“Djibouti est un cheval qui a tout pour sauter à Paris en 2024”, Bruno Rocuet (2/2)
Depuis ses deux titres de champion de France, décrochés à Fontainebleau grâce à Ghana du Gast et Hatlantika, l’écurie Rocuet enchaîne les résultats. Si ces jeunes espoirs profitent désormais des herbages en attendant le printemps prochain, leurs aînés à l’expérience plus importante ont pris la relève avec brio. Alors que l’année 2022 touchera à sa fin à l’occasion d’une escapade ensoleillée, d’abord à Vilamoura ce week-end, puis à Oliva ensuite, Bruno Rocuet, marchand, cavalier et éleveur reconnu, dresse le bilan des derniers mois écoulés. De l’arrivée de la pépite Nicolas Layec en tant que cavalier jeunes chevaux dans son fief, à la progression de sa fille, Margaux Rocuet, et des espoirs fondés en Djibouti de Kerizac, le Breton se projette avec lucidité sur l’avenir. Interview en deux volets.
La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.
Quid de Djibouti de Kerizac, en qui vous fondez de grands espoirs depuis toujours ?
Djibouti est vraiment le meilleur cheval de l’écurie. Nous l’avons fort préservé. Nous avons beaucoup d’ambitions pour lui. Il ne sautera pas du tout à l’intérieur cet hiver. Il ira à Vilamoura, puis finira l’année à Oliva. Les propositions pour Djibouti sont plus qu’alléchantes. De toute évidence, et sans être prétentieux, Djibouti est un cheval qui a tout pour sauter à Paris en 2024. Vu l’identité des personnes qui nous appellent et les propositions que nous recevons, je ne suis pas le seul à penser qu’il est au-dessus de la moyenne. Mais nous restons calmes. Dans ma carrière, je n’ai, certes, pas fait les Jeux olympiques, mais j’ai eu la chance d’avoir des chevaux qui m’ont permis de disputer des Coupes des nations, de monter à Aix-la-Chapelle, d’aller à New York et de faire le tour du monde. J’aimerai que Margaux ait aussi cette opportunité. Aujourd’hui, tout cela est plus ou moins réservé aux riches, mais nous avons toujours un réservoir important de chevaux. Cela nous permet de faire des choix. Nous vendons de très bons chevaux, mais, à mon âge, je peux aussi me faire plaisir et faire plaisir à Margaux ainsi qu’à mon cavalier. Cela rend tout le monde heureux. Maintenant, nous savons tous ce qu’est un cheval. Tout peut arriver. Margaux enregistre de très bons résultats. Cet été, nous avons été un peu en dessous, mais nous avons beaucoup protégé nos neuf ans. Nous n’avons pas voulu trop leur en demander, parce que nous pensons qu’ils ont vraiment un grand futur. Par exemple, il est arrivé que Djibouti ne court pas le barrage de belles épreuves à 1,50 ou 1,55m à plusieurs reprises. Il n’a pas non plus sauté sur l’herbe. Nous faisons attention et j’espère qu’il nous le rendra.
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“Plus il y a d’enjeux, mieux Margaux monte”
L’an prochain, les championnats d’Europe Longines de Milan seront une étape déterminante en vue de l’échéance qui obsède tout le monde : les Jeux olympiques de Paris 2024. Pensez-vous à ces deux événements pour Margaux et comment jugez-vous vos chances d’y prendre part ?
Je suis souvent en discussion avec la Fédération française d’équitation, et notamment avec Sophie Dubourg et Henk Nooren. Ils ont forcément la pression pour cette échéance, mais aussi de l’ambition pour l’équipe de France. Leur souhait premier est de sélectionner des cavaliers d’expérience, qui ont déjà disputé les Jeux olympiques, ou un autre grand championnat. Avec le nouveau format (qui réduit les équipes à trois couples plus un réserviste, ndlr), il n’y a pas beaucoup de place. Tous semblent d’accord pour dire que Djibouti a la classe nécessaire pour une telle échéance, mais ils estiment qu’il sera peut-être trop tôt pour Margaux, notamment par rapport à la pression. Ils n’ont pas fait le forcing, mais ils auraient bien aimé pouvoir compter sur Djibouti, en le confiant par exemple à un cavalier plus aguerri. C’est une option que nous n’allons pas prendre. Nous avons fait le sacrifice de le conserver jusqu’à maintenant. Margaux a tout de même fait des championnats depuis qu’elle est toute petite. Elle a été sacrée championne d’Europe Children à douze ans, à Istanbul (en 2006, ndlr). Jusqu’à son année de Jeunes Cavaliers, elle a disputé plusieurs championnats d’Europe (en 2008, 2009, 2011 et 2014, ndlr). À Paris, il faudra tenir la route avec le nouveau schéma olympique. On peut rêver, mais je suis tout sauf un rêveur.
Je connais Margaux et je sais que, plus il y a d’enjeux, mieux elle monte. Elle avait d’ailleurs remporté le championnat des sept ans avec Djibouti. Ce n’est pas la pression des Jeux olympiques, mais Margaux n’est pas quelqu’un qui va craquer. Donc, pour l’instant, Djibouti fait beaucoup, beaucoup d’envieux. Je reçois sans arrêt des coups de téléphone du monde entier. C’est un très, très bon cheval, qui, en plus, est facile à monter. 'est un super soldat. Il n’est pas délicat et tout le monde saurait l’interpréter en piste. On pense aux Jeux sans vraiment y penser. Avec l’échéance qui approche, plus l’inflation sur le prix des chevaux, de l’embryon au trois ans en passant par le foal, la valeur de Djibouti ne fait que grimper. L’année prochaine, je pense qu’elle sera optimum. Mais nous restons calmes. À l’âge que j’ai, je peux dire, entre guillemets, que j’ai réussi. La vente de Djibouti ne changerait pas ma vie et je ne me mettrais pas à rouler en Porsche. Je suis très satisfait de mon statut actuel. Je ne suis ni riche, ni pauvre, mais je ne suis pas dans le besoin. Je ne cours pas après cette vente. J’ai un manège, une maison et je mange à ma faim. Cela mettrait peut-être Margaux et sa sœur, Juliette, à l'abri. En plus, je n’ai jamais été très bon dans mes achats lorsque j’avais de l’argent à débourser. J’ai presque été meilleur lorsque j’ai débuté avec zéro que lorsque j’avais le budget pour acheter des chevaux. Je me grattais la tête, je faisais les petites annonces, allais sur Leboncoin, feuilletais les revues, etc. Ce n’est pas parce qu’on achète un cheval cher qu’il est obligé d’être bon. Nous voyons tout le temps des chevaux payés des fortunes qui ne confirment pas. Bien évidemment, l’argent aide, mais il faut aussi être malin, ou du moins plus que les autres. Et cela m’amuse ! J’aime fouiner, ouvrir mes yeux et mes oreilles. C’est ma façon de faire. Avec la passion, l’envie et de belles rencontres, j’ai eu la chance d’avoir des cracks, qui m’ont permis d’arriver où j’en suis aujourd’hui.
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Monter Djibouti doit être génial, mais une fois le parcours achevé ! Lorsqu’on monte un très bon cheval, tout le monde nous attend au tournant. Il est tellement au-dessus du lot… J’imagine la pression que cela doit être d’être sur un cheval de cette trempe. Un fois, lors d’un entraînement à la maison, je l’avais fait monter à Kevin Staut en lui disant que la route était encore longue en raison de son jeune âge. Il m’avait répondu “oui, mais elle est quand même beaucoup moins longue pour lui que pour les autres”. Je suis gaga de ce cheval, mais on voit qu’il a un truc en plus. Il a une très belle manière et domine son sujet. À sept ans, à Fontainebleau, il y avait lui et les autres. Une chose est sûre : nous l’aurons préservé, peut-être même trop. Je trouve cela tellement rare d’avoir un cheval comme lui. Nous le respectons énormément et le piquet de Margaux s’articule autour de lui.
“L’aventure de Dubaï aux écuries Rocuet s’arrête là, mais son fiston va prendre la relève”
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Dubaï du Cèdre vient de rejoindre les écuries de l’actuel meilleur cavalier français. On imagine, au-delà de la perte sportive, que ce départ doit particulièrement toucher Margaux. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
Nous savions que le départ de Dubaï était une éventualité. Nous comprenons la décision de ses propriétaires. Dans ma carrière, j’ai moi-même prêté des chevaux à des cavaliers d’un niveau supérieur au mien, ou qui pratiquaient le très grand sport. L’an dernier, j’ai confié Iliade et Bulgarie d’Engandou à Kevin Staut. Nous ne serons donc pas frustrés si Dubaï gagne avec son nouveau cavalier, qui s’est comporté en vrai gentleman. Nous pratiquons le haut niveau, mais il nous reste une marche à gravir par rapport aux cavaliers qui évoluent en 5* tous les week-ends. Dubaï était la jument de cœur de Margaux. Elle était chez nous depuis sept ans et nous aurions aimé finir proprement la saison. Nous avions le CSIO de Vilamoura au programme, puis un ou deux autres week-ends à Oliva avant une période de repos. Je pense que nous n’étions pas à quinze jours ni un mois près.
Je suis marchand, mais c’est surtout sur l’aspect sentimental que cette décision a été difficile à accepter. Le cœur de Margaux a toujours penché pour cette jument. Forcément, la pilule est un peu dure à avaler, mais cela est arrivé à d’autres et arrivera encore. Nous accusons un peu le coup, ce qui est normal, mais la carrière de Margaux ne s’arrête pas là, puisqu’elle peut toujours compter sur Djibouti, Coolcream Berence, qui a été très performante ces derniers mois à 1,50m, Lady Lulu 2, ou encore une crack de huit ans : Elektra des Premices (Kannan x Carthago). Elle montera également l’an prochain Girogio (Louvo, George x Quintus D’09, ndlr), qui est, je pense, un très, très bon cheval.
J’aime les belles histoires, même s’il n’y en a pas beaucoup dans les chevaux. Il y a quelques années, j’ai donc acheté une saillie de Dollar de la Pierre, et nous avons réalisé un transfert d’embryon avec Dubaï. Cela a donné l’étalon Joli Cœur du Cèdre, qui a servi cent-vingt juments cette année. Il était le seul Selle Français Originel de son âge et était stationné à Saint-Lô. J’ai racheté les parts de ses éleveurs. Il va donc poursuivre sa formation à la maison. C’est encore un bébé, mais nous espérons continuer à écrire l’histoire, peut-être à l’avenir sous la selle de Margaux. L’aventure de Dubaï aux écuries Rocuet s’arrête là, mais son fiston va prendre la relève. Quelque part, c’est bien, pour Margaux comme pour nous, de pouvoir ouvrir une nouvelle page du livre et retenir le positif.
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Photo à la Une : Margaux Rocuet et l’excellent Djibouti de Kerizac. © Mélina Massias