Il y a onze ans, quelques mois après la naissance de Dubaï du Cèdre, Perrine Cateline et Sylvain Pitois étaient bien loin d’imaginer se retrouver à Paris, en tant que naisseurs mais aussi co-propriétaires de la meilleure jument de la délégation tricolore aux Jeux olympiques. Installés en Bretagne, les deux passionnés, enseignante et kinésithérapeute à la ville, ont vécu le rêve d’une vie grâce à leur géniale fille de Baloubet du Rouet. Leur riche et belle aventure auprès de leur alezane, formée par Côme Couturier, Valentin Besnard et Margaux Rocuet, a pris fin voilà quelques jours, avec sa vente aux écuries Iron Dames. La désormais ancienne complice de Julien Epaillard, parée de bronze en individuel aux championnats d’Europe de Milan, deuxième de la finale de la Coupe du monde Longines de Riyad au printemps et médaillée de bronze olympique avec les Bleus cet été à Versailles, poursuivra sa route avec l’Allemande Janne-Friederike Meyer-Zimmermann. Ses éleveurs, qui resteront ses plus grands fans et ne manqueront pour rien au monde ces prochains exploits, reviennent sur leurs souvenirs les plus marquants à ses côtés, évoquent leur élevage, l’avenir ainsi que leur collaboration avec l’actuel sixième meilleur cavalier du monde. Un entretien croisé, à découvrir en deux épisodes.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
L’annonce de la vente de Dubaï du Cèdre et de son départ à l’étranger, dans les écuries de l’Allemande Janne-Friederike Meyer-Zimmermann, a pu susciter la déception des supporters français. Certains ont parfois exprimé leurs sentiments sur les réseaux sociaux. Vous qui avez pleinement conscience des sacrifices et des risques qu’implique le fait de conserver une jument d’une telle valeur, qu’auriez-vous à leur répondre ?
Sylvain Pitois : Globalement, je pense que la nouvelle n’a pas été trop mal reçue. Sur les réseaux sociaux, il y a toujours des gens qui font quelques remarques, mais il y a eu, je trouve, beaucoup de défenseurs. Je pense qu’au contraire, beaucoup de gens sont reconnaissants que nous ayons sécurisé Dubaï jusqu’aux Jeux olympiques. Souvent, les avis négatifs et sans fondement émanent de personnes éloignées de la réalité du système et du milieu professionnel. Dans tous les cas, nous ne répondons jamais à ce genre de commentaires sur les réseaux sociaux. Il y a également un parallèle que j’aime bien faire. Lorsqu’on est éleveur, notre situation est différente de celle des cavaliers. Ces derniers s’occupent de leurs chevaux tous les jours. Lorsque leurs chevaux partent, ils les quittent du jour au lendemain. Pour nous, éleveurs, et dans le cas de notre aventure avec Dubaï, les choses se font très progressivement. Nous faisons naître les chevaux. Ils sont alors tous les jours à la maison, à nos côtés. Puis ils partent au travail six mois dans l’année et reviennent chez nous le reste du temps. Ensuite, ils ne rentrent plus à la maison, mais si nous en sommes encore propriétaires, nous sommes encore décisionnaires. Avec Julien, nous étions devenus davantage spectateurs de l’évolution de Dubaï. Les choses ont été très progressives et sa vente faisait partie de la suite logique de toute cette démarche. Quoi qu’il en soit, Dubaï reste en Europe, chez une cavalière qui semble, de réputation, très respectueuse de ses chevaux. Et, potentiellement, nous pourrons revoir Dubaï.
Perrine Cateline : La vente de Dubaï faisait partie de notre contrat. Julien avait l’objectif de valoriser Dubaï afin de la commercialiser après les Jeux olympiques. J’aurais aussi aimé qu’elle reste en France, mais cela ne s’est pas fait. La nouvelle cavalière de Dubaï est actuellement troisième du classement général du Global Champions Tour, ce qui montre bien qu’elle est performante. L’avenir nous dira ce qu’elles réussiront ensemble. Nous sommes contents que Dubaï soit partie chez une cavalière de ce niveau. Cela aurait pu être bien différent. Elle aurait, par exemple, pu partir chez une jeune cavalière américaine en plein apprentissage, ce qui aurait pu réduire nos chances de la revoir à haut niveau. Je ne sais pas ce que fera Dubaï à l’avenir, mais nous avons des chances de la revoir briller. Si nous en avons la possibilité, nous serons ravis d’acheter nos places pour aller la voir en concours en tribunes ! Quant aux personnes qui commentent sur les réseaux sociaux, ils expriment un ressenti à un moment T, une déception et c’est aussi humain d’avoir des émotions et de ressentir cela. Nous essayons de ne pas nous attacher à cela.
“L’aventure avec Julien a été un bonus”, Sylvain Pitois
Ambitionnez-vous ou rêvez-vous de revivre une aventure similaire avec un autre produit de votre élevage ?
P.C. : Nous avons déjà eu la chance d’avoir un cheval de ce niveau. En avoir deux serait exceptionnel. Nous aimerions évidemment réussir à reproduire le même parcours, mais je ne sais pas si nous y arriverons. Les gens qui peuvent se permettre de conserver un cheval aussi longtemps dans le sport sont souvent des grandes structures, avec un élevage à plus grande échelle, ou bien des étalonniers ou des personnes fortunées. Le rythme a été très soutenu ces deux dernières années pour essayer de suivre Julien et Dubaï en concours, de poser des jours de congés au bon moment, etc. C’était intense ! Et puis, avec les chevaux, il y a toujours des risques de blessures. C’est le sport. Cela étant, si nous pouvons revivre la même histoire qu’avec Dubaï, je pense que nous signons ! Nous verrons ce que l’avenir nous réserve. En confiant Dubaï à Julien, nous ne lui avons pas dit “c’est peut-être une jument pour les Jeux olympiques”. Ce n’était pas notre projet de base.
S.P. : Les chevaux comme Dubaï valent très, très cher. Arriver à un tel niveau, les conserver devient un peu de la folie. Evidemment, nous rêvons d’avoir un autre produit qui atteint le même niveau de performance qu’elle. De là à imaginer le conserver, en tant que propriétaires, cela est une autre question. En termes de stratégie d’élevage, Dubaï nous a déjà donné neuf produits. Quelque part, nous avions fait plus ou moins le tour sur cet aspect là. La boucle était bouclée. L’aventure avec Julien a été un bonus. Nous l’avons rencontré au bon moment, parce qu’il avait un projet olympique et recherchait des chevaux dans ce but là. Au départ, lorsque nous sommes allés à la rencontre de Julien, c’était pour commercialiser Dubaï. Nous la lui avons confiée pour qu’il la fasse progresser. Et c’est lui, dès le premier essai, qui nous a parlé de cette ambition olympique. Pour lui, Dubaï avait la qualité pour faire partie de ce projet.
Justement, que retenez-vous de votre collaboration avec Julien Epaillard ?
P.C. : Il est extraordinaire ! Je retiens sa bonne humeur, sa capacité à mettre à l’aise très facilement et la chouette personne qu’il est. Avec lui, tout est calculé. C’est un vrai professionnel. Lorsqu’il lui arrivait de commettre des fautes avec Dubaï, il nous expliquait que tout était prévu, que c’était normal et que cela leur permettait de réviser leurs gammes, de donner plus d’autonomie à Dubaï pour la suite.
S.P. : La simplicité le caractérise aussi. Avec lui, les choses sont simples, carrées. On peut parler de tout, sans tabou. Avec Julien, ce n’était jamais de la faute de Dubaï ; c’était toujours de la sienne.
P.C. : On ne peut pas compter le nombre de fois où il a revécu son dernier parcours des Jeux olympiques ! (rires) Je pense qu’il a dû en rêver pendant au moins quinze jours ! Nous sommes allés voir Dubaï chez lui, dans ses écuries, et Julien était absent. Son équipe nous a alors raconté qu’il ne voulait pas voir la plaque de sa quatrième des Jeux olympiques envoyée par la Fédération et qu’il ne voulait pas qu’elle soit exposée avec les autres parce qu’il ne la méritait pas. Son humilité est folle ! Au-delà de ça, Julien est aussi un bon vivant.
S.P. : Nous nous sommes bien marrés avec lui ! Il sait être sérieux, concentré et dans sa bulle quand il le faut, mais il sait aussi extérioriser les choses. Le côté ami et famille est important pour lui ; il aime bien être entouré. Et il sait faire le show et mettre l’ambiance au bon moment, ce qui est très sympa !
“Nous avons passé une semaine avec le ventre noué”, Perrine Cateline
Comment avez-vous vécu le départ de votre star ? Quelles ont été vos émotions au moment de lui dire au revoir ?
S.P. : Nous sommes allés voir Dubaï il y a deux semaines, en allant aux championnats du monde de Lanaken. Nous nous sommes arrêtés à la Bosquetterie en passant pour lui faire une caresse, qui, j’espère, ne sera pas la dernière ! Après cela, il paraît que j’ai été un peu infect pendant deux jours ! (rires)
P.C. : Nous avons passé une semaine avec le ventre noué. Cela nous faisait bizarre… Et puis, oui, nous étions plutôt de mauvaise humeur. Il faudra le temps de digérer, de voir comment les choses évoluent pour elle, avec sa nouvelle cavalière. Je pense que lorsqu’on verra que c’est la routine, que tout se passe bien, nous aurons un meilleur sentiment. Cette vente était prévue, donc nous n’avons pas pleuré et ne sommes pas tristes, mais cela ne nous laisse pas indifférent pour autant.
S.P. : D’une certaine façon, nous sommes plus soulagés que tristes. Dubaï était à vendre après les Jeux olympiques. C’était l’objectif. Une fois cela accompli, il y a une forme de soulagement. Cela va être intéressant de voir comment Dubaï et sa cavalière s’adaptent l’une à l’autre. Janne-Friederike Meyer-Zimmermann n’a pas du tout la même équitation que Julien. Nous avions toujours choisi de confier notre jument à des cavaliers avec une monte que l’on pourrait qualifier de latine. Nous sommes curieux de voir comment va se former ce nouveau couple.
P.C. : Nous avons hâte de revoir Dubaï en concours avec sa nouvelle cavalière ! Janne-Friederike Meyer-Zimmermann est une professionnelle et, au cours de sa carrière, elle a monté tout type de chevaux : des chevaux imposants, avec énormément de force (comme Goja van de Begijnakker et Messi van’t Ruytershof, ndlr), mais aussi des chevaux avec plus de sang (comme Cellagon*Lambrasco, avec qui elle a notamment remporté le mythique Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, ndlr). Elle est capable de monter n’importe quels chevaux. Il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas. Le côté passation entre cavaliers est toutefois important. Même si les cavaliers savent quoi faire une fois à cheval, nous aimions bien informer les personnes qui évoluaient aux côtés de Dubaï de ses petites habitudes. Nous n’avons pas toujours été écoutés très attentivement, mais Julien au contraire, a essayé d’en savoir le plus possible sur Dubaï afin de gagner du temps. Il a tout compris. Nous sommes ses éleveurs, ses naisseurs, et nous connaissons bien Dubaï, comment elle est et comment elle fonctionne. Ce n’est pas encore fait pour l’instant, mais si nous avons l’occasion de croiser la cavalière de Dubaï à l’avenir, nous serons ravis d’échanger avec elle !
Photo à la Une : Dubaï du Cèdre et Julien Epaillard aux Européens de Milan, à l’été 2023. © FFE / PSV