Vainqueur du Grand Prix CSIO 5* de Dublin en août dernier, artisan de la deuxième place de l’équipe de France lors de la finale du circuit des Coupes des nations Longines de Barcelone début octobre, ou plus récemment troisième de l’étape de la Coupe du monde Longines de Stuttgart, Brazyl du Mezel, emmené par le Normand François-Xavier Boudant, est l’une des révélations de cette année 2023. Derrière les succès de l’alezan au grand cœur, né chez Lucien Hecht, Céline et Lionel Maurice, ses propriétaires, vivent un rêve éveillé. Retour sur le destin croisé d’un couple de passionnés et d’un “miracle” aux allures de champion.
Dimanche 13 août. En Irlande, la RDS Arena, hôte du CSIO 5* de Dublin, vibre au rythme d’un Grand Prix de haute volée. Seul couple tricolore au départ d’un barrage à douze, François-Xavier Boudant et Brazyl du Mezel s’élancent en troisième position. Le Normand et son hongre laissent tous les obstacles sur les taquets et coupent les cellules en 38”15. Les barragistes se succèdent, mais personne ne parvient à faire mieux. Lorsque l’Irlandais Bertram Allen et son rapide Pacino Amiro, derniers à s’élancer, franchissent la ligne d’arrivée avec une faute au compteur, c’est l’exaltation dans le camp tricolore. “FX” et Brazyl intègrent la liste très fermée des gagnants en Grand Prix CSIO 5*.
De l’autre côté de la manche, Céline et Lionel Maurice, les propriétaires de Brazyl, jubilent devant leur télévision. Des émotions fortes, leur alezan au grand cœur en a déjà suscitées beaucoup, mais celles-ci resteront sans aucun doute gravées dans leurs mémoires.
Un miracle à travers la tempête
Mariés depuis vingt-cinq ans, Lionel et Céline Maurice forment un couple d’amoureux de chevaux. Les deux époux se rencontrent dans l’enfance dans les allées d’un centre équestre, et Lionel rêve très tôt d’une carrière dans le saut d’obstacles. “J’ai travaillé deux ans chez Nelson Pessoa, en Belgique. J’ai finalement fait le choix de rejoindre mon père pour travailler dans la grande distribution”, se remémore le quinquagénaire. Il mettra ensuite sa passion de côté pendant quelques années, avant de remettre le pied à l’étrier, il y a quinze ans. “Pour nos dix ans de mariage”, précise Céline Maurice. “C’est François-Xavier Boudant qui a remis Lionel à cheval. Nous l’avons rencontré par l’intermédiaire de Marianne, sa femme, qui est une amie d’enfance de Lionel.”
En 2019, quand le chef d’entreprise se met en tête de trouver une nouvelle monture pour concourir à 1,40, 1,45m, lui et sa femme se tournent naturellement vers le cavalier normand. “FX nous a dit qu’il avait trouvé un cheval qui pouvait convenir à Lionel. Il l’avait repéré à Fontainebleau sous la selle de Sofian Misraoui. Nous sommes allés l’essayer chez Alain Fortin un jour de tempête”, relate Céline. “Je ne le trouvais pas très élastique et il manquait un peu de rapidité, mais il sautait déjà très bien pour un cheval de sept ans. On lui a fait enchaîner une trentaine d’obstacles et il n’en a pas touché un seul ! Je recherchais justement un cheval qui ne touchait pas les barres (rires). Alors nous sommes repartis avec Brazyl !”, complète Lionel.
Un mal pour un bien
Le Calvadosien et son grand alezan, né chez Lucien Hecht, enchaînent les parcours dans des épreuves de label 1*, mais leur saison est interrompue par une blessure du cavalier. Lionel se rompt le tendon de l’épaule en chutant d’un autre cheval, et François-Xavier se voit confier Brazyl pendant la convalescence de son propriétaire. “François-Xavier a commencé par sortir Brazyl sur des épreuves à 1,35 et 1,40m, puis 1,45m. Quand le cheval a commencé à gagner des compétitions à cette hauteur, on s’est dit que le couple avait un vrai potentiel et nous avons décidé de lui laisser le cheval”, explique Lionel.
S’ensuivra une montée en puissance expresse du duo. Fin août 2021, FX et Brazyl triomphent dans le Grand Prix 4* de Valence. Une victoire qui constitue le plus beau succès du cheval, mais aussi de son cavalier, alors âgé de quarante-deux ans… “Ce n’était pas prévu au programme…”, glisse Lionel. Le couple enchaîne ensuite les belles prestations sur des épreuves de label 3 et 4*, avant de prendre la deuxième place du championnat de France Pro Elite en avril 2022. “J’ai l’impression que le cheval progresse de semaine en semaine”, confie même le Normand à ses propriétaires.
Des résultats encourageants, prometteurs même, mais qui ne laissent en rien présager le remue-ménage provoqué par le couple FX-Brazyl dans l’élite mondiale du saut d’obstacles en 2023. Neuvième du Grand Prix 5* du Saut Hermès en mars, troisième du Grand Prix 4* d’Arezzo en avril, et récompensé d’une première sélection en Coupe des nations 5* à Saint-Gall en juin, le couple démontre une capacité à enfoncer les plafonds de verre qui semble illimitée. “Avant chaque concours, on se disait ‘si le cheval fait une bonne performance, pourquoi ne pas le vendre ?’. Mais cela nous procurait tellement de bonheur quand il sautait sans-faute dans le Grand Prix, que le lundi, il n’était plus du tout question de le vendre (rires)”, plaisante Céline.
Vendre ou ne pas vendre ?
“J’avais dit à FX que si le cheval performait à Dublin, on le vendrait. On aurait ainsi pu racheter d’autres chevaux ensuite. Et puis, quand Brazyl a gagné Dublin…”, décrit Lionel d’un ton rêveur. Après le bonheur provoqué par la victoire de Brazyl et FX sur la piste du Dublin Horse Show, Lionel et Céline vont vivre deux semaines compliquées. “Dix minutes après la fin de l’épreuve, notre téléphone sonnait déjà… Nous avons reçu de nombreuses propositions d’achat et on changeait d’avis tous les jours, parfois même quatre fois par jour…”, se remémore Céline.
Le 20 août, à l’occasion d’un barbecue pour fêter la victoire de Dublin, Lionel informe son épouse, FX et l’ensemble de l’entourage de Brazyl de sa décision quant à son avenir. “J’ai décidé de le garder”, avance alors sobrement le propriétaire. “Tout le monde pleurait de joie, c’était très beau”, ajoute Céline.
En choisissant de conserver Brazyl, Céline et Lionel ont renoncé à une somme d’argent à sept chiffres. Un choix d’autant plus difficile à prendre qu’à douze ans, le cheval hongre est au pic de sa valeur marchande. Pourquoi prendre une décision allant à l'encontre de toute logique financière ? “Parce que Brazyl nous apporte simplement trop de bonheur”, s'accordent les deux époux.
“J’ai toujours rêvé de participer aux plus grandes compétitions, comme le circuit de la Coupe du monde par exemple. Pouvoir vivre ces émotions grâce à Brazyl est juste génial”, enchérit Lionel. C’est donc un mélange d’attachement à un cheval “gentil et proche de l’homme”, d’émotions procurées par le grand sport, mais aussi une belle histoire d’amitié qui explique cette décision délicieusement déraisonnable. “FX et Marianne sont des amis. Lui n’a jamais eu la chance de garder assez longtemps un cheval de cette qualité avant Brazyl. Il y a vraiment une histoire d’amitié autour du cheval, et nous voulions qu’elle continue”, conclut Céline.
Un quotidien bousculé
L’histoire singulière unissant ce couple de passionnés et leur formidable fils de Haloubet de Gorze a encore de beaux jours devant elle. Une aventure inattendue qui a bousculé le quotidien des deux quinquagénaires : “On ne se fait plus inviter le dimanche, ce n’est pas possible ! Nous restons scotchés devant notre télévision pour regarder FX et Brazyl !”, assure Céline.
Et quand les deux époux parviennent à dégager un peu de temps dans leur emploi du temps chargé pour rejoindre le duo sur les terrains de concours, leur protégé a le droit à son petit rituel avant chaque épreuve. “Avec Marianne, nous mettons systématiquement un petit pin’s sur le bonnet de Brazyl. À Dublin il avait un petit trèfle, à Barcelone un taureau, et à Stuttgart un pin's Porsche, car il y a le musée Porsche à côté. À Genève, il a eu le droit à un pin’s Rolex. Ce sont des petits trucs entre nous (rires)”, sourit Céline.
En choisissant de garder leur cheval, Lionel et Céline se sont aussi attirés la reconnaissance de nombreux acteurs du monde équestre. “Après Dublin, beaucoup d’éleveurs nous ont appelés en nous disant ‘il faut que vous le vendiez car il est au top de sa valeur’. Mais quand on leur a annoncé qu’on le gardait, ils nous ont tous dit ‘c’est génial, vous avez raison !’ Ils trouvaient plutôt sympa que l’on ait choisi la passion plutôt que la raison”, apprécie Céline.
Choisir la passion plutôt que la raison, quelques mots qui résument parfaitement le destin croisé de Lionel, Céline et Brazyl, qui pourrait bien mener cette jolie troupe jusqu’à Versailles dans quelques mois.
Photo à la Une : Céline Maurice auprès de son cher Brazyl, lors du barbecue organisé pour fêter la plus belle victoire de l’alezan et François-Xavier Boudant. © Collection privée