dans lequel baigne ma famille”, avoue d’entrée Denise, rencontrée entre deux épreuves au CHI de Genève, mi-décembre. “J’ai commencé à monter à cheval lorsque j’avais neuf ou dix ans, puis j’ai travaillé dans le centre équestre du coin.”
Avant de prendre son envol, la passionnée rejoint d’abord les bancs de la faculté. “Je suis allée à l’université en Irlande. J’ai suivi des études pour devenir auxiliaire vétérinaire et j’ai obtenu mon Master. Lorsque j’ai eu terminé mon cursus, je voulais voyager. Mais je ne pouvais pas me le permettre financièrement. Alors je me suis dit que j’allais partir travailler aux Etats-Unis et concilier mon envie de découverte avec mon métier”, poursuit-elle.
Après une première expérience professionnelle sur ses terres natales, Denise, qui a toujours su qu’elle voulait être groom, traverse l’Atlantique. Sur le continent américain, elle œuvre d’abord pour le compte de Marilyn Little, cavalière états-unienne ayant longtemps combiné la pratique du concours complet et du saut d’obstacles à haut niveau et classée lors de ses quatre derniers Grands Prix 5* cette saison avec La Contessa 12 ! “J’aimais simplement les chevaux et être à l’extérieur. Je préfère un métier physique ; je trouve cela beaucoup plus simple à appréhender que de rester assise toute la journée dans un bureau”, sourit-elle. Dans les écuries Raylyn, Denise croise un certain Kent Farrington, qui monte des chevaux pour ses employeurs de l’époque. De fil en aiguille, l’Américain propose à la jeune femme de rejoindre son équipe. Ce qu’elle accepte, en 2012. Depuis, la soigneuse est restée loyale à son cavalier, dont elle est devenue le bras droit à mesure que les années ont défilé. “J’ai toujours aimé travailler sur le long terme, peu importe les écuries où je me trouvais. En rejoignant Kent, je ne pensais toutefois pas que notre collaboration durerait aussi longtemps ! C’est une belle aventure”, savoure Denise, autodidacte dans ce métier. “J’ai appris sur le tas, des personnes pour lesquelles j’ai travaillé, de mes erreurs et en observant mes pairs en concours”, ajoute-t-elle.

Denise Moriarty a vu défiler un paquet de cracks dans sa carrière professionnelle en tant que groom. © Mélina Massias
Une longévité qui force le respect
Dans une profession exigeante à tout point de vue et éreintante, en particulier en Europe et durant l’hiver, où les journées interminables s’enchaînent chaque semaine avec des épreuves de plus en plus tardives, la longévité de Denise Moriarty force le respect. “Ce métier peut être fatigant, mais nous prenons aussi du repos et du temps pour nous, ce qui permet de trouver l’équilibre”, assure l’Irlandaise, qui reconnaît toutefois devoir faire des sacrifices. “Les chevaux requièrent toute notre attention vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. En concours, comme ici à Genève, je suis souvent seule avec eux. C’est donc à moi de tout gérer. Alors, forcément, il faut faire certains sacrifices, mais cela fait partie du métier : les chevaux sont des êtres vivants, qui peuvent être imprévisibles”, rappelle-t-elle à raison.
Pour autant, sa passion, élément indispensable à cette vie à mille à l’heure, n’a jamais été altérée et est restée aussi ardente qu’à la première heure, même des années plus tard. Son secret ? “Aimer ce que l’on fait et aimer travailler avec les chevaux”, répond-t-elle, avant d’ajouter : “Les journées sont longues, on ne compte pas ses heures et les déplacements sont nombreux. Je pense que le plus important est de savoir reconnaître lorsqu’on commence à être trop fatigué et contrarié. À ce moment-là, il faut savoir prendre une pause, avant d’atteindre une forme de point de rupture. Il me semble aussi primordial d’avoir d’autres centres d’intérêts et de pouvoir profiter de moments pour soi, afin que notre seule source de satisfaction ne soit pas notre métier. Pour ma part, j’aime courir. C’est une bonne forme de libération. J’essaye toujours de trouver du temps pour partir en vacances, ou juste pour me ressourcer. Le reste du temps, j’apprécie voir mes amis et profiter de moments avec eux.”
S'écouter : voilà peut-être l'un des secrets de la longévité de Denise Moriarty. © Sportfot
Dans les airs ou sur la route, les chevaux en leitmotiv
“L’Irlande me manque”, admet aussi la bonne fée de Greya, Toulayna et tous les autres. “C’est un pays magnifique où vivent nombre de mes amis et ma famille. Mais sans aucun doute, l’Amérique est aussi devenue ma maison.” C’est d’ailleurs sur ce continent que la trentenaire passe la plupart de son temps, malgré des virées régulières en Europe, pour lesquelles elle prend l’avion… avec les chevaux ! “J’adore être avec mes chevaux, dans n’importe quelle situation. En vol, les journées sont longues, mais voyager avec eux est agréable. Ils sont habitués à prendre l’avion et se comportent tous bien dans cette situation. En étant avec eux, on peut s’assurer que tout est fait parfaitement. Cela est important pour moi, d’autant plus pour des concours comme Genève”, détaille Denise.
De l’autre côté du globe, la plupart des déplacements se font aussi par les airs, notamment en raison des grandes distances qui séparent les différentes compétitions des points de base des cavaliers. “Lorsque nous concourons en Californie par exemple, les chevaux prennent l’avion. Nous, grooms, ne pouvons pas embarquer à bord de ces vols, sur lesquels les présences humaines sont strictement régulées. Il y a toutefois des personnes qualifiées qui veillent sur nos chevaux. Par la route, les trajets sont vraiment extrêmement longs aux Etats-Unis : les voyages en avions sont beaucoup plus simples pour les chevaux. En Europe, je ne conduis pas moi-même. Kent préfère embaucher un chauffeur, afin que nous ne soyons pas fatigués en arrivant en concours. J’ai de la chance de ne pas avoir à conduire !” Une bénédiction dont encore trop peu de grooms peuvent se vanter. La plupart d’entre eux enchaînent les week-ends de compétition aux quatre coins de l’Europe, sans compter leurs heures, la fatigue, ni la charge mentale qu’implique le fait d’assurer le transport d’animaux ayant une telle valeur, sentimentale mais aussi financière.
Si les chevaux voyagent quasiment exclusivement en avion aux Etats-Unis, en Europe, Denise Moriarty n'a pas besoin de conduire, Kent Farrington préférant embaucher un chauffeur pour cette tâche ô combien importante. © Sportfot
Familière des deux systèmes, européen et américain, Denise leur trouve à chacun des avantages et des inconvénients. “J’ai grandi avec le système européen, au sein duquel j’ai appris mon métier. J’ai le sentiment qu’il y a un peu plus de camaraderie en Europe entre les grooms. Le système est un peu différent et renvoie un certain esprit de famille”, analyse l’Irlandaise. “Aux Etats-Unis, la plupart du temps, lorsque nous allons en concours nous restons au même endroit pendant au moins trois semaines. Les choses sont donc un peu différentes. En Amérique, lorsqu’on a fini le travail, on peut sortir faire autre chose car les magasins sont toujours ouverts ! À l’inverse, en Europe, une fois les soins des chevaux terminés, tout est souvent fermé. Sur les deux continents, je pense que la communauté des grooms est très unie : tout le monde voyage ensemble et nous veillons les uns sur les autres. Il y a quelques différences, mais en fin de compte, le sport reste le même, où qu’on soit dans le monde.”
Avoir une voix
Si elle a vécu Genève à l’heure américaine, le programme des épreuves ne lui ayant, de fait, pas posé trop de problème, Denise reconnaît volontiers que la création ou plutôt l’application de règles plus strictes quant aux horaires des épreuves serait la bienvenue. “Aujourd’hui, c’est trop. Il y a trop de soirées d’affilée avec des épreuves tardives. Une fois par semaine en indoor, cela est acceptable. Mais tous les soirs, cela fait beaucoup. Les cavaliers et le public partent une fois l’épreuve terminée, mais nous, grooms, restons pour nous occuper des chevaux et cela prend du temps. Et le matin, nous devons nous lever pour les nourrir ! On l’oublie souvent”, rappelle à raison l’Irlandaise. “Cela étant, je me dis toujours que si l’on veut faire ce métier, on doit le faire jusqu’au bout et bien.”

L'Irlandaise garde une passion intacte pour son métier et les chevaux. © Mélina Massias
La seconde partie de cet article sera disponible demain sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Depuis plus d'une décennie, la silouhette de Denis Moriarty suit celle de Kent Farrington dans ses plus beaux succès, comme cette année à Genève. © Mélina Massias







