Les épreuves de saut d’obstacles des Jeux olympiques de Paris ont débuté avec la première qualificative par équipes, jeudi 1er août à Versailles. Dix nations se sont qualifiées pour la finale collective de vendredi. Membre de l’équipe de France et habitué à côtoyer les prétendants aux titres olympiques chaque week-end, Emeric George dressera le bilan de chaque étape de cette échéance majeure pour Studforlife. Dans cette deuxième chronique, retour sur le premier parcours proposé aux couples, les faits marquants de la journée et les pronostics pour les premières médailles à décerner.
Le parcours de la qualificative par équipes
"J’ai trouvé que le parcours proposé par Santiago Varela et Grégory Bodo était une belle réussite. Le parc d’obstacles est soigné, fleuri, sans être extrêmement massif. Le matériel est assez léger, clair, et l’erreur ne pardonne pas. Comme évoqué mercredi, le parcours était d’une extrême finesse. Je pense que chaque obstacle était positionné d’une manière bien précise. Tout était réfléchi. La rivière a posé quelques difficultés en début d’épreuve, mais je pense qu’elle a surtout induit des fautes en fin de parcours, comme ce fut le cas pour Simon Delestre. J’ai l’impression qu’il a été obligé de la monter fortement et, pour moi, cela explique les deux fautes commises en fin de parcours. J’ai eu le sentiment qu’il y avait eu un parcours avant la rivière et un après pour Simon. Le triple en toute fin de parcours, avec une palanque rose au milieu, si fragile, était très fautif et demandait beaucoup de maîtrise technique et de sang-froid, sans être dangereux. Je dirais que le parcours commençait comme un Grand Prix 4* et finissait au niveau d’un Grand Prix 5*. Dans le contexte des Jeux olympiques, au-delà de la difficulté technique, il y a un enjeu très particulier et cela suffit en lui-même à commettre des fautes. À travers ce premier parcours, on a bien vu qu’il régnait une tension particulière."
Pas de surprise pour quatre-vingts pourcents des équipes qualifiées
"Par rapport aux pronostics évoqués mercredi, huit des dix nations que j’imaginais qualifiées pour la finale le sont effectivement. Le Mexique, que j’avais classé dans le chapeau 2, faisait toutefois partie des pays tout proche du groupe de tête. Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, le Mexique a peut-être pris la place du Brésil, plus que celle de la Suisse. Le Mexique était en tout cas un vrai challenger, tandis qu’Israël était davantage un outsider. On avait évoqué des surprises, et il y en a eu. Finalement, quatre-vingts pourcents des équipes que l’on pouvait assez facilement imaginer en finale le sont."
La désillusion de la Suisse et du Brésil
"J’analyserai les cas de la Suisse et du Brésil différemment. Le Brésil a véritablement subi un coup du sort. Je n’étais pas sur place et je n’ai pas vu Nimrod de Muze, mais une légère trace de sang aurait valu son élimination. Cela se joue sûrement à pas grand-chose. Le Brésil avait enregistré un sans-faute et un parcours à quatre points. Avec Rodrigo Pessoa et Major Tom à suivre et une marge de quatre fautes, même si je ne peux pas augurer de ce qu’ils auraient fait, je pense que le Brésil aurait eu sa place en finale.
Le cas de la Suisse est différent. D’une manière assez inexplicable, les trois chevaux suisses étaient en dessous de leur niveau habituel. Personne ne s’attendait à ce que les Suisses échouent à se qualifier, pas même eux. La jument de Steve Guerdat, Dynamix de Bélhème, était très anxieuse, plus que d'habitude. C’est une jument proche du sang et, donc, sensible de nature. Cela constitue habituellement l’une de ses plus grandes qualités, mais, aujourd’hui, cela semble s’être retourné contre elle. J’ai trouvé Vancouver de Lanlore méconnaissable. Pour moi, il formait avec Pius Schwizer un couple fiable, sûr. J’ai trouvé Vancouver moins brillant que d'habitude et Pius emprunté, contracté. Peut-être que la performance surprenante de Steve a joué. On l’a vu chez les nations favorites ; lorsque des piliers comme Simon ou Steve font huit points, cela met tout de suite beaucoup de pression sur le deuxième cavalier car, à ce stade, on se dit déjà qu’il n’y a plus le droit à l’erreur. Martin Fuchs s’est ensuite retrouvé dans une situation pénible. Quand tout part un peu de travers, il faut faire un sans-faute coûte que coûte. Là aussi, il y a eu de la contraction chez Martin, ce que l’on peut comprendre. Son cheval a plutôt bien sauté, mais cela n’a pas suffi aujourd’hui. Pour moi, la Suisse a connu un jour sans. Je pense que l’on pourrait refaire dix fois cette qualificative ; neuf fois sur dix, la Suisse se qualifierait. Mais c’est ce que l’on doit retenir du sport en général : on a beau être favori et très bien préparé, on n’est jamais à l’abri d’une surprise."
Se remobiliser
"Pour connaître un petit peu les cavaliers suisses, je pense qu’ils sauront se remobiliser. Vancouver était à mes yeux un équipier formidable pour l’épreuve par équipes. L’imaginer remporter une médaille individuelle me parait un peu plus osé, même si les couples suisses auront un parcours de moins dans les jambes pour l’individuel. Concernant Martin et Steve, je suis sûr qu’ils vont rebondir. S’ils réalisent un bon parcours de qualification dans l’épreuve individuelle, les choses vont se remettre en place."
Le Mexique et Israël, surprises du jour, et un scénario particulier
"Israël a enregistré deux bons parcours, à zéro et quatre points. Daniel Bluman a réussi à sortir le parcours parfait, au bon moment. Il avait une grosse pression sur les épaules et je dois reconnaître qu’il a été fort mentalement. Le Mexique était bien parti, puis Eugenio Garza Perez, qui est normalement le plus fiable des trois membres de son équipe et qui a été très performant dans des concours majeurs, comme à Aix-la-Chapelle, est un peu passé à côté. Le Mexique fait partie des équipes qui ont réalisé deux bons parcours et un autre plus moyen, sans que cela n’ait été préjudiciable. Cela a été un peu le cas pour la Suède également. Elle était partie parfaitement, mais de manière surprenante pour un cheval aussi expérimenté que lui, Catch Me Not a concédé un refus sur le mur. J’ai eu l’impression qu’il s’agissait presque d’un excès de confiance de la part de Peder Fredricson."
"Nous avons vu un scénario assez singulier avec les troisièmes équipiers. McLain Ward ou Jérôme Guéry, par exemple, ont réalisé des parcours particuliers. Ils se sont retrouvés dans une position presque défensive ; les deux premiers cavaliers de leur nation respective avaient signé des parcours parfaits ou quasi parfaits, et ils avaient le droit à trois ou quatre fautes. Il fallait juste qu’il n’y ait pas de pépin majeur. Finalement, on a vu des parcours avec du temps dépassé, des parcours protégés, voire des parcours de travail et, donc, pas forcément dans le rythme dans lequel on a l’habitude de voir ces couples-là."
Bilan de la première étape
"Pour moi, trois catégories se dégagent après ce premier parcours. Il y a les nations qui ont dominé - je pense à l’Allemagne en premier lieu, à la Belgique, à la Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas - et se sont qualifiées sans jamais trembler. Il y a ensuite les pays comme la France ou la Suède, qui ont sorti deux bons parcours, et un parcours un peu en dessous. Mais cela a suffi pour la qualification. Enfin, il y avait les nations qui n’étaient pas encore prêtes à affronter ce niveau-là, comme la Pologne, l’Arabie Saoudite ou les Emirats arabes unis. J’ai trouvé l’Australie, l’Autriche et le Canada un peu en-deçà du niveau auquel je les imaginais."
Huit nations pour trois médailles et trois favoris qui se dégagent
"Pour la finale, j'identifie à nouveau trois groupes. Tout d'abord un groupe de favoris, dans lequel je mettrais, dans l’ordre, l’Allemagne, la Suède et les Etats-Unis. Je trouve Laura Kraut très solide. Karl Cook et Caracole de la Roque sont dans une dynamique très positive cette saison : ils ont remporté le Grand Prix de Rome et ont terminé deuxièmes de celui de La Baule. Je trouve que Caracole a très bien sauté aujourd’hui, tandis que McLain Ward a fait un tour de travail à quatre points. Il est très fiable et son cheval sautait également bien. Je cite la Suède même si, comme tout le monde, j’ai été surpris par la réaction du cheval de Peder Fredricson. Pour moi, il s’agit d’une péripétie et son cheval est resté dans le coup malgré cet incident. Il a franchi le mur sans problème après son refus. Pour moi, Peder était également dans un rôle défensif. Ce n’est pas un rôle aisé pour les cavaliers : ils n’avaient pas besoin d’être nécessairement sans-faute, mais ne devaient pas faire de bêtise. À force de se dire qu’il ne faut pas qu’une catastrophe arrive, elle finit par arriver. J’ai également trouvé King Edward assez ému en début de parcours. Au bout du compte, il est quand même toujours sans-faute. À Riyad, lors de la finale de la Coupe du monde, il avait aussi montré un peu d’émotion, mais il est tellement respectueux et son cavalier tellement adroit, que cela finit très souvent par passer malgré quelques excès de sensibilité et de réflexes de temps à autre. J’ai donc quand même envie d’y croire. Donc l’Allemagne, la Suède et les USA me semblent un peu au-dessus des autres."
"Derrière, il y a un groupe de cinq équipes qui sont de vraies challengers, avec la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la France. Je pense que la France avait une pression énorme aujourd’hui. La visite vétérinaire et le forfait de Viking d’la Rousserie a sûrement un peu perturbé tout le monde. À la veille d’un grand championnat, les athlètes cherchent à ce que tout se passe comme prévu, qu’il n’y ait pas d’accroc. Un incident comme celui-ci met tout le monde plus ou moins sous tension en fonction du caractère de chacun. Ce n’est, en tout cas, pas de nature à détendre l’atmosphère. La peur de passer à côté de la finale par équipe joue aussi. La France est qualifiée et je pense que l’on va vraiment voir la pleine mesure des trois couples tricolores. Avec le sentiment du devoir accompli, même si on attend une médaille de la France, je pense que les Bleus peuvent se libérer et faire partie des challengers sérieux. Ils ne seront peut-être pas parmi les trois favoris, car ceux cités précédemment me semblent vraiment un cran au-dessus, mais ils auront une carte à jouer. Je vois huit équipes dans la course pour trois médailles. En une manche, avec barrage en cas d’égalité de points, cela devrait être très serré."
À quoi s’attendre pour la finale par équipes ?
"Maintenant qu’un premier tri a été fait, que les Jeux olympiques sont lancés et que les dix meilleures nations ont été retenues pour la finale, je m’attends à un très, très gros parcours vendredi. J’imagine quelque chose d’extrêmement difficile, pas dans le sens de la dangerosité, mais à des obstacles hauts, fragiles, des enchaînements délicats, fins, très exigeants sur le plan technique. Je pense que l’on va avoir un vrai, vrai parcours, d’autant plus quand on voit que celui d’aujourd’hui était déjà très sérieux. Il n’y aura qu’une manche pour départager tout le monde et cela va sûrement être très corsé. Je pense qu’on assistera sûrement à un barrage, sans savoir pour quel métal ni entre quelles équipes. Il y a huit équipes qui ont de solides arguments pour obtenir une médaille. Nécessairement, il va y avoir embouteillage et très certainement barrage !"
Photo à la Une : Emeric George salue notamment la prestation de Karl Cook et Caracole de la Roque. © Benjamin Clark / FEI