En juillet dernier, André Thieme a signé l’une, si ce n’est la plus belle victoire de sa carrière. Déjà sacré champion d’Europe et lauréat de plusieurs Grands Prix CSIO 5* avec sa reine Chakaria, née Carelia chez la famille Jürgens, l’Allemand s’est imposé au cœur de la Mecque des sports équestres, à Aix-la-Chapelle. Une victoire doublement symbolique, intervenue alors que le cavalier de la Mannschaft s’était laissé submergé par la pression olympique trois jours plus tôt. À Calgary, André Thieme et son alezane tenteront de doubler la mise et de poursuivre leur route sur le Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles. L’occasion d’en apprendre plus sur la fille de Chap I et de revenir sur l’importance de l’équipe qui entoure ce pétillant duo. Interview.
Après votre victoire dans le Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle, comment vous sentez-vous à l’abord du CSIO 5* de Calgary, étape du Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles ?
Lors de ma victoire à Aix-la-Chapelle, j’espérais être sélectionné pour les Jeux olympiques avec l’équipe allemande. Je n’ai donc pas vraiment eu le temps de fêter ce succès. Mais bien entendu, cette victoire était incroyablement spéciale. J’ai réalisé qu’il me faudrait devenir champion olympique pour égaler cette victoire ! Gagner le Grand Prix Rolex du CHIO d’Aix-la-Chapelle était un conte de fée pour moi, le rêve d’une vie devenu réalité.
À quel point votre victoire à Aix-la-Chapelle a été spéciale pour vous et votre équipe ?
Elle a été très spéciale. Quand j’ai commis deux fautes dans la Coupe des nations, mon équipe a été terriblement déçue, car nous savions que cela signait probablement la fin de mes espoirs olympiques. Mais, lorsque j’ai gagné le Grand Prix Rolex dimanche, tout a changé et nous avons tous été heureux, ravis de cette victoire ! Toute l’équipe n’avait de cesse de me dire que c’était encore mieux que d’aller aux Jeux olympiques !
“À l’écurie, on ne devinerait jamais que Chakaria est une telle star !”
Qu’est-ce qui rend votre jument, DSP Chakaria, née Carelia, si spéciale ? Comment décririez-vous son caractère ?
À l’écurie, on ne devinerait jamais que DSP Chakaria est une telle star ! Elle est la plus calme, détendue et tranquille qu’il soit. Elle est un peu timide avec les gens, elle aime rester seule et peut très bien rester à dormir toute la journée dans son box. Mais dès qu’on lui met une selle sur le dos et qu’on la fait galoper et sauter, elle s'anime. C’est comme si on allumait une grosse machine ! D'un cheval calme et doux, DSP Chakaria se transforme en véritable feu d’artifice sous la selle.
Quand je la monte, elle se grandit, elle a beaucoup d’énergie et elle peut parfois être assez fougueuse. Elle n’a pas toujours été facile à monter ; j’avais parfois du mal à avoir un contact stable et à garder mes jambes au contact. Ces cinq dernières années, nous avons travaillé pour qu’elle reste calme et détendue au moment de sauter. Elle a tellement de puissance et d’énergie qu’il était parfois difficile de réaliser un parcours fluide. Ces deux dernières années, nous avons beaucoup progressé dans le travail sur le plat et j’ai connu d’incroyables réussites avec elle. Nous avons remporté le Grand Prix Rolex du CSIO 5* de Rome, le titre de championnat d’Europe individuel et d’autres Grands Prix 5* à travers le monde.
Chakaria a toujours été une super partenaire mais, cette année, les choses sont devenues plus faciles. Gagner le Grand Prix Rolex à Aix-la-Chapelle est quelque chose d’inoubliable pour un cavalier ; c’est comme décrocher une médaille individuelle dans un championnat. Je sais bien ce que cela veut dire, et je sais que tous les cavaliers du monde veulent ce titre. Chakaria a rendu tout cela possible, elle est vraiment spéciale.
Je pense que ce qui la rend si spéciale, c’est qu’elle a toutes les qualités. J’ai déjà eu des chevaux respectueux avec des moyens, mais Chakaria a les moyens, le respect, la vitesse, la souplesse, la puissance et surtout l’endurance, ce qui en fait une véritable jument de championnat. Même après cinq jours de compétition, elle est toujours fraîche et efficace. Plus elle saute, plus elle est en forme. À Aix-la-Chapelle, le Grand Prix était ses quatre, cinq et sixième parcours de la semaine. Plus elle saute, mieux elle est. Chakaria a toutes les qualités que l’on peut souhaiter. Elle n’a pas vraiment de point faible ; elle est vraiment extraordinaire.
Quelle importance revêt la relation cheval-cavalier pour espérer briller au plus haut niveau et, pourquoi pas, tenter de remporter le Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles ?
Je suis persuadé, et je l’ai toujours dit, que les cavaliers ne peuvent faire de grandes choses en saut d’obstacles que s’ils ont une forte relation avec leur cheval. Tout est une question de confiance. Il faut que notre cheval ait envie de se battre pour nous. J’adore Chakaria, et bien sûr, les grandes victoires jouent là-dessus, mais depuis le début, il y a quelque chose de spécial avec elle. J’ai dû être très prudent avec elle quand elle était plus jeune, pour ne pas aller trop vite, car elle était un peu difficile au début de notre relation. Nous avons évolué et grandi ensemble, ce qui, je pense, fait une différence. Et je suis à peu près sûr qu’elle m’aime bien aussi !
“J’essaie de faire mon métier en gardant l’esprit ouvert et en apprenant de tous les grands cavaliers”
Le Grand Prix CPKC ‘International’ de Spruce Meadows, présenté par Rolex, est souvent décrit comme l’un des parcours les plus difficiles au monde. Comment vous êtes-vous préparé, et comment avez-vous préparé Chakaria pour cet événement ?
J’ai emmené Chakaria à Calgary, mais je ne suis pas sûr de la monter dans la Grand Prix. J’ai déjà concouru aux ‘Masters’ du CSIO de Spruce Meadows de nombreuses fois, et je sais que certains des meilleurs chevaux de championnat n’y sautent pas au mieux. Le style traditionnel des obstacles et les longs parcours ne conviennent pas à tous les chevaux. Spruce Meadows est spécial, mais même d’excellents chevaux comme King Edward Ress (monture du Suédois Henrik von Eckermann, ndlr) ne sautent pas aussi bien là-bas. C’est pourquoi je ne suis pas encore sûr du cheval que je monterai dans le Grand Prix. Chakaria aime sauter sur herbe et elle est tellement courageuse et motivée que je pense qu’elle s’en sortira très bien. Je pars en tout cas avec de grands espoirs.
Dans votre carrière, qui vous a le plus inspiré et pourquoi ?
Quand j’étais enfant, j’admirais des gens comme Ludger Beerbaum, et aujourd’hui, je monte avec des cavaliers comme Christian Ahlmann, Marcus Ehning, Daniel Deusser et Steve Guerdat. J’essaie de m’inspirer d’eux également. J’essaie de faire mon métier en gardant l’esprit ouvert et en apprenant de tous les grands cavaliers, et il y en a beaucoup. Mais en même temps, je pense qu’il est important que les cavaliers se concentrent sur leurs points forts et qu’ils montent aussi avec leur propre stratégie. Je ne pourrais pas vraiment nommer un cavalier particulier qui aurait été ma plus grande inspiration, mais j’ai été, et je suis toujours, inspiré par nombre de mes pairs. Le plus important reste que je m’efforce toujours d’apprendre et de progresser.
“Chaque grande victoire est collective”
Quel rôle jouent les membres de votre équipe, les grooms, les vétérinaires et autres personnes clefs, dans votre réussite ?
Tout commence chez moi, avec ma famille. Ils traversent beaucoup de choses en raison de toutes les compétitions auxquelles je participe et de tous les efforts consentis pour obtenir des places dans les épreuves par équipe ou en grand championnat. Participer à des championnats apporte une pression différente et joue sur notre mental d’une manière différente de d’habitude. Ma famille me soutient dans ces moments difficiles où je me comporte peut-être différemment, avec plus de stress que d’habitude. Ils m’entourent, mais me laissent ma liberté et m’apportent une stabilité essentielle.
Ensuite, bien entendu, les grooms, les cavaliers maison, les managers et tous ceux qui m’entourent sont très importants. Ils préparent tout et me permettent de participer aux concours et de me concentrer uniquement sur mes chevaux, tout en s’occupant de ce qui se passe à la maison. Notre sport nécessite un important travail d’équipe, et je pense que chaque victoire est collective. Les chevaux sont essentiels également ; sans un bon cheval, il n’y a pas de grande victoire.
Je n’ai jamais vraiment eu d’entraîneur, à part mon père quand j’étais plus jeune, donc quand je gagne un concours comme le Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle, c’est vraiment une victoire pour mon équipe et moi.
Selon vous, quel impact a eu le Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles sur le monde du saut d’obstacles, et quelle importance revêtent pour vous les tournois majeurs comme le CHIO d’Aix-la-Chapelle pour le saut d’obstacles ou Wimbledon pour le tennis ?
Je pense qu’il est très difficile de gagner le Grand Chelem Rolex de saut d’obstacles. Seul Scott Brash y est parvenu en 2015. Et c’est encore plus difficile de nos jours, car il y a tellement de cavaliers et de chevaux qui peuvent gagner un Majeur. Je ne sais pas s’il est possible qu’un cavalier le remporte à nouveau. Cependant, la possibilité de tenter de gagner ce circuit fait une grande différence dans notre discipline. Il ne s’agit pas seulement du montant de la dotation, mais le titre de gagnant du Grand Chelem Rolex de saut d’obstacles, ou de l’un des quatre Majeurs, est vraiment quelque chose de spécial, un peu comme gagner une médaille d’or aux Jeux olympiques ! C’est un peu comme le grand Chelem au tennis : tout le monde veut le gagner, mais la plupart échouent, seuls les plus grands athlètes y parviennent, et ils entrent dans l’histoire de leur sport. Pour gagner un Majeur, il faut être le meilleur des meilleurs, cela ne peut pas être un coup de chance.
Si vous n’étiez pas cavalier de saut d’obstacles, quel métier exerceriez-vous ?
J’ai été un très bon joueur de football étant plus jeune. À une époque, j’ai donc rêvé d’être joueur professionnel. Mais aujourd’hui, ce rêve est bien révolu ! Je ne sais pas trop ce que je serais devenu si je n’avais pas été cavalier de saut d’obstacle, mais j’aurais fait quelque chose lié au sport. Je suis un féru de sport : en plus du football, je regarde et je joue au tennis. Mon fils est joueur de handball, donc je m’intéresse aussi à ce sport. Je passe maintenant beaucoup de temps aux États-Unis et je regarde donc beaucoup la NBA et le basketball.
Photo à la Une : André Thieme n'a pu cacher son émotion après sa victoire à Aix-la-Chapelle, en juillet dernier. Mélina Massias