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“Gagner l’or aux Jeux olympiques de Barcelone avec Classic Touch était très, très spécial”, Marie Johnson (2/2)

Goldfever
mardi 19 décembre 2023 Mélina Massias

Même s’il s’améliore, le métier de groom demeure difficile et usant. Rares sont celles et ceux qui consacrent leur vie entière à prendre soin des chevaux d’un cavalier de haut niveau. Marie Johnson est sans doute l’exception qui confirme la règle. Née en Scandinavie, celle qui a côtoyé Rolf-Göran Bengtsson en compétition a rencontré un certain Ludger Beerbaum au milieu des années 80. Plus de trente ans après, la Scandinave reste un soutien indéfectible du jeune retraité. Des écuries Schockemöhle au développement vitesse grand V du complexe sportif de Riesenbeck, en passant par quatre médailles d’or olympiques, deux titres de champion de monde par équipe, un triomphe en finale de la Coupe du monde, une dizaine de breloques européennes, de multiples succès aux quatre coins du monde et une annonce surprise en juillet dernier à Aix-la-Chapelle, Marie Johnson a tout vécu aux côtés du Kaiser. Retour sur une aventure hors du commun, marquée par pléthore de chevaux d’exception.

La première partie de cet article est à (re)lire ici.

“Je crois que ce que j’aime le plus dans mon métier est de suivre la carrière d’un cheval pendant plusieurs années. Lorsque j’allais en concours, je me suis parfois occupée de chevaux âgés de six ou sept ans, que j’aie ensuite accompagnés toute leur vie. Je trouve que c’est quelque chose de beau. Dans mon cas, j’ai aussi suivi le même cavalier pendant longtemps ! On assiste à leurs changements, à leurs remises en question. Plus on vieillit, plus l’on devient discret et plus l’on pense aux chevaux. On apprend des erreurs commises dans le passé”, analyse la Scandinave Marie Johnson, indéfectible groom du Kaiser Ludger Beerbaum, fraîchement retraité depuis cet été. “Lorsque nous avons quitté les écuries Schockemöhle en 1989, je suis restée une année, et puis, beaucoup de bons jeunes chevaux sont arrivés. Et c’est ce qui a fait la différence. Chez Paul Schockemöhle, il s’agissait d’une écurie de commerce. Il fallait donc gagner un maximum. Lorsque Ludger s’est installé, ce n’était plus le cas. On pouvait prendre le temps, travailler lentement et faire preuve de patience, jusqu’à ce que les chevaux soient prêts, parfois deux à trois ans plus tard. On pouvait prendre le temps de les éduquer et les conserver sur le long terme. Je pense que c’est l’une des raisons qui m’a poussée à rester aussi longtemps. Si je pars, je quitte mes chevaux. On prend tellement soin d’eux, faisons tant pour eux que nous ne voulons pas voir n’importe qui nous remplacer. Désormais, je ne vais plus en concours, mais il y a toujours de super personnes pour s’occuper des chevaux. Surtout, nous pouvons échanger, discuter et résoudre les éventuels problèmes que nous pouvons rencontrer. Il est primordial d’avoir une bonne communication lorsqu’on prend soin des mêmes montures. Et nous avons cela à Riesenbeck. On n’a pas besoin d’adorer les gens avec qui on travaille, mais je ne pourrais pas être entourée de personnes qui ne savent pas évoluer en équipe.”Marie Johnson à Atlanta avec Ratina (gauche), puis avec Casello à Rio (droite), à vingt ans d'écart ! © Collection privée

Des souvenirs par milliers

Parmi tous ces souvenirs, plus fous les uns que les autres, Marie peine à n’en conserver qu’un. “Ne citer qu’un moment est difficile, mais je pense que gagner l’or aux Jeux olympiques de Barcelone avec Classic Touch était très, très spécial. Personne ne pouvait imaginer, même pas dans un rêve, que nous allions gagner”, se rappelle la groom. “C’était un moment très émouvant. Les gens s’attendaient à voir Jos Lansink et Egano ou un autre couple gagner. Nous n’étions même pas sur la short list avant les Jeux ! (rires) Nous sommes allés directement là-bas. Classic Touch avait huit ans ! Après cette médaille d’or, tous les Allemands sont allés faire la fête, mais pas moi. Classic Touch était tellement chaude que j’avais dû m’occuper d’elle sans interruption toute la journée. Je l’avais longée, puis l’avais piontée, etc. J’avais même tressé sa queue, parce qu’elle adorait que l’on s’occupe d’elle. Une fois l’épreuve terminée, j’ai monté un autre cheval qui avait passé toute la journée au box. Mon amie, qui groomait Ratina en même temps et travaillait pour Piet Reijmakers, m’a dit après coup que Leon Melchior était passé à la fête et avait dit ‘Marie vient de gagner les Jeux olympiques et elle monte l’autre cheval. Elle doit être une bonne groom’. Le cheval était plus important que de célébrer cette médaille. Le lendemain matin, je suis rentrée à la maison. Je me suis arrêtée à Lyon avant de rentrer en Bavière, mais, lorsque je suis arrivée, la deuxième fête était déjà terminée ! Nous habitons dans un petit village et il fallait marquer le coup après ce titre. Seulement, j’étais sur la route lorsque cela a eu lieu. Mais peu importe, cela ne me pose pas de problème.” 

Aux Jeux olympiques de Barcelone, Ludger Beerbaum était entouré de Piet Raijmakers, en argent avec... Ratina, et Norman Dello Joio, en bronze grâce à Irish. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Un autre temps fort de sa carrière a particulièrement marqué Marie. “Lorsque nous avons remporté Aix-la-Chapelle avec Goldfever une fois et Ratina deux fois, c’était très émouvant. C’est toujours spécial de s’imposer à Aix. C’est quelque chose de concret pour les cavaliers. On retient les titres européens, mondiaux, olympiques et les vainqueurs du Grand Prix d’Aix-la-Chapelle. Il y a d’autres victoires en Grands Prix dans la carrière d’un cavalier, mais celui d’Aix est particulier”, sourit la soigneuse, qui a vu passer entre ses mains de nombreux cracks qui, chacun à leur manière, ont marqué sa vie. 

Ludger Beerbaum s'est imposé trois fois dans le Grand Prix du mythique CHIO 5* d'Aix-la-Chapelle, dont deux fois avec Ratina. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Marie Johnson et Ratina en toute détente. © Collection privée

“Il m’a fallu un an pour apprendre à monter Goldfever”

Le cheval qui a laissé la plus belle empreinte dans le cœur de Marie est sans doute Goldfever 3, toujours vaillant du haut de ses trente-deux ans. “Ce n’est pas parce que Goldfever est encore en vie que le cite. Il est là depuis le début. Il a d’abord été monté par un autre cavalier, puis ce dernier n’a plus voulu le monter”, raconte-t-elle. “Ludger a récupéré Goldfever et m’a dit d’aller à Brême avec lui. Il pensait que j’allais avoir peur de Goldfever. Et c’était le cas ! À l’époque, Goldfever pouvait avoir des vraies réactions d’étalon. Mais dès que Ludger a commencé à le monter, il n’y avait aucune chance pour Goldfever aille ailleurs. Il sautait tellement bien. Il m’a fallu un an pour apprendre à le monter, parce qu’il passait plus de temps sur deux jambes que sur quatre ! J’ai appris à le connaître, j’ai découvert son fonctionnement et il est devenu agréable avec moi. Pendant les huit ans que nous avons partagés, nous avons traversé le monde. Alors, je pense qu’il était le plus spécial à mes yeux. C’était très spécial. Il n’y a pas si longtemps, il était encore le chef et sautait sur tous les chevaux qui passaient devant lui. Avec l’âge, il est au moins devenu un peu plus calme.”

Marie Johnson et Goldfever au début des années 2000... © Collection privée...Marie Johnson et Goldfever en 2022 ! ©



En revanche, lorsqu’elle est questionnée sur les chevaux qui ont été les plus difficiles à cerner et qui ont constitué le plus grand défi de sa carrière, la Suédoise peine à n’en désigner qu’un. “Il y en a eu beaucoup !”, répond-t-elle en plaisantant. “Ils l’étaient tous à leur manière, mais c’était il y a longtemps. Je peux en nommer plusieurs. Ratina était spéciale. Normalement, j’étais toujours avec elle en concours. Nous avons aussi eu Classic Touch, mais elle n’est restée qu’une courte période, et c’est vraiment regrettable. Rush On était aussi très singulier. Parfois, il se comportait très bien, d’autres fois, c’était tout l’inverse. Gladys était aussi particulière. Ils étaient tous uniques. Je ne peux pas en choisir un seul. C’est avec Ratina que j’ai le plus de photos, sans doute parce que les gens m’en ont données énormément ! Plus récemment, je dois aussi évoquer Chiara. Je n’allais plus en concours, mais Ludger m’a demandé de reprendre pour pallier l’absence d’un autre groom pendant quelque temps. J’ai accepté, et je me suis occupée de Chiara pendant un long moment. Elle était difficile à monter et pour plein d’autres choses, même si elle était adorable. À une époque, nous partagions les concours avec un autre soigneur. Nous nous sommes toujours entendus, puisque nous avions chacun nos favoris. Lorsque Ludger était chaque week-end en concours, je ne pouvais, de toute façon, pas tout faire seule. Pour durer dans ce métier, la seule option est de partager la charge de travail avec quelqu’un d’autre. Cela rend les choses plus faciles.”
Marie Johnson et Chiara à Doha en 2019. © Collection privée

Dans la confidence 

Début juillet, Marie a ajouté un nouveau souvenir à sa collection déjà bien remplie. Sous ses yeux, le cavalier qu’elle suit depuis plus de trente ans a pris sa “retraite” des terrains de compétition. “Ludger m’en avait parlé. Il n’était pas sûr s’il voulait le faire ou non et m’a demandé mon avis. Je lui ai dit de le faire, même si cela était difficile. Quand on y pense, je crois que c’était la bonne décision”, estime celle qui a été sa plus fidèle supportrice tout au long de sa carrière.  “Il a soixante ans, il est tombé à Doha où il s’est cassé la jambe et n’était pas sûr de pouvoir monter à nouveau à haut niveau. À Aix-la-Chapelle, il a bien monté. Il souhaitait s’arrêter au bon moment, pas lorsque les gens auraient commencé à se dire ‘ce vieux cavalier ne peut rien faire’. Et puis, je ne connais pas d’autres personnes qui ont fait une telle annonce à Aix-la-Chapelle. Pierre Durand a fait une tournée d’adieux, mais cela a duré un an. Aix a toujours réussi à Ludger. Nous avons remporté toutes les épreuves majeures. Faire cette annonce en Allemagne, de cette façon et face à ce public était chouette. De toute façon, Ludger continue à faire des petits concours, à monter à la maison et à former des jeunes chevaux. En parallèle, il poursuit le développement de Riesenbeck International. Il a tant fait dans ce sport. La meilleure fin pour lui aurait été de gagner le Grand Prix, mais la concurrence était très relevée.” Et si l’heure a sonné pour le Kaiser de lever le pied sur la compétition, l’aventure continue de s’écrire pour lui comme pour sa groom, Marie Johnson, indéfectible soutien depuis trois décennies.

En annonçant son retrait du haut niveau, Ludger Beerbaum a rendu un bel hommage à Marie Johnson, l'un de ses plus fidèles soutiens. La Scandinave est ici aux côtés d'une autre indéfectible supportrice du Kaiser, Madeleine Winter-Schulze. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Photo à la Une : Classic Touch et Ludger Beerbaum. © Hippo Foto / Dirk Caremans