“Voir les chevaux de notre élevage à haut niveau n’est que du plaisir !”, Christian Liégeois (2/2)

Chaque année ou presque, Yvonne et Christian Liégeois ont le bonheur de voir émerger de nouvelles stars sous leur affixe de Septon. Après la minuscule mais bondissante Ayade de Septon, qui reste à ce jour la plus connue de leurs représentants, No-Comment, Scoop, Phelina et Qallas arpentent désormais les plus belles pistes du monde, en Europe et au-delà. Passionné de la première heure, le couple, marié depuis bientôt cinquante ans, continue de voir évoluer ses protégés avec la même ferveur et un amour intact. Rencontré il y a quelques mois, au salon des étalons de Saint-Lô, Mecque de l’élevage s’il en est, Christian Liégeois est revenu sur l’histoire de son précieux trésor, et a livré son regard sur l’élevage de chevaux de sport. Rencontre, en deux épisodes.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Fort d’une riche expérience, Christian Liégeois a non seulement croisé la route de nombreuses bonnes juments, mais aussi d’autant d’étalons de premier plan, dont Jenson van’t Meulenhof ou encore Lector vd Bisschop, qui a même été débourré à Durbuy. Forcément, tous deux ont donné plusieurs produits à l’affixe de Septon, de même que Del Piero P&B, un fils de Heartbreaker et petit-fils de Darco blessé à six ans, toujours stationné sur place, et “passé à côté de sa carrière”, de l’avis de son gardien. “Jusqu’à un certain point, nous avons beaucoup travaillé avec les étalons qui étaient stationnés chez nous, car nous avons accueilli beaucoup de grands noms. Les étalonniers, comme Joris de Brabander, l’élevage van Meulenhof ou les écuries Krismar, m’ont demandé de prendre leurs étalons chez moi car ils en avaient trop. Mais étalonnier est un métier, qu’il faut savoir faire”, poursuit le Belge, qui a un avis bien tranché sur l’évolution de cette activité. “Je pense que les petits étalonniers vont disparaître. Face aux grandes maisons, ils n’ont plus trop de chance, et il n’y a pas de demande suffisante pour les jeunes étalons. Les mâles aguerris trouvent des places dans de grandes boutiques, où ils sont mis dans des cadres et bénéficient d’une large publicité. Lorsque Jenson était chez nous, il a servi environ quatre-vingts juments par an, ce qui était déjà correct. Quand il est arrivé au haras de Zangersheide, il a fait plus de saillies en une saison qu’en trois ans chez nous ! Il y a, de toute façon, trop d’étalons sur le marché actuellement, et beaucoup d'entre eux ne travaillent pas, ou du moins pas assez pour payer leur avoine.”
L'élevage de Septon, immortalisé en 2020. © Dirk Caremans / Hippo Foto
Une histoire de ratio
Si, heureusement, quelques exceptions subsistent toujours, chez les petits étalonniers comme les jeunes reproducteurs, le fondateur de l’élevage de Septon regrette la multiplication des approbations… et propose une solution “radicale” : la castration. “Il faudrait être beaucoup plus rigoureux, ou laisser tous les étalons saillir. Je ne suis pas un expert en étalons, mais dans l’élevage de chevaux arabes, ils ont procédé ainsi : tous les étalons pouvaient reproduire tant qu’ils avaient des dents et des testicules, puis ils se sont aperçus que cela n’était pas la bonne solution. Alors, ils ont donné des primes pour les castrer. Et cela fonctionne. En saut d’obstacles, il y a trop d’étalons disponibles. Ils sont tous approuvés, ou presque, même s’ils ont des défauts physique… Quel est l’intérêt ? Gérer un étalon demande davantage de travail en concours, pour le chef d’écurie, pour le cavalier, pour le transport, etc”, juge-t-il. Et d’ajouter : “Les étalons qui bénéficient d’un bon marketing saillissent énormément. Forcément, ils produisent des chevaux qui tournent bien en concours, mais si l’on faisait un ratio - une méthode qui devrait davantage être utilisée - des chevaux qui évoluent à 1,50m ou plus par rapport au nombre de naissances, ce ne serait plus la même histoire. Et, non seulement ces étalons saillissent énormément, mais, fatalement, ils se voient confier de bonnes juments, ce qui les avantage doublement par rapport à des mâles qui n'honorent que dix juments par an ! À l’inverse, un cheval comme Vigo Cécé, qui est mort, a très peu sailli. Pourtant, si on faisait le ratio de sa production, je pense qu’il serait numéro un mondial.”
Christian Liégeois est ravi des premiers produits de son étalon maison, No-Comment de Septon. © Sportfot
Christian, lui, repère régulièrement de jeunes reproducteurs, comme Louison Manciais, fruit du mariage entre deux étalons qu’il apprécie particulièrement, Armitages Boy et Vigo Cécé, mais adapte toujours ses choix en fonction de ses juments… et de ses constats sur le terrain. “Tout dépend de la politique de son élevage. Si l’on souhaite produire commercial, il est préférable de se tourner vers une valeur sûre. Si l’on veut asseoir son élevage, on peut choisir de jeunes mâles. Mais pour cela, il faut les voir en vrai. Un catalogue papier ne révèle pas tout”, souligne l’éleveur, qui se déplace “au moins deux ans sur trois”, jusqu’à Saint-Lô, pour le salon des étalons, un événement sans équivalent dans le reste du monde. “Ma femme et moi venons à Saint-Lô depuis que nous sommes mariés. Cela fera cinquante ans l’an prochain ! Nous venions déjà lors des grandes expertises du stud-book Selle Français. C’était magnifique et il y avait une ambiance extraordinaire. À Saint-Lô, on a pu voir cette année un cheval comme Casall, et bien d’autres étalons de renom. C’est toujours impressionnant. En Belgique, les approbations sont aussi bien suivies, et le stud-book SBS a créé une bonne initiative en proposant une présentation d’étalons, ouverte à tous les stud-books, en parallèle de son International Selection Show. Il y a du monde, et les étalonniers français, qui veulent aussi toucher des clients en Belgique, traversent la frontière.”
Sous la selle d'Odile Girech, Qallas de Septon s'annonce déjà comme une excellente compétitrice. © Sportfot
Un brin chauvin, mais en gardant toujours un œil aussi objectif que possible, le vétérinaire de profession loue la réussite de la Belgique en matière d’élevage. “Sans se lancer des fleurs, je pense que l’élevage belge est très, très performant. Cela se remarque au niveau mondial, notamment par le nombre de chevaux nés chez nous qui évoluent dans les plus grands concours. Je pense que cela est dû au fait que les Belges ont toujours été des généticiens, dans toutes les races et espèces”, explique-t-il. “Nous avons créé le cheval de trait ardennais, le cheval de trait belge, la race porcine du Piétrain, le Blanc Bleu Belge chez les bovins, des races de poules, etc. Nous avons la chance d’être un petit pays entouré de grandes nations d’élevage en matière de saut d’obstacles. Nous n’avons pas hésité à utiliser des étalons venus de France, d’Allemagne ou des Pays-Bas, etc. Cela donne un melting-pot bénéfique ; je crois que nous n’avons pas peur de sortir de nos frontières. En France, l’élevage était plus fermé, même s’il est davantage ouvert aujourd’hui. Idem en Allemagne, où l’élevage régresse. Je pense que les Néerlandais sont ceux qui s’approchent le plus des Belges dans leur façon de travailler à l’heure actuelle.”
“Je pense que nous n’avons pas trop mal réussi”
Des années de travail, de patience et d’observation permettent à Yvonne et Christian de continuer de vibrer avec leurs pépites. Des jeunes chevaux aux plus belles pistes du monde, chaque week-end ou presque, un de Septon se démarque. En début d’année, No-Comment de Septon (Jenson van’t Meulenhof x Couleur Rubin), douze ans, s’est offert une cinquième place dans un Grand Prix 5* à Doha, avant de se classer quatrième de l’épreuve reine du CSI 3* de Nancy en avril, sous la selle de la Suissesse Nadja Peter Steiner, qui en a récemment cédé les rênes au Turc Hasan Senturk. “Lorsque nous avons lâché No-Comment en prairie à un an, j’ai dit à mon épouse : ‘regarde bien celui-là, c’est un seigneur’. Et il l’est toujours ! Nous avons d’ailleurs acheté l’un de ses poulains. Pourquoi ? Par folie ! Il a la même tête que No-Comment, et nous sommes très contents de sa production. Il n’a pas beaucoup sailli, et je ne sais pas vraiment l’expliquer. Il a été un peu critiqué parce qu’il est assez lent, mais c’est un cheval olympique. Il saute 1,60m les doigts dans le nez !”, constate avec bonheur le Belge. “Voir les chevaux de notre élevage, comme Ayade en son temps, à haut niveau, n’est que du plaisir !”
Avec Nadja Peter-Steiner, l'étalon No-Comment de Septon a enregistré quelques uns de ses plus beaux résultats internationaux. © Mélina Massias
Et No-Comment n’est pas le seul à s’attaquer aux sommets. Outre-Atlantique, Scoop de Septon (Hunter’s Scendro x Echo van’t Spieveld) enchaîne avec encore plus de régularité les performances. Sous la selle du Portugais Luis Sabino Gonçalves, le Zangersheide de onze ans s’est classé lors de ses douze derniers parcours internationaux, soit l’intégralité de sa campagne estivale à Ocala ! Vainqueur d’un Grand Prix 3* en juin, le duo s’est ensuite hissé aux rangs onze, huit et cinq de trois autres épreuves de même niveau, et a conclu un Grand Prix 4* en sixième position, après n’avoir écopé que d’un point de temps ! En janvier et février, le hongre s’était déjà offert trois classements en Grand Prix 4* ! Impressionnant. Dans le même temps, Happy Happy de Septon (Happy Felix Hero x Landor S), brille sur les terrains de concours complet avec la Belge Claire Nosal, Qallas de Septon, neuf ans, aborde ses premiers Grands Prix 4* avec brio et s’est imposée dans une épreuve à barrage à 1,50m à Vejer de la Frontera en début d’année, avant de se classer neuvième dans le temps fort du CSI 4* de Cabourg Classic, et les jeunes Nouba Nouba, Nikita et Spéciale Couleur enchaînent les sans-faute.
Happy Happy de Septon excelle sur les terrains de concours complet. © Dirk Caremans / Hippo Foto
“Ce que je souhaite avant tout, c’est que les chevaux soient bien. Ensuite, peu importe le propriétaire, nous avons toujours l’occasion d’aller les voir. Nous étions par exemple en contact avec Nadja Peter Steiner pour No-Comment. Et Qallas, elle, est chez notre partenaire, Gilbert De Roock. C’est un peu comme si elle était toujours à nous”, parachève Christian, qui, avec sa moitié Yvonne, vibre toujours comme à la première heure. “J’accorde beaucoup d’importance à la présence, à la vivacité des poulains. Le modèle est important, mais la présence encore plus. J’aime observer leur galopade, leurs yeux. On remarque vite ceux qui sortent du lot. Sur une barre au sol, il y a ceux qui trébuchent et les autres. Lorsqu’il y a un rayon de soleil au sol, certains le sautent, d’autres ne le voient pas. Lors des premiers tests de saut en liberté, leur intelligence finit de se révéler, même si certains nous surprennent, comme Phelina de Septon (Jenson van’t Meulenhof x Lando). À trois ans, elle ne sautait pas très bien, un peu à l’envers. Nous l’avons vendue dans un lot et l’an dernier, elle était à Aix-la-Chapelle avec René Dittmer (et s’est classée dans deux épreuves, à 1,50 et 1,55m, à neuf ans, avant de revenir sous la selle de Mark Bluman en juin dernier après plusieurs mois d’absence et de s’imposer dans une épreuve à 1,50m au CSI 3* de Lake Placid, ndlr) ! Elle saute toujours de la même manière, c’est incroyable ! Et ce n’est pas la première à qui cela arrive. Tout le monde se trompe, même les meilleurs. Plus un cheval de sport à de qualités, mieux c’est. Mais le plus important est qu’il tombe entre les bonnes mains, chez quelqu’un qui saura gérer ses qualités et ses défauts. Certains chevaux peuvent changer de cavalier tout le temps ; d’autres non. La route est longue, très longue. C’est comme lorsque je viens à Saint-Lô : je prends l’autoroute à Liège et je dois éviter toutes les sorties. C’est difficile !”
Le génial Scoop de Septon enchaîne les classements outre-Atlantique, et en particulier à Ocala, où il se sent comme chez lui. © Sportfot
Si le chemin vers le très haut niveau est semé d’obstacles pour les montures, il l’est aussi pour celles et ceux qui les ont fait naître. Christian Liégeois met en avant la passion, vertu sans laquelle rien ne serait possible dans ce milieu et qui le guide et l’anime depuis toujours. “Si c’était à refaire, nous le referions. Peut-être d’une autre manière, mais nous le referions”, assure-t-il. “Je ne regrette rien, mais nous n’avons peut-être pas été assez stricts et sélectifs à nos débuts. Il y a cinquante ans, nous avions aussi moins le choix. Il n’y avait pas internet et toutes ces choses-là pour voir les résultats. La critique était aisée, mais nous n’allions pas voir les chevaux en concours. Et beaucoup trop d’éleveurs n’y vont toujours pas. Malgré tout, je pense que nous n’avons pas trop mal réussi.” Un euphémisme, pour un élevage qui a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse et continue de les cultiver.
Désormais monté par Hasan Senturk, No-Comment de Septon a connu plusieurs cavaliers, dont Dominique Hendrickx. © Scoopdyga
Photo à la Une : Yvonne et Christian Liégeois ont pris plaisir à voir leur star No-Comment de Septon évoluer au CSIO 5* de La Baule en juin dernier. © Mélina Massias