Depuis son plus jeune âge, Dubaï du Cèdre réussit tout ce qu’elle entreprend. Impeccable lors de ses années de formation, qu’elle a achevées par un titre de vice-championne de France à sept ans avec sa complice Margaux Rocuet, l’alezane s’est confrontée, du haut de ses neuf ans, à ses premières épreuves à 1,55m, fin mai, lors de l’étape du Longines Global Champions Tour de Ramatuelle. Sélectionnée pour sa première Coupe des nations 3* il y a quinze jours, à Gorla Minore, la Selle Français Originel amorce une ascension exponentielle dans sa jeune carrière. À l’origine de cette jument puissante, respectueuse, énergique et dotée d’un caractère de guerrière, un croisement génétique imaginé par Sylvain Pitois et sa compagne, Perrine Cateline, entre des souches connues et reconnues. Portrait en trois épisodes.
“Les nuits de la semaine qui a précédé l’étape du Global Champions Tour de Saint Tropez ont été courtes. J’étais excité comme un jeune premier”, plaisante Sylvain Pitois. En 2013, l’éleveur, kinésithérapeute à la ville, et sa compagne, Perrine Cateline, voit naître dans leurs prairies, sises près de Rennes, en Bretagne, une certaine Dubaï du Cèdre (SF, Baloubet du Rouet x Diamant de Semilly). Au centre d’une génération des “D” particulièrement performante en France, et qui arrivera à point nommé pour les Jeux olympiques de Paris 2024, l’alezane s’est rapidement illustrée, d’abord sur le circuit classique réservés aux jeunes chevaux, jusqu’à toucher du bout du sabot l’élite de la discipline ces dernières semaines.
Née du croisement entre deux des plus grands chefs de races du stud-book hexagonal, Dubaï du Cèdre n’a pourtant pas connu des débuts aisés. À l’image de sa personnalité débordante, qui n’offre aucune minute de répit à son entourage, la jument au caractère affirmé est arrivée sur terre en faisant deux belles frayeurs à ses propriétaires et éleveurs, dès ses premières minutes de vie. “Lorsqu’elle est née, nous avons mis trois-quarts d’heure à la sortir, car elle n’était pas très bien positionnée”, se souvient Sylvain Pitois. “Cela a été un grand moment de stress. À partir de ce moment-là, j’ai décidé de ne plus prendre de risques avec sa mère, Urgada de Kreisker, et mes meilleures souches. Depuis, je ne fais plus que des transferts d’embryons. L’année de la naissance de Dubaï, son père, Baloubet, et son grand-père, Diamant, caracolaient en tête du classement mondial des meilleurs étalons. Nous aurions pu tout perdre.” Un peu plus d’un an plus tard, l’alezane, qui jouit du label Selle Français Originel, se retrouve de nouveau dans une situation angoissante. “À quinze mois, elle a eu une mycose dans un œil. Depuis qu’elle est toute petite, Dubaï a toujours beaucoup aimé manger. La nourriture est très importante pour elle, si bien que lorsqu’elle était pouliche, il arrivait qu’elle essaye de nous taper si nous nous approchions de sa mangeoire lors des repas. Il a fallu mettre les points sur les i, ce qu’elle a rapidement compris. En revanche, elle a trouvé le moyen de se mettre debout pour manger les fruits d’un poirier sauvage. Elle s’est blessée à l'œil et nous avons dû la faire opérer, car sa mycose s’est aggravée. Elle a failli avoir l'œil crevé”, poursuit le Breton. “Désormais, en la regardant de près, on peut voir un petit rond blanc, de huit ou neuf millimètres, au centre de son œil. Heureusement, elle voit très bien et n’a pas de problème. C’est comme si elle avait un petit peu de gras sur ses lunettes. Elle saute toujours bien les obstacles au milieu, et ne se traverse pas du tout devant la barre, donc, il n’y a pas eu de répercussions.”
Des prédispositions génétiques indiscutables…
Hormis ces quelques frayeurs, Dubaï peut se targuer de disposer d’une génétique de haute volée. La réputation de son géniteur, triple vainqueur de la finale de la Coupe du monde avec le Brésilien Rodrigo Pessoa, champion olympique en 2004 à Athènes et père de moulte champions, n’est plus à prouver. Côté maternel, il en va de même, puisqu’Urgada de Kreisker n’est autre que la propre sœur d’un certain Quickly de Kreisker, fidèle complice du Marocain Abdelkebir Ouaddar jusqu’aux Jeux olympiques. “Je recherchais des pouliches pour démarrer mon élevage. J’avais vu que cette pouliche-là était à vendre chez Guillaume Ansquer (à la tête de l’élevage de Kreisker, ndlr). Elle avait alors un an. En parallèle, j’avais repéré Quickly à trois ans, lors des ventes Fences (en 2006, ndlr). Il sautait très bien et sa mère, Briseis d’Helby avait déjà une bonne production au niveau local (outre Quickly, la regrettée poulinière a notamment engendré Iliade, Javelot et Kouros d’Helby, crédités d’un ISO 155, 173 et 161, ndlr). Elle avait beaucoup de produits qui tournaient très bien à 1,45m. Alors, lorsque j’ai vu cette pouliche, issue du croisement entre Diamant (Le Tôt de Semilly x Elf III) et Laudanum (PS, Boran x Montaval), qui fonctionne très bien, nous avons pris notre voiture et sommes allés la voir, à l’autre bout de la Bretagne, à trois-cents kilomètres de chez nous. C’était une pouliche avec des rayons et souple. Elle correspondait bien à ce que je recherchais : des juments avec de l’envergure et du sang. C’était parfait”, révèle Sylvain Pitois. La visite vétérinaire passée avec succès, Urgada, alors âgée d’un an, grandit tranquillement dans les prairies de l’élevage, aux côtés d’une certaine Ushuaïa (SF, Gentleman IV x O Malley), première de la dynastie “du Cèdre” et qui sera sacrée championne de France Amateur Élite avec Énora Couturier. “Nous n’avons même pas fait débourrer Urgada, qui s’est directement consacrée à la reproduction à trois ans”, ajoute l’éleveur. Kannan (KWPN, Voltaire x Nimmerdor) sera ainsi son premier prétendant. La belle baie donnera naissance à Casablanca du Cèdre en 2012. Vendue à l’étranger, comme bon nombre des premiers “du Cèdre”, la Selle Français deviendra à son tour poulinière, en Italie. “Au début, nous avons beaucoup exporté nos poulains. Avant d’acheter, les Français veulent avoir des références. La souche de Dubaï reste jeune, puisqu’Urgada n’a que quatorze ans. Donc la plupart de nos produits ont rejoint des pays limitrophes de la France”, précise Sylvain Pitois.
Après Kannan, Baloubet du Rouet (SF, Galoubet A x Starter) est choisi pour Urgada. “Ce croisement, entre la lignée de Le Tôt, et celle de Galoubet (SF, Almé x Nystag, TF), ont donné d’excellents chevaux, à l’image d’Itôt du Château (SF, Le Tôt de Semilly x Galoubet A) ou Orient Express (SF, Quick Star x Le Tôt de Semilly), par exemple. Le Tôt (SF, Grand Veneur x Juriste) et son fils, Diamant (mère par Elf III), ramènent le côté classique du Selle Français, tandis que Galoubet apporte un peu d’électricité et de sang. Bingo Ste Hermelle, récent vainqueur du Grand Prix de Cannes avec Daniel Deusser, est aussi issu de ce croisement-là, puisque c’est un fils de Number One d’Iso (SF, Baloubet du Rouet x Si Tu Viens) avec une mère par Diamant. Bref, cette association a abouti à plein de cracks. Cela ne donne peut-être pas des chevaux aussi chics que ceux du Holstein, mais ce sont de vrais chevaux de concours, avec de la force et du sang”, justifie l’éleveur breton.
Après Dubaï, est né, cette fois en transfert d’embryon, Estoril du Cèdre, un fils de Jarnac (SF, Ryon d’Anzex, AA x J’t’Adore). Vendu aux Pays-Bas, le chic bai fait le bonheur de ses propriétaires : la famille Nijhof, à la tête d’une grande station d’étalons, et Jack van der Lay. Concentré sur l’élevage dans ses jeunes années, le mâle attaque sérieusement le sport à l’âge de huit ans. “Il commence à sortir sur 1,45m. Il se promène vraiment sur ces hauteurs-là. Il n’est pas toujours sans-faute en raison de son manque de métier, mais c’est un crack”, assure son naisseur. “Il est de la même trempe que Dubaï. Avoir deux chevaux de ce calibre sur les quatre premiers produits d’Urgada est déjà exceptionnel." En 2014, est aussi venu au monde Eljadida (Kannan), suivi, à un an d’écart, par Firenze (Toulon), Filadelfia (Quick Star) et Fluor du Cèdre Carva (Toulon). Si certains sont partis à l’étranger, et que d’autres s’attellent à faire fructifier l’affixe “du Cèdre”, il est encore trop tôt pour avoir du recul sur la dizaine des plus jeunes poulains et pouliches d’Urgada.
Cependant, Sylvain Pitois n’a pas remarqué de différence flagrante entre les poulains nés de transferts d’embryons et ceux portés par sa poulinière star elle-même. Bien au contraire. “On peut penser que certains traits de caractère relèvent de l’acquis. Mais ils ne le sont pas. Par exemple, tous les poulains d’Urgada tapent dans leur mangeoire. On pourrait croire qu’il imite leur mère d’adoption, mais pas du tout. Si la porteuse est très calme, mais que les parents biologiques sont nerveux, le poulain le sera aussi. Et inversement. Il arrive que certaines porteuses ne soient pas très proches de l’homme, alors que le poulain l’est davantage, à l’image de ses origines”, analyse-t-il.
… mises en lumière au-dessus des barres
Au-delà de son papier prestigieux, Dubaï s’est rapidement révélée pétrie de qualités. “Lorsque nous l’avons testée sur les barres en liberté, à deux et trois ans, nous avons tout de suite vu qu’elle quittait très bien le sol, de façon très rapide et avec une bonne frappe. Elle a également beaucoup de force dans le jarret”, loue Sylvain Pitois au sujet de sa protégée. “En revanche, elle a un style un peu atypique. Pour autant, elle compense cela avec son respect et sa force. Elle a une grande, grande intelligence de la barre. En liberté, elle n’a jamais fait tomber de barre, quels que soient les dispositifs que j’ai pu lui présenter. Elle parvient à se sortir de toutes les situations. En parcours, si elle saute deux fois les mêmes obstacles, lorsqu’il y a un barrage ou deux manches, comme dans les Coupes des nations, elle ne commet jamais deux fois la même faute. Elle se corrige systématiquement, et avec beaucoup de marge. Elle a force, respect, sang et intelligence de la barre.”
Débarquée à quatre ans dans les écuries du marchand et ancien cavalier Bruno Rocuet, l’alezane a suivi une formation classique et une progression constante. D’abord confiée aux rênes de Côme Couturier pour quelques parcours de découverte en 2017, Dubaï a rejoint la selle de Valentin Besnard l’année suivante. Auteure d’une saison proche de la perfection à cinq ans, avec à la clef une participation à la finale nationale de Fontainebleau, la Selle Français réitère à six ans, avec la même régularité. Impressionnante, la fille de Baloubet du Rouet a finalement manqué son rendez-vous bellifontain, commettant une faute dans la première qualificative, puis une autre en finale. Sur le coup, Sylvain Pitois a regretté cette issue, qu’il aurait aimé plus radieuse pour sa jument. “À six ans, elle n’avait fait quasiment que des sans-faute. Valentin a tellement voulu bien faire pour la finale qu’il a mis un peu plus de pression que d’habitude. Mais, quand on voit ce qu’il s’est passé derrière, on ne peut pas le regretter. Je trouve cela un peu dommage, mais, d’un autre côté, si elle avait décroché un classement à Fontainebleau, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui. Quelqu’un aurait pu mettre beaucoup d’argent sur la table et nous contraindre à ne pas la garder auprès de nous. Finalement, c’était peut-être un mal pour un bien”, tempère le Breton.
La deuxième partie de cet article est disponible ici.
Photo à la Une : Margaux Rocuet et sa Dubaï du Cèdre à l'Hubside Jumping de Grimaud. © Sportfot